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24.11.2023

Formation à l’écoute et à l’accueil des récits de vie

Bastien Charaudeau, Sasha Antonioli et Bilal Le Dantec
Bastien Charaudeau Santomauro, Sasha Antonioli et Bilal Le Dantec

Le 25 septembre 2023, dans le cadre des programmes Migrations et Accès au droit de la Clinique de l'École de droit de Sciences Po, douze étudiantes et étudiants ont suivi une formation à l'écoute et à l'accueil des récits de vie conduite par un psychologue clinicien spécialisé. Cette année, la formation est assurée par le psychologue Xavier d'Auzon. 

Grâce à son double objectif de mieux connaître la dynamique d'écoute pour mieux y faire face et d’acquérir des connaissances théoriques sur le concept de traumatisme et ses effets, la formation a voulu initier les participants aux fondamentaux de l'accompagnement de personnes vulnérables grâce à la découverte d’outils qui pourront les accompagner dans leur pratique professionnelle. 

En lien avec cette formation, plusieurs séances d’analyse des pratiques seront également organisées au cours de l’année universitaire. Celles-ci permettront aux étudiantes et aux étudiants de bénéficier d’un espace de partage et de réflexion bienveillant où ils pourront échanger sur leurs différentes expériences en présence d’un psychologue.

PARLEZ-NOUS DE CETTE FORMATION ET DE SON IMPORTANCE ?

Face à une Europe qui se replie sur elle-même, les personnes qui décident d’y migrer sont confrontées à des obstacles toujours plus dangereux. Aux violences subies dans le pays d’origine s’ajoutent celles du parcours de migration. Les violences se réitèrent en effet sur les chemins : l’enfermement arbitraire, le travail forcé, les traitements inhumains ou dégradants, les agressions sexuelles, les actes de torture sont malheureusement des phénomènes ordinaires de la trajectoire migratoire. La grande majorité des personnes qui traversent la Méditerranée ou les Balkans ont subi l’une de ces violences durant leur parcours. 

Dans le cadre des activités de la Clinique Migrations et de nos collaborations avec des partenaires associatifs, nos étudiants et étudiantes sont régulièrement amenées à travailler auprès de ces personnes, finalement arrivées en France, mais encore en situation de précarité sociale et juridique. Si leur rôle est de les accompagner sur des questions de droit (comme la demande d’asile), nos étudiants engagent souvent des conversations plus larges avec ces personnes et les épisodes d’extrême violence laissent des traces susceptibles d’affecter tant la personne aidée que celle qui la conseille. L’année dernière, dans leurs “notes réflexives” nouvellement instaurées, plusieurs étudiants ont exprimé le besoin d’être accompagnés professionnellement sur les enjeux des psychotraumatismes. Ils voulaient être formés pour mieux accompagner les personnes et mieux gérer la réception des récits de souffrances. C’est pour répondre à ces besoins que la Clinique a mis en place une formation à l’écoute et à l’accueil des récits de vie. 

La formation, élaborée par un psychologue, vise à initier les étudiants concernés des programmes Migrations et Accès au droit de la Clinique aux dynamiques de la relation d’aide. Y sont notamment travaillées les notions de présence, d’écoute, de respect, d’authenticité et d’empathie dans la relation. Le psychologue présente aussi le fonctionnement du traumatisme. Enfin, les étudiants abordent les mécanismes de défense mis en place, consciemment ou non, par les personnes suivies et par les accompagnants (l’activisme, la banalisation, l’évitement, la rationalisation, le mensonge, le déni, le retournement contre soi-même). Avoir ces mécanismes à l’esprit permet de limiter certains effets néfastes et de mettre en place des attitudes propres à prendre soin de soi et de l’autre.

QUELLE SUITE sera donnée à cette FORMATION ?

Cette formation initiale est suivie de plusieurs séances d’analyse des pratiques professionnelles tout au long de l’année universitaire. Celles-ci ont vocation à ouvrir un espace de discussion pérenne où les étudiants et les étudiantes peuvent réfléchir à leur travail d’accompagnement. Elles ont trois objectifs : comprendre ce qui se joue dans les pratiques professionnelles, développer des compétences et des connaissances professionnelles, et favoriser la prise de recul. Face à des personnes ayant subi de telles violences, il n’y a pas d’attitude parfaite ou de solutions “clé en main”. Les réponses doivent être élaborées et continuellement négociées dans une pratique réflexive et attentive à soi et à l’autre. Par la formation initiale et l’analyse des pratiques, la Clinique cherche à contribuer à cette aspiration : prendre soin, ensemble.

Quelles étaient vos attentes spécifiques, en termes de thématiques, concernant la formation ?

Sasha Antonioli : En tant qu’étudiante de la clinique Migrations, je m’attendais à être formée à l’écoute de récits de vie de personnes en situation de migration ayant traversé des situations parfois (très) difficiles à écouter.

J’attendais par exemple de cette formation qu’elle nous apprenne à écouter “l’irracontable” tout en acquérant des outils pour se protéger émotionnellement et psychologiquement. J’attendais aussi qu’on développe les questions relatives à la relation aidant-aidé : utilité et sincérité de la démarche, humilité face à l’autre, distance pour se protéger et protéger l’autre.

Bilal Le Dantec : En travaillant dans le cadre de la clinique migration avec des personnes exilées, nous devons gérer des traumatismes multiples, liés aux violations de droits de l’homme dans les pays d’origine, mais aussi à la violence du parcours migratoire, et la précarité des conditions de vie en France. C’est très difficile de se positionner sans formation. Pour accompagner dans les procédures, il est parfois nécessaire de revenir sur des épisodes traumatisants, comment faire alors pour ne pas brusquer la personne ? J’attendais donc des conseils pour mieux comprendre les mécanismes psychologiques des exilés et les aider au mieux.  J’étais aussi en attente d’éléments sur la gestion de sa propre santé mentale quand on est régulièrement mis face à des récits tragiques. Dans le domaine de l’accompagnement juridique, il est notamment très difficile d’accepter l’échec de certaines procédures, ou l’impossibilité de faire accélérer un délai et d’annoncer ces éléments aux concernés. 

Qu’avez-vous retenu de la formation ?

Sasha Antonioli : J'ai retenu plusieurs choses de la formation, mais j’aimerais développer un point qui est celui du traumatisme. Après avoir exposé la notion même de traumatisme (un choc émotionnel important, généralement lié à une situation où une personne a senti sa vie en danger et qui met en péril son équilibre psychique), les différents types de celui-ci  (I, II III et IV) et les différentes réactions potentiellement engendrées (stress normal, stress dépassé, manifestations névrotiques ou psychotiques, déstructuration de la conscience), le psychologue nous a présenté quelques outils pour limiter l’impact d’un traumatisme sur les intervenants / aidants. Parmi ceux-ci, je retiens quatre volets : prendre soin de soi, être conscient de ses propres réactions (et notamment identifier lorsque l’aidé ou la victime nous ressemble), gérer plus efficacement sa charge de travail et enfin, pouvoir parler de ses expériences.

Bilal Le Dantec : J’ai été vraiment marqué par les principes de la relation d’aide. Pour être à l’écoute, malgré des réflexes humains, il ne faut pas chercher à conseiller, expliquer, trouver des solutions, faire pour l’autre, rationaliser. Il faut se taire pour accepter d’entendre pleinement quelqu’un, l’accepter sans le juger, quel que soit son parcours, son rapport avec lui. 

J’ai aussi retenu l’importance attachée à l’authenticité. En position d’aidant, on se retrouve souvent à jouer un personnage. Pourtant pour que le rapport soit sain et non ambigu il est nécessaire de rester soi-même. Par exemple, il s’agit admettre qu’on puisse être touché par la situation, qu’on puisse ne pas savoir. Même si on peut avoir l’impression de perdre la face, la personne que l’on aide se sentira plus en confiance grâce à notre transparence. 

Pour finir, nous avons travaillé sur les réactions à la suite d’un traumatisme. Nous avons identifié des postures problématiques qui peuvent survenir naturellement lorsqu’on aide quelqu’un : l’évitant, le professionnel, le contrôlant, le meilleur ami, le sauveur, le clown. Je me suis reconnu dans ces idéaux-types, c’était intéressant de les décortiquer et de comprendre leurs inconvénients. 

Comment allez-vous appliquer, dans votre projet clinique, certaines des idées proposées pendant la formation ?

Sasha Antonioli : Dans l’optique où nous partons prochainement réaliser des observations sur le terrain de Briançon, la formation pourra s’avérer particulièrement utile. 

En effet, l’idée est de rencontrer sur le terrain à la fois des solidaires (personnes qui œuvrent à l’acceptation, l’intégration, la défense et la protection des personnes en situation de migration) et des personnes en situation de migration. Les outils développés en amont concernant la manière d’apprivoiser le traumatisme d’autrui pourront être mobilisés, par exemple en s’épaulant entre collègues ou en étant attentif à notre équipe.

Il sera également temps de mobiliser les sept concepts de la relation d’aide de Carl Rogers, à savoir : la présence, l’écoute, l’acceptation, le respect chaleureux, l’empathie, l’authenticité et la congruence. Prenons l’écoute par exemple, il sera question avant d’interroger une personne, de créer un moment de disponibilité à la fois dans le temps, mais également à l’intérieur de soi-même (c’est-à-dire, se préparer à accueillir la parole de l’autre). Il s’agira de créer un espace pour l’autre, d’adopter une attitude de compréhension, de se placer au même niveau : l’écoutant et l’écouté devront être dans un rapport d’égalité et pourront à tour de rôle être écoutants ou écoutés.

Bilal Le Dantec : Cette formation va me servir bien au-delà de la clinique migration. Nous sommes tous amenés à devoir “aider” et gérer des traumatismes, dans notre vie privée et professionnelle, cette formation donne les armes pour le faire plus sainement, plus efficacement. 

Dans le cadre de l’accompagnement de demandeurs d’asile, j’ai désormais en tête qu’il faut être plus clair sur la démarche et fixer un cadre. Dans l’accompagnement juridique, je pense que je saurais être plus lucide sur la distinction entre des moments dédiés à l’écoute, qui sont nécessaires, et des moments plus directifs, servant à expliquer une procédure, la préparer, la faire avancer, etc.