Le soutien des Palestiniens à l'offensive du 7 octobre, un soutien à la résistance face à l'occupation israélienne. Entretien avec Sarah Daoud
Propos recueillis par Corinne Deloy
Pouvez-vous définir le Hamas ?
Sarah Daoud : Le Hamas est un parti islamiste palestinien créé en 1987 au moment de la première intifada et il s’inscrit dans le mouvement national palestinien. Il se revendique comme chef de file de la résistance palestinienne armée – il dispose d’une branche armée, les brigades Izz el-Din al-Qassam – et il est très critique entre autres envers le Fatah, son principal rival, à qui il reproche d’avoir accepté de prendre part aux négociations d’Oslo avec Israël. En 2006, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes devant le Fatah, une victoire non reconnue par Israël et par les États-Unis. Des heurts violents entre groupes armés débouchent sur la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas en juin 2007. Les leaders du Hamas vivent entre la bande de Gaza et l’étranger, les cadres du bureau politique ayant été contraints, au moment des révolutions dans les mondes arabes et musulmans de quitter la Syrie et l’Egypte pour trouver exil principalement au Qatar, en Turquie et au Liban.
Le Hamas a-t-il choisi ce moment précis, qui correspond au cinquantième anniversaire de la guerre du Kippour, pour attaquer Israël ?
Sarah Daoud : Le parallèle avec l’anniversaire de la guerre de Kippour est en effet tentant. Cependant, bien qu’en partie mobilisé par le Hamas dans sa campagne de propagande au moment de l’offensive, il ne faut pas exagérer l’impact de cette guerre sur l’imaginaire du mouvement. Pour comprendre le déclenchement de l’offensive du 7 octobre lancée par le Hamas, il faut davantage se pencher sur les récentes provocations de colons juifs sur l’esplanade des mosquées, sur la campagne de répression de l’armée israélienne contre les Territoires palestiniens occupés (TPO), en particulier dans les villes de Jénine et de Naplouse, depuis le printemps 2022 et sur la longue période, sur la colonisation et l’occupation israélienne de ces territoires depuis des décennies. Le Hamas est aussi pressé par les Palestiniens de la bande de Gaza, où la situation humanitaire n’a cessé de se détériorer, de mettre un terme au blocus imposé par Israël en 2006.
D’un point de vue stratégique enfin, le Hamas a choisi de lancer son offensive à une date qui correspond à un jour de congé pour les Israéliens et à un moment où les troupes de l’armée israélienne étaient davantage mobilisées dans les Territoires palestiniens occupés – encore une fois certaines villes comme Jénine ou encore Naplouse font l’objet d’une forte répression de l’armée israélienne pour écraser les mouvements de résistance palestiniens, d’où sans doute l’effet de surprise.
Quelles ont été les réactions des habitants de Gaza après les attaques du Hamas ?
Sarah Daoud : Les habitants de la bande de Gaza vivent dans la crainte permanente du déclenchement d’un énième cycle de violence. Ces dernières années, le territoire a fait l’objet d’une violence cyclique, de guerres (2009, 2014), lesquelles ont dévasté la bande de Gaza et sa population. La majeure partie des habitants ne cautionnent donc pas cette attaque, d’autant que la popularité du Hamas a décliné de façon exponentielle ces dernières années. Si certains ont affiché leur soutien à l’offensive, il faut y voir encore une fois l’expression du soutien des Palestiniens à la résistance face à l’occupation israélienne davantage qu’une adhésion partisane ou idéologique au Hamas.
Considérant ce que pourrait être, ce qu’est déjà, la riposte israélienne, le Hamas n’a-t-il pas par ces attaques en quelque sorte condamné à mort la population de Gaza ?
Sarah Daoud : Avec une offensive d’une telle ampleur, le Hamas a sciemment pris en otage toute la population de la bande de Gaza, dans la mesure où le mouvement devait s’attendre à une riposte israélienne dévastatrice et de long terme. Pour autant, plusieurs cadres politiques du mouvement se sont exprimés très tôt en faveur de négociations de cessez-le-feu, estimant que leur objectif militaire était atteint.
Le Hamas utilise, dans cette guerre comme lors des précédentes, les civils palestiniens comme boucliers humains. Ils font de même lorsque le mouvement stocke des armes dans des immeubles résidentiels, qui sont une des cibles des attaques aériennes israéliennes.
Le Hamas est une organisation sunnite mais on parle de ses liens avec l’Iran, pays chiite. Comment expliquer ce point ?
Sarah Daoud : L’alliance avec l’Iran n’a pas de fondement religieux ou idéologique, elle est davantage stratégique. Le Hamas, au même titre que le Hezbollah, fait partie de ce que l’Iran appelle l’axe de la résistance, notamment face à Israël. Malgré cette alliance stratégique, il serait erroné de considérer que le Hamas est inféodé à Téhéran ou encore que cette offensive serait téléguidée de l’extérieur. Par ailleurs, le jihad islamique, dont les cadres politiques sont pour la plupart exilés au Liban, est davantage un vecteur d’influence de l’Iran que le Hamas.
Y a-t-il aujourd’hui un risque d’embrasement du Moyen-Orient ? Peut-on imaginer que Téhéran et le Hezbollah ne réagissent pas à la destruction du Hamas par Israël ?
Sarah Daoud : Il y a en effet un risque de diffusion du conflit dans les pays frontaliers, d’une part parce que les opinions publiques arabes demeurent acquises à la cause palestinienne et d’autre part, parce que le Hezbollah mène également des offensives à la frontière avec Israël, créant ainsi un second front. Pour autant, il paraît irréaliste d’imaginer que des États tel que l’Iran ait un intérêt à s’engager dans le conflit. Le risque d’embrasement vient donc davantage de l’intérieur, des Palestiniens dans les Territoires occupés, à Jérusalem-Est ou encore en Israël.
Quelles sont les raisons du désintérêt des pays occidentaux mais aussi des pays arabes pour le conflit israélo-palestinien ces dernières années ?
Sarah Daoud : Ces évènements rappellent en effet aux États ce conflit non résolu, quelque peu délaissé ces dernières années. L’échec des négociations de Camp David au début des années 2000 a mis un coup d’arrêt aux négociations de paix, qui sont au point mort depuis plusieurs années. De plus, certains dirigeants arabes considèrent avoir désormais intérêt à normaliser leurs relations avec Israël et ils se sont désintéressés des Palestiniens. Enfin, la politique de colonisation croissante d’Israël et son occupation des Territoires palestiniens rendent le processus de négociations caduque. Il est en effet difficile d’imaginer la création d’un État palestinien souverain sur des fragments de territoires et dont la capitale pourrait être Jérusalem-Est.
Propos recueillis le 26 octobre 2023 par Corinne Deloy
Photo : Gaza, 9 octobre 2023, commandos du Hamas avec des armes de guerre. Copyright : A-One Rawan pour Shutterstock.