The January 1997 popular protest in Bulgaria revealed how fragile representative democracy's legitimacy is likely to be in post-communist regimes. An often underlooked item in the transitologists' studies on Eastern Europe, political representation thus provides a vantage point for monitoring the process of democratic consolidation. By adopting political linkage as the conceptual focus of our investigation, we way attempt to elucidate the ways in wich the relationship between the rulers and the ruled develops and consequently unveils factors conducive to the routinisation of a democratic political relationship. The approach adopted her entails an emphasis on the social imaginaries of representation with a view to to identifying citizens' expectations about their appointees as well as the symbolic and material bases interactions between voters and representatives build upon. In a country where the differentiation of economic interests and their channeling by political parties where hampered by the slow pace of structural reforms, political linkages are not primarily grounded upon the voters' rational assessment of their preferences. Rather they tend to be rooted in social representations of politics. While being relegated into a distant sphere of corrupted and particularistic otherness, politics is nonetheless supposed to meet essentially clientelistic expectations. In a context where deputies enjoy a poor institutional legitimacy, any failure to guarantee social and ecnomic redistribution threatens the representational linkage with distruption.
La contestation populaire de janvier 1997 en Bulgarie a mis en évidence les difficultés que pouvait rencontrer la légitimation, en régime postcommuniste, d'une pratique représentative de la démocratie. Thème peu exploré dans les travaux de transitologie est-européenne, la représentation politique constitue pourtant un site d'observation privilégié des processus de consolidation démocratique. Interrogée à partir de la notion de lien représentatif, elle invite en effet à élucider les modalités de développement des interactions entre dirigeants et dirigés et corrélativement les conditions de routinisation d'une relation politique démocratique. L'approche adoptée ici suppose une attention particulière aux imaginaires sociaux de la représentation en vue d'identifier les attentes des citoyens ainsi que les supports, symboliques et matériels, des rapports qu'ils entretiennent avec leurs élus. Dans un pays où la lenteur des réformes de structure a retardé la différenciation d'intérêts économiques susceptibles d'une prise en charge partisane, le lien représentatif ne saurait pour l'heure être fondé sur un calcul de préférences rationnel. Il s'enracinerait plutôt dans des représentations sociales du politique qui, tout en le reléguant dans une sphère d'étrangeté corrompue et particulariste, l'érigent en point focal d'attentes clientélaires. Dans un contexte où la légitimité institutionnelle des députés demeure faible, tout échec à garantir la permanence de flux de redistribution économique et sociale fait alors peser la menace d'une rupture du lien représentatif.
Marco Martiniello
The text deals with the issue of the uses of images of cultural difference and specificity in the so-called "communitarian conflict" in Belgium. More generally, it adresses the issue of the complex relation between political identities and culture as well as the meaning of these two notions in the processes of political construction of ethnicity and of the nation. Five points are developed. Firstly, the long history of the "communitarian conflict" is reminded. Secondly, it is shown that images of cultural and identity specificity have always been politically exploited in this conflict. Thirdly, the hypothesis according to wich the federalisation process of the State has revealed a deep change in the shape of the "communitarian conflict" is presented. Fourthly , it is shown that the identity and cultural items politically used in the conflict are not the same whether groups are engaged in ethnicity politics or nationalist politics. Provisional conclusions about the future of Belgium are drawn in fifth point
Marco Martiniello
Ce cahier aborde la question de l'utilisation d'images de la différence et de la spécificité culturelles dans le "conflit communautaire" en Belgique. Par ce biais, l'interrogation porte sur la relation complexe entre identité politique et culture ainsi que sur la place de ces deux notions dans les processus de construction politique de l'ethnicité et de la nation.
L'argumentation est développée en cinq points. Premièrement, l'ancienneté du "conflit communautaire" est rappelée. Deuxièmement, on montre que des images de la spécificité culturelle et identitaire ont toujours été politiquement exploitées dans ce conflit. Troisièmement, l'hypothèse suivant laquelle le processus de fédéralisation de l'Etat a révélé un changement profond de l'aspect du "conflit communautaire" est développée. Quatrièmement, on montre que les marqueurs culturels et identitaires utilisés politiquement dans le conflit varient selon que l'on se situe dans une politique de l'ethnicité ou dans une politique des nationalismes. Cinquièmement, des conclusions provisoires sont tirées quant à l'avenir de la Belgique.
Emilie René
The concept of "world community" is nowadays very commonly employed by researchers dealing with the social aspects of globalization. At the same time, the words "islam" and "umma" -be they used by medias, politicians or scholars- have sometimes assumed the existence of such a community which is supposed to link all Muslims wherever they live. This kind of approach was strongly revived during the "Rushdie affair": the transnational dimension of the protest against the writer and the very content of ayatollah Khomeini's fatwa furthered it.The starting point of this paper is to take the "world community" postulate at its word. What are we talking about ? Who speaks about it ? Under what circumstances and from which places ? How the limits of this concept can be established, or rather how can it be constructed by the observer to become useful ? These questions are addressed by examining the early stage of the anti-Rushdie protest in its worldwide dimension. It is suggested that an analysis of the understandings and strategies of the mobilized groups, of their symbolic and concrete transnational interactions, as well as a comparison between the social and political national contexts, help to identify the "interpretive community" which was formed at this juncture.
Emilie René
Le concept de "communauté mondiale" est aujourd'hui le passage presque obligé de toute analyse des manifestations sociales de la mondialisation. Parallèlement et de façon privilégiée - dans un usage médiatique, politique ou savant -, l'emploi des mots "islam" ou "umma" tend à impliquer l'existence d'une telle communauté qui lierait les musulmans du monde entier. L' "affaire Rushdie" a été l'occasion d'un retour en force de ce type de lecture : le caractère transnational de la mobilisation contre l'écrivain et les termes mêmes de la fatwa de l'imam Khomeyni appelant à son exécution y ont contribué.
Le point de départ de cet essai est de prendre la présomption de la "communauté musulmane mondiale" au mot. De quoi et d'où parle-t-on ? Comment cerner les contours de cet objet, ou plutôt comment le construire afin de le rendre opératoire ? Pour répondre, on examine ici les débuts de la mobilisation mondiale contre Rushdie. La grille de lecture proposée se concentre sur la reconstitution des imaginaires et des stratégies d'acteur, des interactions concrètes et symboliques ainsi que des contextes nationaux spécifiques qui permettent d'identifier la "communauté d'interprétation" qui s'est alors constituée.
Bennetta Jules-Rosette, Denis-Constant Martin
Popular culture is a terrain on which social identity and collective representations are forged. Recently, scholars in the areas of anthropology, cultural studies, political science, and literature have approached the social and political implications of popular culture from contrasting perspectives. These approaches have opened up a number of important questions and debates. Is popular culture a product of resistance or a source of escape? Are the mixtures, fusions, and combinations that characterize popular culture today emblems of identity, signs of an inevitable process of globalization, or by-products of complex processes drawing upon the dialectics of universalization and discourses of contestation ? This paper addresses these questions by examining theories of the production, reception, and consumption of popular culture in comparative perspective. It explores the structures of signification that arise in the transmission of popular culture and the complexities and ambivalences involved in the cycle of communication. Popular culture is analyzed as a permeable system of significations based on memory, and providing material for the construction and expression of collective identity, and contrasting attitudes towards power. An overview of recent theoretical and methodological developments is followed by a comparative analysis of data drawn from popular art and music in Africa, the Antilles, Europe, India, Latin America, and the Unites States. In conclusion, new theoretical directions are suggested in order to reassess the implications of empirical studies in the field.
Bennetta Jules-Rosette, Denis-Constant Martin
La culture populaire est un terrain sur lequel s'élaborent l'identité sociale et les représentations collectives. Diverses recherches récentes en anthropologie, études culturelles, science politique ou littérature se sont penchées sur ses implications sociales et politiques. Ces différentes approches posent des questions nouvelles et ouvrent un débat. La culture populaire est-elle résistance ou échappatoire ? Les mélanges, fusions et combinaisons qui la caractérisent sont-ils des emblèmes identaires, les marques de l'inéluctable mondialisation ou les sous-produits de processus complexes impliquant dialectique de l'universalisation et discours de contestation?
Pour répondre, les auteurs examinent dans une perspective théorique comparative la production, la réception et la consommation de la culture populaire. Ils explorent les structures de signification que suscite sa transmission et les complexités et ambivalences du cycle de la communication. La culture populaire est analysée comme un système perméable de significations, fondé sur la mémoire, fournissant de quoi construire et exprimer l'identité collective et produisant des attitudes contrastées vis-à-vis du pouvoir.
Après un survol des développements théoriques et méthodologiques récents, les auteurs procèdent à une analyse comparative à partir d'éléments pris dans les arts et la musique populaires d'Afrique, des Antilles, d'Europe, d'Inde, d'Amérique latine et des Etats-Unis. En conclusion, ils suggèrent des pistes théoriques en vue de réévaluer les implications des études empiriques.
The state in Africa and in Asia is often conceived of as a "purely imported product" to use the accepted expression of Bertrand Badie and Pierre Birnbaum. However rather than limit ourselves to accounts of some kind of "failed universalisation", questions should rather be raised concerning state creation as a historical process, one which is conflictual, unintentional, generally unconscious and, as a result, often paradoxical. Indeed the argument that the state is fundamentally extraneous cannot be maintained in the light of recent historical and anthropological research. From this research it would seem that institutions of European origin have acquired their own social roots and have become culturally appropriated. They thus must be examined within the "long term" time framework suggested by Braudel, on condition that certain methodological precautions are taken into account.Three ways can be envisaged for reconstituting the historical trajectories of the state in Africa and Asia: as a continuous civilisational process, as expressions of social inequality or cultural configurations of politics. However while an understanding of cultural historicity is a precondition for understanding political historicity it should not, with all due respect to intellectual trendmakers, lead to culturalist explanations. Foucault's concept of gouvernementalité provides a more promising problematic, one which places the creation of the state in relationship to the process of ascribing it with a subjective quality as well as the imaginary dimension of politics. Both of these have to be grasped within their connection to the material.
Jean-François Bayart
L'Etat en Afrique et en Asie est volontiers considéré comme un "pur produit d'importation", selon l'expression désormais classique de Bertrand Badie et Pierre Birnbaum. Mais plutôt que de nous en tenir au constat d'une "universalisation manquée", il convient de nous interroger sur la formation de l'Etat en tant que processus historique conflictuel, involontaire, largement inconscient et de ce fait souvent paradoxal. En effet la thèse de son extranéité radicale ne résiste pas aux acquis les plus récents de l'histoire et de l'anthropologie. Les institutions d'origine européenne disposent d'une base sociale propre et ont fait l'objet d'une appropriation culturelle. Elles doivent être comprises à la lumière de la "longue durée" chère à Braudel, moyennant certaines précautions méthodologiques. L'on peut envisager trois manières de restituer les trajectoires historiques de l'Etat en Afrique et en Asie : en tant que continuités civilisationelles, scénarios de l'inégalité sociale ou configurations culturelles du politique. Mais si la compréhension de l'historicité culturelle conditionne celle de l'historicité politique, elle ne peut pour autant consister en un retour à l'explication culturaliste, n'en déplaise aux faiseurs de modes intellectuelles. Le concept foucaldien de "gouvernementalité" offre une problématique comparative autrement plus fructueuse qui met la formation de l'Etat en relation avec le processus de subjectivation et la dimension de l'imaginaire politique, saisis dans leur rapport à la matérialité.
Zaki Laïdi
World time represents a special moment in history when human societies experience the common feeling that they are renegociating at an accelerated pace their relationship with both time and space. The overriding impression is encapsulated in the idea that a new global dynamic exists consisting of intertwined events and unprecedented situations which prompts us to believe and to think collectively that nothing will remain as before. This situation can be conceptualized as the interaction of, on the one hand, the geopolitical and cultural consequences of the post Cold War environment and, on the other, the speeding up of globalization processes at the economic, social and cultural levels. In the post Cold War context the collective imagination is impinged upon by the loss of communal points of references, of the alignments, dogmas and tne diplomatic/strategic conflicts enscribed within a State-centred framework. Secondly, the imagined world of globalization involves a broadening of the referential space for individuals, companies and social actors generally. Finally world time both links and merges two fundamental dimensions, namely globalization and the end of the Cold War dichotomy, thus producing an articulation between a borderless world and a world without clearly defined reference points.
Zaki Laïdi
Le temps mondial constitue un moment privilégié où les sociétés humaines nourrissent le sentiment collectif de renégocier, sur le mode de l'accélération, leur rapport au temps et à l'espace. Ce qu'il dégage avant tout, c'est l'idée qu'il existe une nouvelle dynamique du monde faite d'enchaînements de faits et de situations inédites qui incitent à croire et à penser collectivement que rien ne sera plus comme avant. Il peut se définir comme l'interaction des conséquences géopolitiques et culturelles de l'après guerre froide avec l'accélération des processus de mondialisation économique, sociale et culturelle.
L'imaginaire de la fin de la guerre froide est celui de la perte des repères collectifs, des alignements, des dogmes et des conflits diplomatico-stratégiques cerclés par des Etats. L'imaginaire de la mondialisation est celui de l'élargissement de l'espace de référence des individus, des entreprises et des acteurs sociaux en général. L'imaginaire du temps mondial est celui qui croise en les enchaînant ces deux dimensions, produisant ainsi une articulation entre un monde sans frontières (la mondialisation) et un monde sans repères (la fin de la guerre froide).
Olivier Roy
One of the causes of the weakness of the State in the Middle East is that prime allegiance goes to the "solidarity group" (açabiyya), a social network which is always founded on family and personal relationships. These solidarity groups either are committed to a national strategy in order to control the State or, on the contrary, become delocalised and internationalised within diasporas which create their own transnational networks. Solidarity groups are not the expression of the permanence of a traditional society within a modern State, but rather a recomposition of allegiance networks within a political space definitively modified by the existence of a State. This recomposition can take three main forms. Firstly territorial establishment and the development of a community within sub-ethnic groups competing for power: the Kulabis in Tajikistan for example. Secondly the delocalisation of power networks which fade away once their objective, the obtaining of State power, is achieved (the Samarkand faction in Uzbekistan). Finally it can be achieved by the linking to an international network, for example that of humanitarian aid. These different types of recomposition do not weaken the State as such, which remains the framework of any possible inscription in the political space. But they do hinder the transition towards an ethnic State which can function only when it is built from above: thus Uzbekistan exists - not Baluchistan.
Olivier Roy
Une des causes de la faiblesse de l'Etat au Moyen-Orient est que l'allégeance primordiale va au "groupe de solidarité" (açabiyya), un réseau fondé, quelle qu'en soit la base sociologique, sur des relations familiales et personnelles. Ces groupes de solidarité s'engagent soit dans une stratégie nationale de contrôle de l'Etat, soit au contraire se délocalisent et s'internationalisent dans le cadre des diasporas qui créent des réseaux transnationaux. Les groupes de solidarité ne sont pas l'expression de la permanence d'une société traditionnelle dans un Etat moderne, mais une recomposition de réseaux d'allégeances dans un espace politique et territorial définitivement modifié par le fait de l'Etat.
La recomposition peut se marquer par la territorialisation et la communautarisation de groupes infra-ethniques en compétition pour le pouvoir (Koulabis du Tadjikistan) ou bien par la délocalisation de réseaux de pouvoir qui s'effacent en apparence derrière leur objet, le pouvoir d'Etat (la faction de Samarcande en Ouzbékistan) ou bien au contraire par le branchement du groupe de solidarité sur un réseau international (aide humanitaire). Ces formes de recomposition affaiblissent non pas l'Etat, cadre de toute inscription dans l'espace politique, mais le passage à l'Etat ethnique, qui ne fonctionne que lorsqu'il est construit par en haut : l'Ouzbékistan existe, pas le Baloutchistan
Sudipta Kaviraj
Western theories of democracy are not always helpful in studying Third World democracy. One promising way to undertake analysis is to consider democracy not as a political system but as a "language". Whilst in India the written constitution was inspired by models developed in the West, in practice Indian democracy is not based on the values of individualism associated with a liberal ideology. Indeed, initially the nation itself and, afterwards, social groups were considered as the basic units of the political process. This was particularly the case in the early post-independance period under Gandhi's inspiration for he regarded the nation as being composed of traditional communities. Later Nehru would abandon liberal values as a part of a leftist critique, one that would favorize state intervention. Nevertheless the stronger state was not able to undertake the expected redistributive measures due to the conservatism of the Congress Party "bosses " who were above all the representatives of a ruling coalition of large landholders, a capitalist bourgeoisie and the public service elite. The only real sign of progress prior to Nehru's death was the replacement of the first element by an upwardly mobile group of wealthier peasant farmers. Through her populist discourse, Indira Gandhi was able to veer Indian democracy towards greater centralisation and a more pronounced personality cult. As a result the democratic process was discredited and a State of Emergency declared in 1975. The return to democracy in 1977 did not reverse these trends, at least until the liberalisation of 1991. Today Indian democracy remains threatened by powerful groups, the Hindus and the lower castes who, in the name of "majority rights", seek to take power and keep it once and for all. This would amount to ousting minorities from the decision-making process
Sudipta Kaviraj
La théorie occidentale ne permet pas toujours de rendre intelligible ce que celle-ci représente dans le Tiers monde. Une manière féconde de poser le problème est de considérer la démocratie non comme un régime, mais comme une "langue". En Inde, la Constitution s'est inspirée des modèles élaborés à l'Ouest ; mais en pratique, la démocratie ne s'est pas appuyée sur les valeurs individualistes de l'idéologie libérale : la nation, puis les groupes sociaux (et non les individus) étant perçus comme les unités de base du processus politique - notamment sous l'impulsion de Gandhi qui concevait la nation comme composée des communautés traditionnelles. Nehru se détourna quant à lui des valeurs libérales au nom d'une critique de gauche qui valorisa l'intervention de l'Etat. Cet Etat fort ne fut cependant pas en mesure de remplir les fonctions redistributives qu'on attendait de lui en raison du conservatisme des "boss" du Congrès, surtout représentatifs d'une coalition dominante comprenant des propriétaires terriens, une bourgeoisie capitaliste et l'élite administrative. Le seul acquis enregistré avant la mort de Nehru concerne le remplacement des premiers, en perte de vitesse, par des paysans de rang inférieur mais en cours d'ascension sociale.
Indira Gandhi fit dériver la démocratie indienne vers une centralisation et une personnalisation accrues du pouvoir, au moyen d'un discours populiste. D'où le discrédit dont souffrit le processus démocratique, et l'instauration de l'état d'urgence en 1975. Le retour à la démocratie en 1977 n'inversa pas ces tendances, jusqu'à la libéralisation de 1991. La démocratie reste aujourd'hui menacée par des groupes imposants, les hindous et les basses castes, qui, au nom des "droits de la majorité", cherchent à prendre le pouvoir de façon définitive, ce qui reviendrait à évincer les minorités du processus de décision.
One of the most remarkable social phenomena in Iran in the 1990s is the audacious policy of urban redevelopment carried out by the mayor of Tehran, Gholamhossein Karbastchi. This policy, on the one hand, has become a model for the rest of the country. On the othe, it is the subject of a widespread political debate favorized by the personal, high-profile media style of the city's mayor. The most popular achievement of Karbastchi is the increase in the number of public squares and parks. These public places have become the stage for a whole series of totally new social practices. As such they are both a scene of acts of reconciliation and of potential conflict. In particular they are the setting for a coexistence between the ideology of the Islamic Republic and of national culture.However the increase in taxation that has accompanied this urban renovation has generated opposition both of a political and economic kind. The public's use of these gardens, the perception of the tax burden required to finance them, and the ensuing debates over these questions have opened up a negociating area between social actors, one that might well contribute to the creation of a public space. This process has helped the rationalization and the bureaucratization of society conveyed by the Islamic Republic while, at the same time, being carried out by a political figure who is perceived within the framework of a culturally constructed imagination. In fact the hypothesis of the "rentier" state, posited by a number of authors concerning the Middle East, is extended in this paper through anthropological study.
L'un des phénomènes sociaux les plus remarquables dans l'Iran des années 1990 est la politique audacieuse de rénovation urbaine conduite par le maire de Téhéran, Gholamhossein Karbastchi. D'une part, celle-ci fait école dans le reste du pays. D'autre part, elle est l'objet d'un vaste débat public que favorise le style très personnel et médiatique du premier magistrat de la capitale. La réalisation la plus populaire de M. Karbastchi est la multiplication des espaces verts. Ceux-ci donnent lieu à toute une série de pratiques sociales inédites. En tant que tels les jardins municipaux sont des sites à la fois de conciliation et de conflits potentiels. En particulier ils sont un lieu de coexistence entre l'idéologie de la République islamique et la culture nationale. Mais la pression fiscale qui accompagne la rénovation urbaine suscite de fortes oppositions, d'ordre économique ou politique. La fréquentation des jardins, la perception de l'impôt qui les finance, les débats qui s'ensuivent ouvrent un domaine de négociation entre acteurs qui contribue peut-être à la formation d'un espace public. Ce processus contribue à la rationalisation et à la bureaucratisation de la société que véhicule la République islamique, tout en étant porté par un homme qui reste perçu dans les termes d'un imaginaire à forte connotation culturelle. En définitive, c'est l'hypothèse de l' "Etat rentier", développée par de nombreux auteurs au sujet du Proche-Orient, qui se voit complétée par l'enquête anthropologique.
Raymond Benhaïm, Youssef Courbage et Rémy Leveau
By concentrating on heavy trends within a medium to long term framework, these papers are an attempt to break with the alarmist interpretations which characterize most analyses of events in Nonh Africa.
On a demographic level, Youssef Courbage shows how emigration to Europe has had a profound influence on the pace of demographic transition in Algeria, Tunisia and Morocco. In this area these countries already constitute a coherent regional entity.
In his analysis of economic prospects, Raymond Benhaïm also discerns a logic of integration in spite of the fact that each of the North African countries today favours its bilateral relations with Europe. It is, in fact, in the European interest that these countries become a unified North African market.
Finally on a political level Rémy Leveau examines the new types of political behaviour of both those who govern and those governed. These forms of behaviour are emerging at a time of social disillusion, and when the urbanised and educated social strata claim to have their say in the organizing of society. Neither the states nor the islamic movements can achieve total victory: in the end a compromise solution should thus prevail. However for this to occur each party will need to give up its reductionist view of the adversary. External parties will need to consider other solutions than providing unconditional aid - against a so-called "green peril" - to those in power, all too prone to refuse the control of those they govem
Raymond Benhaïm, Youssef Courbage et Rémy Leveau
Ce dossier veut rompre avec le catastrophisme qui marque le plus souvent l'analyse des événements du Maghreb, en s'attachant aux grands équilibres et à la moyenne/longue durée.
Sur le plan démographique d'abord, Youssef Courbage montre comment l'émigration vers la rive nord de la Méditerranée a influencé en profondeur les rythmes de la transition démographique au Maghreb, qui se comporte en l'occurence comme un ensemble régional cohérent.
Dans son analyse de prospective économique, Raymond Benhaïm voit aussi se dessiner une logique d'intégration, en dépit de la mise en sommeil de l'Union du Maghreb arabe. Si chacun des pays du Maghreb privilégie aujourd'hui les relations bilatérales avec l'Europe, celle-ci aurait plutôt intérêt à voir se constituer un marché maghrébin unifié.
Sur le plan politique enfin, Rémy Leveau examine les nouveaux comportements des gouvernants et des gouvernés à l'heure des déceptions sociales et de l'aspiration des nouvelles populations urbaines et éduquées à dire leur mot dans l'organisation de la société. Crise des Etats, montée des mouvements islamistes : si aucun des adversaires ne peut remporter de victoire totale, c'est la logique du compromis qui devrait finalement prévaloir. Encore faut-il que chacun renonce à une vision réductrice, et que les partenaires extérieurs envisagent d'autres solutions que l'aide inconditionnelle, face au "péril vert", à des gouvernants habitués à refuser tout contrôle des gouvernés.
David P. Calleo
What are the challenges facing the European Union with the end of the Cold War ? Will the Union be able to meet them ? What links should it maintain with the United States ? What type of relations should be established with Russia ?
The stakes are high: nothing less than international stability and world harmony in the next century. The challenges are of various kinds encompassing political, security, economic and institutional issues. In the first part of this study, the author analyses these challenges and argues for a European approach rid of the more unrealistic federalist ideas. In a second section he examines those states that will play major roles in Europe's future: Germany and France, within the EU, and, outside it, Russia and the United States. In doing so he attempts to evaluate Europe's ability to rise to the occasion.
David P. Calleo
Quels sont les défis que la fin de la guerre froide pose à l'Union européenne ? Saura-t-elle les relever ? Quels liens lui faudra-t-il conserver avec les Etats-Unis ? Quelles relations devra-t-elle instaurer avec la Russie ?
Les enjeux sont énormes : il ne s'agit de rien moins que de la stabilité et de l'harmonie du monde au prochain siècle. Les défis sont de tous ordres : politiques et de sécurité, économiques, institutionnels. L'auteur les explore et plaide pour une approche débarrassée des idéaux fédéralistes les plus irréalistes. Il se penche ensuite sur les Etats qui joueront les principaux rôles dans l'avenir de l'Europe : à l'intérieur, l'Allemagne et la France, à l'extérieur, la Russie et les Etats-Unis, et tente d'évaluer les chances qu'aura l'Europe de parvenir à se hisser à la hauteur des circonstances.
David Camroux
In a period of increasing complexity the nation-state as the basic unit of international relations analysis is increasingly under challenge. The pressures of globalisation and the seemingly related phenomenon of regionalisation ostensibly call into question the very idea of national sovereignty and thus the role of national political actors. Yet the nation-state remains, national political actors- playing above all to a national audience - continuing to be preoccupied with the articulation and defense of so-called national interests and, as an often unstated corollary, a national identity. In this paper the author analyses the experiences of a multicultural and multiethnic Southeast Asian nation-state, Malaysia, in an attempt to explain the linkages between the global, regional and national in the area of foreign relations. In doing so he underlines the fundamental importance of the imperatives of nation-building in defining and, above all, in articulating foreign policy. He concentrates on Malaysian participation in four groupings: ASEAN, the Organisation of Islamic Conference, the Non-Aligned Movement and the Commonwealth. He then turns to the "Look East" policy formulated by Malaysian Prime Minister, Mahathir, and its organisational expression in his proposal for an East Asian Economic Caucus. In doing so the author draws attention to the imperatives arising from Malaysian society and the double role of a Malaysian Prime Minister: defender of the interests of the politically dominant ethnic group, the Malays, and leader of a multiethnic coalition. He suggests that regionalism represents not merely a compromise between the global and the national but, expressed in identity terms, a means of reinventing the nation-state itself
David Camroux
L'Etat-nation, en tant qu'unité de base pour l'analyse des relations internationales, est de plus en plus contesté. Les pressions exercées par la mondialisation et le phénomène, qui lui est apparemment lié, de la régionalisation, remettent en question le concept de souveraineté nationale. Pourtant l'Etat-nation subsiste, les acteurs politiques nationaux, responsables surtout devant une opinion nationale, continuant de se préoccuper de la définition et de la défense des intérêts nationaux et, corollaire souvent implicite, de l'identité nationale.
Dans cette étude, l'auteur analyse le cas de la Malaisie, Etat-nation multiculturel et multiethnique, et tente d'éclairer les liens entre le global, le régional et le national en matière de relations extérieures. Ce faisant, il souligne l'importance des nécessités de la construction de la nation dans la définition et la formulation de la politique extérieure. Il examine notamment la participation de la Malaisie à quatre groupements : ASEAN, Organisation de la Conférence islamique, Mouvement des non-alignés et Commonwealth. Il analyse ensuite la politique "Look East" et la proposition de groupement économique est-asiatique, formulées par le Premier ministre malaisien Mahathir. Il fait ressortir les contraintes imposées par la complexité de la société malaisienne et le rôle double du Premier ministre : défenseur des intérêts de l'ethnie dominante, les Malais, et chef d'une coalition gouvernementale multiethnique. Le régionalisme ne représenterait pas simplement un compromis entre le global et le national mais un moyen de réinventer l'Etat-nation même
Eric Anglès, Chris Hensley et Denis-Constant Martin
During the 70s three somewhat extraordinary phenomena occurred at the same time in Jamaica: the rise of rastafarianism, a syncretic sect, the establishment of reggae as a new style of popular music and the emergence of a political movement headed by one of the two strongest parties on the island, the People's National Party. While these three movements expressed themselves in different ways - and were never exclusively linked - they together came to represent an intense aspiration for change whether it be cultural, social, economic or political.Today Jamaicans have a different attitude to their history: for many dignity and pride have replaced a sense of alienation and self denigration. Yet the political system has not changed and the same social inequalities persist as twenty five years ago. Jamaica still wonders what its future could be. These collected papers analyze the factors that enabled the coming together of rastafarianism, reggae and political forces within Jamaica and examine recent developments in popular music in an attempt to better understand the extent of social transformation within Jamaica.
Eric Anglès, Chris Hensley et Denis-Constant Martin
Dans la Jamaïque des années 1970 se produit une conjonction assez rare : celle d'un culte syncrétique en plein essor, le rastafarisme ; d'un nouveau style de musique populaire, le reggae ; et d'un mouvement politique incarné dans l'un des deux grands partis de l'île, le People's National Party. Ensemble, bien que sous des formes différentes et sans jamais établir entre eux de relations exclusives, ils prennent en charge une intense aspiration au changement, à la fois culturel, social, économique et politique. Aujourd'hui, le rapport des Jamaïcains à leur histoire a effectivement changé; dans beaucoup d'esprits, la dignité et la fierté ont remplacé l'aliénation et le mépris de soi. Pourtant le système politique, les inégalités sociales demeurent ce qu'ils étaient il y a vingt-cinq ans. Et la Jamaïque s'interroge encore sur ce que pourrait être son avenir. Les textes réunis ici analysent les conditions qui ont permis la rencontre du rastafarisme, du reggae et des forces politiques jamaïcaines et étudient l'évolution récente de la musique populaire pour essayer de mieux comprendre les transformations qu'a subies la société jamaïcaine, et leurs limites.
Anne Gazier
A year after the failed putsch of August 1991, what kind of power system has been established in Russia? This study of changes in local power in five neighbouring regions (Kursk, Lipetsk, Tambov, Voronez, Belgorod) which all belong to the same economic zone throws light on an amazing continuity with the past. New local, ostensibly "democratic" institutions have been set up in the region and "liberal" free market reforms have been introduced. Yet despite these changes power still remains in the hands of the former nomenklatura. Moreover this has occured with the tacit approval and support of the Moscow authorities. Furthermore the way power is exercised harks back to the authoritarian methods and means which characterized the Soviet system
Anne Gazier
Plus d'un an après l'échec du putsch d'août 1991, quel type de pouvoir s'est instauré en Russie?
L'étude de l'évolution des pouvoirs locaux dans cinq régions voisines appartenant à une même zone économique, le Centre-Terres noires, met en lumière une étonnante continuité. En effet, malgré la mise en place de nouvelles institutions locales censées être "démocratiques" et l'application de réformes économiques d'inspiration libérale, il apparaît que le pouvoir, dans ces régions, est resté, avec la complicité du Centre, pour l'essentiel entre les mains des membres de l'ancienne nomenklatura. En outre, son exercice se révèle très fortement marqué par le recours aux méthodes et moyens d'action autoritaires qui caractérisaient le système soviétique.
Marie-Paule Canapa
The end of communism in Yugoslavia ended up with the break up of the country and war. But the new states that broke off from the federation are themselves (except for Slovenia) multi-ethnic. How will they manage this problem? This question, even if at first it is posed in terms of minorities rights, raises a problem of democracy in general. The basic principles of the organization of democracy in the "national" state prevent a full affirmation of the members of minorities as citizens, defined first, and sometimes almost exclusively, as members nf their nation. Is there another mode of belonging to the state, a more effective participation in decision making? These are crucial questions of democracy that are raised (secularism in the widest sense, decentralization); another one is the role of the ethnic criterion in the political organization and the possible perversions that it induces (Bosnia-Herzgovina).
Marie-Paule Canapa
La fin du communisme en Yougoslavie a abouti à l'éclatement du pays et à la guerre. Mais les nouveaux Etats qui se sont séparés de la fédération sont eux-mêmes (sauf la Slovénie) pluriethniques. Comment géreront-ils ce problème ? Cette question, même si elle se pose d'abord en termes de droit des minorités, soulève un problème de démocratie en général. Les principes de base de l'organisation de la démocratie dans l'Etat "national" empêchent une pleine affirmation des membres des minorités en tant que citoyens définis d'abord, parfois presque exclusivement, comme membres de leur nation.
Peut-on envisager un autre mode d'appartenance à l'Etat, une participation plus effective à la prise de décisions ? Ce sont en fait des questions cruciales de la démocratie qui sont ici en cause (laïcité au sens large, décentralisation) ; c'est aussi le rôle du critère ethnique dans l'organisation politique et des perversions possibles qu'il induit (Bosnie-Herzégovine)
Françoise Aubin
Over 140 books concerning Tibet, published between 1980 and 1992, are listed and commented on in this study. The author's purpose is to provide a research tool to enable a critical use of this rich and varied body of literature, particularly as a number of the references cited are somewhat biased. The references are classified by major subject themes under four broad headings: Tibetan culture and tradition; daily life in a timeless Tibet; Tibet in the pre-communist period and the Tibetan communities in exile; conflictual relations between Tibet and the People's Republic of China.
Françoise Aubin
L'auteur a cherché, en réunissant et en commentant cent quarante références de livres publiés sur le Tibet dans les années 1980 à 1992, à fournir un outil critique pour l'utilisation d'une littérature riche et variée, mais souvent entachée de partialité.
Les références sont données selon un ordre thématique et classées en quatre grandes parties : Les traditions de la haute culture ; Le Tibet éternel au quotidien ; Le Tibet hors de la Chine (l'avant-communisme et l'exil) ; Le face à face entre le Tibet et la Chine populaire.
Carte, index
André Grjebine
The author first claims the right to criticize the monetary aspects of the Maastricht agreement without being accused of anti-european nationalism. He wonders whether European construction will be undertaken in such a way as to preserve the synthesis of economic efficiency and social solidarity which has for so long distinguished Western Europe from other parts of the world. After having examined the underlying logic of present policies designed to maintain the twofold objective of monetary stability and competitive deflation, the paper analyses the negative effects of this strategy. It shows that European construction can not be expected to automatically enable a convergence in the member countries' economies for, paradoxically, the contrary, i.e. divergence, is more likely. Having suggested that the Community will be unable to get by without a variety of economic policies, the paper examines the choice available if the twin goals of economic efficiency and social well-being are to be pursued. This choice is, to either speed up the movement towards a single currency coupled with the strengthening of national budgetary policies, or to envisage another kind of process for European construction with preference given to the development of a parallel currency.
André Grjebine
L'auteur, après avoir revendiqué le droit de contester les aspects monétaires des Accords de Maastricht sans encourir l'accusation de nationalisme anti-européen, se demande si la voie choisie dans ces accords est la plus à même de préserver la synthèse d'efficacité économique et de solidarité sociale qui a longtemps distingué l'Europe occidentale des autres parties du monde.
Après avoir examiné la logique qui sous-tend la politique actuelle fondée sur le couple stabilité monétaire / désinflation compétitive, il analyse les effets pervers inhérents à cette stratégie. Il montre ensuite qu'on ne saurait attendre de la construction européenne qu'elle induise spontanément un rapprochement des économies des pays membres : c'est le paradoxe de la divergence. Après avoir suggéré que la Communauté ne saurait se passer de politiques économiques différenciées, il examine les termes du choix qui se pose si l'on veut préserver le couple efficacité économique / bien-être social : accélérer le passage vers une monnaie unique qui irait de pair avec le renforcement de politiques budgétaires nationales, ou bien définir un autre cheminement pour la construction européenne privilégiant le développement d'une monnaie parallèle.
Radovan Vukadinovic
The violent disintegration of Yugoslavia has fundamentally shaken the Balkans. The disappearance of the Yugoslav federation - previously a pillar of stability in the region - and the quest for external allies amongst the protagonists in the present conflict have dramatically modified the regional framework. This structure itself had already undergone profound change due to the collapse of the pre-existing communist regimes. In this paper Radovan Vukadinovic examines the regional actors by analysing their fears, their short and long term interests and the development of their external relations. In the last part of the paper he attempts to provide a sketch of a new balance of power in a still blurred political landscape. He points out the defects of a model too rigidly based on the past: that of a Mittel European, "Catholic" alliance, in opposition to an "Orthodox" one. Instead the author detects two smaller coalitions emerging: on the one hand that of Greece, Rumania and Serbia and on the other, that of Turkey, Bulgaria and Albania.
Radovan Vukadinovic
La désintégration violente de la Yougoslavie secoue profondément les Balkans. La naissance de nouveaux Etats issus de l'ancienne fédération, la disparition de celle-ci, naguère pilier de la péninsule, la recherche d'appuis extérieurs par les parties en conflit ont transformé des paramètres régionaux déjà profondément infléchis par l'effondrement des régimes communistes.
Radovan Vukadinovic passe en revue tous les acteurs, anciens ou nouveaux, de la région en analysant minutieusement leurs craintes, leurs intérêts à court et à long terme, l'évolution de leurs relations. Dans son dernier chapitre, il s'interroge sur les nouvelles lignes de force qui se dessinent dans un paysage encore confus. Il relève les imperfections d'un modèle trop calqué sur le passé qui comporterait une alliance centre-européenne ("catholique") et une "alliance orthodoxe". Mais il décèle deux coalitions plus modestes en voie de formation : Grèce-Roumanie-Serbie et Turquie-Bulgarie-Albanie.
Denis-Constant Martin
The emergence of political movements, which have recently taken the centre stage in Eastern Europe and Sub-Saharian Africa, has raised once again the question of the preconditions for, and the forms of, political change. In particular it draws attention to the relationship between lasting phenomena -those which, at least in certain respects, indicate social continuity - and phenomena which fundamentally disturb the social order bringing in their wake immediate change. One two-fold interpretation of these developments has been particularly persuasive. On the one hand, as far as Europe is concerned, it is suggested that there has been a "return to a previously flouted identity" or "refinding of the past". As for Africa, these changes are described in terms of "tribalism" or "clanish reactions". Unfortunately such an interpretation does not help us to fully understand the interactions between long-lasting and short-lived phenomena. The paper proposes several ways to go beyond this dichotomy and to avoid over or underestimating phenomena of one kind to the detriment of those of the other. It suggests that the cultural impregnation of political systems, practices and representations can be analytically reconstructed within the concept of "political culture". This concept both embraces the idea of dynamism (giving impetus to political innovation) while taking into account the complexity of the means of transmission (assuring continuity). Arguing from the assumption that continuity feeds innovation, this paper examines three types of duality: the dialectic between external and internal dynamics; the emotional/rational dichotomy and the opposition between tradition and innovation. All of these must be observed both within the "official" political arena as well as in contexts that, while ostensibly non-political, can be "invested" by political thought and action.
Denis-Constant Martin
Les mouvements politiques qui ont animé récemment l'Europe de l'Est et l'Afrique sub-saharienne posent une fois encore la question des conditions et des modalités du changement politique. Ils soulèvent notamment le problème du rapport entre des phénomènes qui perdurent, manifestant une continuité des sociétés en certains de leurs traits au moins, et d'autres phénomènes qui bouleversent, faisant éclater dans l'immédiat le changement. Les interprétations présentées, d'un côté, en termes de "retour à une identité bafouée", de "retrouvailles" avec le passé ou, de l'autre, sous l'angle du "tribalisme" ou du "réflexe clanique" n'aident guère à comprendre mieux comment interagissent phénomènes de longue durée et phénomènes éphémères.
Ce texte propose quelques pistes pour tenter de dépasser leur opposition, pour éviter d'en privilégier certains au détriment d'autres. Il suggère que l'imprégnation culturelle des systèmes, des pratiques et des représentations politiques peut être reconstruite analytiquement dans le concept de "culture politique". Celui-ci fait une large place aux dynamiques (impulsant l'innovation politique) tout en prenant en compte la complexité des transmissions (assurant la continuité). Il suppose que la continuité nourrit l'innovation en s'attachant plus particulièrement à l'étude de trois couples de forces : la dialectique des dynamiques du dehors et des dynamiques du dedans, la dialectique de l'affectivité et de la rationalité, la dialectique de la tradition et de l'innovation ; couples de forces dont le jeu doit être observé aussi bien dans les "lieux officiels" du politique que dans les lieux apparemment non politiques, mais qui peuvent être "investis" par le politique
Zaki Laïdi
The widely held perception of a growing gap between the US significant political resources (enhanced even further by the collapse of the Soviet Union) and its economic weakening brings up the question of the nature of American power. Did it or did it not change, particularly since 1985, from a hegemonic power, that is a power able to make economic and financial sacrifices in favor of privileged allies, to a predator one, that is an actor maximizing its political resources to have others partially pay for its economic decline? Examining that question essentially from an economic perspective, looking closely at the relations between the US and the newly industrialized countries in Asia and Latin America, Zaki Laïdi concludes that the US, in spite of a much stronger willingness to utilize its power, cannot be defined as a "predator".
Zaki Laïdi
La perception couramment admise d'un décalage entre l'ampleur des ressources politiques des Etats-Unis - encore accrues par l'effondrement de l'URSS - et leur affaiblissement économique repose le problème de la puissance américaine. L'Amérique n'est-elle pas passée, notamment depuis 1985, du statut de puissance hégémonique, c'est-à-dire d'une puissance capable de consentir des sacrifices économiques et financiers en faveur d'alliés politiques privilégiés, à celui de puissance prédatrice, autrement dit d'acteur maximisant ses ressources politiques pour faire partiellement assumer par d'autres le coût de son déclin économique ?
En se plaçant dans une perspective essentiellement économique et en s'attachant surtout à l'observation des rapports entre les Etats-Unis et les nouveaux pays industrialisés d'Asie et d'Amérique latine, Zaki Laïdi explore cette hypothèse et conclut que, malgré le durcissement de l'exercice de la puissance américaine, celle-ci ne peut pour autant être qualifiée de prédatrice.