La guerre civile au Liban
Vue générale
Les guerres successives et imbriquées qui ravagent le Liban et frappent ses populations entre 1975 et 1990 préfigurent à de nombreux égards les conflits civils qui vont éclater dans les décennies suivantes aux marges d’anciens empires européens. Dans les États nouvellement formés sur ces empires démantelés, l’identité nationale est objet de contestations entre communautés locales religieuses, confessionnelles ou ethnolinguistiques autant que de stratégies d’instrumentalisation de la part de nouvelles élites en compétition.
Plus spécifiquement, au Proche-Orient arabe, la fragilité du lien entre société et territoire, héritage d’anciennes pratiques nomades, explique la fluidité des frontières identitaires et suscite des revendications concurrentes voire des tensions dans les zones de contact. Au Liban même, les populations ont connu dans la seconde moitié du XIXe siècle d’importantes migrations économiques (en raison de la surpopulation des régions maronites et de graves sécheresses) et politiques (en réaction à la condition minoritaire et à la répression des mouvements nationalistes dans l’Empire ottoman). Quelques décennies à peine après la formation de l’État (1920) et 30 ans après son indépendance (1943), l’appartenance nationale reste concurrencée par les solidarités claniques, les identités confessionnelles et les intérêts régionaux. Un pouvoir faible, partagé entre chefs de communauté, n’est pas parvenu à asseoir la souveraineté de l’État. La société, segmentée par ses appartenances primordiales et soumise aux chefs des grandes familles qui s’érigent en entrepreneurs d’identité, ne peut promouvoir ses intérêts communs ni nouer des liens de solidarité horizontaux. Plutôt qu’un système d’équilibre garantissant la paix, le partage communautaire est vécu comme un jeu à somme nulle.
Lorsque des désaccords majeurs divisent la classe politique dans les années 1970, sur l’orientation de l’économie nationale et sur l’engagement aux côtés des Palestiniens dans la lutte contre Israël, l’État n’est plus le lieu d’exercice du pouvoir et devient une arène de conflits. L’armée et la police n’assurent plus l’ordre public et la sécurité, elles sont fragmentées et cooptées par des factions rivales, bientôt associées à des organisations paralégales. En miroir, la distinction entre hommes en armes et civils s’efface : près d’un Libanais de sexe masculin sur 30 est engagé dans une milice à un moment ou un autre de la guerre civile. La violence frappe les populations désarmées : les combats font plusieurs dizaines de milliers de victimes collatérales. Mais la violence cible aussi les civils intentionnellement, dans une volonté de vengeance inspirée de la justice tribale (Jamous, 2004), dans une stratégie de terreur et de dissuasion de l’adversaire (Gilsenan, 1996) dans un processus d’instrumentalisation de la construction identitaire (Picard, 1994b), si bien que la guerre du Liban fait dix fois plus de victimes civiles que de victimes militaires.
La guerre civile libanaise de 1975-1990 s’inscrit dans une généalogie traumatique : en 1841-1842, puis à nouveau en 1860, le Mont Liban ottoman a été le théâtre de massacres de près de 11 000 chrétiens par les druzes (Fawaz, 1994 : 226). L’autonomie du district (sanjaq) imposée aux Ottomans par les puissances occidentales avec le Règlement organique de 1860, puis la Rrépublique instaurée par la France mandataire de la Société des nations (SDN) en 1926 ont organisé le partage du pouvoir selon des quotas attribués à chaque groupe confessionnel. Ces conventions internationales ont et dicté le déni consensuel des désaccords et des violences passées. En 1943, la mémoire officielle du Liban devenu indépendant met en exergue le « pacte national » conclu alors entre dirigeants maronites et sunnites afin de neutraliser les attachements occidentaux des premiers et les aspirations panarabes des seconds. La « Suisse du Proche-Orient » bénéficie d’une rapide croissance économique dans les années 1950 et 1960. Elle se distingue de son environnement régional par son libéralisme politique et économique, et s’affiche comme un modèle de « démocratie de consensus ». Un discours unanimiste refoule dans les consciences privées les souvenirs des violences communautaires de 1841 et 1860. Fantasmés, déshistoricisés, ces souvenirs offriront des cadres d’interprétation dissonants à la guerre civile de 1975-1990 (de Clerck, 2010).
Trois éléments se combinent, qui nourrissent la conflictualité resurgie dans le dernier quart du XXe siècle : d’abord, le choix par les élites politiques d’un État minimal, arène de compétition et de partage des prébendes entre leaders des segments confessionnels plutôt que lieu de formulation et de mise en œuvre de politiques publiques. Le Liban n’a pas de politique étrangère nationale. Les chefs de clan et les partis communautaires définissent séparément et concurremment les enjeux stratégiques du pays. Les forces armées et la police sont peu nombreuses, mal armées et loyales envers les leaders confessionnels plus qu’envers l’État, la doctrine officielle étant que cette faiblesse fait la « force » du pays en le mettant à l’abri des rivalités régionales et du conflit israélo-arabe depuis la défaite arabe de 1948-1949 à laquelle il a pris part. Pour compenser ce déficit d’État et en l’aggravant, chaque communauté locale, confessionnelle ou familiale s’arroge une mission d’autodéfense, achète des armes à l’étranger et s’entraîne clandestinement à partir des années 1960.
Ensuite, le laisser-faire étatique s’exerce dans le champ socio-économique, offrant un régime ultra-libéral aux activités bancaires et transitaires de Beyrouth, indexées sur la fabuleuse croissance pétrolière des monarchies du Golfe (Gates, 1998). En l’absence d’un État social et de planification, les disparités de revenu entre le centre et les périphéries de ce pays de 10 400 km2 se creusent. La paupérisation des régions rurales déverse dans la « ceinture de misère » qui cerne Beyrouth plusieurs centaines de milliers de travailleurs précaires avec leur famille (Dubar et Nasr, 1976). Les Églises, les mosquées, les associations pieuses se substituent à l’administration publique défaillante dans le domaine de l’éducation, de la santé et dans la prise en charge des nécessités de base, resocialisant les néo-urbains dans un cadre confessionnel – prélude à la fragmentation sociétale de la période de guerre (Khuri, 1975).
Surtout, le Liban est une très petite entité – environ quatre millions
d’habitants en 1975 dont 300 000 réfugiés palestiniens (Brynen, 1990 : 25) – enclavée entre la Syrie et Israël et donc tributaire du conflit résultant de la dépossession et de l’exil forcé des Palestiniens en 1948-1949 et à nouveau en 1967. En 1958, la République arabe unie de Nasser a soutenu, depuis la Syrie voisine, les insurgés chrétiens et musulmans dans la courte guerre civile (mai-octobre) qui les a opposés au président Chamoun qui avait accepté la doctrine Eisenhower de lutte contre le communisme et au secours duquel un débarquement de Marines fut opéré (15 juillet-30 septembre 1958). Après la défaite de juin 1967, les dirigeants arabes ont encouragé l’installation au Liban de la direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de plusieurs centaines de fidayîn (militants armés) expulsés de Jordanie après leur insurrection contre la monarchie hachémite en septembre 1970 (« Septembre noir »). Société ouverte, État faible, le Liban devient le dernier champ de bataille israélo-arabe d’autant que l’accord libano-palestinien du Caire du 3 novembre 1969 garantit un espace territorial et juridique d’autonomie à la résistance palestinienne, suscitant des représailles israéliennes meurtrières dans les régions frontalières et jusqu’à Beyrouth (assassinat de trois leaders de l’OLP rue Verdun à Beyrouth le 11 avril 1973).
Fracture sociale et conflit régional se conjuguent pour provoquer à l’intérieur du Liban une fracture politique et stratégique : d’un côté, le Mouvement national – coalition de partis et de mouvements politiques « progressistes » fondée en 1975, regroupant majoritairement des musulmans – solidaire des Palestiniens et favorable à un rééquilibrage confessionnel des pouvoirs par une réforme des institutions ou par la révolution ; de l’autre, le Front libanais partisan d’un État sécuritaire fort qui désarmerait les Palestiniens, favorable à un laisser-faire ultra-libéral dans le champ économique, qui réunit majoritairement des chrétiens. La classe politique se divise lorsque l’armée intervient sans succès contre les combattants de l’OLP du 2 au 17 mai 1973, puis réprime des manifestations de la gauche et des Palestiniens à Saïda du 23 au 28 février 1975 (trois morts, cinq blessés), suscitant la paralysie des forces armées officielles qui se diviseront sur une base confessionnelle dans les deux années suivantes. Entre le 13 avril 1975 (attaque d’un bus transportant des Palestiniens par des militants du parti chrétien des Kataëb à Aïn el-Remmaneh) et le 5 décembre 1990 (imposition par Damas d’un cessez-le-feu entre Amal et le Hezbollah), la guerre connaît des apaisements momentanés et locaux sans s’interrompre vraiment. Elle combine des formes « régulières » (bombardements aériens, conquête territoriale par des fantassins et des blindés) avec des attaques terroristes (véhicules piégés) ; des actions collectives (raids de milices locales) et des violences individuelles (tirs de francs-tireurs ; enlèvements aux barrages). Les lignes de front internes connaissent peu de modifications et les revendications politiques antagonistes restent constantes au long des épisodes de la guerre ; elles font écho à la mémoire d’une rivalité séculaire que les arrangements constitutionnels de 1926 n’ont fait qu’entériner. Mais la durée de la guerre civile – 15 ans – s’explique aussi par la multiplicité des interventions externes en faveur de chaque camp (al-Khazen, 2000) ainsi que par l’avidité des chefs de guerre, plus que par les exigences sécuritaires qu’ils invoquent (Picard, 2005).
Le conflit fait approximativement 145 000 morts, 185 000 blessés, entre 2 000 et 17 000 disparus et 14 000 handicapés (Al-Nahâr, 5 mars 1992 ; SOLIDA, 2001 : 1). Il s’accompagne de milliers de viols dont il est rarement fait mention (Makarem, 2002 : 46) tandis que 800 000 personnes sont déplacées de force (Labaki et Abou Rjeily, 1993 ; Fighâlî, 1997 : 55).
I. La guerre des deux ans (avril 1975-août 1977)
L’attaque le 13 avril 1975 d’un bus ramenant des Palestiniens au camp de Tell ez-Zaatar par des militants Kataëb, dont deux des leurs avaient été tués ainsi que deux autres personnes au même endroit quelques heures plus tôt (Chamussy, 1978 : 75 ; Kassir, 1994 : 103), déclenche et symbolise la guerre des deux ans. Elle survient à Aïn Remmaneh dans une avenue séparant un quartier maronite d’un quartier chiite. Cette « ligne de front » bientôt rendue dangereuse par des barrages miliciens et les tirs des francs-tireurs, marque la frontière durable entre régions loyales au président et au leadership chrétiens – Beyrouth-Est, le Liban central et le nord maronites – et le reste du pays majoritairement musulman où sont installés les réfugiés et les combattants palestiniens.
Au nord, Tripoli, ville majoritairement sunnite, affronte les combattants maronites de Zghorta ; dans la plaine intérieure de la Beqaa, la ville chrétienne de Zahlé s’oppose aux localités musulmanes environnantes. La division sectaire est renforcée par des assassinats de civils désignés comme ennemis en raison de leur appartenance nationale (les Palestiniens) ou confessionnelle. Elle est accélérée par des expulsions et des massacres collectifs. Du 21 mars au 2 avril 1976, les combattants palestiniens et les milices du Mouvement national – Amal, alors fédératrice des chiites, et le parti Mourabitoun sunnite ¬– disputent aux forces chrétiennes du Front libanais ¬– Kataëb, Parti national libéral (PNL) et Tanzim ¬– le contrôle du centre hôtelier, bancaire et portuaire de Beyrouth, qui est entièrement pillé et détruit.
Tandis que plusieurs unités de l’armée régulière rejoignent les milices confessionnelles, la majorité des militaires restent dans les casernes, l’arme au pied. L’État est paralysé par la mésentente entre le président Sleimane Frangié, défenseur de la suprématie politique des chrétiens élu en 1970, et ses présidents du Conseil successifs, sunnites, qui exigent un nouveau partage confessionnel du pouvoir en faveur des musulmans. La tentative de Frangié d’imposer un gouvernement de militaires en mai 1975 fait long feu et le leader tripolitain Rachid Karamé, acquis au Mouvement national, préside le gouvernement. En mars 1976, assiégé au palais présidentiel, Frangié est sommé par 68 des 99 députés de démissionner avant la fin de son mandat. Réfugié à Zouk, dans le Kesrouan maronite, il reçoit le soutien de Pierre Gemayel, leader des Kataëb, et celui de Camille Chamoun, chef du PNL, ainsi que des ordres religieux maronites.
Le 1er juin 1976, 600 soldats et 200 tanks syriens passent la frontière et se déploient dans la plaine orientale de la Beqaa. Comme le confirme le président syrien Hafez el-Assad dans son discours du 20 juillet 1976, cette armée vient stopper l’offensive des Forces communes druzes, gauchistes, musulmanes et palestiniennes contre celles du Front libanais dans le centre du Mont Liban. Son intervention consacre la séparation entre le Liban central et Beyrouth-Est d’une part, et le reste du pays de l’autre. Tandis que la majorité des musulmans du Liban central fuient ou en sont expulsés (135 000 selon Labaki et Abou Rjeily, 1993 : 49), une partie des chrétiens de Beyrouth-Ouest et de la banlieue sud (75 000 selon idem.) s’y replient. Les camps de réfugiés palestiniens dans les régions chrétiennes (Dbayé, Jisr al-Bacha, Tell ez-Zaatar) sont assiégés et rasés. Le conflit politique dessine désormais des territoires confessionnels : chaque Libanais est assigné à un espace de légitimité et de sécurité, soumis à la domination, sinon à l’autorité, de la force armée qui le contrôle tandis que son existence est menacée ailleurs dans le pays.
Le cessez-le-feu décrété au sommet arabe restreint de Riyad le 17 octobre 1976 consacre une « solution syrienne » à la crise libanaise. Les militaires syriens constituent trois quarts des membres des forces de paix arabes (Quwwât al-rada’) déployées au Liban jusqu’au printemps 1979, la totalité ensuite.
En dépit d’une politique de reconstruction menée par le président Sarkis (élu le 8 mai 1976) avec le soutien américain et français (création du Conseil du développement et de la reconstruction, 24 janvier 1977), les affrontements entre les Palestiniens et les forces syriennes pour le contrôle des camps de réfugiés se poursuivent jusqu’à la signature de l’accord syro-libano-palestinien de Chtaura le 21 juillet 1977, censé mettre en œuvre l’accord du Caire de 1969.
Principaux massacres de civils durant la période
13 avril 1975 : deux membres du parti Kataëb et deux autres civils sont abattus le matin par des tireurs en voiture non identifiés, devant l’église Mar Mikhaïl de Aïn Remmaneh où Pierre Gemayel assistait à un baptême. Dans la soirée, des miliciens Kataëb mitraillent un bus qui passe devant l’église, transportant des Palestiniens et des Libanais proches du Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG) : 27 morts, 19 blessés.
** (Chamussy, 1978 : 75 ; Kassir, 1994 : 103)
7 juillet 1975 : raid aérien israélien sur le camp de réfugiés palestiniens de Rachidiyeh. Douze morts, 20 blessés.
* (Palestinian Encyclopedia, http://www.palestine-encyclopedia.com/ EPP/Chapter30_1of4. htm, consulté le 22 juin 2012).
5 août 1975 : raid aérien et maritime israélien sur Tyr. Dix-neuf morts, 28 blessés.
* (Palestinian Encyclopedia, http://www.palestine-encyclopedia.com/ EPP/Chapter30_1of4. htm, consulté le 22 juin 2012)
19 septembre-5 décembre 1975 : dans tout le Liban et en particulier à Beyrouth, des milices d’autodéfense communautaire assassinent ou expulsent des dizaines d’individus.
** (Hanf, 1993 : 210-212)
2 décembre 1975 : raids aériens israéliens sur les camps de réfugiés palestiniens de Beddawi et Nahr el-Bared. Quatre-vingt douze morts, 160 blessés.
* (Palestinian Encyclopedia, http://www.palestine-encyclopedia.com/ EPP/Chapter30_1of4. htm, consulté le 22 juin 2012)
6 décembre 1975 (« Samedi noir ») : en représailles à l’assassinat à l’arme blanche de quatre jeunes membres des Kataëb sur la route de Fanar, des dizaines d’hommes armés dressent des barrages et enlèvent ou exécutent entre 200 et 600 Palestiniens et musulmans libanais dans les quartiers « est » majoritairement chrétiens de Beyrouth.
* (Saadé, Brunquell et Couderc, 1989 : 117-119)
** (Sayigh, 1997 : 371)
5 janvier-12 août 1976 : siège de Tell ez-Zaatar, camp palestiniens du nord-est de Beyrouth par les milices du Front libanais. L’assaut final fait 1 500 à 2 000 victimes palestiniennes.
** (Sayigh, 1997 : 401)
18 janvier 1976 : les milices du Front libanais prennent le contrôle du bidonville de la Quarantaine à l’entrée nord de Beyrouth, peuplé de Palestiniens, de Kurdes et de Libanais arméniens et chiites du sud, et contrôlé par l’OLP. Mille à 1 500 victimes civiles.
* (Harris, 1996 : 162)
20 janvier 1976 : des miliciens de l’OLP, de la Saïqa et du Mouvement national libanais attaquent et détruisent la ville chrétienne de Damour au sud de Beyrouth. Cinq cent quatre-vingt-quatre morts tandis que 5 000 personnes fuient par terre et par mer.
* (Fisk, 2001 : 99-100)
** (Labaki et Abou Rjeily, 1993 : 57)
19-21 octobre 1976 : des miliciens de l’OLP et de la Saïqa attaquent A’ishiyeh (Sud-Liban). Soixante-dix morts, 100 blessés.
** (Chamussy, 1978 : 191)
Une quarantaine de morts.
** (Kassir, 1994 : 262)
3 janvier 1977 : l’explosion d’une voiture piégée à Accaoui (Beyrouth-Est) au lendemain du retrait de la Force arabe de dissuasion fait 26 morts et 70 blessés.
** (Chamussy, 1978 : 257)
17-19 mars 1977 : au lendemain de l’assassinat de Kamal Jumblatt, représailles de miliciens druzes à Barouk, Botmeh, Kfarnabrakh, Mazraat el-Chouf, Maasser el-Chouf, Machghara et Brih. Cent soixante-dix-sept victimes.
** (Labaki et Abou Rjeily, 1993 : 58)
21 août 1977 : massacre de 20 chrétiens à Brih dans le Chouf.
** (Kanafani-Zahar, 2004 : 63)
II. Fragmentation et occupation étrangère (août 1977-mai 1982)
L’autorité du président Sarkis et de ses Premiers ministres successifs (Salim el-Hoss jusqu’en 1980 puis Chafik el-Wazzan) reste territorialement et de facto limitée à Beyrouth et au Liban central tandis que l’armée n’intervient qu’épisodiquement et peu efficacement pour séparer des combattants sur les lignes de front. Elle est même prise sous le feu des forces syriennes à la caserne de Fayadiyeh le 7 février 1978 (11 morts, plusieurs dizaines de blessés) tandis que le sommet syro-libanais du 31 mai consacre la soumission du Liban.
La situation libanaise évolue en fonction des bouleversements stratégiques régionaux : après que l’Égypte de Sadate a conclu une paix séparée avec Israël, officialisée par le traité de Washington le 26 mars 1979, la Syrie se réconcilie avec l’OLP au sommet arabe de Tunis du 23 novembre 1979. La guerre se déroule sur trois fronts superposés : un front extérieur contre Israël, qui engage les forces de l’OLP et l’armée syrienne, et un front intérieur entre alliés et ennemis de la Syrie, tandis que de petites guerres entre milices font de nombreuses victimes civiles sur le territoire de chaque camp.
Suivant la stratégie préventive adoptée par le Premier ministre israélien Menahem Begin et pour parer au rapprochement syro-palestinien, 25 000 militaires israéliens appuyés par l’aviation envahissent le Sud-Liban jusqu’au fleuve Litani le 14 mars 1978. Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte le 19 mars la résolution 425 ordonnant leur retrait et créant la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban (FINUL), composée de 2 000 hommes et chargée de superviser ce retrait. Les hostilités palestino-israéliennes persistent sur le territoire libanais et font de nombreuses victimes collatérales dans la population chiite du Liban sud jusqu’à l’adoption d’un cessez-le-feu négocié par le secrétaire d’État américain adjoint Philip Habib le 24 juillet 1981. L’OLP observe rigoureusement ce cessez-le-feu jusqu’à l’attaque israélienne du 4 juin 1982.
Le front syro-israélien, gelé par des « lignes rouges » adoptées tacitement dans l’esprit de la guerre froide, s’embrase dans la grande ville chrétienne de la Beqaa, Zahlé, que la milice du parti Kataëb, les Forces libanaises (FL), tente d’arracher à la domination syrienne. Le 28 avril 1981, l’aviation israélienne venue à l’appui des FL abat deux hélicoptères de l’armée syrienne qui encercle Zahlé. La Syrie riposte en introduisant des missiles SA de fabrication soviétique dans la Beqaa. L’escalade est stoppée grâce à une médiation américaine le 30 juin.
Sur le front intérieur, l’alliance nouée en 1976 entre la Syrie et le Front libanais est rompue : rejet de la pénétration syrienne dans les régions chrétiennes du Liban central et, en retour, bombardements syriens intensifs contre Beyrouth-Est en juillet-octobre 1978. De part et d’autre de la « ligne verte » divisant Beyrouth, no man’s land dans la ligne de mire des francs-tireurs, les accrochages se multiplient et les tirs d’obus reprennent entre mars et mai 1981 (25 morts et 118 blessés par obus à Beyrouth le 17 mai).
L’administration de l’État est réduite au minimum et le Liban est de facto divisé en cantons qui sont autant de bastions sécuritaires : les « régions chrétiennes » du centre sont quasiment autonomes, le sud majoritairement chiite est occupé par Israël et le reste du pays est sous domination syrienne. Dans chaque canton, les leaders qui s’imposent par la force – membres des dynasties de propriétaires terriens, parlementaires élus en 1972, nouvelles élites miliciennes opposées au compromis – organisent la gestion des populations et les services sociaux avec le soutien des entrepreneurs, de la diaspora et des appareils religieux. Initié dès le début des années 1970 en prévision de la guerre, l’enrôlement de miliciens prend un caractère systématique : chacun est impliqué dans la sécurité du groupe et tenu de prendre part, directement ou indirectement, à sa défense, même si les appareils communautaires emploient aussi des mercenaires. La milice impose l’homogénéisation confessionnelle ¬– le terme d’épuration ethnique n’a pas encore cours ¬– sur chaque territoire où l’on fantasme de vivre « entre soi ». Mais elle conduit inexorablement à la fragmentation de ce territoire en raison de la compétition des chefs de guerre pour le monopole de la violence et des prébendes qui y sont liées. Les Libanais qui étaient (mal) représentés par leurs élus avant la guerre et n’avaient de relation avec leur État que par le truchement des liens de clientèle, sont maintenant soumis à la domination des hommes en armes.
Dans les régions sous contrôle syrien, la milice chiite Amal désarme les partis à coloration sunnite comme le parti Mourabitoun, et druze comme le Parti socialiste progressiste des Jumblatt. Elle combat les partis laïques du Mouvement national (communistes, Ba’th, Parti social national syrien) à Beyrouth et les fidayîn palestiniens au Sud-Liban. À Tripoli, les militants du Mouvement de l’unité islamique font la chasse au Parti communiste (PC) et au Ba’th. Dans le Liban chrétien, les FL dirigées par le jeune Bachir Gemayel s’attaquent à leur allié Frangié en juin 1978. À l’aide des forces syriennes qui occupent tout le nord, les Maradas de Frangié les refoulent. Entraînées et équipées par Israël, les FL parviennent à absorber ou détruire toutes les autres milices concurrentes (PNL, Gardiens du cèdre, Tanzim) dans la région centrale et à Beyrouth-Est. Elles y imposent un quasi-État avec ses taxes et sa conscription, ainsi que ses propres services sociaux et son idéologie christianiste (Picard, 1994b).
Principaux massacres de civils durant la période
5 novembre 1977 : la Saïqa, milice palestinienne supplétive de l’armée syrienne fait 41 morts à A’ishiyeh.
* (Liberty 05, « Lebanese Civil War 1977-1981 », www.liberty05.com/civilwar/civil77.html, site internet lié au Courant Patriotique Libre, consulté le 22 juin 2012)
9 novembre 1977 : bombardement par l’aviation israélienne du village et du camp palestinien de ’Ezzieh. Soixante-dix-neuf morts et 175 blessés.
** (Sayigh, 1997 : 10)
14-19 mars 1978 : en riposte l’attaque d’un bus entre Haïfa et Tel Aviv par des militants du Fatah (32 morts, 82 blessés), l’opération israélienne « Litani » fait environ 2 000 morts, la majorité victimes d’attaques aériennes, et provoque la fuite de 150 000 à 250 000 habitants du Sud-Liban vers Beyrouth.
* (Fisk, 2001 : 123-124)
** (Rapport 1978 du CICR cité par Kassir, 1994 : 316)
13 juin 1978 : assassinat à Ehden du leader des Maradas Tony Frangié, de sa famille et ses gardes par un commando FL. Trente-cinq morts.
* (Randal, 1983 : 128-129)
** (Kassir, 1994 : 331)
22 juillet 1979 : bombardement par l’aviation israélienne des bastions palestiniens de Damour, Naameh et Sarafand. Dix-huit morts, 70 blessés.
* (L’Orient-Le Jour, 23 juillet 1979)
8 juillet 1980 : les FL investissent les principaux centres civils et militaires du PNL. Quatre-vingt-quatorze à 150 tués.
* (Randal, 1983 : 136)
30 juillet, 7 août, 26 septembre, 10 novembre 1980 : des attentats à l’explosif à Beyrouth-Est et dans sa banlieue font 42 morts et 142 blessés.
** (Kassir, 1994 : 104-105)
17 juillet 1981 : bombardement par l’aviation israélienne du quartier Fakahani à Beyrouth abritant les institutions de l’OLP. Quatre-vingt-dix à 175 morts et 400 à 600 blessés.
** (Brynen, 1990 : 149-150)
III. Invasion, occupation et retrait partiel israéliens (6 juin 1982-décembre 1985)
Destinée par le Premier ministre israélien Menahem Begin à expulser l’OLP du Sud-Liban avec l’accord tacite du Pentagone, l’invasion terrestre par 76 000 soldats israéliens appuyés par l’aviation et la marine est conduite par le commandant en chef Ariel Sharon jusqu’à Beyrouth. Les forces israéliennes écrasent la résistance libanaise et palestinienne par des tirs d’artillerie et des bombardements aériens causant d’amples destructions dans les villes côtières, en particulier à Saïda, et faisant plusieurs milliers de victimes civiles. Elles rejoignent la milice des FL à Beyrouth le 11 juin. Ayant détruit en trois jours (6-9 juin) l’aviation et la défense contre les aéronefs (DCA) syriennes au Liban, l’aviation israélienne pilonne Beyrouth-Ouest durant deux mois où elle rase les infrastructures de l’OLP. Le siège de Beyrouth-Ouest, privée d’eau et d’électricité, est levé à l’arrivée d’une force multinationale (FM) américaine, britannique, française et italienne chargée d’évacuer 10 876 combattants palestiniens et 2 700 soldats syriens par terre et mer du 24 au 30 août.
L’invasion de la moitié du pays et le siège de Beyrouth ont fait 6 775 morts et 30 000 blessés dont 80 % de civils selon un rapport des Nations unies. Profitant du retrait de la FM, l’armée israélienne pénètre à Beyrouth-Ouest et y introduit des unités des FL qui massacrent les civils des camps palestiniens de Sabra et Chatila (16-18 septembre). Ce massacre est perpétré en représailles à l’assassinat le 14 septembre de Bachir Gemayel (avec 20 autres personnes), chef des FL élu président de la République à l’ombre des chars israéliens le 23 août par 57 députés (cinq abstentions).
Amin Gemayel, son frère, élu à la hâte à la présidence le 21 septembre, recherche jusqu’en 1988 une politique d’équilibre entre Israël et la Syrie. Israël lui impose, avec la pression des États-Unis, la signature d’un accord léonin (Naqoura, 17 mai 1983) qu’il dénoncera en 1985 sous la pression de l’opposition. La FM, retournée à Beyrouth le 29 septembre 1982, subit de multiples attaques des troupes syriennes et des forces de l’opposition qui accusent les troupes occidentales d’agir comme des Croisés s’attaquant à des terres musulmanes (23 octobre 1983, attentats-suicides d’inspiration iranienne contre des casernes américaine et française). Elle doit se retirer en février-mars 1984. Les forces syriennes réintroduites progressivement au Mont Liban soutiennent les opposants druzes qui repoussent en 1983 la milice des FL qui s’était établie dans le Chouf à la faveur de l’invasion israélienne.
La Syrie appuie aussi l’insurrection chiite menée par Amal, qui prend le contrôle de Beyrouth-Ouest à partir du 6 février 1984, en expulsant les unités de l’armée loyales au président Gemayel. Elle soutient les milices laïques (PC, Parti social national syrien – PSNS – et Ba’th) qui combattent les islamistes et l’OLP à Tripoli. En deux ans, l’armée syrienne réoccupe la quasi-totalité du Liban à l’exception du sud et du Liban central (Metn, Kesrouan) où siège le gouvernement loyal à Amin Gemayel et où dominent les FL. Les leaders des deux camps rivaux réunis à Genève (février 1984) et Lausanne (mars 1984) sous son patronage échouent à s’accorder sur des réformes institutionnelles censées mettre fin à la guerre civile. Mais Damas réussit à imposer la signature, le 28 décembre 1985, d’un éphémère « accord de paix » aux trois principales milices – les FL (chrétiennes), le Parti socialiste progressiste (PSP, druze) et Amal (chiite) – par le truchement desquelles le régime baathiste compte maintenir la société libanaise en coupe réglée.
Les troupes israéliennes, harcelées par les militants du Front de la résistance nationale libanaise, fondé en septembre 1982 sous l’égide du PC et de l’Organisation arabe des communistes au Liban (OACL), évacuent la région de Beyrouth et le Chouf en août 1983. Les FL subissent alors des revers militaires face aux druzes du PSP dans le Chouf en septembre-décembre 1983 puis dans les régions de Saïda et de l’Iqlim al-Kharroub en mars-avril 1985. Cette « guerre de la Montagne » entraîne la mort de plus de 1 000 civils et l’exode de 170 000 chrétiens. Au sud, les populations passent sous le contrôle des milices chiites, Amal et le Hezbollah (actif depuis 1982 et officialisé en 1985) après le retrait israélien de Saïda en janvier 1985. Les Israéliens qui ont perdu plus de 1 200 hommes au Liban entre 1982 et 1985 selon le ministère de l’Intérieur israélien, effectuent un troisième repli en février 1985 sur une bande de territoire frontalier de 15 km de profondeur, qu’ils qualifient de « zone de sécurité », et où ils patronnent une milice de mercenaires dite Armée du Liban Sud.
Principaux massacres de civils durant la période
17-18 septembre 1982 : massacres de civils à Sabra et Chatila.
* (Signoles, 2008)
31 août au 9 septembre 1983 : massacres interconfessionnels dans les régions du Chouf et d’Aley. Le 31 août : Bmariam, 34 chrétiens tués ; le 5 septembre : Kfarmatta, 107 druzes ; le 6 septembre : Chamoun, 334 chrétiens ; le 6 septembre : plus de 20 druzes dans le Chahhâr ; le 9 septembre : Maasser el-Chouf, 64 chrétiens. Vingt mille druzes et 163 670 chrétiens sont contraints à l’exode.
* (Al-Nahâr, 16 août 1991)
** (Kanafani-Zahar, 2004)
** (de Clerck, 2008)
8 mars 1985 : attentat à la voiture piégée près du domicile de Sheikh Mohamed Hussein Fadhlallah, à Bir el-Abed.
Huit morts, 256 blessés.
* (Qassem, 2005 : 99)
Quatre-vingt trois morts.
** (Palmer Harik, 2004 : 37)
14 août 1985 : voiture piégée à Saad el-Bauchrieh (Beyrouth-Est). Douze morts, 115 blessés.
* (L’Orient-Le Jour, 15 août 1985)
20 août 1985 : Voiture piégée au centre de Tripoli. Quarante-trois morts, 92 blessés.
* (Journal Antenne 2, 20 août 1985, http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/CAB85104987/tripoli-liban.fr.html, consulté le 23 juin 2012).
4 septembre 1985 : voiture piégée à Zahlé. Quatorze morts, 74 blessés.
* (Liberty 05, « Lebanese Civil War 1985-1987 », www.liberty05.com/civilwar/civil87.html, consulté le 23 juin 2012).
IV. Le règne des milices (décembre 1985-septembre 1988)
Le Liban vit trois années dans une situation d’extrême fragmentation. Tandis que l’autorité du gouvernement et de l’armée ne s’exerce plus que sur un dixième du territoire national, à Beyrouth-Est et dans le Metn, chaque milice confessionnelle ou partisane organise de façon autonome la sécurité et l’économie de la région qu’elle contrôle et impose son idéologie à la population qu’elle domine localement. Derrière la fiction internationale de l’État se sont cristallisées des micro-souverainetés séparées par des lignes de front, commerçant entre elles par des « postes de douane » mais fermées à la pénétration des « étrangers ». Le Liban survit grâce à une modeste économie vivrière, aux trafics de produits de première nécessité (essence, gaz) et de produits illicites (drogue) entre la Syrie et les territoires contrôlés par les milices, et surtout grâce aux remises des émigrés – et ce, d’autant que la livre libanaise perd jusqu’à mille fois sa valeur sur le marché des changes entre 1976 et 1986.
Tandis que les lignes de front internes et internationales restent relativement calmes, la violence de la compétition entre chefs miliciens s’exerce à l’intérieur de chaque territoire sur les populations civiles devenues enjeu et ressource de cette compétition. Des dizaines d’explosions de voitures piégées endeuillent dans les années 1985 et 1986 les régions chrétiennes tenues par les FL où s’affrontent en janvier, puis à nouveau le 26 septembre 1986, les partisans des deux chefs de guerre rivaux Samir Geagea et Elie Hobeiqa (65 morts, 200 blessés). À Tripoli, les milices pro-syriennes s’attaquent aux groupes militants sunnites.
Le début de l’année 1987 voit se multiplier les combats de rue à Beyrouth-Ouest entre le PSP et Amal jusqu’à l’interposition de l’armée syrienne en février. Les civils palestiniens de camps de réfugiés de Beyrouth et Saïda sont victimes d’affrontements à l’arme lourde entre Amal soutenue par la Syrie et les factions de l’OLP loyales à Yasser Arafat entre novembre 1986 et janvier 1988 (3 781 morts et 6 787 blessés selon une source officielle libanaise) jusqu’au déploiement de l’armée syrienne alentour. Puis c’est au tour des civils de la banlieue sud, lorsque Amal tente de résister à la montée en puissance du Hezbollah du 5 au 11 mai 1988 (157 morts, 667 blessés). Leurs affrontements se prolongent à Beyrouth-Ouest et dans l’Iqlim al-Touffah. Ils font 400 morts avant qu’un cessez-le-feu ne soit décrété le 30 janvier 1989 par l’Iran et la Syrie qui ont fait de ces partis miliciens leurs pions sur l’échiquier libanais.
La restauration de la domination syrienne sur l’ensemble du Liban à l’exception du sud tenu par une milice pro-israélienne et des régions centrales chrétiennes, accélère l’effondrement de l’État. Le gouvernement, boycotté par les ministres musulmans et pro-syriens (démission du Premier ministre Rachid Karamé le 4 mai 1987, qui est assassiné dans un attentat le 1er juin) siège à Bikfaya, fief chrétien des Gemayel, et son autorité sur l’administration publique décline jusqu’à la fin du mandat de celui-ci en septembre 1988.
Principaux massacres de civils durant la période
21 janvier 1986 : voiture piégée à Furn el-Chebbak. Trente morts, 132 blessés.
* (L’Orient-Le Jour, 22 janvier 1986)
20-24 février 1986 : assassinat de plusieurs intellectuels laïques à Beyrouth Ouest.
* (L’Orient-Le Jour, 25 février 1986)
8 avril 1986 : voiture piégée à Jounieh. Onze morts, 89 blessés.
29 juillet, 8 et 14 août 1986 : des voitures piégées à Aïn el-Remmaneh et Dora (Beyrouth-Est) font respectivement 31 morts et 128 blessés, 13 morts et 106 blessés, et 24 morts et 84 blessés.
30 juillet 1986 : voiture piégée au carrefour Barbir (Beyrouth-Ouest). Vingt-deux morts, 163 blessés.
* (Liberty 05, « Lebanese Civil War 1985-1987 », www.liberty05.com/civilwar/civil87.html, consulté le 23 juin 2012 – Référence valable du 8 avril au 30 juillet 1986)
23 avril 1988 : Voiture piégée à Bab al-Tebbaneh (Tripoli). Soixante morts et 125 blessés.
* (New York Times, 24 avril 1988)
30 mai 1988 : voiture piégée à Rmeil (banlieue sud). Quinze morts, 61 blessés.
* (Liberty 05, « Lebanese Civil War 1988-1990 », www.liberty05.com/civilwar/civil4.html, consulté le 23 juin 2012)
V. Derniers combats fratricides (octobre 1988-décembre 1990)
À défaut d’élection de son successeur à la présidence de la république, Amin Gemayel nomme le général Michel Aoun, commandant en chef de l’armée, Premier ministre en charge de l’exécutif. Michel Aoun, qui se veut l’héritier du leadership maronite à la tête du Liban, s’installe au palais présidentiel cependant que le Premier ministre Salim al-Hoss se maintient en place, consacrant la division institutionnelle du gouvernement. Aoun cherche dans un premier temps à unifier les régions chrétiennes autour de son leadership et lance en février 1989 des attaques contre la milice des FL. La bataille est indécise. Aoun la poursuit à partir du 14 mars par une « guerre de libération » contre les forces syriennes occupant le pays. Les bombardements entre les deux parties de Beyrouth et les régions environnantes par les divisions loyales à Aoun à l’est et des divisions soutenues par la Syrie à l’ouest causent d’énormes dégâts. Tandis qu’il mobilise des foules de supporters parmi les civils de toutes les communautés, sensibles à son discours populiste et aspirant au retour de l’État de droit, le projet souverainiste de Aoun est battu en brèche par la participation de 62 députés à une négociation interlibanaise – négociation patronnée par la Ligue arabe sur la base d’un projet algéro-maroco-saoudien et dans laquelle la Syrie va imposer sa tutelle sur l’État libanais réunifié. Adopté par 58 députés le 22 octobre 1989, l’accord de paix de Taëf ouvre la voie à l’élection du consensuel René Moawad à la présidence (malgré le veto de Aoun), puis à celle du pro-syrien Elias Hraoui après l’assassinat de Moawad le 22 novembre 1989. S’en suivra l’adoption par les députés d’importants amendements constitutionnels, notamment la parité entre chrétiens et musulmans dans la représentation parlementaire. Dans une ultime tentative pour asseoir sa légitimité, Aoun lance l’armée à l’assaut des milices et en particulier des FL en janvier 1990. La « guerre d’élimination » dévaste Beyrouth-Est et le Liban central chrétien (le Metn puis le Kesrouan), faisant 900 morts et 3 000 blessés en neuf mois. Elle exacerbe la fracture entre défenseurs d’un Liban pluriconfessionnel mais unifié, « à visage chrétien », et partisans d’une formule fédérale consacrant l’autonomie du Liban central maronite. L’aviation syrienne met fin à la tentative de Aoun en attaquant le palais présidentiel le 13 octobre 1990, avec l’accord tacite des États-Unis qui s’apprêtent à attaquer l’Irak de Saddam Hussein.
Une fois la résistance des milices chrétiennes vaincue, l’armée syrienne impose la mise en œuvre d’un accord de cessez-le feu entre Amal et le Hezbollah le 5 novembre 1990, impliquant l’évacuation de la capitale par leurs miliciens et ceux du PSP, tandis que les FL quittent Beyrouth-Est le 19 novembre. L’armée libanaise reprend alors formellement le contrôle du Grand Beyrouth et des principaux axes de circulation du pays, tandis que les points de passage entre zones miliciennes sont progressivement rouverts. Les milices seront officiellement débandées en avril 1991 (à l’exception de celle du Hezbollah sacrée « résistance nationale » contre Israël). L’État libanais redevient officiellement souverain même si l’occupation israélienne ne prendra fin qu’en 2000 et la tutelle syrienne en 2005. Une loi d’amnistie, adoptée en août 1991, recouvre d’une chape de silence les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés au long de la guerre.
Principaux massacres de civils durant la période
17 mars 1989 : explosion d’une voiture piégée à Jal el-Dib (banlieue est). Quinze tués, 140 blessés.
* (L’Orient-Le Jour, 18 mars 1989)
1er octobre 1990 : des civils manifestant en faveur du général Aoun sont mitraillés par les FL sur le pont du Nahr el-Mott (Beyrouth). Douze morts, 50 blessés.
* (Liberty 05, « Lebanese Civil War 1988-1990 », www.liberty05.com/civilwar/civil4.html, consulté le 23 juin 2012)
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