Cuba : L’État se décide à lâcher du lest

Marie-Laure Geoffray

17/06/2015

Depuis près de vingt ans, chaque actualité cubaine déclenche la même vague de questionnements : est-ce la fin du socialisme ? Cuba se démocratise-t-il enfin ? ou s’agit-il d’un virage à la chinoise ? L’annonce récente du rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis n’a pas fait exception. Elle a été commentée soit comme le point de départ d’une possible transition à la démocratie, soit comme une manoeuvre du gouvernement cubain pour maintenir son monopole sur l’exercice du pouvoir. Outre le fait que cette focalisation sur la démocratisation du système politique de l’île (ou sur son absence) témoigne de la paresse de nombreux médias sur le cas cubain, elle rend invisible toute analyse nuancée des réformes initiées par Raul Castro depuis 2008. Pourtant, ces réformes sont pertinentes à étudier en soi car elles nous renseignent sur les transformations internes du régime socialiste de gouvernement à Cuba.
Les deux premières grandes réformes (la réforme agraire en 2008 de distribution en usufruit de terres et l’autorisation d’exercer 178 métiers en libéral en 2010) ont visiblement amorcé une sortie du monopole d’État sur l’économie. En effet, alors que les ouvertures autorisées par Fidel Castro étaient régulièrement remises en question par le président cubain lui-même, ce qui limitait leur portée, l’introduction croissante de mécanismes de marché, par son successeur et frère, Raul Castro, est accompagnée d’une réduction du nombre de fonctionnaires. Le signal est clair : l’État se désengage de nombreuses activités économiques et les Cubains sont incités à rejoindre le secteur privé dont l’expansion croissante, malgré une ouverture limitée du crédit bancaire, a été encore encouragée par la nouvelle loi sur les investissements étrangers de 2014. En même temps, l’État garde le contrôle sur les grands projets économiques comme celui de la zone franche de Mariel, destinée à devenir une plaque tournante de l’import-export dans la Caraïbe, grâce aux aménagements de son port.
Sur un autre plan, la loi migratoire, entrée en vigueur en janvier 2013, facilite les voyages des Cubains de l’île à l’étranger (en supprimant l’autorisation de sortie) ainsi que ceux des Cubains émigrés à Cuba (grâce à la flexibilisation des conditions de résidence temporaire à l’étranger). La circulation entre les deux côtés du détroit de Floride est désormais favorisée, puisque Barack Obama avait déjà assoupli, en 2009, les restrictions limitant les voyages des Cubano-américains sur l’île. Cette circulation facilite le renouvellement du dialogue entre Cuba et sa diaspora, ainsi que les investissements des Cubains émigrés dans les petites entreprises familiales de leurs proches au pays. L’embargo américain étant toujours en vigueur malgré l’ouverture prônée par Obama, les échanges avec les États-Unis restent limités.
Le gouvernement cubain a aussi pris des mesures plus symboliques, comme libéraliser l’achat d’ordinateurs et de téléphones portables, dont la portée n’est pas moins grande. La connectivité des Cubains s’est fortement accrue, d’autant que le gouvernement a ouvert, en juin 2013, plus d’une centaine de cybercafés. Avec l’accès à Internet et la possibilité d’entrer et de sortir plus librement du territoire, des voix critiques émergent et leur visibilité est telle qu’il devient plus coûteux de les réprimer. Pourtant, la création de journaux non officiels (comme 14ymedio de Yoani Sanchez ou periodismo de barrio d’Elaine Diaz) constitue un défi particulièrement fort pour un gouvernement qui s’est longtemps reposé sur son monopole de l’information pour asseoir sa légitimité.
Les choses changent, donc, à Cuba. Et il faut prendre ces nouvelles dynamiques sociales, économiques et politiques au sérieux pour comprendre comment le gouvernement cubain se transforme, sans forcément imiter l’expérience chinoise ni s’orienter vers le modèle de la démocratie libérale.

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