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17.04.2024

Partis politiques : quoi de neuf ?

Effondrement électoral des partis traditionnels, déclin du nombre d’adhérents, érosion de la confiance que leur accordent les citoyens, mais aussi émergence de nouveaux partis (partis entrepreneurs, partis issus de mouvements sociaux), de nouveaux enjeux, de nouveaux modes d’organisation… : le traité sur les Partis politiques (Larcier, 2023) co-dirigé par Florence Haegel (professeure à Sciences Po) et Simon Persico (professeur à Sciences Po Grenoble) prend acte de ces changements. A travers les contributions d'une trentaine d'expertes et experts, l'ouvrage propose une synthèse, en français, des dernières recherches internationales permettant de comprendre les transformations des organisations partisanes.

Présentation en vidéo

Interview : Véronique Etienne / Vidéo : Alexandre Maginot (mars 2024)

 

Que deviennent les partis politiques en Europe ?

Discussion avec Florence Haegel et Simon Persico

Pourquoi cet ouvrage ?

Florence Haegel : Ce traité de plus de mille pages, nous avons décidé de le faire parce que le débat sur les partis politiques est en train de se transformer et nous voulions faire le point sur tous les travaux qui s’intéressent aux partis politiques et renouvellent la discussion.

La recherche se transforme, les partis politiques aussi. Quelles sont les principales transformations des partis politiques ?

Simon Persico : On en a fini avec ce qui était une période d’âge d’or des partis, avec des grands partis de masse, beaucoup d’adhérents. Mais aussi un petit nombre de partis, les partis sociaux-démocrates, les partis conservateurs, chrétiens-démocrates, qui alternaient au pouvoir et qui avaient des revenus, des adhérents, une capacité à structurer les régimes politiques.

Aujourd’hui, on a vu apparaître de nouveaux conflits, de nouveaux débats, de nouveaux partis. On voit aussi monter l'abstention. Les partis sont des institutions dans lesquelles les citoyens n’ont plus beaucoup confiance. Nous sommes actuellement dans une période plus instable, dans laquelle les partis jouent un rôle moins central dans les démocraties. 

Et en même temps on ne peut se passer des partis, parce que ce sont encore eux qui contrôlent qui peut accéder au pouvoir, autour de quelles idées, quels sont les périmètres d’alliance, de coalitions qui peuvent s’opérer entre les différents partis pour gouverner. 

Florence Haegel : Il y a une autre transformation débattue dans cet ouvrage : c’est la question de ce qu’on a appelé la cartellisation des partis politiques. Ce sont deux spécialistes des partis [Richard. S. Katz et Peter Mair] qui au milieu des années 1990 ont constaté que les partis se sont affaiblis mais ont un peu compensé cet affaiblissement en se rapprochant de l’État. Ils se sont éloignés de la société et se sont rapprochés de l’État. Et ce faisant, ces partis qui étaient proches de l’État, car souvent financés par des dotations publiques, ont un peu verrouillé la compétition et empêché que des outsiders entrent dans le système partisan.

Or aujourd’hui on peut formuler l’hypothèse qu’on est dans une période de post-cartellisation, dans la mesure où les partis qui étaient en dehors du jeu, essentiellement les partis de la droite radicale populiste, ne sont plus du tout hors jeu. 

Maintenant se créent aussi – beaucoup en Europe de l’Est et cela a été le cas en Italie aussi avec Berlusconi – des partis qui ne sont pas proches de l’État mais proches du marché économique : des business parties, fondés par des dirigeants d’entreprises privées.

Une autre tendance actuelle est la dynamique ascendante des partis d'extrême droite en Europe…

Simon Persico : Quand j’ai commencé à enseigner la science politique, il y a une dizaine d’années, j’avais pour habitude de dire que certains pays étaient prémunis contre l’extrême-droite : c’était vrai pour l’Allemagne (mais cela fait bien 5 ans que c’est terminé), pour l’Espagne et pour le Portugal. Et on a vu aux dernières élections au Portugal que l’extrême droite a réussi à s’établir avec un niveau électoral de plus de 10 % des suffrages.

Donc à présent, tous les pays d’Europe de l’Ouest, mais même aussi en Europe de l’Est, sont concernés par cette dynamique des partis de droite radicale – qui même accèdent au pouvoir, ce qui était, il y a ne serait-ce que 5 ans, une hypothèse vraiment peu probable.

Florence Haegel : Concernant les partis d’extrême droite, on peut souligner deux choses. La première, c’est que ce n’est pas du tout une famille homogène. Et on le voit très bien si l’on suit leurs prises de position à l’échelle des institutions européennes : ils ont du mal à se mettre d’accord sur un certain nombre de sujets, y compris sur les politiques d’immigration.

Deuxième point : si on regarde leur organisation, leur forme organisationnelle, il y a toute une variété de types de partis d’extrême droite. Certains sont très implantés dans la société, d’autres au contraire sont simplement des partis digitaux – on cite souvent le cas aux Pays-Bas du parti de Geert Wilders qui n’a pas d’adhérents. On a certains partis comme le Rassemblement national qui sont fondés sur des filiations familiales, des héritages, et d’autres pas du tout. Donc on ne peut pas dire qu’appartenir à la famille de l’extrême droite cela suppose une forme d’organisation spécifique.

On a aussi l’impression d’une conflictualité croissante du monde politique…

Simon Persico : Parmi les grandes transformations dans le système européen, on observe l’apparition de deux nouveaux clivages. Ces deux nouveaux clivages sont liés à la mondialisation, qui a une dimension d’ouverture des frontières, avec des populations qui voyagent, des marchandises qui voyagent, mais qui a aussi eu un impact sur l’environnement, sur le rapport des citoyens avec l’environnement. Cette révolution-là, la globalisation, a entraîné le développement des partis de droite radicale autour du conflit entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. 

Par ailleurs, une des hypothèses de travail est celle du développement d’un clivage entre l’écologie et le productivisme, qui pendant longtemps était sous-politisé parce que les enjeux n’étaient pas si prégnants, et qui aujourd’hui prend beaucoup plus de visibilité comme on a pu le voir pendant le mouvement des agriculteurs. On voit bien que l’écologie commence à créer beaucoup de conflits dans les démocraties européennes.

Florence Haegel : Cette place que l’on accorde au conflit est très importante quand on s’intéresse aux partis politiques. C’est pour cela que la question de la polarisation, le fait qu’il y ait une distance de plus en plus grande entre les pôles partisans, est centrale dans le débat.

Comme souvent lorsqu’on étudie les partis politiques, cette thèse de la polarisation, et même je dirais de la polarisation affective, vient des États-Unis, où longtemps on a considéré que les gens s’identifient de moins en moins aux partis politiques, à un camp politique. Maintenant on se rend compte avec le trumpisme qu’il y a vraiment une identification très forte pour ou anti-Trump, qui fait qu’on peut détester véritablement ceux qui soutiennent Trump ou détester les démocrates – d’où le qualificatif de polarisation affective.

Est-ce qu’on a le même mouvement en Europe ? Est-ce que l’identification à des camps paraît de plus en plus importante et structurante, non pas de manière positive, par une adhésion, mais de manière négative, par un rejet ? Aujourd’hui, on peut penser que le moteur de beaucoup d’élections va être de rejeter certains partis politiques. 

 

Propos recueillis par Véronique Etienne

Télécharger la transcription de l'interview (PDF, 71 ko)

 

L'ouvrage a été conçu autour de l’application de deux grands principes : le pluralisme théorique et méthodologique et la dimension comparative. 

Il s’organise en quatre grandes parties : 

  1. le cycle de vie des partis politiques, organisations qui ont accompagné l’avènement des démocraties libérales : leur naissance (Chloé Gaboriaux), leur transformation (Fabien Escalona) et leur mort (Alexandre Dézé) ;
  2. les environnements qui encadrent leur action : les institutions (Camille Bedock et Laure Squarcioni), l’Etat (Yohann Aucante), les territoires (Frédéric Sawicki), les médias (Emiliano Grossman) et le financement (Abel François et Eric Phelippeau) ;
  3. les principales activités partisanes : engager des militant-es et des sympathisant-es (Rémi Lefebvre), organiser la vie interne du parti (Camille Kelbel, Giulia Sandri et Felix Von Nostitz), sélectionner des dirigeants (Carole Bachelot et Fabienne Greffet), former des gouvernements (Carole Bachelot et Fabienne Greffet), mobiliser les électeurs (Clément Desrumaux), rédiger des programmes (Nicolas Bué et Rafaël Cos), permettre l’expression des conflits sociaux et politiques (Florent Gougou et Simon Persico), mettre en œuvre leurs programmes (Isabelle Guinaudeau et Simon Persico) ;
  4. un éclairage comparatif, sur la sociale-démocratie (Karim Fertikh et Hugo Canihac), le populisme (Chloé Alexandre et Gilles Ivaldi), les démocraties illibérales (Clémentine Fauconnier) et les partis islamistes (Robin Beaumont et Marie Vannetzel).

 

Référence

Partis politiques, sous la direction de Florence Haegel et Simon Persico, Larcier-Intersentia (décembre 2023), 1014 pages.

 

Pour aller plus loin

Revoir la conférence “Que deviennent les partis politiques en Europe ?” (Sciences Po, 20 mars 2024)