Mongolie : des ressources minières au service d’une stratégie de sécurité nationale
A l’occasion du dernier Forum économique mondial de Davos en janvier 2014, les autorités mongoles ont sollicité des experts pour réaliser une étude sur les différents scénarios d’évolution de leur économie nationale à l’horizon 2040. L’un des scénarios envisagés a évoqué l’hypothèse d’un accroissement des tensions régionales induites par la recomposition géopolitique de la région. Le contrôle et la sécurisation des approvisionnements en matières premières deviendraient alors un enjeu prioritaire pour les pays de la zone et la Mongolie, forte de ses importantes ressources minières, se trouverait au cœur des tensions et des convoitises. L’étude menée par les experts du forum repose sur une vaste série d’entretiens avec les autorités mongoles. Son principal intérêt est d’offrir un aperçu des préoccupations actuelles des dirigeants du pays.
L’élaboration de ce scénario traduit la position paradoxale qu’occupe la Mongolie en Asie du Nord-Est. La hausse continue de la demande de matières premières dans cette région, combinée à l’accroissement des tensions géopolitiques, l’expose aux convoitises de ses puissants voisins mais lui offrent également la possibilité d’utiliser ses ressources naturelles comme une arme qui pourrait permettre aux autorités mongoles de mettre en œuvre une stratégie de désenclavement, celui-ci constituant la principale faiblesse géopolitique du pays. La mise en œuvre de cette stratégie se heurte cependant à la nécessité de combiner deux objectifs difficilement conciliables dans le cas mongol, le développement économique et la sécurité nationale.
Un pays riche en ressources minières mais dépendant
La Mongolie est souvent qualifiée de « coffre-fort géologique » de l’Asie. Les richesses offertes par son sous-sol sont diverses et abondantes (cuivre, charbon, or, fer, uranium, terres rares, pétrole). Le sous-sol mongol présente également la particularité d’être faiblement exploré. Les données des campagnes géologiques menées durant la période socialiste ont été en grande partie conservées par les autorités russes qui refusèrent de les communiquer aux autorités mongoles après la transition démocratique de 1990. La Mongolie constitue ainsi l’une des dernières « zones frontières » en matière minière où des découvertes de gisements majeurs, relativement aisés à exploiter, sont encore possibles. La découverte des gisements géants de Tavan Tolgoi (charbon) et d’Oyu Tolgoi (cuivre et or) au début des années 2000 témoigne de l’attractivité et des potentialités mongoles en matière minière.
Par ailleurs,la Mongolie passe pour être le nouvel eldorado minier. Pourtant, l’engouement suscité par ses ressources naturelles est ancien. Dès la fin du XIXe siècle, des hommes d’affaires occidentaux s’étaient rendus dans le pays dans le cadre d’une « seconde ruée vers l’or ». Le rapport Tanaka, remis à l’empereur du Japon par son Premier ministre à la fin des années 1920, témoigne également de l’intérêt porté par Tokyo à la Mongolie et à ses ressources avec lesquelles il souhaitait financer ses ambitions expansionnistes. Malgré cet engouement initial, il fallut attendre la fin des années 1990 pour que les investisseurs redécouvrent les potentialités mongoles en matière minière.
Le développement croissant du secteur minier durant la décennie 2000 a permis au pays de sortir d’une décennie de crise qui a accompagné les transitions politiques et économiques de 1990. Il a également permis d’attirer l’attention internationale sur l’un des taux de croissance économique les plus élevés au monde (11,7% en 2013). Le secteur minier domine l’économie mongole (28,3% du PIB). En 2013, les produits miniers représentaient 82 % du total des exportations du pays et étaient quasi intégralement dirigés vers la Chine. Dans ce domaine, les exportations concernent surtout le charbon (26%) et le cuivre (22%), et dans une moindre mesure le fer (15%)1.
Cette situation de dépendance à l’égard de la Chine et du secteur minier est problématique car elle expose le pays à trois types de dangers : une variation des cours des matières premières (à l’origine de la crise économique de 2009) ; un changement du prix de vente des produits miniers sur le marché chinois (par exemple celui du charbon qui fut l’une des causes du ralentissement économique de 2013) et, surtout, une dépendance à l’égard des autorités chinoises. Les dirigeants mongols gardent encore en mémoire la décision prise par Pékin en 2002 de fermer la frontière entre les deux pays pour quelques jours afin de protester contre la visite du Dalaï-Lama en Mongolie. Cette décision avait mis en lumière la fragilité de la position mongole.
L’ouverture de la structure économique et la diversification des partenaires commerciaux constituent donc pour les autorités un enjeu prioritaire en matière de sécurité nationale.
La construction d’une stratégie de sécurité basée sur le développement minier
L’engouement pour les ressources minières et la forte croissance économique dont a bénéficié la Mongolie à la fin de la décennie 2000 ont conduit les autorités à repenser leur stratégie de sécurité nationale. Un nouveau « concept de sécurité nationale » a ainsi été adopté dans le courant de l’année 2010 qui insiste sur les enjeux sécuritaires du développement minier mongol.
Ce nouveau concept témoigne de l’approche stratégique adoptée par les autorités mongoles à l’égard du développement minier du pays. Il affirme notamment « qu’une stratégie constructive doit être élaborée pour développer une structure économique multi-piliers »2. Il est notamment stipulé que le développement minier doit se faire « à l’aune de la protection de la sécurité nationale »3 pour éviter que le pays ne devienne « un simple fournisseur de matières premières ou une arène de confrontation entre des intérêts contradictoires »4. L’adoption de ce concept de sécurité nationale témoigne des velléités de diversification affichées par les autorités mongoles.
Celles-ci se traduisent par la mise en place d’une politique fondée sur la diversification des partenaires impliqués dans le développement. Cette stratégie a été affichée sous le nom de politique de « troisième voisin ». Initialement destinée à la diplomatie mongole, elle s’appuie sur trois nécessités qui doivent permettre de garantir la sécurité et l’indépendance du pays : développer de bonnes relations avec la Chine ; conserver de bonnes relations avec la Russie et tisser des liens privilégiés avec d’autres pays, développés et démocratiques, les « troisièmes voisins » (Etats-Unis, Japon, Corée du Sud, Allemagne, France, etc.). Dans ce cadre, l’épisode actuel de mondialisation est perçu par les autorités mongoles comme une opportunité à saisir qui doit permettre le désenclavement politique et stratégique du pays.
La déclinaison économique de la politique de troisième voisin est connue sous le nom de « politique des trois tiers ». Elle vise à limiter les investissements étrangers réalisés par un pays pour que ceux-ci ne dépassent pas le tiers du total des investissements étrangers dans le pays. Autrement dit, les autorités mongoles cherchent à limiter la part des investissements réalisés par leurs voisins, essentiellement la Chine, en espérant développer les investissements réalisés par les troisièmes voisins. Les négociations autour de la mise en exploitation du gisement géant de charbon de Tavan Tolgoi constituent un exemple concret de la mise en œuvre de cette stratégie. L’accord conclu par les autorités mongoles en 2011 prévoyait de confier le gisement à trois entreprises : le chinois Shenhua aurait disposé de 40 % de la société chargée d’exploiter le site, l’américain Peabody de 26 % et un consortium russo-mongol de 34 %. L’accord fut finalement invalidé par le Conseil de sécurité national au motif qu’il ne respectait pas la règle des trois tiers précédemment mentionnée et qu’il accordait une place trop importante à l’investisseur chinois.
Cet exemple traduit la volonté des autorités mongoles d’utiliser le développement du secteur minier pour servir les intérêts stratégiques du pays. Celle-ci se heurte néanmoins à des difficultés importantes et à des contradictions internes qui tendent à limiter sensiblement son efficacité.
Limites et contradiction de la stratégie mongole
Deux exemples témoignent des difficultés auxquelles font face les autorités mongoles en la matière : le projet de chemin de fer et le cadre législatif qui encadre les investissements étrangers dans le pays.
La Mongolie a adopté au mois de juin 2010 un nouveau projet de développement ferroviaire. La nouvelle ligne devrait relier les grands gisements miniers du Sud du pays à l’axe du Transmongolien ainsi qu’à l’axe du Transibérien au Nord-Est du pays. Cette nouvelle ligne, longue de plus de 1 100 kilomètres, doit permettre de diversifier les opportunités d’exportation en offrant aux produits miniers mongols un accès aux ports russes de l’Extrême-Orient. Pour ce faire, les autorités mongoles ont adopté un écartement des rails de type russe (1 520 mm). Ce choix est souvent présenté comme le symbole du rôle stratégique du projet. Il suscite néanmoins un débat important en Mongolie. Ses détracteurs reprochent notamment l’inefficacité économique de ce développement ferroviaire et la difficulté induite pour l’exportation des produits miniers mongols par voie ferroviaire en Chine. Le réseau chinois utilise en effet un écartement des rails standard (1 435 mm), ce qui impose de changer de bogies à la frontière et donc augmente les coûts et la durée du transit. Alors que les travaux devaient débuter en 2010, les autorités sont toujours divisées sur la question de l’écartement. Les difficultés économiques et le recul des exportations de matières premières mongoles en Chine en 2012 et en 2013 poussent certains dirigeants à militer pour l’adoption d’un écartement standard des rails qui permettrait d’accroître la compétitivité des exportations vers la Chine.
L’autre exemple est lié aux difficultés rencontrées par les autorités mongoles dans leur quête de diversification des investissements étrangers. Au printemps 2012, quelques semaines avant les élections législatives, l’entreprise Turquoise Hill souhaitait vendre l’une de ses entreprises, South Gobi Resources, à l’entreprise chinoise Chalco. Les autorités mongoles suspendirent immédiatement les licences de l’entreprise, ce qui bloqua le processus d’acquisition. Elles adoptèrent également à la hâte un texte de loi sur les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques qui permettait au parlement d’accepter ou de refuser un investissement étranger réalisé dans un secteur stratégique. Bien que ce texte de loi ait été principalement dirigé contre la Chine, il fut mal reçu par les investisseurs étrangers issus des « troisièmes voisins ». Le flux d’investissements étrangers s’est alors tari. Ce phénomène a été accentué par la crise de confiance entre les autorités mongoles et les investisseurs étrangers à la suite des difficultés rencontrées par l’entreprise Rio Tinto, chargée de l’exploitation du gisement d’Oyu Tolgoi, en Mongolie. Pour faire face à la dégradation de la situation économique, les autorités mongoles ont adopté à l’automne 2013 un nouveau cadre législatif – très libéral – sur les investissements. Celui-ci ne discrimine plus les investissements locaux des investissements étrangers. Il doit faire de la Mongolie le « pays le plus attractif au monde »5 et permettre de restaurer la confiance des investisseurs étrangers issus des « troisièmes voisins », quitte à abandonner les prérogatives politiques du précédent texte.
Ces deux exemples témoignent des difficultés importantes auxquelles font face les autorités mongoles dans leur tentative de faire des réserves minérales mongoles un atout stratégique pour le désenclavement économique et stratégique du pays. Leur volonté se heurte à la difficulté d’intégrer la diversification économique à une stratégie de développement et de croissance qui tienne compte de leurs préoccupations sécuritaires. Pour cette raison, les choix des autorités mongoles varient fortement en fonction du contexte.
- 1. Office national de la statistique, décembre 2013, « Статистикийн бюллетень ».
- 2. Art. 3.2. ; Parlement de Mongolie, 15 juillet 2010, « Монгол Улсын үндэсний аюулгүй байдлын үзэл баримтлал батлах тухай », décret n°48.
- 3. Art. 3.2.4.1, Ib.
- 4. Art. 3.2.4.1, Ib.
- 5. Discours du président de la Banque centrale de Mongolie, N. Zoljargal, au Mongolia Investment Summit de Londres, 18 avril 2013.