L’horreur et la gloire : Le «Bomber Command» dans les souvenirs britanniques après 1945
Par rapport à la plupart des autres pays d’Europe, le Royaume-Uni cultive une mémoire positive et assurée de la Seconde Guerre mondiale. Dans sa forme la plus simple, le récit se présente sous la forme suivante : les Allemands ont déclenché cette guerre et les Britanniques, avec leurs alliés, l’ont gagnée. Aussi préjudiciable qu’elle ait pu être pour les relations entre la Grande-Bretagne et les autres États européens à partir de 1945, cette vision des choses s’est révélée remarquablement tenace. 1 Les Britanniques se sont ainsi vu épargner la « mémoire désunie de l’Italie » 2, aussi bien que le syndrome de Vichy dont a souffert la France3, et même la controverse des historiens qui a agité l’Allemagne ; les souvenirs britanniques prédominants de la Seconde Guerre mondiale sont homogènes, simples et patriotiques.
L’offensive alliée de bombardements contre l’Allemagne et plus particulièrement le rôle joué par le Bomber Command, le commandement des bombardiers de la Royal Air Force (RAF), fait tâche dans ce paysage serein. Les souvenirs laissés par le Bomber Command tranchent en effet sur les autres, tant par leur complexité que par leur versatilité. Ils sont complexes parce qu’ils concernent des questions épineuses par définition – l’efficacité et la moralité des bombardements stratégiques pendant la Seconde Guerre mondiale – et parce qu’ils ont mis en œuvre sous diverses formes de multiples « niveaux » de mémoire – officielle, universitaire, populaire, locale. D’où l’impossibilité de voir naître un mythe national cohérent de la campagne de bombardements, comparable (par exemple) au mythe britannique du Blitz, les raids allemands contre des villes britanniques en 1940-1941. 4 Les souvenirs de l’offensive de bombardements sont également versatiles parce qu’ils ont présenté d’importantes variations au fil du temps.
Deux séries de chiffres permettent de résumer la nature de l’offensive. Rappelons tout d’abord que les équipages du Bomber Command comprenaient environ 125 000 hommes, dont 69,2 % de Britanniques, les autres étant originaires du Commonwealth ou de pays européens sous occupation allemande. Sur ces effectifs, 47 305 hommes furent tués au combat ou trouvèrent la mort pendant qu’ils étaient prisonniers de guerre, 8 195 périrent dans des accidents, 8 403 rentrèrent chez eux blessés et 9 838, également blessés pour beaucoup d'entre eux, devinrent prisonniers de guerre. Autrement dit, 59 % de la totalité de ceux qui servirent dans ces équipages furent victimes de la guerre, parmi lesquels 47 % furent tués. 5 Faisant partie des hommes les mieux formés de l’armée, les aviateurs étaient bien placés pour connaître les risques qu’ils couraient ; cela ne les empêcha pas d’être tous volontaires.
Une seconde série de chiffres, plus troublante, concerne les pertes dues au Bomber Command. Les Alliés larguèrent sur le continent européen quelque 2,5 millions de tonnes de bombes, soit nettement plus que les 75 000 tonnes larguées sur le Royaume-Uni par la Luftwaffe. Un peu plus de la moitié de ces bombes avait l’Allemagne pour cible, le cinquième la France, et un septième l’Italie. 6 Dans les années d’après-guerre, on a estimé que les bombardements alliés avaient fait 600 000 morts dans la population civile allemande. Bien qu’inférieure, l’estimation plus récente faisant état de 380 000 morts reste très élevée. 7 Il faut ajouter à ces chiffres au moins 60 000 Italiens tués, et un minimum de 57 000 victimes pour la France8, ainsi que plusieurs milliers de morts dans de plus petits pays, dont la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche et la Bulgarie. Le Bomber Command largua 53 % de ses pièces au-dessus de l’Allemagne (contre 47 % sur l’ensemble de l’Europe) et chercha, par des bombardements de zone, à détruire des villes entières, au lieu de se concentrer sur des cibles de précision comme le faisait théoriquement l’aviation de l’US Army. Les incendies dévastateurs provoqués par les bombes incendiaires du Bomber Command tuèrent plus de 34 000 civils à Hambourg en juillet 1943, 5 600 à Kassel en octobre 1943, au moins 7 500 à Darmstadt en septembre 1944, 25 000 à Dresde et 17 600 à Pforzheim en février 1945, ainsi qu’entre 4 000 et 5 000 à Würzburg en mars 1945 : soit près de 100 000 morts pour la seule demi-douzaine des raids les plus meurtriers. 9
Le rôle du Bomber Command dans l’offensive conduisit donc des jeunes gens d’un courage exceptionnel à brûler vifs plusieurs milliers de civils, hommes, femmes et enfants. La première moitié de cette phrase est parfaitement conforme au métarécit britannique de la Seconde Guerre mondiale, contrairement, de toute évidence, à la seconde. La confusion a été aggravée par le refus du gouvernement de l’époque de faire savoir à l’opinion publique que des populations civiles étaient délibérément visées. Le général d’aviation sir Arthur Harris, commandant en chef du Bomber Command à partir du 23 février 1942, réclama pourtant que l’on reconnaisse publiquement et clairement les objectifs qu’on lui avait fixés : « détruire des villes allemandes, tuer des travailleurs allemands et perturber la vie de la collectivité civilisée à travers toute l’Allemagne. » 10 Préférant éviter la controverse, le ministère de l’Aviation rejeta sa demande.
Les médias britanniques, tacitement complices du gouvernement, adoptèrent la même ligne. Cependant, la couverture dithyrambique assurée par la presse et par la radio ne pouvait pas laisser le public dans le doute : il s’agissait de toute évidence d’une politique de « bombardement de zone » – une attaque contre des villes entières – qui provoquait, pour reprendre les propos enthousiastes du porte-parole de la RAF et commentateur de la BBC John Strachey, « des destructions telles que nous n’en avons jamais vues en Grande-Bretagne. » Le nombre de morts, malgré des estimations rarement exactes, n’était jamais minimisé. En même temps, on affirmait à la population britannique que l’offensive alliée n’était pas seulement nettement plus puissante que le Blitz allemand contre la Grande-Bretagne, mais aussi nettement plus morale, et que si la Luftwaffe cherchait à terroriser et à tuer des civils, ce n’était pas le cas de la RAF. 11 Ces ambiguïtés ont jeté sur ces opérations une ombre persistante qu’avait parfaitement anticipée Harris lorsqu’il prophétisait que le refus du ministère de reconnaître la réalité de la politique menée « conduira[it] inéluctablement à de déplorables controverses quand les faits ser[aient] intégralement et universellement connus. » 12
L’évolution de la mémoire britannique de la campagne de bombardements depuis 1945 peut se diviser approximativement en trois périodes : une relative équanimité entre la guerre et le début des années 1960 ; deux décennies de scepticisme entre cette dernière date et le début des années 1980 ; et enfin, depuis, la lente progression de l’acceptation et de la commémoration. Ces divisions restent cependant approximatives et inégales et, parce que la mémoire fonctionne à des niveaux très divers, elles sont loin d’être uniformes.
Aux deux extrêmes : État, bandes dessinées et maquettes
Le contraste le plus accusé apparaît peut-être aux deux extrêmes des niveaux de mémoire que nous avons identifiés. Au sommet de l’État, la campagne de bombardements a plutôt tenu de la source d’embarras. En revanche, pour les petits Britanniques qui ont grandi dans les années 1960 et 1970, elle a été glorifiée à travers de nouveaux produits créés pour le marché des très jeunes consommateurs.
« La plupart des gens », a fait observer Noble Frankland, un des deux historiens officiels de la campagne de bombardements, « avaient été très satisfaits du Bomber Command pendant la guerre et jusqu’à ce qu’elle soit pratiquement gagnée ; ils ont ensuite fait volte-face et ont trouvé que ce n’était pas une très belle façon de faire la guerre. » 13 Ses remarques s’appliquent parfaitement au gouvernement britannique. Dès le 28 mars 1945, dans une note adressée aux chefs d’État-major britanniques, le Premier ministre Winston Churchill cherchait à désavouer la politique de bombardements qu’il avait soutenue jusque-là et plus particulièrement l’attaque contre Dresde, six semaines auparavant. Le Bomber Command a été largement exclu des célébrations de la Victoire en Europe ; aucune médaille n’a été frappée en son honneur ; Harris n’a pas été élevé à la pairie et n’a pas obtenu non plus d’autre forme d’hommage de la part du gouvernement élu le 26 juillet 1945. 14 L’exposé rédigé par Harris lui-même, Despatch on War Operations, a été retouché par le ministère de l’Aviation, il a été archivé et est resté inaccessible au public pendant un demi-siècle. 15 L’officielle British Bombing Survey (Enquête britannique sur les bombardements) achevée en 1946, un projet moins ambitieux dans l’ensemble que son vaste pendant américain, concluait que les attaques de zone britanniques avaient été « indéniablement excessives » ; ce rapport a attendu lui aussi un demi-siècle avant d’être publié. 16 Le gouvernement a, il est vrai, autorisé en 1961 la publication d’une volumineuse histoire officielle de la campagne, dont nous parlerons plus en détail ci-dessous ; mais cet ouvrage n’offrait guère de motif de réconfort à ceux qui souhaitaient la réhabilitation de la campagne de bombardements. 17
La distance prise par les autorités à l’égard de cette offensive trouve un écho dans la politique de commémoration. Le Battle of Britain Day, le Jour de la Bataille d’Angleterre, le 15 septembre, célèbre l’exploit du Fighter Command qui avait réussi à faire obstacle à l’offensive de la Luftwaffe contre la RAF ; il n’existe pas d’équivalent pour le Bomber Command. Aucun fond public n’a financé la statue de Harris, inaugurée en 1992, ni le mémorial du Bomber Command ouvert dans Green Park, à Londres, vingt ans plus tard. La réticence officielle à célébrer cette campagne de bombardements peut s’expliquer par la répugnance à laquelle Frankland faisait allusion, et à la nécessité perçue d’entretenir de bonnes relations avec la République Fédérale d’Allemagne dans le contexte de la guerre froide puis, à partir de 1961, du rapprochement britannique avec l’Europe. Les réactions hostiles à l’inauguration de la statue de Harris observées à Cologne et dans d’autres villes allemandes18 donnaient à penser que malgré la participation de la famille royale aux cérémonies en question, les gouvernements anglais avaient d’excellentes raisons de garder leurs distances.
« Oublier », titre du dernier chapitre du récit historique populaire de Patrick Bishop Bomber Boys, semble donc s’appliquer à merveille au gouvernement. 19 On ne saurait en dire autant de la culture des écoliers. Ceux-ci se sont vu offrir, dans les bandes dessinées de la génération d’après-guerre et les maquettes d’avions très précises en plastique bon marché à monter soi-même commercialisées à partir des années 1950, une célébration continue de la Seconde Guerre mondiale, dans laquelle la guerre de bombardements occupait une place en vue.
La bande dessinée britannique a connu un âge d’or dans les années 1950, proposant aux lecteurs environ 32 pages hebdomadaires de bandes dessinées. Certaines étaient humoristiques, d’autres consacrées à l’aventure et à la guerre. Les histoires de guerre plus ambitieuses dominaient plusieurs séries bimensuelles de petit format, comme la revue Commando de Thomson ou l’Air Ace Picture Library de Fleetway. Certains hebdomadaires s’écoulaient à deux millions d’exemplaires ; Commando, toujours publié, tirait à 750 000 exemplaires par an dans les années 1970. 20 Un des hebdomadaires les plus populaires, et le plus dominé par les récits de la Seconde Guerre mondiale, était The Victor, publié entre 1961 et 1992. 21 Une de ses spécialités était « l’histoire vraie de soldats » sur deux pages, la première et la quatrième de couverture, qui s’achevait fréquemment par une mort héroïque, comme celle du lieutenant d’aviation Mansell au-dessus de Cologne en mai 1942 ou celle de Lamy après le raid de la France Libre sur Chevilly-Larue en octobre 1943. 22 The Victor contenait aussi un feuilleton fleuve mettant en scène un personnage imaginaire, « le plus grand pilote de la Seconde Guerre mondiale », Matt Braddock, aux commandes d’un bombardier. Dans les bandes dessinées, la « mémoire » est inévitablement déformée. Tous les raids visent des objectifs précis, jamais des villes entières. Tous les équipages sont compétents et n’hésitent pas à diriger un Lancaster droit contre la DCA à 1 000 pieds. Braddock et les autres pilotes imaginaires sont des as de l’aviation qui violent les règles et défient l’autorité ; ils redoutent plus d’être interdits de vol pour indiscipline que de se faire descendre par l’ennemi. Quant aux civils allemands, ils sont invisibles (comme ils l’étaient, il est vrai, pour les équipages de bombardiers). 23
La lecture de The Victor pouvait inciter les garçons attirés par la guerre à s’intéresser aux maquettes d’avions. Le premier modèle réduit à monter d’Airfix – un Spitfire, bien entendu – est sorti en 1953 ; il serait suivi, dans les années 1960, par toute la gamme de bombardiers moyens et lourds des aviations britannique et américaine. 24 Les maquettes d’Airfix étaient assez bon marché pour que les garçons les achètent avec leur argent de poche et les plus petites pouvaient être montées par un enfant de 7 ans ; les préados pouvaient passer ensuite à des modèles réduits réalistes, à peindre soigneusement. Le contact tactile qu’offrait une maquette augmentait la fascination qu’exerçaient les Lancaster et Fortresses, qui – bien qu’obsolètes dès 1945 – jouaient un rôle capital dans la séduction que les histoires d’aviation exerçaient sur les jeunes garçons.
Ainsi, alors que les gouvernements britanniques auraient préféré oublier le Bomber Command, une génération de jeunes garçons d’après-guerre fut invitée à célébrer une version idéalisée de ses exploits sur papier et en plastique. Bien qu’en l’an 2 000, la concurrence des divertissements électroniques ait sonné le glas de la majorité des hebdomadaires de bandes dessinées et porté un rude coup aux ventes d’Airfix, ils continuent à séduire un public plus âgé et nostalgique. La « picture library » de Commando existe toujours, et les deux tiers de ses lecteurs ont plus de 15 ans. 25 À l’occasion de son cinquantenaire, The Victor a sorti en 2010 un volume commémoratif contenant six histoires de Braddock et une introduction d’un ancien et illustre membre des forces spéciales, Andy McNab. 26 Quant au catalogue d’Airfix, il offre le choix entre cinq maquettes différentes de Lancaster, avec notamment un coffret spécial « Bomber Command » vendu au profit du Benevolent Fund de la Royal Air Force. 27
Le Bomber Command et les historiens
Entre les deux extrêmes de l’attitude du gouvernement et de la culture des jeunes garçons figure une abondante historiographie universitaire qui se présente sous forme de livres, de films et de documentaires, à laquelle s’ajoutent les productions d’acteurs de la société civile, et notamment des églises, de groupes liés à la RAF et aux anciens combattants, et de la presse de droite.
Les études historiques se sont rapidement caractérisées par deux points de vue antagonistes. Le premier, empreint de scepticisme, s’est exprimé dans le rapport établi en 1946 par la British Bombing Survey Unit (BBSU, Unité britannique d’enquête sur les bombardements). Bien qu’il n’ait été publié qu’en 1998, le rapport de la BBSU a été influent à la fois parce qu’un grand nombre de ses conclusions ont trouvé confirmation dans celles de la United States Strategic Bombing Survey (USSBS), et parce que certaines de ses parties ont été « reprises dans le travail de la British Official History [l’Histoire britannique officielle] de l’offensive » 28, publié en 1961. Ce rapport indiquait clairement que la campagne britannique de bombardements avait échoué à la fois à briser le moral des Allemands et à endiguer l’intensification de la production d’armement. 29 Si les bombardements avaient hâté la victoire, c’était essentiellement en perturbant gravement les transports ferroviaires et fluviaux d’Allemagne, vers la fin de la guerre. 30 Les bombardements de zone, jugés largement inefficaces par la BBSU, étaient britanniques, les attaques contre les moyens de communications essentiellement américaines. Ce rapport sous-estimait cependant l’importance du pétrole, une deuxième cible américaine essentielle en 1944-1945. Aussi faussées qu’elles aient pu être, certaines conclusions de la BBSU seraient utiles aux futures générations d’historiens. Cette enquête suggérait ainsi que les bombardements n’avaient représenté financièrement que 7 % de l’effort de guerre de la Grande-Bretagne, un chiffre qui s’était élevé à 12 % en 1943-1944. Elle soulignait l’importance qu’avait eu pour l’offensive combinée l’arrivée d’avions de chasse de longue portée au début de 1944 et relevait, sans beaucoup de détails cependant, que le détournement de ressources depuis les fronts de combat au profit de la défense du Reich avait été une conséquence majeure de cette campagne. 31
Harris, on n’en sera pas surpris, adoptait le point de vue inverse, tant dans sa Despatch on War Operations, publié seulement en 1995, que dans ses mémoires. 32 Alors que Harris attribue de nombreuses réussites au Bomber Command33, le cœur de son ouvrage intitulé Bomber Offensive [Les Bombardiers attaquent] se livre à une défense passionnée du bombardement de zone. Les villes industrielles furent attaquées, écrit-il, parce que c’était là que se trouvaient les principales industries d’Allemagne ; l’efficacité de l’offensive était mesurable en termes de tonnage de bombes larguées et de superficie de zone urbaine détruite ; si les bombardements n’avaient pas tenu toutes leurs promesses, c’était par manque de ressources et parce que les responsables alliés de la guerre n’avaient pas « foi dans le bombardement stratégique ». Les Américains, laissait entendre Harris, avaient perdu leur temps avec leurs bombardements de précision ; en 1945, quand ils avaient enfin reconnu les avantages des attaques de zone, ils avaient écrasé le Japon en s’épargnant une coûteuse campagne terrestre. 34
Les Bombardiers attaquent reste un ouvrage plus polémique que digne de foi. En écartant l’idée que les bombardements auraient pu briser le moral des Allemands, Harris contredisait ses propres allégations du temps de guerre, selon lesquelles il serait possible de « faire tomber l’Allemagne » depuis les airs. 35 Lorsqu’il prétend que la politique de bombardements de zone avait été décidée au plus haut niveau politique et qu’il n’avait fait que l’appliquer, 36 il fait preuve de duplicité. Harris n’a pas seulement exécuté cette politique, il l’a défendue inlassablement face à une opposition croissante au sein de l’Air Staff, jusqu’à ce que Churchill la désavoue en mars 1945.
En 1961, les Britanniques n’avaient pas une histoire officielle mais deux. Elles n’étaient ni l’une ni l’autre aussi critique que le rapport de la BBSU ; elles n’étaient ni l’une ni l’autre aussi acquise à la cause des bombardements que Harris. La première, Royal Air Force 1939-1945, un ouvrage en trois volumes rédigé par le romancier Hilary St George Saunders et l’historien Denis Richards, a été publiée en 1953-1954 et couvrait les opérations de la RAF tant en Europe que sur le théâtre du Pacifique. Son jugement sur la campagne de bombardements, sans être exactement du même tonneau que celui de Harris (cette histoire ne prétend pas que les bombardements auraient pu à eux seuls remporter la guerre ; elle reconnaît les limites de l’offensive de zone ; elle tient compte des morts et des destructions infligées aux Allemands ordinaires) 37, n’en est pas moins extrêmement favorable. Richards et Saunders introduisent de nombreux thèmes que l’on retrouve dans des récits ultérieurs, dont la nécessité de faire quelque chose pour attaquer le cœur de l’Allemagne en 1940-1942, les insuffisances initiales numériques et technologiques du Bomber Command et les remèdes que l’on mit progressivement en place (les systèmes de localisation d’objectifs Gee, puis Oboe et H2S – à partir de 1942), ainsi que la contribution à la victoire finale par la réaffectation à l’Ouest des ressources militaires allemandes désormais destinées à la défense plus qu’à l’attaque, la défaite de la Luftwaffe dans le ciel allemand et la mise hors d’état du réseau de transports et de l’industrie pétrolière. 38
L’histoire officielle de plus grande ampleur, écrite par sir Charles Webster, spécialiste d’histoire diplomatique, et par son cadet Noble Frankland, spécialiste de l’histoire de l’aviation, était intégralement consacrée à la campagne de bombardements. 39 Malgré la réticence de l’establishment de la RAF, les auteurs avaient exigé et obtenu de jouir d’une entière liberté d’écriture et d’un accès sans entrave aux sources inédites.
Une de leurs principales innovations a été d’attester que « la stratégie de l’offensive de bombardements a été habituellement une question controversée » – et qu’elle était politique. 40 Ils montrent ainsi, par exemple, que les attaques du printemps 1942 cherchaient tout autant à faire de la publicité au Bomber Command pour justifier son existence qu’à nuire à l’effort de guerre allemand. 41 Ils traitent en détail la décision de bombarder Dresde, et l’absence de sincérité de la prise de distance de Churchill avec la campagne de bombardements en mars 1945. 42 Ils exposent de manière très saisissante l’adhésion opiniâtre de Harris à l’offensive de zone, même lorsque des directives officielles et le chef d’État-major de l’aviation Charles Portal lui eurent ordonné d’effectuer des bombardements de précision sur les cibles pétrolières et les moyens de transport. 43 Le compte rendu de ces échanges et la menace de démission de Harris conduisirent Portal et le ministère de l’Aviation à chercher à censurer l’histoire officielle sinon à en empêcher la publication. 44
Se concentrant essentiellement sur le Bomber Command, l’histoire officielle intègre l’offensive de l’USAAF et la préférence américaine pour les bombardements diurnes de précision. Dans ce contexte, Webster et Frankland relèvent un tournant au printemps 1944, moment où les forces aériennes américaines obtinrent une supériorité aérienne (partielle) sur l’Allemagne, grâce à des chasseurs de longue portée équipés de réservoirs de carburant supplémentaires largables. Avant cela, affirment-ils, la maîtrise des airs exercée par la Luftwaffe avait empêché l’offensive aérienne alliée de réaliser, fût-ce incomplètement, ses objectifs stratégiques. Le Bomber Command pouvait pénétrer les défenses allemandes avec des pertes supportables, mais uniquement de nuit, et aux dépens de la précision. La US Eighth Air Force était théoriquement capable de réaliser des bombardements de précision sélectifs, mais ne pouvait pas atteindre ses cibles sans subir des pertes intolérables. Aussi longtemps que cette situation dura, « peu importait que la politique de bombardement fût générale [selon la préférence de Harris] ou sélective [conformément aux préférences américaines]. » 45 Et malgré quelques spectaculaires succès locaux, comme à Hambourg, les Alliés n’infligèrent pas de graves dégâts à l’économie allemande. Il fallut attendre que les chasseurs à longue portée assurent la supériorité aérienne pour que l’offensive puisse se poursuivre avec un certain succès. 46 Ainsi, écrivit Frankland plus tard, « Si la guerre avait pris fin en mars 1944 pour d’autres raisons que l’effondrement moral de la population civile allemande, il aurait bien fallu admettre que l’offensive du Bomber Command avait été un échec quasi complet. » 47 Par la suite, en revanche, cette offensive contribua « très largement » à la défaite allemande. 48 Néanmoins, selon Frankland, elle aurait pu être plus efficace et peut-être même mettre fin à la guerre en 1944 si cet effort ne s’était pas inutilement dispersé entre cibles pétrolières, moyens de transport et offensive de zone chère à Harris. 49
Détaillée et complexe dans sa conception, l’histoire officielle reste une référence incontournable. Les comptes rendus de 1961 en ignorèrent cependant largement les subtilités ; de fait, la presse de droite reprocha à Frankland (Webster étant mort depuis peu) d’avoir présenté la campagne de bombardements comme un « échec coûteux », ce qu’il n’avait pas fait. Plus tard, comme l’a relevé Frankland en 1993, on a considéré cette histoire tout autrement, en y voyant une volonté de « blanchir sir Arthur Harris et le Bomber Command ». 50
Mais sur le moment, à tort, l’histoire officielle a été rangée avec le rapport de la BBSU dans le camp des analyses généralement sceptiques, et les points de vue qu’on lui attribuait se sont répandus dans d’autres publications. Ainsi, le plus grand historien militaire Basil Liddell Hart a écrit dans son History of the Second World War [Histoire de la seconde guerre mondiale] : « Les Anglais continuèrent de pratiquer le bombardement de zone alors qu’ils n’avaient plus depuis longtemps aucune raison ni aucune excuse de recourir à ce genre d’action indiscriminée », mais « en dépit des erreurs de stratégie et du mépris manifesté pour la plus élémentaire moralité, la campagne de bombardements joua sans aucun doute un rôle crucial dans la défaite de l’Allemagne hitlérienne. » 51
Le scepticisme ne toucha cependant pas les récits plus « populaires » publiés à partir des années 1970. Ceux-ci se consacraient à certains raids précis et s’inspiraient largement d’interviews de survivants, pour l’essentiel des membres de la RAF, mais aussi de la Luftwaffe et de la population civile. Les exposés de Martin Middlebrook du raid catastrophique contre Nuremberg les 30 et 31 mars 1944, puis du bombardement de Hambourg et Berlin, ainsi que des raids américains sur Schweinfurt et Ratisbonne juxtaposent des récits d’une exactitude scrupuleuse et de nombreuses déclarations de survivants. 52 Malgré les horreurs que décrivent ceux-ci, leurs conclusions ne laissent guère planer le doute sur la justification de l’offensive. Cependant, la principale contribution de Middlebrook à l’histoire de la guerre de bombardements a été son ouvrage de référence, Bomber Command War Diaries, un guide en un volume de toutes les opérations de quelque envergure du Bomber Command. 53
La première histoire générale à inclure des déclarations de témoins a été Bomber Command (1979) de Max Hastings. Dans le cadre d’une histoire stratégique condensée du Bomber Command, Hastings intègre des chapitres sur quatre stations de la RAF à certains moments précis de la guerre, sur le quartier général souterrain de Harris à High Wycombe, et, en se plaçant du point de vue allemand, sur le raid dévastateur contre Darmstadt. Il introduit également de nouveaux thèmes comme les protestations élevées pendant la guerre contre cette offensive par des personnalités telles que l’évêque Bell de Chichester ou le député Richard Stokes, ou l’« absence de fibre morale » – des exemples d’aviateurs incapables de supporter le stress des opérations. Tout en s’inspirant de Webster et Frankland, Hastings se montre beaucoup plus sévère que les historiens officiels. Les Américains avaient fait le plus gros du travail en triomphant de la Luftwaffe et en détruisant l’industrie pétrolière allemande. Les bombardements de zone avaient été un échec, et Harris aurait dû être viré pour s’y être cramponné. La destruction de villes comme Darmstadt avait fait payer à la population civile allemande les crimes de ses responsables, et n’avait été d’aucun profit pour la victoire. Ainsi, « le coût de la campagne de bombardements en vies, en finances et en supériorité morale sur l’ennemi a tragiquement éclipsé les résultats qu’elle a pu obtenir. » 54 Agréable à lire, plusieurs fois réimprimé et empreint d’une profonde passion morale, Bomber Command a contribué à ancrer les visions sceptiques de la valeur de l’offensive.
Ce scepticisme devait beaucoup à l’essor rapide de l’industrie de guerre allemande jusqu’à une date avancée de 1944. Dans les années 1980, cependant, on a replacé cette croissance dans de nouveaux contextes. Pour Richard Overy, dont le premier ouvrage sur le sujet a été publié en 1980, il ne faut pas mesurer les résultats des bombardements à l’aune de la production allemande concrète, mais à celle des prévisions, pour une guerre qui aurait dû commencer en 1942. 55 Ainsi, bien que la productivité de l’industrie d’armement ait doublé entre 1941 et 1944, les bombardements ont « imposé un plafond » à toute nouvelle avancée. Ils ont ralenti l’approvisionnement en pièces détachées et l’ont rendu moins prévisible, obligeant les entreprises à conserver des stocks plus importants ; ils ont imposé une dispersion de l’industrie dans des usines plus modestes, moins bien situées. En janvier 1945, le ministère allemand de l’Armement estimait ainsi que l’industrie de son pays produisait « 35 % de chars de moins, 31 % d’avions de moins et 42 % de camions de moins » qu’elle ne l’aurait fait sans les bombardements. Tous les responsables allemands interrogés par des chercheurs alliés après la guerre ont attribué l’effondrement économique de janvier 1945 aux bombardements. 56 Pour Adam Tooze, en fait, le Bomber Command avait porté préjudice à la production allemande dès le printemps 1943, quand les raids contre la Ruhr avaient mis fin au « miracle de l’armement » qu’avait cherché à réaliser Albert Speer, ministre de l’Armement d’Hitler ; Harris avait ensuite commis l’erreur de détourner cet effort vers une vaine attaque contre Berlin. 57 En outre, comme le souligne Overy, une part croissante de la production de guerre fut affectée à la défense antiaérienne : 30 % des canons, 20 % des munitions lourdes, 50 % de la production électrotechnique, le tiers de la production de l’industrie d’optique. 58 L’attaque contre le moral de la population allemande elle-même, suggère Overy, ne fut pas un échec complet. Dans le Reich, l’absentéisme atteignit 23,5 jours en 1944 et s’éleva jusqu’à 25 % dans certaines entreprises comme l’usine Ford de Cologne. 59 S’agissant de la productivité de la main-d’œuvre, des transferts de défenses au profit du Reich et du détournement de la production vers la défense antiaérienne, on peut considérer que les bombardements britanniques de zone ont été tout aussi utiles que les bombardements de précision. De fait, Sebastian Cox a affirmé que c’était la dispersion forcée de 1942-1943, essentiellement due aux bombardements de zone, qui avait rendu la production allemande plus dépendante des voies de communication, accroissant l’efficacité des attaques contre le système de transports allemand en 1944-1945. 60
Par rapport à ce que Mark Connelly appelait l’« orthodoxie » des analyses d’après-guerre et d’« encore un nouvel exposé gouvernemental, l’Histoire officielle », 61 ces analyses revenaient à une réhabilitation partielle. En même temps que des gains économiques, les bombardements avaient livré des dividendes politiques, soutenant le moral intérieur et offrant en quelque sorte un « second front » à Staline à partir de 1942. Ces visions optimistes ont été reprises dans les histoires plus « populaires » de Denis Richards ou de Robin Neillands. 62
La réhabilitation elle-même n’a pas été incontestée. En 1991, David Edgerton affirmait que les bombardements stratégiques avaient constitué « une mauvaise affectation massive de ressources », 63 avant de remettre en question dans le détail la réalité du détournement de l’effort militaire au profit de la défense intérieure de l’Allemagne. 64 La réapparition d’une note de scepticisme dans l’importante étude récente d’Overy est peut-être plus remarquable encore. 65 The Bombing War. Europe 1939-1945 traite de campagnes exclues ou marginalisées dans de nombreux exposés antérieurs : cet ouvrage n’aborde pas seulement les bombardements alliés sur la France et l’Italie, mais aussi sur la Bulgarie, ainsi que les raids aériens allemands contre l’Union soviétique. Il se penche également sur les nouvelles relations qui s’établirent entre les États et les sociétés, les populations et les gouvernements à la suite de ces opérations. 66 Il conclut que les campagnes de bombardements de la Seconde Guerre mondiale furent toutes, à leur manière, des échecs relatifs. 67 Bien que ce jugement s’applique aux offensives allemandes aussi bien qu’alliées, Overy se montre particulièrement sévère à l’égard des bombardements britanniques de zone : qu’il s’agisse de leur origine (les opérations « de police » coloniales de l’entre-deux-guerres), de la détermination avec laquelle les chercheurs britanniques perfectionnèrent des techniques permettant d’incendier intégralement des villes entières, ou des mensonges officiels sur le but recherché, les bombardements de zone étaient, aux yeux d’Overy, moralement indéfendables. 68
Bombardements et moralité
La plupart des ouvrages cités ci-dessus contestent la moralité de la campagne de bombardements. 69 Les bombardements britanniques de zone sont plus critiqués que les bombardements américains de précision, car jugés moins efficaces et plus aveugles ; 70 quant aux raids incendiaires, ils sont, chose compréhensible, présentés comme les pires de tous. Dresde occupe une place particulière dans cette catégorie, pour plusieurs raisons. Ce raid détruisit un joyau de l’architecture baroque allemande ; il eut lieu à un moment où l’on ne pouvait plus douter de la victoire alliée (contrairement au raid antérieur, et plus meurtrier, contre Hambourg) ; et il fut à l’origine du retrait du soutien du gouvernement britannique à l’offensive de zone, après qu’un point de presse d’une franchise inhabituelle eut incité Associated Press à déclarer que les Alliés avaient franchi le seuil des « bombardements de terreur ». 71 La dépêche d’Associated Press provoqua la consternation de l’élite britannique, suscita des questions à la Chambre des Communes et conduisit finalement Churchill à désavouer la campagne de bombardements un mois plus tard. 72 Churchill n’a pas mentionné Dresde dans ses mémoires. 73 En revanche, Harris a présenté une défense d’une vigueur qui n’a rien pour surprendre : c’était, a-t-il expliqué, la « plus grande ville d’Allemagne […] encore intacte », ce qui faisait d’elle une cible aussi légitime que toute autre, et les bombardements avaient été « présentés comme une nécessité militaire par des gens bien plus importants que [lui]. » 74 Si rien d’autre n’avait assuré à Harris le rôle du méchant de la campagne de bombardements de zone, Dresde aurait suffi. 75
Après la guerre, la place de Dresde au cœur de la mémoire a été assurée, en premier lieu, par un groupe de pression britannique, le Bombing Restriction Committee [Comité pour la limitation des bombardements], qui affirma en décembre 1945 que ce raid avait tué entre 200 000 et 300 000 personnes, s’attaquant à un ennemi déjà défait et à une cible dénuée de toute valeur militaire. Le récit du bombardement rédigé par David Irving en 1963, qui adoptait un point de vue essentiellement allemand, eut un plus vaste impact. Pour Irving, ce raid était le « plus grand massacre de l’histoire européenne » ; il estimait le nombre de morts à 135 000 et faisait remarquer qu’il n’avait pas réalisé son objectif énoncé de perturbation des communications. Il recruta l’adjoint de Harris, le maréchal de l’Air sir Robert Saundby en personne, pour écrire un avant-propos étayant sa thèse. David Irving, The Destruction of Dresden (London : William Kimber, 1963), p. 5, 7, 158, 178, 234. [La destruction de Dresde : 13 février 1945 ; trad. Jean-Daniel Katz, Paris, Éditions J’ai lu, 1966]. La réputation d’historien d’Irving a pâti depuis de la comparaison à laquelle il a jugé bon de se livrer entre la campagne de bombardements de zone et la Shoah, qui l’a conduit à juxtaposer des chiffres exagérés du nombre de morts de Dresde (l’estimation actuelle la plus précise se situe entre 18 000 et 25 000) 76, à des sous-estimations grossières de nombre de victimes de la Shoah. Cependant, les nombreuses réimpressions du livre d’Irving durant plus de trente ans lui ont assuré une influence durable, en Allemagne plus qu’en Grande-Bretagne néanmoins. 77
Des historiens plus respectables qu’Irving ont, eux aussi, mis en doute la moralité des bombardements de zone. Hastings relève la « distinction morale essentielle entre destructions accidentelle et délibérée de vies civiles durant la guerre », ajoutant qu’il « est difficile de considérer rétrospectivement […] avec le moindre orgueil l’ouvrage d’une nuit comme la destruction de Darmstadt. » 78 Hew Strachan fait remarquer que « au cours de la Seconde Guerre mondiale, [la Grande-Bretagne] a passé outre aux normes fondamentales des lois de la guerre », tandis qu’Overy rappelait que les offensives aériennes britanniques, américaines et allemandes avaient les unes comme les autres « violé toutes les règles admises de la conduite de la guerre moderne ». Si les bombardements aveugles avaient été retirés des actes d’accusation aux procès de Nuremberg, ajoute-t-il, c’est parce que la vulnérabilité juridique des Alliés sur ce point était bien trop flagrante. 79
La critique morale la plus constante, cependant, a été le fait d’un philosophe, Anthony Grayling. Celui-ci fait reposer l’essentiel de sa thèse sur la théorie de la guerre juste : aussi juste en soi que puisse être une guerre, la mener exige que chaque acte soit indispensable et proportionné, et que l’on ait épuisé tous les autres moyens, moins destructeurs, permettant d’obtenir le résultat souhaité. 80 Si les ouvriers des usines de munitions représentent des cibles légitimes, écrit ainsi Grayling, aucun autre civil ne l’est, et la règle de proportionnalité exige que les non-combattants ne soient pas pris pour cibles, ni exposés à des risques trop graves. 81 Peu importait qu’aucune règle spécifique contre les bombardements indiscriminés n’ait été signée par toutes les parties des Conventions de La Haye avant 1939 ; la protection des civils figurait dans les dispositions générales des conventions de 1899 et 1907. 82
S’agissant des détails de la campagne de bombardements des Alliés, Grayling laisse entendre que la certitude d’une victoire alliée dès septembre prive de leur légitimité les raids entrepris après cette date. 83 Pour lui, en privilégiant les bombardements de zone par rapport aux bombardements de précision, les Britanniques avaient fait fi de la règle éthique exigeant que tous les autres moyens d’obtenir le résultat souhaité aient été épuisés. 84 Le bombardement de zone, pour Grayling, était « une grave erreur » : ni nécessaire, ni proportionné, ni conforme aux « critères moraux généraux tels que la civilisation occidentale les reconnaît et les approuve » : Hambourg (et Hiroshima) étaient tout aussi inadmissibles que les attentats du 11 septembre sur New York. Les équipages britanniques étaient formés d’hommes courageux qui accomplissaient des actes répréhensibles et auraient donc dû refuser d’obéir aux ordres. 85 Les gouvernements britanniques savaient qu’il était mal de viser des civils ; d’où leurs efforts pour dissimuler leurs actions. De même, les déclarations et accords d’après-guerre destinés à protéger les civils des bombardements, et plus particulièrement la Convention de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels de 1977, constituent un « acte d’accusation rétrospectif contre les pratiques qu’ils proscrivent. » 86
Certains des arguments de Grayling sont faciles à réfuter. Affirmer que le conflit était presque « terminé » dès septembre 1944, c’est ignorer que la défaite de l’Allemagne n’a été assurée que parce que les Alliés ont poursuivi la guerre avec détermination. Grayling exagère également la précision réelle des bombardements américains ; plusieurs raids américains sur la France, menés par ciel dégagé contre des défenses antiaériennes faibles, ont tué plus de 1 000 civils français ; les conséquences des attaques aveugles au-dessus de la Ruhr ont été encore plus dramatiques. 87 Mais la majorité des défenseurs des bombardements de zone arguent du caractère exceptionnellement odieux de l’ennemi et de l’épreuve singulière qu’avaient subie les Britanniques en 1940. Ainsi, pour Frankland, « La vraie immoralité que nous risquions en 1940 et 1941 était de perdre la guerre contre l’Allemagne d’Hitler. Renoncer à la seule arme d’attaque directe dont nous disposions nous aurait conduits à faire un grand pas en ce sens. » 88 Vu les outils technologiques disponibles, le bombardement de zone était « le dernier et unique recours du Bomber Command » 89, la seule autre solution étant de ne pas bombarder du tout. Par ailleurs, c’était les Allemands qui avaient « commencé » : « La Luftwaffe avait déjà attaqué des villes à travers toute l’Europe et nous ne faisions que leur rendre la monnaie de leur pièce. » 90 « La moralité », déclara un pilote de bombardier cité par Overy, « est un luxe qu’on peut se permettre dans un environnement de paix et de sécurité, mais il est impossible de porter des jugements moraux en temps de guerre, quand il y va de la survie nationale ». 91 Or dans le contexte des revers subis en Afrique du Nord et dans l’Atlantique en 1941-1942, les bombardements étaient la seule opération aux résultats plus ou moins positifs dont les Britanniques pouvaient se targuer. 92 Enfin aux yeux du pilote de bombardier Leonard Cheshire, as de l’aviation, la campagne de bombardements se justifiait par le fait que « chaque jour de guerre supplémentaire entraînait l’extermination de dix mille personnes de plus dans les camps de concentration » – et qu’il fallait donc l’abréger par tous les moyens possibles. 93
De nombreux commentateurs établissent un lien entre moralité et efficacité : c’est ainsi que Stephen Garrett condamne les bombardements de zone, affirmant qu’ils étaient « à la fois un crime et une erreur. » 94 Hastings adopte un point de vue comparable, en des termes plus mesurés. Mais le lien n’est pas absolu. Frankland a défendu la moralité de l’offensive tout en contestant son efficacité avant mars 1944. Overy, en revanche, qui s’est livré à certaines estimations plus positives de ses effets, n’en a pas moins rejoint Grayling en 2012 pour soutenir une motion selon laquelle que « le bombardement allié des villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale était injustifiable », alléguant que l’on aurait pu employer plus intelligemment ces ressources pour mettre au point des bombardiers légers et rapides capables de mener des raids de précision. Les partisans de l’offensive, les historiens militaires Patrick Bishop et Antony Beevor, l’ont emporté, avec 191 voix hostiles à la motion en question contre 115. Ce résultat ne peut que faire conclure à l’absence de consensus sur le sujet. Cependant, les vues des deux camps n’étaient pas intégralement opposées : Grayling estimait ainsi que le bombardement avait apporté une contribution majeure à la libération de la France, alors que Bishop comme Beevor condamnaient la poursuite des bombardements de zone après la fin de 1944. 95
Certains aviateurs eux-mêmes se prirent à douter de la moralité des bombardements, tant sur le moment que rétrospectivement. Le pilote Robert Wannop, qui bombarda Sarrebruck, jetait un regard sans complaisance sur lui-même, ce « jeune homme qui avait une épouse et une adorable petite fille et faisait pleuvoir la mort et une horreur intolérable sur des épouses et des enfants tout à fait semblable. Le pire », ajoute-t-il, « était que je n’éprouvais aucun sentiment de culpabilité, aucune répugnance face à l’atrocité de ce que je faisais. […] Mon Dieu ! Quels monstres nous étions devenus ! » 96 Un des hommes interrogés par Hastings évoquait ses cauchemars : il avait « changé de métier et commencé à enseigner à des enfants handicapés mentaux, ce qu’il considérait comme une forme de réparation. » 97 Mais les historiens ont trouvé bien plus d’anciens aviateurs mécontents de l’attitude du gouvernement, de l’opinion publique et surtout des médias. L’un d’eux ressentait ainsi « du dégoût et de la consternation » devant les « excuses serviles et moralisatrices [des journaux] en raison du bombardement des villes allemandes » le jour du quarantième anniversaire de la victoire. Un autre se disait « amer » de constater qu’« aucun homme politique n’était prêt à assumer la responsabilité » de l’offensive, permettant qu’on « ternisse » ainsi la mémoire des morts du Bomber Command. Un troisième exprimait sa loyauté envers Harris : « l’affection à son égard a grandi quand les critiques contre lui ont commencé. Nous ne protégions pas simplement Butch, nous protégions notre propre réputation. » Enfin, Miles Tripp, qui avait vu Dresde brûler et avait veillé ensuite à larguer ses bombes en rase campagne, présentait une vision détachée, bien que désabusée, de l’opinion publique : « quand quelqu’un voit sa vie menacée, il éprouve de la reconnaissance envers ceux qui le protègent. Une fois le danger passé, il a honte de constater que ses théories intellectuelles ont été aussi facilement éclipsées par une émotion ou un instinct primitif, et ceux qui l’ont aidé auparavant deviennent une cible immédiate d’hostilité due à ce sentiment de honte. » 98
La dernière partie de cet article examinera comment la culture plus générale a reflété les débats des historiens et justifié le sentiment de rejet des équipages de bombardiers.
« Moutons noirs » ou « héros oubliés » ? Le Bomber Command dans la culture populaire.
Mark Connelly a qualifié Harris et le Bomber Command de « moutons noirs de la mémoire populaire britannique de la Seconde Guerre mondiale », présentant leur offensive comme « un chapitre manquant de la mémoire publique de la Seconde Guerre mondiale ». John Nichol et Tony Rennell parlent des équipages de bombardiers comme de « héros oubliés. » 99 Ces jugements peuvent surprendre lorsqu’on songe à la culture des jeunes garçons dont nous avons parlé plus haut, et pas uniquement : Connelly lui-même a dénombré quelque 570 livres sur le Bomber Command publiés jusqu’au milieu des années 1990. 100 Cette production n’a certainement pas diminué depuis. D’autres produits culturels se sont ajoutés aux livres et des acteurs de la société civile ont encouragé la commémoration de la guerre des bombes, une entreprise qui a culminé avec l’inauguration d’un monument imposant, voire impérieux, érigé en l’honneur du Bomber Command en 2012.
Les présentations du Bomber Command destinées à un public de masse ont une longue ascendance : The Dam Busters [Les Briseurs de barrage] de Paul Brickhill, une biographie de l’escadrille d’élite 617, n’a cessé d’être réédité depuis sa publication en 1951. 101 Les documents récents que nous avons déjà cités ne représentent que la partie immergée d’un immense iceberg. 102 Elle s’appuie largement sur les déclarations des membres d’équipage des bombardiers, des jeunes gens compétents qui eurent à faire leur vie dans le monde d’après-guerre et n’eurent guère le temps de se plonger dans leurs souvenirs, mais qui, les années passant, se montrèrent bien plus disposés à témoigner. En plus de la profusion d’histoires générales, Harris possède désormais une biographie solidement étayée, positive sans être hagiographique103, le raid de l’escadrille 617 en 1943 contre les barrages de la Ruhr a fait l’objet d’un nouveau compte rendu, le premier depuis 60 ans104, et Daniel Swift a rédigé une évocation hallucinante des bases de bombardements dans les paysages plats d’Est Anglie et nous a livré des représentations littéraires de la guerre de bombardements et de la recherche de la sépulture de son grand-père en Hollande. 105 De nombreux lecteurs de ces livres, peut-on supposer, ont grandi dans les années 1960 et 1970 avec The Victor et les maquettes en plastique.
Le cinéma et la télévision ont complété la multiplication des récits écrits, malgré les difficultés évidentes que pose la représentation à l’écran de nuées de bombardiers Lancaster. Grâce notamment à un thème musical immédiatement reconnaissable, le film Les Briseurs de barrages a caracolé en tête du box-office britannique en 1955 et a figuré en soixante-huitième position sur la liste des 100 meilleurs films britanniques établie par le British Film Institute en 1999. 106 Certains des cinémas qui ont projeté Les Briseurs de barrages en 1954-1955 ont organisé des collectes pour le fonds de secours de la RAF ou ont même ouvert des bureaux de recrutement pour la RAF. 107 Mais Les Briseurs de barrages, un peu comme The Victor, représentaient un unique raid de très grande précision mené par l’escadrille d’élite du Command, et non l’envoi nocturne de formations massives contre la Ruhr ou Berlin. Ce film a fait des émules, tels que Mission 633, récit fictif d’un raid audacieux mené par une escadrille pilotant des bimoteurs Mosquito et qui était encore plus éloigné du vécu habituel des aviateurs. Pathfinders, une série télé en douze épisodes diffusée par ITV au début des années 1970 faisait théoriquement mieux : s’inspirant de récits de survivants, cette série suivait une escadrille de « Pathfinders », des « éclaireurs », chargée de marquer les cibles au début des raids. Mais ni le scénario, ni l’interprétation n’embrasèrent l’imagination du public comme l’avaient fait Les Briseurs de barrages. Harris (1989) de la BBC connut plus de succès. Ce film télé retraçait l’offensive des bombardiers par le biais de la biographie théâtralisée du commandant en chef. Interprété par l’acteur très populaire John Thaw, Harris sut séduire le public, mais ce biopic n’hésitait pas à montrer les sombres réalités de ces opérations.
Ces présentations romancées ont été complétées par des documentaires. La série de Thames Television de 1973-1974 intitulée The World at War [Le Monde en guerre] consacra le douzième de ses vingt-six épisodes aux bombardements stratégiques et proposait des séquences originales et des interviews d’aviateurs britanniques, américains et allemands, de rescapés civils allemands et de stratèges haut placés des différents camps, et notamment de Harris et Speer. Mais l’épisode 12 s’achève en avril 1944, date à laquelle l’offensive paraissait largement infructueuse. Dans la mesure où le seul reportage des épisodes suivants concernait Dresde, Le Monde en guerre penchait franchement du côté négatif. Certains documentaires ultérieurs, dont Reaping the Whirlwind (1997) de Channel 4, ont été nettement plus optimistes. Quelques productions récentes ont fait appel à des acteurs connus comme présentateurs et ont cherché à recréer certains aspects des opérations, soulignant leur difficulté. Ainsi dans Dambusters Declassified (2010), Martin Shaw, acteur de télévision chevronné, revient sur les traces de l’escadrille 617 lors de son raid contre les barrages ; ce documentaire contient également une interview de l’ancienne maîtresse du responsable de l’opération, le commandant d’aviation Guy Gibson. Dans Bomber Boys (2012), la vedette de cinéma Ewan McGregor engage son frère, pilote de la RAF, pour apprendre à piloter un Lancaster : une brève histoire du Bomber Command s’entremêle aux séances de formation de Colin McGregor. Malgré la présence dans ce film d’interviews de rescapés des raids contre Hambourg, son point culminant, on s’en doute, est le moment où les McGregor prennent enfin les airs avec l’approbation des survivants de l’escadrille 617. Malgré sa réussite commerciale, la formule court évidemment le risque de banaliser le sujet. Into the Wind (2012) de Steven Hatton est plus sérieux, et plus sensible aux dilemmes moraux des équipages, mais il n’a été présenté qu’au public plus restreint de la chaîne Yesterday.
Si dépeindre les équipages de bombardiers comme des « héros oubliés » ou comme des « moutons noirs » n’était pas dénué de fondement dans les années 1970, au début du XXIe siècle, ces allégations ne trouvaient plus guère de justification. Il est tentant d’établir une comparaison avec les souvenirs de victimes allemandes. Alors que les survivants allemands de la génération qui avait connu la guerre approchaient du terme naturel de leur vie, des ouvrages comme Der Brand [L’Incendie] (2003) de Jörg Friedrich affirmaient que l’offensive de bombardements avait été un sujet « tabou » en Allemagne – bien que ce « tabou », comme l’a prouvé Dietmar Süss soit, au moins au niveau local et régional, largement imaginaire. 108
La mémoire des bombardements a aussi été puissamment entretenue par une multitude d’acteurs de la société civile. On peut évoquer parmi ceux-ci la RAF elle-même, dont la visibilité s’est considérablement accrue depuis la guerre des Malouines en 1982. En l’occurrence et pour la première fois depuis les derniers conflits coloniaux largement passés sous silence des années 1950 et 1960, la RAF a en effet participé activement à une guerre qui s’est révélée extrêmement populaire. Son rôle dans les combats s’est poursuivi lors des deux conflits armés avec l’Irak, de la guerre du Kosovo en 1999, de la longue guerre afghane, des frappes aériennes de 2012 contre la Libye et, depuis décembre 2015, de la guerre de Syrie. Au Royaume-Uni, sa visibilité a été renforcée par l’ouverture de deux musées, à Hendon à Londres, et à Cosford dans le Shropshire. Le musée de Hendon, ouvert en 1973, a inauguré une salle du Bomber Command dix ans plus tard. Le « Battle of Britain Memorial Flight », stationné dans l’ancienne base de l’escadrille 617 à Coningsby dans le Lincolnshire, ne fait pas seulement voler les Spitfires et les Hurricanes de la Seconde Guerre mondiale, mais également l’unique Lancaster du Royaume-Uni encore en état de prendre les airs (bien que le premier Lancaster n’ait décollé que seize mois après la fin de la Bataille d’Angleterre). 109 En même temps, l’Historical Branch de la RAF a sponsorisé des conférences et des publications (l’étude de la BBSU, mais aussi Despatch de Harris et une série d’ouvrages sur l’aviation.) 110 Cette activité de commémoration organisée par la RAF elle-même est complétée par celle de l’Imperial War Museum (IWM), dont Noble Frankland a été directeur entre 1960 et 1982. La principale bibliothèque du musée abrite des collections de photos, de journaux personnels d’anciens aviateurs et de documents ayant appartenu à des officiers supérieurs de la RAF. De plus, l’IWM a ouvert en 1976 une annexe consacrée à l’aviation sur l’ancienne base de la RAF à Duxford dans le Cambridgeshire, où l’on peut voir une collection d’avions historiques et assister régulièrement à des démonstrations aériennes. 111 Le Bomber Command lui-même a tenu des réunions depuis 1949, et une Bomber Command Association a vu le jour en 1985 pour « éduquer et informer le grand public sur l’œuvre et le travail du Bomber Command ». Cette association revendiquait 6 000 membres au début du nouveau millénaire. 112
Les églises ont commémoré les bombardements par des méthodes très contrastées qui révèlent « comment le souvenir de la Seconde Guerre mondiale a pu être fragmenté et régionalisé. » 113 D’un bout à l’autre de l’Est Anglie, les équipages du Bomber Command en service sur des bases voisines sont célébrés sur des vitraux, dont la plupart datent des années 1950. On peut ainsi voir des bombardiers à côté d’anges dans les cathédrales d’Ely et de Lincoln ; dans l’église de Great Yarmouth (qui a essuyé plusieurs raids allemands), un vitrail porte la devise du Bomber Command – « Strike hard, strike sure » (« Frappe dur, frappe sûr »). Un site plus connu, car plus international, est celui de Coventry, qui symbolise le Blitz allemand contre l’Angleterre presque aussi puissamment que Dresde l’offensive alliée contre l’Allemagne. Les deux villes sont d’ailleurs jumelées, et 13 février 2000, premier anniversaire du raid contre Dresde du nouveau millénaire, l’évêque de Coventry, lors d’un sermon prononcé dans la Kreuzkirche de Dresde, a déclaré que « la guerre d’Hitler avait déclenché une tornade qui nous a tous balayés. La dynamique de la guerre a balayé nos inhibitions. Quand les forces aériennes britanniques et américaines ont détruit Dresde, nous avions refoulé nos principes moraux. » 114
Trois clous provenant de la toiture de la cathédrale Saint-Michel de Coventry, pliés ensemble en forme de croix, sont devenus depuis 1945 le symbole de la restauration de la cathédrale, un symbole réaffirmé lorsque l’édifice reconstruit a été consacré en 1962. La Communauté de la Croix de Clous, dont le siège est situé dans la nouvelle cathédrale Saint-Michel, possède des églises associées dans 27 pays, dont 63 en Allemagne. 115 En 1993, dans le sillage de la réunification allemande, le Dresden Trust a été fondé en Grande-Bretagne avec pour objectif majeur de participer à la reconstruction de la Frauenkirche de Dresde, restée en ruines sous le régime de la RDA, l’objectif secondaire, plus général, étant d’encourager et de perpétuer la réconciliation. 116
Le Bomber Command a, aussi et enfin, inspiré des monuments commémoratifs visibles. Le 31 mai 1992, cinquantième anniversaire du raid de mille bombardiers contre Cologne, la reine mère a inauguré une statue de Harris (au milieu de bruyantes protestations) devant St Clement Danes, l’église centrale de la RAF sur le Strand, à Londres. Le mémorial du Bomber Command dans Green Park, inauguré par la reine le 28 juin 2012, était nettement plus ambitieux. En dépit de leur patronage royal, ces deux monuments n’ont pas été financés par des fonds gouvernementaux mais par des souscriptions publiques, d’un montant de huit millions de livres pour celui de Green Park. 117 La campagne en faveur de ce monument, menée par la Bomber Command Association, a obtenu le soutien de sources extrêmement diverses : Robin Gibb, leader des Bee Gees dans les années 1960 et 1970, des historiens populaires comme Kevin Wilson et Patrick Bishop, qui reprochaient au gouvernement de ne pas avoir encouragé la construction d’un mémorial pour éviter, disaient-ils, de compromettre les relations anglo-allemandes, 118 la presse eurosceptique de droite (le Daily Telegraph et surtout le Daily Express et le Daily Mail) auxquels il faut ajouter des mécènes issus de la droite politique comme lord Ashcroft, ancien vice-président du parti conservateur, qui a offert un million de livres. 119 Peu de commémorations de la guerre ont été aussi marquées politiquement.
Le pompeux édifice de Green Park n’est pas un cas isolé. Sur le sentier littoral de Beachy Head, le cap Béveziers, un autre monument, d’une modestie presque ostentatoire, d’un mètre de large sur deux de long, marque l’emplacement de la dernière image de l’Angleterre qu’ont eue de nombreux équipages de bombardiers qui partaient vers le sud, tandis qu’à Lincoln, à proximité du quartier général du groupe n° 5 du Bomber Command, une flèche de 31 mètres de haut et une série de murs du souvenir inaugurés en octobre 2015 forment le cœur de ce qui sera un International Bomber Command Centre. En 2015, donc, trop tardivement pour de nombreux aviateurs, la vague de commémoration a valu à la Grande-Bretagne non pas un mémorial du Bomber Command, mais trois.
En guise de conclusion
Si la guerre de bombardements est restée l’aspect le plus litigieux de la contribution de la Grande-Bretagne à la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas parce qu’elle a été « oubliée », un terme qui s’appliquerait plus pertinemment à une grande partie de la guerre d’Extrême-Orient. Elle a surtout été contestée en raison de l’abîme séparant l’exceptionnelle bravoure des jeunes gens qui ont servi dans le Bomber Command et l’horreur qui s’est abattue, de leur fait, sur la population civile allemande. Célébrer le courage des équipages revient à minimiser les souffrances des civils qui ont été tués ; affirmer clairement que cette campagne de bombardements a violé les lois et les règles de la guerre entre êtres humains civilisés déprécie l’héroïsme des pilotes. L’extraordinaire difficulté que l’on a à combler cet abîme explique le malaise de certains aviateurs eux-mêmes. Et l’exercice est encore plus ardu, comme l’observe Süss, si l’on tient compte du contexte international. Cherchant à favoriser un sentiment de victimisation nationale, des Allemands se sont jetés sur l’histoire officielle et sur les plus sceptiques des comptes rendus britanniques. Quant aux efforts de réconciliation entrepris par les églises britanniques, ils risquent d’établir une équivalence morale entre les deux camps. 120
Vers la fin de la guerre, au grand désarroi des équipages et de leur commandant en chef, les gouvernements sont brutalement revenus sur l’énergique soutien accordé à l’offensive du Bomber Command pendant cinq ans. En même temps, les études sur les bombardements entreprises après la guerre par les Britanniques et par les Américains, confirmées par l’histoire officielle britannique ultérieure, ont conclu que les bombardements n’avaient pas été, et de loin, aussi efficaces que leurs partisans avaient bien voulu le dire, alors que le message de réconciliation adressé depuis Coventry, dans un pays où l’Église jouait encore un grand rôle comme leader d’opinion, entraîna un rejet éthique de la campagne de bombardements. Le Royaume-Uni ne fut jamais plus près d’un consensus hostile à ces bombardements qu’en cette période des années 1960 et 1970. Cependant, ce consensus n’a jamais été universel et n’a pas empêché la publication de l’histoire de la RAF de Richards et Saunders, ni l’immense audience des Briseurs de barrages, livre et film, auprès d’un public de tous âges, ni la popularité des bandes dessinées de guerre et des maquettes d’avions auprès des jeunes garçons. L’histoire a été réécrite dans les années 1990 et le bilan de cette offensive a été réévalué. Sans créer de nouveau consensus moral, même entre historiens, cette revalorisation a suggéré que le Bomber Command avait apporté une contribution significative à la victoire. Cette affirmation, et la plus grande visibilité tant des forces armées en général que de la RAF en particulier, ont permis de célébrer plus aisément les réalisations du Bomber Command. L’éloge des équipages a ainsi trouvé place dans une vaste gamme de productions littéraires ou autres, les efforts de l’association du Bomber Command rencontrant un accueil favorable dans la société civile en général. Ce phénomène a culminé avec la commémoration triomphante du Bomber Command dans Green Park. Il est à craindre pourtant que ce mémorial ait à la fois mobilisé et renforcé les eurosceptiques de droite au sein de la société civile – en particulier de la presse de droite – et que les souvenirs du Bomber Command aient été pris en otages par une entreprise chauvine et repliée sur elle-même. Pour les aviateurs qui rejoignirent le Bomber Command afin d’assurer, non seulement la victoire alliée, mais l’avènement d’une Europe réconciliée et en paix avec elle-même, ce serait une trahison.
Le vitrail du Bomber Command, cathédrale de Lincoln
http://www.geograph.org.uk/photo/3654680
Détail du vitrail du Bomber Command, cathédrale d’Ely
http://www.alamy.com/stock-photo-ely-cathedral-bomber-command-window-24157865.html
Détail du vitrail du Bomber Command, église de Great Yarmouth
http://en.tracesofwar.com/article/45963/Memorial-Window-RAF-Bomber-Command.html
La reine inaugure le mémorial du Bomber Command, Green Park, juin 2012
http://www.bbc.co.uk/news/uk-18600871
Le monument du Lincoln International Bomber Command Centre
http://www.lincolnshireecho.co.uk/pictures/GALLERY-International-Bomber-Command-Memorial/pictures-27910307-detail/pictures.html
L’inauguration du monument du Bomber Command à Beachy Head, avril 2013
http://www.theargus.co.uk/news/10387319.Bomber_Command_tribute_is_unveiled_at_Beachy_Head/
La statue de sir Arthur Harris devant l’église St Clement Dane’s, Londres
http://www.visualphotos.com/image/1x10546675/london-england-uk-statue-of-sir-arthur-bomber-harris-1992-by-st-clement-danes-church-the-strand
Graffiti de membres d’équipages de bombardiers conservés sur un plafond de l’Eagle pub, Cambridge
http://www.geograph.org.uk/photo/3420989
Une des nombreuses versions du bombardier Lancaster disponible sous forme de maquette Airfix
http://www.airfix.com/uk-en/the-dambusters-avro-lancaster-b-iii-special-operation-chastise-gift-set-1-72.html
- 1. John Ramsden, « Myths and Realities of the “People’s War”, in Britain », in Jörg Echternkamp et Stefan Martens éd., Experience and Memory : the Second World War in Europe, Oxford, Berghahn, 2010, p. 40-52.
- 2. John Foot, Italy’s Divided Memory, Basingstoke, Palgrave, 2009.
- 3. Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy, 1944-1987, Paris, Seuil, 1987 ; voir aussi Olivier Wieviorka, La Mémoire désunie : le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, Paris, Seuil, 2010.
- 4. Angus Calder, The Myth of the Blitz, Londres, Jonathan Cape, 1991.
- 5. Martin Middlebrook et Chris Everitt, The Bomber Command War Diaries, 1939–1945, Leicester : Midland Publishing, 2000, (1re éd. Londres, Viking, 1985), p. 708, 711.
- 6. Chiffres du Strategic Bombing Survey des États-Unis, Volume 2A : Statistical Appendix to Over-All Report (European War), Chart 1, http://www.wwiiarchives.net/servlet/action/document/page/113/12/0 (consulté le 16 novembre 2015). Après conversion, le total de 2 770 540 tonnes américaines donne 2 513 770 tonnes en système métrique.
- 7. Dietmar Süss, Death from the Skies : How the British and Germans Survived Bombing in World War II, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 6.
- 8. Claudia Baldoli et Andrew Knapp, Forgotten Blitzes : France and Germany under Allied Air Attack, Londres, Continuum, 2012, p. 3, 261-262.
- 9. Cf. Middlebrook et Everitt, Bomber Command War Diaries, p. 413-414, 440, 580-581, 669, 682 ; Max Hastings, Bomber Command, Londres, Michael Joseph, 1979, p. 325; Sönke Neitzel, « The City Under Attack », in Paul Addison et Jeremy A. Crang , éd., Firestorm : the Bombing of Dresden, 1945, Londres, Pimlico, 2006, p. 66-77; p. 75.
- 10. The National Archives of the United Kingdom, Kew (par la suite TNA) : AIR2/7852; Harris au sous-secrétaire d’État, ministère de l’Aviation, 25 octobre 1943. On trouvera des extraits de cet échange dans Tami Davis Biddle, Rhetoric and Reality in Air Warfare : The Evolution of British and American Ideas about Strategic Bombing, 1914–1945, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 219-221.
- 11. Pour un exposé plus général de la couverture de la presse écrite et de la radio pendant la guerre, voir Andrew Knapp, « The Allied Bombing Offensive in the British Media, 1942–45 », in Andrew Knapp et Hilary Footitt , éd. Liberal Democracies at War : Conflict and Representation, Londres, Bloomsbury, 2013, p. 39-65.
- 12. The National Archives of the United Kingdom, Kew (TNA) AIR 2/7852, Harris au sous-secrétaire d’État, ministère de l’Aviation, 23 décembre 1943.
- 13. Noble Frankland, « Some Thoughts about and Experience of Official Military History », Journal of the Royal Air Force Historical Society, 17, 1997, p. 20.
- 14. Hastings, Bomber Command, p. 343-4 ; Henry Probert, Bomber Harris. His Life and Times, Londres, Greenhill Books, 2001, p. 344-345, 361-362. Harris fut néanmoins promu au rang de maréchal de la Royal Air Force, le plus haut rang de la RAF.
- 15. Sir Arthur Harris, Despatch on War Operations, 23rd February, 1942 to 8th May, 1945, Londres, Frank Cass, 1995.
- 16. Sebastian Cox, éd., British Bombing Survey Unit, The Strategic Air War Against Germany, 1939-1945. The Official Report of the British Bombing Survey Unit, Londres, Frank Cass, 1998, p.166.
- 17. Noble Frankland, History at War. The Campaigns of an Historian, Londres, Gilles de la Mare, 1998, p. 106-113.
- 18. Cf. Probert, Bomber Harris, p. 417.
- 19. Patrick Bishop, Bomber Boys. Fighting Back, 1940-1945, Londres, HarperPress, 2007, p. 366-389.
- 20. Adam Riches, avec Tim Parker et Robert Frankland, When the Comics Went to War. Comic Book War Heroes, Edinburgh, Mainstream Publishing, 2009, p.10 ; The Independent 11 novembre 2011.
- 21. Riches, When the Comics, p. 10, 128, 154, 220.
- 22. The Victor, 59, 7 avril 1962; 1309, 22 mars 1986.
- 23. Michael Paris, Warrior Nation. Images of War in British Popular Culture, 1850-2000, Londres, Reaktion Books, 2000, p. 234-235.
- 24. Mark Connelly, We Can Take It! Britain and the Memory of the Second World War, Harlow, Pearson Longman, 2004, p. 240 ; Paris, Warrior Nation, p. 235-236.
- 25. The Independent, 11 novembre 2011: http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/books/news/50-years-of-war-adaptable-commando-comic-still-going-strong-2335027.html, consulté le 19 novembre 2015.
- 26. Morris Heggie éd., The Best of the Victor. 50th Anniversary Edition, Londres, Prion, 2010. Andy McNab, Introduction, p.4.
- 27. http://www.airfix.com/uk-en/catalogsearch/result/?q=lancaster, consulté le 19 novembre 2015.
- 28. Sebastian Cox, « The Overall Report in Retrospect », in BBSU, The Strategic Air War, p. xxxix.
- 29. BBSU, The Strategic Air War, p. 79.
- 30. Cox, « The Overall Report in Retrospect », p. xxiii.
- 31. BBSU, The Strategic Air War, p. 69.
- 32. Sir Arthur Harris, Bomber Offensive, Londres, Greenhill Books, 1990 : 1re éd. Londres, Collins, 1947. [Les Bombardiers attaquent, trad. P. Martin, Paris, Plon, 1949].
- 33. Ibid., p. 265-267.
- 34. Ibid., p. 259-264.
- 35. Ibid., p. 78; Hastings, Bomber Command, p. 259.
- 36. Harris, Bomber Offensive, p. 89.
- 37. Denis Richards et Hilary St George Saunders, The Royal Air Force 1939–45, vol. III, The Fight is Won, Londres, HMSO, 1975, 1re éd. 1954, p. 10, 270.
- 38. Ibid., p. 381-391.
- 39. Sir Charles Webster et Noble Frankland, The Strategic Air Offensive Against Germany, 1939–1945, 4 vols., Londres, HMSO, 1961.
- 40. Webster et Frankland, Strategic Air Offensive, vol. III, p. 290. Les italiques sont de moi.
- 41. Ibid., p. 298.
- 42. Ibid., p.103, 117.
- 43. Ibid., p. 306.
- 44. Frankland, History at War, p. 108-9.
- 45. Webster et Frankland, Strategic Air Offensive, vol. III, p. 294.
- 46. Webster et Frankland, Strategic Air Offensive, vol. III, p. 40, 291-294.
- 47. Frankland, History at War, p. 67.
- 48. Noble Frankland, « Overview of the Campaign », in Royal Air Force Historical Society, Reaping the Whirlwind. Bracknell Paper no. 4. A Symposium on the Strategic Bomber Offensive, 1939-45, 1993, p. 3-8: p. 5: http://www.rafmuseum.org.uk/documents/Research/RAF-Historical-Society-Journals/Bracknell-No-4-The-Bomber-Offensive.pdf, consulté le 20 novembre 2015
- 49. Frankland, History at War, p. 70.
- 50. Frankland, « Overview of the Campaign », p.8.
- 51. Basil Liddell Hart, History of the Second World War (London: Cassell, 1970), p. 612. [Histoire de la seconde guerre mondiale, trad. Jean-Paul Constantin, Paris, Fayard, 1973, p. 616.]
- 52. Martin Middlebrook, The Nuremberg Raid, 30-31 March 1944, Londres, Penguin, 1986 (1re éd. 1973) ; The Battle of Hamburg. The Firestorm Raid, Londres, Cassell, 2000 (1e éd. Allen Lane, 1980); The Schweinfurt-Regensburg Mission : American Raids on 17 August 1943, Londres, Cassell, 2000 (1e éd. Allen Lane, 1983) The Berlin Raids. The Bomber Command Winter, 1943-44, Londres, Cassell, 2000 (1e éd., Allen Lane, 1988.)
- 53. Cf. Middlebrook et Everitt, Bomber Command War Diaries.
- 54. Hastings, Bomber Command, p. 350-352.
- 55. Richard Overy, The Air War 1939-1945, Washington, D.C., Potomac Books, 2005 (1e éd. Londres, Europa, 1980); Richard Overy, War and Economy in the Third Reich, Oxford, Oxford University Press, 1994.
- 56. Overy, War and Economy, p.373-4.
- 57. Adam Tooze, The Wages of Destruction. The Making and Breaking of the Nazi Economy, Londres, Penguin, 2007 (1re éd. Allen Lane, 2007), p. 598-601. [Le salaire de la destruction : formation et ruine de l'économie nazie, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, les Belles lettres, 2012.]
- 58. Overy, The Air War, p. 122.
- 59. Richard Overy, Why the Allies Won, Londres, Pimlico, 1996 (1re éd., Jonathan Cape, 1995), p. 133; Richard Overy, Bomber Command 1939-1945, London, HarperCollins, 1997, p. 197.
- 60. Cox, « The Overall Report in Retrospect », p. xxx.
- 61. Mark Connelly, Reaching for the Stars. A New History of Bomber Command in World War II, Londres, I.B. Tauris, 2001.
- 62. Denis Richards, RAF Bomber Command in the Second World War : the Hardest Victory, Londres, Penguin, 2001 (1e éd. New York, W.W. Norton, 1995), p. 220; Robin Neillands, The Bomber War. Arthur Harris and the Allied Bomber Offensive 1939–1945, Londres, John Murray, 2001, p. 292.
- 63. David Edgerton, England and the Aeroplane. Militarisation, Modernity and Machines, Londres, Penguin, 2013 (1re éd. Basingstoke, Macmillan, 1991), p. 130.
- 64. David Edgerton, Britain’s War Machine. Weapons, Resources and Experts in the Second World War, Londres, Penguin 2012 (1re éd. Allen Lane, 2011), p. 283-290.
- 65. Richard Overy, The Bombing War. Europe 1939-1945, Londres, Allen Lane, 2013. [Sous les bombes : nouvelle histoire de la guerre aérienne 1939-1945, trad. S. Weiss, Paris, Flammarion, 2014].
- 66. Sur le sujet, voir aussi Claudia Baldoli, Andrew Knapp, et Richard Overy (éd.) Bombing, States and Peoples in Western Europe, 1940-1945, Londres, Continuum, 2011.
- 67. Overy, The Bombing War, p. 609.
- 68. Ibid., p. 48, 328-337, 629.
- 69. Les comptes rendus de l’immédiat après-guerre ne se préoccupent pas exclusivement d’efficacité ; c’est en revanche le cas de l’histoire officielle (Webster et Frankland, Strategic Air Offensive, vol. III, p.114), mais indirectement, dans sa discussion sur les effets politiques du bombardement de Dresde.
- 70. Chose intéressante, la vision française était très différente. Les Français ont estimé que si les Américains procédaient à des bombardements aveugles, les Britanniques prenaient les mesures nécessaires pour minimiser les pertes au sein de la population civile française. Cette image reflète une réalité partielle. Les Américains ayant une grande confiance dans leur capacité d’effectuer des bombardements de précision, ils bombardèrent la France d’une manière très semblable à l’Allemagne, avec moins de bombes incendiaires toutefois ; les Britanniques, en revanche, conscients de ne pas pouvoir infliger aux villes françaises les bombardements qu’ils infligeaient aux villes allemandes, modifièrent leurs techniques et survolaient généralement les cibles françaises un peu plus bas. Cependant, quand les Britanniques manquaient leur cible ou lançaient des attaques de très grande ampleur (comme sur Le Havre en septembre 1944), les résultats pouvaient être tout aussi, voire plus dévastateurs encore que ceux des bombardements américains.
- 71. Cf. Tami Davis Biddle, « Wartime Reactions », in Paul Addison et Jeremy A. Crang, éd., Firestorm : the Bombing of Dresden, 1945, Londres, Pimlico, 2006, p. 96-122 : p. 105-106.
- 72. Cecil King, With Malice Towards None : a War Diary, Londres, Sidgwick and Jackson, 1970, p. 290 ; Webster et Frankland, Strategic Air Offensive, vol. III, p. 112-113.
- 73. Richard Overy, « The Post-War Debate », in Paul Addison et Jeremy A. Crang, éd. Firestorm : the Bombing of Dresden, 194, Londres, Pimlico, 2006, p.123-142 : p. 124, 127-128.
- 74. Harris, Bomber Offensive, p. 242.
- 75. Cf. in Paul Addison et Jeremy A. Crang , éd., Firestorm : the Bombing of Dresden, 1945, Londres, Pimlico, 2006 : Hew Strachan, « Strategic Bombing and the Question of Civilian Casualties up to 1945 », p.1-17: p. 16; Tami Davis Biddle, « Wartime Reactions », p.122; Donald Bloxham, « Dresden as a War Crime », p. 180-208 : p. 181, 208; Dietmar Suss, « The Air War, the Public, and Cycles of Memory », in Jörg Echternkamp et Stefan Martens, éd. Experience and Memory : the Second World War in Europe, Oxford, Berghahn, 2010, p. 180-196 ; p. 185.
- 76. Dietmar Süss, Death from the Skies : How the British and Germans Survived Bombing in World War II, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 521.
- 77. Overy, « The Post-War Debate », p. 139-140. Overy souligne, par exemple, que le spécialiste suédois du contrôle des armements, Hans Blix, a repris le chiffre de 135 000 indiqué par Irving pour préparer les protocoles additionnels de 1977 à la Convention de Genève.
- 78. Hastings, Bomber Command, p. 351.
- 79. Strachan, « Strategic Bombing », p. 2 ; Overy, The Bombing War, p. 630.
- 80. A.C. Grayling, Among the Dead Cities, Londres, Bloomsbury, 2006, p. 210-214.
- 81. Ibid., p. 228, 250, 258.
- 82. Sur ce point, et plus particulièrement sur ce qu’on appelle la « clause de Martens », cf. également Overy, The Bombing War, p. 801-802; Geoffrey Best, Humanity in Warfare : the Modern History of the International Law of Armed Conflicts, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1980) p. 262-268; Horst Boog, « Harris – a German View », in Harris, Despatch on War Operations, p. XXXVII-XLV; et Antonio Cassese, « The Martens Clause : Half a Loaf or Simply Pie in the Sky? », European Journal of International Law, Vol. 11 N° 1, 2000, p. 187–216: http://www.ejil.org/pdfs/11/1/511.pdf consulté le 24 novembre 2015.
- 83. Ibid., p. 69, 264.
- 84. Ibid., p. 267.
- 85. Ibid., p.276-9.
- 86. Ibid., p.141, 229.
- 87. Cf. Biddle, Rhetoric and Reality, p. 228-9. Les raids contre Nantes le 16 septembre 1943 et contre Saint Étienne le 26 mai 1944 ont tué respectivement plus de mille civils ; celui qui a eu lieu sur Marseille le 27 mai 1944 a fait plus de 1 800 morts.
- 88. Noble Frankland, cité dans Bishop, Bomber Boys, p. 382.
- 89. Webster et Frankland, Strategic Air Offensive, vol. I, p. 180.
- 90. Air Vice-Marshal Jack Furner, in RAF Historical Society, Reaping the Whirlwind. Bracknell Paper no. 4. A Symposium on the Strategic Bomber Offensive, 1939-45, 1993, p. 63.
- 91. Patterson, cité dans Overy, Bomber Command 1939-1945, p. 201.
- 92. Sir John Curtiss, in RAF Historical Society, Reaping the Whirlwind, p. 63.
- 93. Interview de Leonard Cheshire, citée dans RAF Historical Society, Reaping the Whirlwind, p. 85.
- 94. Stephen Garrett, Ethics and Airpower in World War II : The British Bombing of German Cities, New York, St Martin’s Press, 1997, p.198.
- 95. Intelligence, « The Allied bombing of German cities in World War II was unjustifiable », débat organisé au Royal Institute of British Architects, Londres 25 octobre 2012, sur http://www.intelligencesquared.com/events/bomber-command/, consulté le 23 novembre 2012.
- 96. John Nichol et Tony Rennell, Tail-End Charlies. The Last Battles of the Bomber War, 1944-45, Londres, Penguin, 2004, p.200.
- 97. Hastings, Bomber Command, p. 352.
- 98. Nichol et Rennell, Tail-End Charlies, p. 405-9.
- 99. Connelly, Reaching for the Stars, p. 157; Connelly, We Can Take It!, p. 256; Nichol et Rennell, Tail-End Charlies, p. 405.
- 100. Connelly, Reaching for the Stars, p. 147.
- 101. Paul Brickhill, The Dam Busters (Basingstoke : Pan Macmillan, 1983 (1re éd. Evans Brothers, 1951). [Les Briseurs de barrages trad. Max Roth. Paris, Flammarion, 1954].
- 102. Parmi de nombreux autres ouvrages, l’iceberg comprend, par ordre plus ou moins chronologique : Mel Rolfe, éd. Hell on Earth. Dramatic First-Hand Experiences of Bomber Command at War, Londres, Grub Street, 1999 ; la trilogie de Kevin Wilson, Bomber Boys, Men of Air, and Journey’s End, Londres, Weidenfeld and Nicolson, et Cassell, 2005-2011 ; Rupert Matthews, RAF Bomber Command at War, Londres, Hale Books, 2009; Roy Irons, The Relentless Offensive : War and Bomber Command 1939-1945, Barnsley, Pen and Sword, 2009.
- 103. Cf. Probert, Bomber Harris.
- 104. James Holland, Dam Busters. The Raid to Smash the Dams 1943, Londres, Corgi, 2013 (1re éd Bantam Press, 2012).
- 105. Daniel Swift, Bomber County. The Lost Airmen of World War Two Londres, Penguin, 2011 (1re éd. Londres, Hamish Hamilton, 2010).
- 106. Voir http://www.cinemarealm.com/best-of-cinema/top-100-british-films/, consulté le 24 novembre 2015.
- 107. Paris, Warrior Nation, p. 226; Süss, Death from the Skies, p. 466-467.
- 108. Jörg Friedrich, L’Incendie, l’Allemagne sous les bombes, Paris, de Fallois, 2004 (1re éd., Munich, 2002); Süss, Death from the Skies, p. 518-519.
- 109. http://www.raf.mod.uk/bbmf/, consulté le 24 novembre 2015.
- 110. http://www.raf.mod.uk/ahb/, consulté le 24 novembre 2015.
- 111. http://www.iwm.org.uk/visits/iwm-duxford, consulté le 24 novembre 2015.
- 112. Süss, Death from the Skies, p. 461; http://www.rafbombercommand.com/master_the_association.html, consulté le 24 novembre 2015.
- 113. Süss, Death from the Skies, p. 467-468.
- 114. Cité dans Alan Russell, « Why Dresden Matters », in Paul Addison et Jeremy A. Crang éd., Firestorm : the Bombing of Dresden, 1945, Londres, Pimlico, 2006, 161-179 : p. 164.
- 115. http://www.coventrycathedral.org.uk/ccn/our-partners/, consulté le 24 novembre 2015.
- 116. Russell, « Why Dresden Matters », p.168-172.
- 117. https://www.rafbf.org/bomber-command-memorial/upkeep-club, consulté le 24 novembre 2015.
- 118. Kevin Wilson, Journey’s End. Bomber Command’s Battle from Arnhem to Dresden and Beyond, Londres, Phoenix, 2011 (1re éd. Londres, Weidenfeld and Nicolson, 2010), p. 405; Bishop, Bomber Boys (« About the Author », p. 6).
- 119. Daily Mail, 24 mars 2015.
- 120. Süss, Death from the Skies, p. 472, 495.