Les Juifs de Bulgarie et des territoires yougoslaves et grecs occupés par la Bulgarie pendant la Seconde Guerre mondiale
L'auteur souhaite remercier Roumen Avramov et les évaluateurs anonymes pour leurs remarques précieuses sur une version antérieure de ce texte.
Cet article a été publié avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Le 22 février 1943, T. Dannecker et A. Belev signent un accord portant sur la déportation de 20 000 Juifs des « nouveaux territoires bulgares de Thrace et de Macédoine », sans faire mention des anciennes frontières 1. La présence juive identifiée par le travail administratif et policier de repérage en zones occupées est cependant inférieure à ce nombre 2. Sur le document, la mention « nouveaux territoires » sera d’ailleurs ultérieurement rayée à la main, sans que l’auteur et la date de cette modification soient à ce jour établis avec certitude. Six centres de détention temporaire sont envisagés (Skopje, Bitola, Pirot, Gorna Džumaja, Dupnica et Radomir) dont seulement trois verront le jour (Skopje, Gorna Džumaja et Dupnica). Les Juifs bulgares (i.e. ceux du « vieux » royaume) doivent être automatiquement déchus de la citoyenneté bulgare au moment de leur déportation, le gouvernement s’engageant à ne pas demander leur retour. Quelles qu’aient été les éventuelles réserves de membres de l’exécutif, le 2 mars 1943 le Conseil des ministres approuve les décrets d’application : ils ordonnent la mobilisation civile des salariés du Commissariat jusqu’au 31 mai 1943 (afin d’éviter d’éventuelles défections), détaillent l’organisation des rafles, du transport et du regroupement des Juifs dans les camps d’internement, ainsi que la liquidation et la nationalisation des biens juifs 3. Ces ordonnances ne sont pas publiées au journal officiel. Surtout, l’ordonnance n°.127 ne fait nulle référence aux Juifs du « vieux » royaume, un silence qui sera utilisé comme argument par les opposants aux déportations des Juifs bulgares 4.
L’organisation des rafles, les camps d’internement et le transport des Juifs des territoires occupés
Dans chaque région, les arrestations sont supervisées par un responsable du Commissariat aux affaires juives (Jaroslav Kalicin en Thrace, Zahari Velkov en Macédoine, Penčo Lukov à Samokov, Dupnica, Kjustendil et Gorna Džumaja ; Ivan Gjošev pour les camps de transit et les questions économiques) ; elles sont coordonnées avec les délégués aux affaires juives, les directions de la police, l’armée et les administrations préfectorales 5. Les rafles débutent à l’aube le 4 mars 1943 en Thrace égéenne (Gjumjurdina, Dede Agač, Kavala, Drama, Ksanti, Seres), le 11 mars en Macédoine du Vardar (Bitola, Štip, Skopje et dans des bourgs où vivent quelques familles juives) et le 12 mars dans la région serbe de Pirot. Le schéma en est partout identique : l’armée scelle les quartiers désignés ; des équipes de policiers procèdent ensuite aux arrestations dans un nombre spécifié de rues et d’habitations. Dans le « vieux » royaume, l’établissement d’une liste initiale d’environ 6 000 futurs déportés est confié aux délégués du Commissariat. La consigne veut qu’ils soient choisis parmi les Juifs « riches, plus visibles et jouissant d’une reconnaissance sociale » et/ou soupçonnés de comportement subversif. Sont exclus les Juifs convertis et mariés à des non-Juifs (qui relevaient de l’alinéa 1 de l’article 33 de la Loi pour la défense de la nation, tel que reformulé par le décret-loi du 26 août 1942), ainsi que les Juifs ayant scellé des mariages mixtes, mais non les médaillés, invalides, veuves et orphelins de guerre (al.2, art. 33 de la même loi) 6. Sur les quelque 9 000 noms qui lui sont soumis, A. Belev en retient 8 400. Il envisage notamment de déporter la totalité des Juifs résidant à proximité des frontières macédonienne et grecque et/ou appelées à accueillir des camps de transit (Dupnica, Gorna Džumaja et Kjustendil) 7.
Les Juifs de Thrace grecque, saisis au creux de la nuit, parfois encore en sous-vêtements, sont convoyés depuis la Grèce sous escorte bulgare (le plus souvent policière, parfois aussi militaire 8) vers les camps de transit de Gorna Džumaja et de Dupnica. Dans les camps, l’insalubrité, le manque de nourriture et les mauvais traitements entraînent plusieurs décès (cinq à Dupnica, entre un et trois à Gorna Džumaja) 9. Le 19 mars, les Juifs de Pirot, qui avaient été incarcérés dans le lycée de la ville et soumis à des violences ailleurs inégalées, sont transférés à Sofia où ils rejoignent les Juifs de Grèce en route vers le port danubien de Lom. 43 policiers bulgares (un commandant, deux gradés, quarante agents) accompagnent chacun des trains assurant le transfert entre les camps de Gorna Džumaja et de Dupnica et la ville de Lom 10. 4 219 Juifs en seront déportés les 20 et 21 mars en quatre convois fluviaux qu’escortent des forces bulgares et allemandes jusqu’à Vienne ; au-delà, la responsabilité du transport est confiée aux seuls Allemands. Un Juif serait décédé à bord du navire « Saturnus » et sept à bord du « Tsar Dušan » 11.
Les Juifs de Bitola, Štip et Skopje en Macédoine du Vardar sont emprisonnés dans le hangar skopiote de l’entreprise publique de tabac Monopol, un camp de transit sous responsabilité bulgare. Ils y resteront, entassés à 241 personnes par pièce en moyenne, du 11 mars jusqu’au 29 mars (pour le dernier convoi). Le manque d’hygiène, de nourriture, de soins médicaux, les fouilles à nu, les humiliations et les violences font quatre victimes 12. Le camp, que dirigent Pejo Draganov, puis Asen Pajtašev, est ceint de cordons de sécurité policiers et militaires et fait l’objet d’un suivi étroit par des agents de la gestapo ; il sera inspecté à deux reprises par des responsables du Commissariat aux affaires juives, dont A. Belev, et visité une fois par le consul-général allemand à Skopje. Les victimes des rafles sont déportées vers Treblinka en trois convois, les 22, 25 et 29 mars, comprenant respectivement 2 338, 2 402 et 2 404 Juifs (quelques dizaines de Juifs de Kavala sont adjoints au dernier convoi) 13. Des responsables bulgares supervisent l’embarquement des victimes (P. Draganov, pour les deux premiers, A. Pajtašev, pour le troisième), mais c’est la police allemande qui accompagne ici les convois 14.
En tout, 7 144 Juifs auraient été déportés ; 7 132 seraient parvenus à Treblinka, douze Juifs décédant au cours du trajet 15. Ce nombre est inférieur à celui des victimes - 7 320 Juifs – ayant transité par le camp de Skopje : 98 Juifs auraient été libérés en tant que nationaux étrangers (dont 74 Espagnols, 19 Albanais et 5 Italiens) ou parce qu’ils étaient médecins ou pharmaciens et furent autorisés à partir avec leur famille (67) 16. Trois Juifs parvinrent à s’enfuir du camp 17. Sur le nombre des déportés, l’on dispose à ce jour de quatre sources : la première est constituée de rapports du Commissariat aux affaires juives indiquant que 7165 Juifs auraient été déportés depuis la Macédoine (dont 42 Juifs de Thrace joints au dernier convoi), 4 039 de Thrace et 158 de Pirot, soit un total de 11 362 personnes 18. La seconde source provient d’un rapport d’activité du Commissariat aux affaires juives rédigé par A. Belev et couvrant la période du 1er au 31 mars 1943 : le commissaire y avance le chiffre de 11 357 déportés 19. La troisième source usuellement citée est un rapport de l’attaché de police allemand, Adolf Hoffmann, daté du 5 avril 1943. Evoqué en ouverture de cet article, ce document fait état de 7 122 déportations depuis Skopje et de 4 221 depuis le port danubien de Lom (i.e., pour la plupart, des victimes juives de Thrace et de la région de Pirot). Ces données sont proches de celles fournies par Adolf-Heinz Beckerle, ministre plénipotentiaire de l’Allemagne à Sofia (7 123 et 4 211) dans un rapport adressé à la fin du mois de mars à l’Office central de sécurité du Reich 20.
Comme indiqué précédemment, le nombre des Juifs qui échappèrent aux rafles demeure mal connu. Un cas, en particulier, a été documenté : en mars 1943, le Commissariat aux affaires juives, informé de la présence de Juifs grecs et yougoslaves parmi les travailleurs forcés du « vieux » royaume, avait exigé leur transfert vers le camp de Gorna Džumaja 21. Si l’on estime que 42 Juifs de Thrace (dont six travailleurs forcés précédemment déployés dans la région de Sveti Vrač, au Sud-Ouest de la Bulgarie) furent expédiés vers le camp et ultérieurement déportés 22, plusieurs autres durent leur survie au retard avec lequel ces consignes parvinrent à leurs destinataires 23.
Dans le « vieux » royaume, les arrestations étaient programmées pour le 9 mars. L’on reviendra plus loin sur les événements ayant permis la suspension des rafles (voir Les témoins). Toujours est-il que dans plusieurs municipalités (dont Kjustendil, Plovdiv, Dupnica, Gorna Džumaja, Pazardžik, Haskovo, Šumen), les interpellations avaient commencé ; le contre-ordre n’est reçu que le lendemain. Surtout, les protestations publiques ne suffisent pas à convaincre le Commissariat de renoncer à son projet. Dans les semaines qui suivent, A. Belev prépare un nouveau plan de déportation des Juifs du « vieux » royaume avant le 30 septembre 1943 24. Il prévoit la déportation par voie maritime le long du Danube de 16 000 Juifs par mois. Une organisation en deux temps est conçue: au cours d’une première étape, les Juifs de Sofia doivent être expulsés en province (ce qui « détournera les soupçons de déportation vers l’Allemagne »). Le regroupement des communautés sofiote (25 000 personnes) et provinciales (23 000) doit aussi faciliter le convoiement par train de l’ensemble des Juifs jusqu’aux ports de Lom et Somovit 25.
Cette fois-ci, cependant, le Conseil des ministres ne suit pas A. Belev jusqu’au terme de son entreprise ; seule est approuvée, le 21 mai 1943, la relégation en province. A la veille de la fête de l’alphabet cyrillique (24 mai), les Juifs se voient intimer l’ordre de quitter Sofia sous trois jours, munis de trente kilogrammes de bagages par personne - à l’exception des personnes mariées à des non-Juifs, des Juifs mobilisés, des baptisés (au 29 août 1942) et des porteurs de maladies potentiellement contagieuses 26. En l’espace de quelques jours, les rues de Sofia se remplissent de commerçants prompts à acquérir à vil prix les meubles, affaires personnelles et autres souvenirs que les Juifs cèdent à la hâte. Les ordres de départ indiquent le jour et l’heure du train prévu ; les familles sont éclatées ; la distribution de coupons de pain est suspendue. Dans les lieux d’assignation à résidence, la rareté des logements, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle, la restriction des heures de sortie et l’imposition du couvre-feu induisent des conditions d’existence très précaires, l’arrivée des expulsés étant par ailleurs diversement appréciée par les habitants locaux.
A l’été 1943, une conjonction de facteurs internes et externes conduit les autorités bulgares à exprimer leurs réticences face à une éventuelle solution de la « question juive » bulgare par la voie des déportations. De ces hésitations, le ministre plénipotentiaire, Adolf-Heinz Beckerle, se fait l’écho dans une note adressée au ministère des Affaires étrangères à Berlin, le 18 août 27. Avec l’invasion de la Sicile en juillet 1943 et la capitulation de l’Italie en septembre de la même année, la perspective d’une victoire militaire de l’Allemagne nazie s’éloigne. Les priorités allemandes sont elles aussi en cours de redéfinition : désireuses de concentrer leur effort militaire sur le front de l’Est, les autorités allemandes attendent de la Bulgarie qu’elle étende sa zone d’occupation militaire en ex-Yougoslavie et en Grèce. Dans ces conditions, l’éventement du projet bulgare et l’affirmation par les Alliés que les persécutions anti-juives occuperont une place essentielle dans les jugements d’après-guerre achèvent de convaincre le gouvernement de reporter les arrestations sine die.
Sur la scène interne, le pouvoir est de surcroît fragilisé. Le 27 août 1943, le roi Boris III décède d’une crise cardiaque quelques jours après son retour d’un voyage en Allemagne. Alors que la capitale bruisse de rumeurs d’assassinat 28, la formation d’un conseil de régence, un remaniement gouvernemental et le remplacement d’A. Belev par Hristo Stomanjakov à la tête du Commissariat aux affaires juives (25 octobre 1943) confirment la réorientation de la politique bulgare. A partir des bombardements alliés sur Sofia, singulièrement ceux de janvier et de mars 1944, la recherche d’une issue au conflit devient la préoccupation majeure d’un pouvoir exécutif fébrile dont l’ancien ministre de l’Agriculture, Ivan Bagrjanov, prend la direction en juin 1944 29. Fin août 1944, le Premier ministre encourage le renouvellement de la direction du Consistoire central des Juifs de Bulgarie 30; il décide l’abrogation partielle de la législation anti-juive le 31 août 1944, une mesure étendue par le gouvernement Muraviev (2-9 septembre 1944) avant la déclaration de guerre de l’Union soviétique à la Bulgarie (5 septembre), l’invasion de l’Armée rouge (8 septembre) et l’accession au pouvoir d’un Front de la patrie à dominante communiste (9 septembre). Deux jours plus tôt, le 7 septembre, les Juifs condamnés au titre des lois anti-juives ont bénéficié d’une amnistie. Au cours du mois de septembre, la plupart des travailleurs forcés juifs sont démobilisés, tandis que les Juifs expulsés de Sofia regagnent peu à peu la capitale. En octobre et novembre 1944, plusieurs décisions du Conseil des ministres s’emploient à régulariser la situation des élèves et étudiants juifs n’ayant pu poursuivre leur scolarité en 1943-1944 et à leur permettre de prendre part à une rentrée scolaire reportée de deux mois.
Il faut toutefois attendre mars 1945 pour que le décret qui porte restitution des biens juifs spoliés et prévoit l’indemnisation des propriétaires dont les possessions nationalisées ne seront pas restituées, soit adopté. En ce même mois, s’ouvrent les audiences de la 7ème chambre du Tribunal populaire (Naroden săd), un tribunal d’exception créé afin de juger les criminels de guerre et de conforter l’emprise du Front populaire sur l’appareil d’Etat 31. Fait unique à cette date en Europe, la 7ème chambre est exclusivement dédiée au jugement des auteurs de crimes anti-juifs. Que le recours à une justice spécialisée ait été en partie motivé par le souci d’influencer l’issue des négociations de paix avec les alliés ne retire rien au caractère exceptionnel de cette décision. 54 prévenus sont jugés ; deux (dont A. Belev) sont condamnés à la peine de mort par contumace 32. Pourtant, en dépit du rétablissement des droits des Juifs, la césure entre partisans du projet sioniste (dans un futur Etat d’Israël) et du projet communiste (en Bulgarie) s’approfondit au cours des premiers mois de l’année 1945. Là où les seconds voient dans la traduction en justice des criminels de guerre la preuve que les violences anti-juives furent le fruit d’un régime et d’élites spécifiques, les premiers dressent le constat de l’échec du projet d’intégration juive en Europe. La répression communiste envers les élites bourgeoises (non-juives comme juives) et la nationalisation des entreprises privées décidée par l’Etat en 1947 achèveront de les convaincre d’emprunter la voie de l’émigration. En mai 1949, ils ne sont plus que 9 926 Juifs pour bâtir le rêve communiste en Bulgarie 33.
Les victimes
Avant la guerre, la Bulgarie comptait une communauté juive principalement séfarade que le recensement de 1934 avait estimée à 48 398 membres (critère d’identification confessionnel), soit 0,80% d’une population de 6 077 939 habitants 34. Au-delà d’une modeste présence romaniote attestée dans l’Antiquité, sa constitution était résultée d’installations datant de l’époque byzantine, de migrations de Juifs ashkénazes depuis la Hongrie (XIVème siècle) et la Bavière (XVème siècle), puis de l’accueil par l’Empire ottoman de Juifs expulsés d’Espagne et du Portugal en 1492. Au XVIIIème siècle et, plus encore, dans la seconde moitié du XIXème siècle, des Juifs ashkénazes originaires d’Europe centrale et de Russie étaient venus quérir une vie meilleure dans un pays qui avait accordé l’égalité des droits aux Juifs au moment de son accession à l’indépendance de facto (1878) 35. Le profil socioprofessionnel de la communauté était dominé par les figures de petits commerçants, boutiquiers ou artisans au mode de vie humble. Si, dans la capitale Sofia et quelques centres urbains (Plovdiv, Varna, Vidin), une petite bourgeoise juive était parvenue à se constituer, rares étaient à la veille de la Seconde Guerre mondiale les Juifs bulgares représentés dans les élites politiques, intellectuelles ou artistiques. Cette configuration, forte différente de celle observée en Hongrie ou en Roumanie par exemple, a sans doute longtemps contribué à priver de pouvoir de conviction les arguments antisémites associant judéité et grand capital. Et, quoique la reconstitution idyllique des relations entre Juifs et non-Juifs en Bulgarie volontiers observée dans le discours public fasse silence sur l’existence d’épisodes de tensions intercommunautaires 36, en Bulgarie les rapports entre majorité orthodoxe et minorité juive restèrent dans l’ensemble empreints de chaleur jusque dans les années 1930, voire jusqu’au début de la guerre.
Aborder ici la question des victimes invite à revenir, dans un premier temps, sur les politiques et pratiques d’identification des pouvoirs publics bulgares, puis, dans un second, sur les réponses juives aux persécutions étatiques.
Pouvoirs identifiants et politiques de la citoyenneté : la production de catégories différenciées de « Juifs »
Au sein des populations identifiées comme juives, les autorités bulgares introduisirent durant la guerre deux vecteurs de différenciation des statuts : la définition juridique de formes de judéité, d’une part, les politiques de la citoyenneté, d’autre part.
En décembre 1940, la Loi pour la défense de la nation avait défini plusieurs catégories de « personnes d’origine juive » : les Juifs de citoyenneté bulgare, convertis au christianisme avant le 1er septembre 1940 (art.33, al.1) ou mariés à des non-Juifs antérieurement à cette date et baptisés avant la promulgation du texte (art. 33, al.2) étaient exclus de son périmètre ; par ailleurs, certains volets du dispositif anti-juif ne s’appliquaient pas aux Juifs décorés pour faits d’armes, anciens engagés volontaires, invalides ou orphelins de guerre (art.33, al.2). A mesure du durcissement des mesures anti-juives, ces distinctions tendent cependant à s’estomper. Le décret-loi du 26 août 1942, qui se donne notamment pour fin de faciliter le travail d’identification administrative et policière, étend la qualité de « juif » en optant pour une définition d’une étonnante complexité. Sont dorénavant regardées comme « personnes d’origine juive (juives) » celles qui, « indépendamment de leur citoyenneté ou de leur religion », ont au moins un parent ou trois grands-parents de religion juive ou au moins un grand parent de confession juive et un autre ancêtre au second degré ayant adopté le judaïsme (art.8) 37. L’auto-déclaration est désormais instituée en preuve de judéité puisqu’au terme de l’article 9, « les personnes qui n’ont pas déposé de déclaration au titre de l’article 16 de la Loi pour la défense de la nation, mais se sont déclarées dans des documents officiels avant ou après le 23 janvier 1941 de nationalité juive (narodnost), sont considérées comme juives » sous réserve de produire une documentation attestant leur non-appartenance au judaïsme (art.9). Les enfants de mariage mixte continuent à ne pas se voir attribuer la qualité de « juif », mais selon des conditions plus restrictives.
En parallèle, le décret-loi du 26 août 1942 réduit la gamme des exceptions, ici qualifiées de « privilèges » (privilegii). Le port de l’étoile jaune est imposé à tous les Juifs, hormis ceux ayant reçu le sacrement. Une distinction demeure cependant dans le dessin des signes distinctifs : à l’étoile à six branches est substituée une vignette de forme circulaire pour les Juifs ayant conclu un mariage interreligieux et adopté le christianisme avant l’entrée en vigueur de la Loi pour la défense de la nation, d’une part, pour les Juifs de citoyenneté étrangère résidant moins d’un mois en Bulgarie, d’autre part (art.15). Surtout, ne sont désormais exemptées de l’application des dispositions de la loi que les Juifs bulgares mariés à un(e) non-Juif/ve « selon le rituel chrétien » avant le 1er septembre 1940 et baptisés avant le 23 janvier 1941. Les médaillés, invalides et orphelins de guerre (ainsi que les veuves de guerre non remariées) disposent seulement d’un traitement préférentiel « en cas de concurrence avec d’autres Juifs ». Ce, à la condition de ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation de droit commun et de ne pas professer des convictions « communistes » ou « antiétatiques » (art.52).
L’existence de profils juridiquement distincts continue néanmoins à fournir une certaine marge de négociation aux édiles et aux dignitaires religieux qui tentent d’intercéder auprès des pouvoirs publics en faveur de Juifs : à plusieurs reprises, la Saint-Synode et les hiérarques de l’Eglise orthodoxe s’élèvent ainsi contre l’imposition – contraire au nouveau règlement - de l’étoile jaune aux Juifs baptisés 38. En une instance au moins, la référence à la vaillance combattante a contribué à sauver de la déportation un Juif originaire de Bitola (Macédoine), Rafael Kamhi, qui avait été arrêté à Salonique (Grèce, en zone allemande) au printemps 1943. Les pouvoirs bulgares lui accordent en effet la citoyenneté bulgare en marque de reconnaissance pour sa contribution à la lutte anti-ottomane 39.
Après la création de catégories légales de Juifs plurielles, les politiques de la nationalité constituent le second instrument de différenciation entre personnes identifiées comme juives. Dans l’historiographie et le discours public bulgares, le fait que les Juifs des territoires occupés n’aient pas obtenu la nationalité bulgare a parfois servi à argumenter l’absence de juridiction bulgare sur ces populations et, partant, l’incapacité des autorités occupantes à empêcher l’exécution des volontés allemandes 40. Un examen plus attentif des politiques de la citoyenneté invite à reconsidérer cette appréciation 41. Trois volets nous intéressent au premier chef, qui portent sur l’administration par l’Etat bulgare des Juifs étrangers résidant sur son territoire, celle des ressortissants bulgares juifs vivant dans des zones sous contrôle allemand et enfin celle des Juifs des terres occupées. Ces trois secteurs d’action publique, souvent intriqués, doivent être resitués dans un contexte européen où nationalité et statut des Juifs entretenaient des relations d’étroite connivence 42 et où la citoyenneté constitua un instrument de gestion des populations en temps de guerre.
Premièrement, il est inexact d’affirmer que l’Etat bulgare protégea en toutes circonstances les Juifs détenteurs de la nationalité bulgare. En novembre 1941, le ministre des Affaires étrangères bulgare, Ivan Popov, s’était ouvert auprès de son homologue allemand, Joachim von Ribbentrop, des difficultés rencontrées dans l’application de la législation anti-juive aux Juifs de nationalité étrangère résidant en Bulgarie, certaines légations protestant contre le traitement discriminant infligé à une frange de leurs ressortissants 43. Un mois plus tard, le sous-secrétaire aux Affaires étrangères allemand, Martin Luther, dans une note adressée à Von Ribbentrop, défendait le projet d’un règlement global qui aurait permis d’appliquer à tous les Juifs étrangers résidant dans un pays donné la législation nationale sur les Juifs 44. Fin décembre 1941, un rapport du conseiller de la légation allemande à Sofia rappelait que le traitement (égal) de tous les nationaux était principalement régi par des accords de commerce ou d’échange de populations ; il soulignait par ailleurs les difficultés afférentes à la conclusion d’un accord collectif (notamment la peur, chez certains signataires, que la non-défense des intérêts de leurs ressortissants juifs à l’étranger n’entraîne des pertes économiques non compensées par l’existence de mesures de réciprocité) et suggérait une démarche bilatérale 45.
La thématique du traitement respectif des nationaux revenait au premier plan à l’été 1942, mais cette fois-ci dans une perspective autre : l’initiative en revenait aux Allemands et avait vocation à faciliter la préparation de la « Solution finale ». Tout en notant qu’ils n’étaient pas encore prêts à accueillir les Juifs bulgares en vue de transferts vers l’Est, les pouvoirs nazis souhaitaient inclure immédiatement les Juifs de citoyenneté bulgare résidant dans des terres contrôlées par l’Allemagne « dans les mesures de déportation globales ». Pour ce faire, Martin Luther, qui estimait leur nombre à « quelques centaines », majoritairement dans le Protectorat de Bohême Moravie, envisageait non la signature d’un accord formel, mais un échange de notes relatives au traitement des ressortissants respectifs des deux pays 46. Le 4 juillet 1942, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Dimităr Šišmanov, confirmait avoir reçu l’agrément du Premier ministre, Bogdan Filov, et confirmé aux autorités allemandes que « le gouvernement bulgare n’a rien contre la déportation (preselvaneto) des Juifs, citoyens bulgares, se trouvant en territoire allemand » 47. Les seules conditions posées par la Bulgarie concernaient la fourniture d’une liste nominative des déportés et l’attribution, pendant la signature d’un accord, des biens juifs aux « organes internes d’Etat » (bulgare) 48. Le 3 avril 1943, un rapport du conseiller de la légation allemande, Horst Wagner, confirmait que les autorités bulgares avaient accepté de voir appliquer aux Juifs bulgares résidant en Allemagne ou dans les territoires sous contrôle allemand l’ensemble des mesures anti-juives adoptées par le Reich, y compris les « transferts vers l’Est », et que l’Etat bulgare s’était engagé à ne pas demander leur éventuel retour 49.
Au printemps 1943, le chef de la légation bulgare à , Nikola Balabanov, rappelant qu’en zone occupée des rafles de Juifs étrangers étaient survenues qui avaient notamment concerné des Juifs bulgares, indiquait que le gouvernement de Vichy avait demandé aux Etats dont des ressortissants juifs résidaient en France d’indiquer, avant le 31 mars 1943, s’ils entendaient demander leur rapatriement et que l’Italie, le Portugal et la Suisse s’étaient déclarées favorables à une telle mesure 50. Mettant en exergue, le 7 avril 1943, l’alarme prévalant au sein de la communauté juive bulgare en France (une alarme moins grande dans les régions du Sud-Est sous contrôle italien), il demandait au ministère des Affaires étrangères de préciser sa position 51. Au mois d’octobre de la même année, N. Balabanov sollicitait une nouvelle fois l’avis du ministre, soulevant le cas de « 40-50 citoyens bulgares-israélites » de la région de Nice, suite à la capitulation italienne 52. Le seul document qui nous soit parvenu à cet égard est une réponse – négative - du Commissariat aux affaires juives du 4 novembre 1943 53. Durant la guerre, 140 Juifs bulgares résidant en France auraient été raflés et internés dans le camp de Drancy avant d’être, dans leur grande majorité, déportés vers l’Est 54.
En second lieu, l’on ne saurait asserter que les autorités bulgares intercédèrent systématiquement en faveur des Juifs de nationalité étrangère transitant par leur territoire. Notons, tout d’abord, les réticences exprimées, dès le mois de septembre 1938, par la Direction de la police à laisser entrer en Bulgarie des Juifs d’Europe centrale fuyant les persécutions dans leur pays d’origine 55. En avril 1939, une circulaire du ministère de l’Intérieur confirmait cette circonspection en subordonnant à autorisation ministérielle l’octroi de visas d’entrée, de transit ou de passage à des Juifs roumains, allemands, polonais, italiens ou anciennement tchécoslovaques 56. Le ministère des Affaires étrangères bulgare, en réponse à une question de la légation anglaise à Sofia, confirmait en septembre 1939 l’existence d’une telle politique, désormais étendue aux Juifs hongrois 57.
Qu’en est-il des Juifs étrangers déjà établis en Bulgarie ? En 1941, approximativement 4 000 Juifs étrangers auraient résidé dans le « vieux » royaume 58. Le discours officiel bulgare crédite le corps diplomatique d’avoir sauvé des « milliers de vies humaines » en émettant « des visas de transits pour des Juifs de Roumanie et de Hongrie » 59. Au-delà du courage de certaines individualités, il convient d’affiner la périodisation de ces politiques. Dans les premiers mois de la guerre, les autorités bulgares facilitèrent les départs vers la Palestine, ainsi dans le cas du transit de 302 Juifs d’Europe centrale, principalement des mineurs, réfugiés en Yougoslavie, approuvé par la direction de la police le 1er avril 1941 60. Cette politique doit cependant être placée en regard avec l’invitation de la Direction de la police à faciliter ces départs, « l’Etat bulgare ayant tout intérêt à se libérer de l’élément étranger » 61. Qui plus est, une politique restrictive fut appliquée à partir de 1942, conformément aux souhaits de l’Allemagne nazie.
Le 13 juin 1942, le ministère des Affaires étrangères bulgare avait ainsi donné son agrément au transit de 200 mineurs en provenance de Hongrie et de Roumanie dans le cadre d’une opération coordonnée par le Comité international de la Croix rouge et l’Agence juive en Palestine. Un premier convoi de 75 mineurs devait atteindre Istanbul le 18 mars 1943 ; 3 adolescents, âgés de 17-18 ans, arrêtés par la police allemande à Svilengrad, furent cependant renvoyés à Sofia. Le 6 avril 1943, en rupture de cet accord, la légation bulgare à Bucarest recevait l’ordre d’interdire le départ d’un second convoi de 73 enfants 62. Au même moment, les autorités bulgares s’opposaient au projet d’émigration de 4 000 enfants et 500 adolescents juifs bulgares vers la Palestine 63. Le 7 mai 1943, le chef d’état-major du ministère de la Guerre, le général Konstantin Lukaš, se prononçait dans un rapport au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur contre l’émigration de Juifs bulgares « d’humeur inamicale » (vraždebno nastroeni), susceptibles de rejoindre les rangs des forces britanniques ou de divulguer des informations sur le climat politique en Bulgarie 64. Il confirmait subséquemment que seule la Direction de la Sûreté d’Etat était habilitée à émettre des visas de transit. La politique bulgare devait connaître un nouvel assouplissement à partir de la fin 1943 en relation avec l’évolution du cours de la guerre 65. Cette politique générale ne signifie pas que certains diplomates – notamment au sein de la direction consulaire du ministère des Affaires étrangères et des légations de Budapest, Bucarest, Ankara et Berne -, n’aient pas cherché à faciliter les départs au mépris des consignes de la hiérarchie et de la police 66.
Par ailleurs, très tôt dans le cours du conflit, les responsables bulgares remirent avec zèle aux Nazis des Juifs étrangers ayant cherché refuge dans les « nouvelles terres ». En octobre 1941, informés par la gestapo de la présence de Juifs serbes à Skopje, les pouvoirs d’occupation leur ordonnaient de venir s’enregistrer auprès de la police : 213 Juifs serbes devaient obéir à cette injonction. Le 25 novembre 1941, ils étaient arrêtés ; 47 hommes de plus de dix-huit ans étaient subséquemment convoyés vers la Serbie 67 et le camp de concentration de Beograd-Banjica où ils furent exécutés le 3 décembre 1941 68.
Revenons enfin sur la question du non-octroi de la citoyenneté bulgare aux Juifs des territoires occupés. Au moment de la réintégration de la Dobrudža du Sud, les autorités avaient diligemment adopté une loi sur la citoyenneté des terres reconquises (Zakon za ureždane na podanstvoto v Dobrudža) 69 : votée en novembre 1940 celle-ci retenait le principe du droit du sol, la citoyenneté bulgare étant accordée à toutes les personnes résidant sur le territoire à la date du transfert de souveraineté, indépendamment de leurs appartenances confessionnelles ou culturelles. Quelque 500 Juifs avaient ainsi obtenu la citoyenneté au même titre que les Roumains, Turcs, Grecs, Roms, etc. Par contraste, le statut des résidents des terres yougoslaves et grecques était laissé en suspens pendant plus d’un an. Sur décision du Premier ministre, une commission ad hoc fut finalement constituée au printemps 1942 sous la présidence du jurisconsulte du ministère des Affaires étrangères, Bodgan Kesjakov 70. Elle siégea les 19, 26 et 28 mai 1942. Jusqu’alors, le seul élément de différenciation entre Juifs et non-Juifs avait résidé dans l’émission de cartes d’identité de couleur verte pour les non-Juifs et bleue pour les Juifs. Sur ces dernières figurait la citoyenneté antérieure (yougoslave ou grecque) des Juifs.
Le statut des Juifs des territoires occupés finalement défini au terme du décret-loi sur la citoyenneté dans les terres libérées en 1941 (Naredba za podantstvo v osvobodenite prez 1941 godina zemi) du 10 juin 1942 – i.e. adopté sans discussion au Parlement - s’inspire de la législation antérieure, avec des effets d’une incomparable ampleur 71. Des débats internes à la commission, les archives n’ont gardé aucune trace ; seul a été conservé le rapport final 72. Deux enjeux semblent avoir retenu l’attention des membres : le renforcement de « l’élément bulgare » dans les « nouveaux » territoires (singulièrement en Thrace égéenne où il était minoritaire) et le souci de ne pas entraver l’acquisition de la citoyenneté par des personnes « d’origine bulgare » ne résidant pas dans les « nouvelles terres » au moment de l’adoption du décret, mais susceptibles de s’y installer (i. e. des minorités « bulgares » de l’extérieur). Pour ce qui est des Juifs, le document se contente de fonder la non-attribution de la nationalité par référence aux dispositions de la Loi sur la défense de la nation : cette dernière avait en effet interdit l’octroi de la citoyenneté bulgare à des Juifs étrangers. La mesure était alors destinée à prévenir les naturalisations de Juifs d’Europe centrale récemment arrivés. En amont de la réunion du Conseil des ministres chargé d’approuver le décret, le ministre de la Justice a également rédigé un rapport : celui-ci est muet sur la question de la citoyenneté des Juifs 73.
Reconstituer les paramètres ayant influencé les choix des dirigeants bulgares relève dès lors de la gageure. Tout au plus peut-on apporter trois observations à la discussion. Premièrement, on ne saurait exclure que les autorités allemandes aient exercé des pressions sur la Bulgarie. De nouvelles recherches en archives permettront peut-être de documenter les canaux et formes revêtus par ces pressions. Deuxièmement, il convient de rappeler que le Parlement bulgare avait, en décembre 1940, adopté une loi sur la citoyenneté (la précédente datait de 1904), qui envisageait des déchéances de nationalité – certes, à titre exclusivement individuel. L’un des principaux changements concernait précisément la révocation de la citoyenneté : l’article 21 stipulait que les citoyens décidant d’émigrer perdaient automatiquement la citoyenneté à leur sortie du territoire. La législation posait en outre que pouvaient être déchues de la nationalité les personnes « indignes et dangereuses pour la sûreté de l’Etat et l’ordre public ». Le Conseil des ministres était habilité à prononcer la déchéance sur la base d’un rapport motivé du ministre de la Justice et après avoir consulté le Conseil de la citoyenneté créé par cette même loi 74. Octroi et retrait de la citoyenneté étaient donc bien conçus comme des dispositifs étroitement liés à la définition des priorités de sécurité nationale.
Enfin, il semble difficile d’imaginer que les dirigeants bulgares aient ignoré que le refus d’accorder la nationalité aux Juifs des territoires occupés leur retirait les moyens d’intercéder, le cas échéant, en faveur de ces derniers. A plusieurs reprises, on l’a dit, les pouvoirs publics bulgares s’étaient plaints que l’argument de la citoyenneté soit mobilisé par des légations étrangères pour s’opposer à l’application en Bulgarie de mesures anti-juives envers leurs ressortissants. Réciproquement, des diplomates bulgares demandèrent que les nationaux juifs bénéficient de la même protection que les non-Juifs (et soient autorisés à continuer à diriger leurs entreprises), ainsi en France au mois de février 1941 75. Un mois plus tard, une nouvelle requête concernait l’affectation, aux commerces juifs bulgares aryanisés en zone occupée d’administrateurs provisoires bulgares et non français 76.
Si le processus décisionnel demeure imparfaitement éclairé, les incidences de l’adoption du décret du 10 juin 1942 sont en revanche connues. Les nouvelles dispositions précarisèrent doublement les Juifs des terres récemment incorporées à l’Etat bulgare : juridiquement et économiquement. D’un point de vue juridique, les Juifs se virent refuser la qualité de nationaux bulgares, une option qui était accordée aux autres ressortissants grecs et yougoslaves « d’origine non bulgare » jusqu’en avril 1943, et sont enregistrés comme citoyens « yougoslaves » ou « grecs », soit comme ressortissants d’Etats qui n’avaient plus à cette date plus d’existence légale. Sur un plan économique, désormais traités en étrangers, ils durent s’acquitter d’une taxe de séjour, dont le poids relatif s’accentua à mesure de la fragilisation du monde social juif.
Les réponses juives à l’antisémitisme d’Etat
Quelles furent les réactions des Juifs aux mesures d’exclusion et aux violences d’Etat? L’historiographie sur la Shoah en Europe (et plus encore en Israël) a été longtemps hantée par le débat sur la « passivité » supposée des Juifs devant le programme d’extermination nazi. La configuration bulgare est quelque peu différente : sous le communisme, l’histoire des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale a été subsumée dans celle des « luttes héroïques du peuple bulgare contre le fascisme », elle-même héritière d’une narration patriotique (« bourgeoise ») du combat pour l’indépendance. La valorisation du mouvement partisan et, en son sein, de la contribution juive, a constitué l’un des piliers du récit. Cette représentation de la solidarité en armes, également véhiculée dans les témoignages collectés au lendemain de la guerre, reçut sa consécration en 1958 avec la publication de l’ouvrage, Les Juifs dans la lutte antifasciste 77. Plusieurs hauts faits étaient conventionnellement relatés, parmi lesquels le sabotage d’un dépôt de fuel par Leon Tadžer à Ruse en octobre 1941 (un des premiers actes de résistance en Bulgarie), l’assassinat en février 1943 du général Hristo Lukov, dirigeant des Légionnaires, par Violeta Jakova et l’élimination de l’ancien directeur de la police par Menahem Papo en mai 1943. Etaient en outre célébrées à l’envi quelques figures juives ayant rejoint les rangs de la Jeunesse communiste ou du Parti communiste, à l’instar du colonel Tadžer (plus haut gradé juif de l’armée bulgare, membre du Comité central) ou du journaliste Emil Šekerdžijski, tué dans une action de résistance en août 1944.
Dans la seconde moitié des années 1970, en un contexte marqué par l’adhésion croissante du régime bulgare à une rhétorique nationaliste, l’Annuel de l’organisation des Juifs de Bulgarie, fondé en 1966, allait vanter la qualité de l’intégration des Juifs à la société bulgare 78 et tracer une fine ligne de continuité entre la vaillance militaire juive dans les guerres de 1885 (contre la Serbie), de 1912-1913 (guerres balkaniques), de 1914-1918 (Première Guerre mondiale) et leur engagement aux côtés des communistes pendant la Seconde Guerre mondiale 79. Entre 1984 et 1986, l’Annuel dressait une liste de 180 Juifs morts au service de la résistance. L’horizon temporel du combat était étendu de 1923 (l’année du coup d’Etat contre le dirigeant agrarien, Aleksandăr Stambolijski, et de la tentative avortée d’insurrection communiste) à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre des Juifs bulgares ayant connu les geôles du régime étant établi à 593 80. En parallèle, la revue lançait un appel à témoignages sur la « participation des Juifs aux luttes du BKP et de RMS » (l’organisation de la Jeunesse communiste), ces récits de soi sur injonction étant publiés dans la rubrique « Les archives parlent » 81.
Dans cette trame, un relief singulier a été conféré à une date, celle du 24 mai 1943 et de la manifestation contre les arrêts d’expulsion. Ce jour-là, à Sofia, plusieurs centaines de Juifs s’étaient rassemblés à la synagogue et, précédés du grand rabbin Daniel Cion, avaient décidé de marcher jusqu’à la résidence du roi afin de solliciter la révocation des ordres de relégation 82. Avant d’être parvenus à quitter le quartier juif de Jučbunar, ils s’étaient heurtés à des forces de police armées de mitrailleuses et de fusils automatiques. La foule avait été brutalement dispersée et les autorités avaient procédé à environ 400 interpellations (cent-quarante-sept Juifs devaient être ultérieurement internés dans le camp de concentration de Somovit 83). Au même moment, une délégation de Juifs et de convertis se rendait chez le métropolite Stefan de Sofia pour l’enjoindre de plaider leur cause devant la Cour. Après avoir échoué à obtenir une audience du roi, le métropolite incluait une référence aux persécutions anti-juives dans son sermon prononcé à la cathédrale Nevski 84. Dans les écrits communistes, la manifestation du 24 mai a été présentée comme une initiative du mouvement de jeunesse communiste et du Parti, soutenue par des Juifs et des non-Juifs unis par une solidarité de classe. Une histoire plus distanciée de l’événement reste à écrire, qui documenterait l’ampleur de la mobilisation (les estimations vont de quelques centaines à plusieurs milliers de participants selon les sources) 85, le rôle des communistes dans son organisation, la présence des non-Juifs aux côtés des manifestants juifs, ainsi que les appréciations du recours à la rue par les Juifs communistes et sionistes.
Les témoins
Que des voix se soient très tôt élevées pour dénoncer les politiques anti-juives constitue sans doute l’une des facettes les mieux connues de la trajectoire bulgare durant la guerre. Pendant plusieurs décennies, l’accent placé sur les mobilisations contre la déportation des Juifs bulgares a cependant contribué à minorer la gamme des acteurs impliqués dans l’application des mesures anti-juives et à jeter un voile pudique sur les (autres) réponses sociétales aux dispositifs anti-juifs, singulièrement à l’aryanisation des biens juifs. De fait, l’examen des relations changeantes entre Juifs et non-Juifs pendant le conflit demeure l’un des angles morts des historiographies bulgare, macédonienne et grecque. En Bulgarie, une ligne de démarcation a souvent été tracée entre, d’un côté, le gouvernement profasciste et ses éventuels affidés (Ratnici, les Légionnaires, l’organisation de masse Brannik, parfois comparée aux Jeunesses hitlériennes, etc.) 86 et, de l’autre, une société qui se serait opposée aux politiques anti-juives, tantôt dans la discrétion des solidarités de voisinage, parfois en donnant une plus grande publicité à ses actions. En Macédoine et en Grèce, la référence à l’occupation - et donc à l’absence de responsabilité décisionnelle -, au déficit d’information et à la rapidité des déportations a entravé l’amorce d’une réflexion critique sur les solidarités en pointillés des habitants non-juifs envers leurs voisins juifs. Quelques écrits récents ont cependant commencé à écorner l’image d’un indéfectible soutien des partisans envers les victimes juives en Macédoine 87.
Dans le contexte bulgare, la réouverture du chantier historiographique de la spoliation et des liquidations des biens juifs postérieures aux déportations a révélé l’existence d’une palette de pratiques prédatrices (pillages, vols, achats à faible coût, sollicitations individualisées auprès des délégués aux affaires juives et du Commissariat, etc.) au terme desquelles des biens juifs furent accaparés par des résidents locaux 88. Une restitution de la diversité des histoires locales, des sensibilités politiques, des définitions identitaires, des inscriptions sociales et des spécialisations professionnelles permettrait d’affiner la saisie de ces stratégies individuelles. Le défi d’une écriture à juste distance consiste à tenir ensemble l’exceptionnalité des protestations publiques bulgares contre la législation anti-juive à l’automne 1940, puis contre la tentative de déportation de mars 1943 et l’existence de situations dans lesquelles des individus – parfois les mêmes – utilisèrent les structures d’opportunité créées par l’antisémitisme d’Etat.
Arrêtons-nous un instant sur certains moments saillants. On a évoqué plus haut les oppositions publiques à l’adoption de la Loi sur la défense de la nation. Reste à fournir un récit des protestations ayant permis la suspension des rafles de Juifs bulgares en mars 1943. Les faits ont été relatés dans l’ouvrage fondateur de l’historien américain, Frederic Chary 89 et dans les textes de vulgarisation des hommes publics, Michael Bar Zohar et Gabriele Nissim, dont les écrits ont contribué à conférer une forte visibilité internationale à la thèse de l’exceptionnalité bulgare face à la Shoah à la fin des années 1990 90. Ils s’appuient sur une documentation en provenance de trois sources, les dépositions de participants, témoins et victimes devant le Tribunal populaire bulgare en 1945, les mémoires ultérieurement rédigés et/ou publiés par des Bulgares juifs et non-juifs ayant pris part aux événements, ainsi que des entretiens avec des protagonistes ou leurs descendants.
Bien que les déportations aient été préparées dans le plus grand secret, quelques informations circulèrent en amont des arrestations. Le 25 février 1943, les Juifs de Dupnica, municipalité du « vieux » royaume où était planifiée l’arrivée des déportés de Grèce du nord, avaient été assignés à résidence ; le 7 mars, les habitants de la commune virent défiler sous leurs yeux les Juifs de Thrace, épuisés et hagards, parcourant à pied le chemin qui reliait la gare à l’entrepôt de tabac transformé en camp de transit. A Kjustendil, autre commune bulgare proche de la frontière avec la Macédoine, le silence autour de la préparation des arrestations de Juifs bulgares fut rompu début mars par un agent du Commissariat aux affaires juives, par un médecin corrompu lié au Commissariat et par le préfet de région. La demande de récipients et de vivres adressée par le délégué aux affaires juives de Kjustendil aux responsables de la communauté juive ne fit que confirmer les inquiétudes, de même que le stationnement de trente-cinq wagons dans la gare proche de Radomir. Tandis qu’une partie des Juifs de Kjustendil recherchait soutiens et moyens financiers dans l’espoir de corrompre des agents du Commissariat, des députés ou d’autres figures en mesure d’infléchir les décisions étatiques, une délégation comprenant le député de Kjustendil, Petăr Mihalev, le militant de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (VMRO), Vladimir Kurtev, l’avocat Ivan Momčilov et le commerçant, Assen Suišmezov, parvenait à gagner Sofia dans la soirée du 8 mars et à contacter le vice-président de l’Assemblée nationale, Dimităr Pešev, lui-même originaire de Kjustendil. Au cours de la journée fatidique du 9 mars – jour de reprise des débats parlementaires -, D. Pešev était reçu à deux reprises par le ministre de l’Intérieur, Petăr Gabrovski, la seconde en présence des membres de la délégation. Après avoir nié le caractère imminent des rafles, le ministre finissait par accepter que soit donné par téléphone l’ordre de suspendre les arrestations. A ce jour, les raisons de ce revirement n’ont pas été pleinement élucidées, pas plus que l’éventualité de consultations entre le ministre de l’Intérieur, le Premier ministre et/ou le roi Boris III dans l’interstice de temps ayant séparé les deux visites de Dimităr Pešev. Les partisans d’une lecture du « sauvetage » valorisant la contribution du roi suggèrent que ce dernier aurait donné son aval au report et que l’annulation aurait été décidée avant même la seconde entrevue avec D. Pešev 91.
Le 17 mars, alors que les Juifs de Thrace et de Macédoine étaient encore sur le territoire du « vieux » royaume, à Gorna Džumaja et Dupnica, le vice-président de l’Assemblée nationale prit l’initiative de faire circuler une pétition dénonçant la politique bulgare envers les Juifs. Il la soumit aux seuls députés de la majorité dans l’espoir de convaincre le chef du gouvernement, Bodgan Filov, de la sévérité du désaveu auquel il était exposé ; quarante-deux élus allaient signer la lettre, l’un d’entre eux retirant ultérieurement sa signature 92. En réponse, le premier ministre convoquait, le 24 mars, une session du Parlement au terme de laquelle les députés de la majorité confirmaient leur soutien au programme anti-juif du cabinet ; 66 d’entre eux votaient en faveur d’une sanction de D. Pešev (33 contre, 11 s’abstenaient et 4 quittaient la salle). Deux jours plus tard, à l’issue de très vifs débats - plusieurs députés de l’opposition, dont Nikola Mušanov et Petko Stajnov, s’étant une nouvelle fois élevés contre les persécutions anti-juives -, D. Pešev était démis de ses fonctions de vice-président de l’Assemblée 93.
Au-delà de cette trame factuelle, une réflexion sur l’attitude des bystanders face au projet de déportation des Juifs bulgares se heurte à plusieurs écueils méthodologiques. Premièrement, jusqu’à présent l’énoncé des faits a épousé les préférences politiques des auteurs, le récit faisant apparaître ou disparaître protagonistes, lieux et moments selon le tableau que le narrateur souhaitait peindre. A une lecture communiste du « sauvetage des Juifs bulgares » mentionnant Petko Stajnov (qui poursuivit un carrière de professeur de droit après 1944), mais omettant Nikola Mušanov (condamné par le Tribunal populaire en 1945, décédé dans les locaux de la police en 1951), évoquant brièvement la délégation du 9 mars tout en accordant une large couverture à la manifestation du 24 mai 1943 94, répondent en miroir ces récits de l’après-1989 qui oublient la dénonciation des mesures anti-juives par la communiste « Radio Botev », éludent quasiment le 24 mai, mais font saillir la contribution d’élus conservateurs ( Dimităr Pešev) 95, du roi 96 ou de l’Eglise orthodoxe bulgare 97.
L’extraordinaire visibilité conférée à la figure de Pešev depuis la chute du communisme se comprend mieux si l’on se souvient que l’ancien vice-président du Parlement fut condamné par la juridiction d’exception du Tribunal populaire à 15 ans de prison (effectivement interné 13 mois) et mena ensuite une vie recluse. Dimităr Pešev incarne le récit historique que certains militants de la mémoire anti-communistes ont souhaité porter après 1989, un récit conjuguant dénonciation des crimes du communisme et hommage au courage individuel de membres de l’ancienne élite « bourgeoise ». C’est d’ailleurs à l’initiative d’élus bulgares de droite qu’un buste de Pešev fut offert au Conseil de l’Europe en 1999 98.
Le second débat historiographique concerne l’interprétation des fondements de l’opposition aux mesures anti-juives. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des écrits, indépendamment des sensibilités politiques, ont tendu à imputer l’ampleur des protestations bulgares à une vertu collective supposée, celle de la « tolérance nationale ». Cette rhétorique est présente dans les écrits du métropolite Stefan pendant la guerre 99, l’anthologie de documents assemblés par Natan Grinberg en 1945 100 et les réquisitoires des procureurs du Tribunal populaire en 1945 101. Elle parcourt de même témoignages, mémoires et écrits universitaires, y compris l’ouvrage coordonné par le philosophe français d’origine bulgare, Tzvetan Todorov, en 1999 102. En l’occurrence, la prévalence de cet imaginaire n’a guère encouragé l’ouverture d’une discussion sociologiquement armée des conditions de production de la compassion ou de l’engagement en temps de guerre, autant que de l’histoire des relations entre Juifs et non-Juifs. Pour autant, à l’essentialisation des représentations collectives, on ne saurait opposer la seule référence à la droiture morale d’individualités singulières. Il convient d’explorer les logiques sociales ayant autorisé la cristallisation d’éventuelles convictions et sous-tendu, au-delà des éthiques personnelles, les actes et prises de parole.
Controverses mémorielles
Plus ou moins euphémisées au temps de la guerre froide, les controverses sur la politique bulgare envers les Juifs pendant le conflit mondial ont repris avec une acrimonie grandissante depuis la chute du communisme : la première variable explicative réside dans l’annexion de la Shoah à des débats politiques et identitaires qui n’entretenaient avec elle que des relations de tangence, au premier chef la redéfinition des identités nationales en Macédoine post-yougoslave, la structuration des clivages partisans en Bulgarie et, plus timidement, la renégociation des intrications entre histoires de la guerre civile et de la Seconde Guerre mondiale en Grèce. La seconde mutation concerne la diversification des acteurs se sentant habilités à énoncer une « vérité » sur le passé (militants de la mémoire, érudits, élus, etc.). Ces entreprises concurrentes sont inséparables d’un mouvement de transnationalisation des récits de la Shoah auquel les Juifs bulgares établis aux États-Unis et en Israël et les diasporas balkaniques non juives ont apporté une contribution majeure. Enfin – et corrélativement -, la prégnance des enjeux mémoriels autour des politiques bulgares ne saurait être dissociée des mutations survenues dans les régimes mémoriels européens et internationaux ces dernières décennies et de la valeur référentielle que la Shoah y a acquise.
Jusqu’à l’éclatement de la Yougoslavie en 1991, la Shoah en Macédoine était restée faiblement représentée dans l’historiographie yougoslave, l’attention historienne se centrant sur les massacres en Croatie, en Serbie et en Bosnie-Herzégovine 103. Au-delà des travaux d’Aleksandar Matkovski 104, la production historique locale ne reçut qu’une impulsion modeste dans la seconde moitié des années 1980 105. À l’échelle de la Fédération, une politique commémorative avait pourtant été esquissée dès 1952 à Belgrade, Zagreb, Sarajevo, Novi Sad et Đakovo 106. En Macédoine, le premier monument fut inauguré à Bitola, ancienne métropole séfarade, en 1958. Avant la décennie 1980, ces politiques publiques avaient cependant moins valorisé l’exceptionnalité des souffrances juives que leur appartenance à la catégorie plus vaste de « victimes du fascisme ». La Seconde Guerre mondiale n’était pas pour autant absente de la narration macédonienne : la dénonciation des « fascistes bulgares » permettait de nier que l’arrivée des forces bulgares ait pu être perçue, dans certains segments de la société macédonienne, comme une émancipation par rapport au « joug serbe » de l’entre-deux-guerres. Dans les années 1970-1980, les contentieux historiques entre Bulgares et Macédoniens s’intensifièrent et s’élargirent à la question de l’ethnogenèse du peuple macédonien et de la langue macédonienne 107.
En 1991, la création d’un Etat indépendant macédonien n’affecta d’abord que marginalement la place de la Shoah dans le récit national. L’extermination des Juifs de Macédoine acquit une visibilité nouvelle dans le sillage de l’adoption par le gouvernement macédonien d’une loi de dénationalisation des avoirs ayant appartenu à la communauté juive 108 et de la création subséquente d’un Fonds pour l’Holocauste des Juifs de Macédoine. Cinq ans plus tard, un projet de Musée-mémorial de l’Holocauste était formulé, finalement inauguré en mars 2011. Inscrite dans des dynamiques internationales de (re)connaissance de la Shoah, l’ouverture de ce musée a également coïncidé avec l’investissement du passé national promu par le gouvernement de Nikola Gruevski (VMRO-DPMNE, droite). Cette concordance des temps entre la création du musée et l’inscription dans le discours public et l’espace urbain (le projet « Skopje 2014 ») d’une lecture de l’histoire macédonienne ayant suscité d’immenses réserves en Grèce et en Bulgarie, a encouragé un déchiffrage politique de l’initiative macédonienne au sein des milieux dirigeants bulgares.
En Bulgarie même, le thème de la Shoah avait fait l’objet d’un investissement politique à partir de la fin des années 1960 à travers la promotion du thème du « sauvetage des Juifs bulgares » sur la scène internationale 109. A la chute du communisme, la relecture de la guerre y servit dans un premier temps la structuration du nouveau système de partis : ex-communistes et anticommunistes entreprirent de se légitimer par histoire interposée, offrant des violences du long XXème siècle des relectures clivées. Là où l’opposition anticommuniste s’employa à arracher l’héritage du « sauvetage » à l’orbite du mouvement partisan, le Parti socialiste (ex-communiste) redécouvrit opportunément le sort infligé aux Juifs des territoires occupés et les politiques antisémites du roi Boris III 110. Au cours des années 2000 cependant, un consensus interpartisan a émergé sur fond d’érosion de la division entre ex/anti-communistes : selon une logique agrégative, la contribution héroïque des divers secteurs de la société bulgare au « sauvetage » est désormais couplée à une stigmatisation des usages politiques du passé en Macédoine.
De ces querelles publiques, les descendants de Juifs de Bulgarie et de Macédoine ayant émigré en Israël ou aux Etats-Unis sont devenus des acteurs. Deux épisodes peuvent être ici brièvement évoqués. Le premier est connu sous le nom de la « forêt bulgare » et implique des Juifs bulgares installés aux Etats-Unis, des Juifs yougoslaves établis en Israël, des Juifs de gauche demeurés en Bulgarie, l’institut Yad Vashem et une mosaïque d’experts israéliens et internationaux. En 1993, des Juifs bulgares américains lancèrent un projet de commémoration du « sauvetage » à travers l’inauguration d’une « forêt bulgare », sise non loin de Jérusalem. L’initiative suscita la contre-mobilisation de familles de Juifs natifs de Macédoine et de Thrace, ainsi que de Juifs bulgares hostiles à l’attribution des « mérites » du sauvetage au roi Boris. Un premier compromis fut trouvé en 1996 : hommage serait dorénavant conjointement rendu au roi et à son épouse, au métropolite Stefan et à Dimităr Pešev et au souvenir de la déportation des Juifs des territoires occupés. Mais les protestations ne cessèrent pas pour autant. L’institut Yad Vashem décida alors la création d’une commission ad hoc présidée par le juge Moshe Bejski qui, au terme d’auditions dans les milieux de rescapés, d’historiens et d’institutions mémorielles, proposa en juillet 2000 de substituer au dispositif ternaire un monument unique commémorant les victimes de l’extermination et les auteurs du sauvetage des Juifs bulgares 111. L’épisode est révélateur des logiques de ramification des controverses mémorielles qui mêlent acteurs publics et privés, divisions politiques intra-bulgares et intra-juives, dans des arènes désormais transnationales.
Le second contentieux s’est déployé en 2011-2012 autour d’une fiction cinématographique « La troisième mi-temps » (Treto poluvreme) tournée par le cinéaste macédonien Darko Mitrevski. Celle-ci relatait les destinées pendant la guerre de l’équipe de football Makedonija et de son entraîneur, un Juif allemand. L’occupation bulgare et la déportation y étaient appréhendées à travers l’intrigue amoureuse nouée entre une jeune Juive et un joueur de football macédonien. Avant même la sortie du film sur les écrans, le généreux financement public accordé à sa réalisation et la visite du premier ministre macédonien sur les lieux de tournage avaient été interprétés par certains élus bulgares comme la preuve que l’œuvre était de commande. En Grèce, un pays qui s’oppose à l’utilisation par sa voisine du terme de « Macédoine » qu’elle estime appartenir à son patrimoine historique, l’adjonction de l’adjectif « macédonien » pour qualifier des victimes juives qui étaient avant guerre ressortissantes du royaume de Yougoslavie suscita des réactions non moins vives. En novembre 2011, trois députés européens bulgares dénoncèrent auprès du Commissaire européen à l’élargissement, Stefan Füle, une « instrumentalisation politique » de l’histoire et une atteinte aux relations de « bon voisinage ». La logique de transnationalisation qui nous est ici donnée à voir est autre, puisqu’elle repose sur l’effet de levier représenté par la qualité d’Etat membre de l’Union européenne (UE) : aux élus bulgares, l’Union fournit à cette occasion une arène où porter le contentieux, un vocabulaire pour le qualifier et un vecteur d’influence 112.
Dans les relations bulgaro-grecques, la Shoah a occupé une place plus secondaire. Ces rapports, qui avaient acquis une certaine chaleur dès les années 1980, se sont resserrés autour de la dénonciation du « nationalisme » de la Macédoine. Au-delà des enjeux de diplomatie bilatérale, les recherches sur la Shoah en Grèce ont longtemps été prisonnières des liens inextricables entre les discussions sur la Seconde Guerre mondiale, la résistance/collaboration pendant le conflit et la guerre civile. Une historiographie a récemment émergé sous l’impulsion d’historiens étrangers, puis locaux 113 ; mais ce renouvellement n’a que marginalement concerné la zone d’occupation bulgare, se centrant sur le cas emblématique de l’ancienne métropole séfarade, Salonique 114. La faible visibilité de ce segment de l’histoire juive en Grèce 115 éclaire sans doute la rareté des controverses relatives au rôle de la Bulgarie dans la Shoah en Grèce.
En dernier ressort, le croisement entre les processus politiques et identitaires précédemment décrits, l’investissement du champ historique par l’Union européenne et la consolidation d’un réseau international d’institutions militant pour la connaissance et la remémoration de la Shoah laisse anticiper la constitution progressive d’un corpus de recherches empiriques sur les politiques anti-juives dans l’« ancien » et le « nouveau » royaumes bulgares. De manière concomitante devraient s’accroître les pressions internes et internationales en faveur de la reconnaissance par l’Etat bulgare de ses responsabilités dans les rafles et les déportations depuis les terres qui furent sous son contrôle. Une telle évolution n’en fera saillir qu’avec plus de relief l’exceptionnalité des mobilisations sociétales de 1940 et 1943 contre les politiques anti-juives des pouvoirs publics bulgares.
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- 1. Grinberg, 2015, p.14-16.
- 2. Le rapport d’A. Belev du 3 février, cité plus haut, propose le dénombrement suivant : environ 4 000 juifs à Skopje, 3 000 à Bitola, 800 à Štip, 300 à Pirot « 50 familles » à Veles, et environ 30 personnes à Gevgeli. Il estime par ailleurs à 6 000 les Juifs des territoires du nord de la Grèce sous contrôle bulgare. Voir Grinberg, 2015, p.9.
- 3. Ordonnances n°.113, 114, 115, 116, 117, 126, Conseil des ministres, protocole 32, 02.03.1943.
- 4. Grinberg, 2015, p.40-41.
- 5. Sur l’organisation des déportations, au-delà des plans de préparation des rafles publiés dès 1945 par Natan Grinberg, voir les dépositions de Jaroslav Kalicin, Penčo Lukov, Zahari Velkov, Asen Pajtašev devant le Tribunal populaire rassemblées dans Danova & Avramov, 2013, vol. 2., p.565-642.
- 6. Grinberg, 2015, p.170 ; Avramov, 2012, p.123-125.
- 7. Chary, 1972, p.87-88.
- 8. Grinberg, 2015, p.97. Grinberg cite ici un rapport adressé par A. Ovčarov à son supérieur hiérarchique, Jaroslav Kalicin, au Commissariat aux affaires juives, qui indique que le train du 7 mars 1943 en provenance de Kavala aurait été encadré par 10 policiers et 9 soldats.
- 9. Grinberg, 1945, p.107.
- 10. Grinberg, 2015, p.116.
- 11. La composition du dispositif de sécurité des deux convois ayant quitté Lom le 21 mars nous est connue par les rapports, publiés par Natan Grinberg en 1945, qu’en offrirent, le 7 avril 1943, au Service sanitaire de Sofia les médecins bulgares chargés d’accompagner les déportés jusque dans la capitale autrichienne : le premier comprenait 24 policiers bulgares (dont un sous-officier) et deux représentants de la police militaire allemande ; le second se composait de 17 policiers bulgares (dont un officier), « subordonnés à deux membres de la police militaire allemande ». La présence allemande est confirmée dans un rapport de la légation allemande à Sofia daté du 5 avril 1943 qui évoque la présence de 2 policiers allemands sur les bateaux en partance de Lom et l’existence d’un effectif policier allemand, au nombre non précisé, à bord des trains partis de Skopje. Vior Grinberg, 2015, p.119-122.
- 12. Au-delà des archives du Commissariat aux affaires juives, les conditions de détention à Skopje ont été décrites, dès 1945, dans des témoignages collectés par la Commission d’enquête sur les crimes de guerres en Yougoslavie (Držvna Komisija za Utvrđivanje Zločina Okupatora i njihovih pomagača) et dans des dépositions devant le Tribunal populaire bulgare. L’historien macédonien en cite plusieurs extraits : Matkovski, 1982, p.138-143.
- 13. Dans ce troisième convoi, A. Matkovski parle « d’approximativement 90 jeunes Juifs de Kavala » (Matkovski, 1982, p.153) ; un rapport bulgare du Commissariat aux affaires juives évoque, lui, 42 Juifs grecs (Grinberg, 2015, p.124). Des Juifs de Macédoine seraient également décédés à Jasenovac, Banjica et Sajmište (Yougoslavie), ainsi qu’Auschwitz, Dachau, Lublin, Bergen-Belsen, Majdanek et Mauthausen : Matkovski, 1982, p.156.
- 14. Cette information provient de deux sources : la déposition du numéro 2 du Commissariat aux affaires juives, Jaroslav Kalicin, devant le Tribunal populaire bulgare en mars 1945 et le témoignage de l’un des rares survivants des déportations depuis la Macédoine, Albert Serfati : Grinberg, 2015, p.164. En 1986, Žamila Kolonomos et Vera Vesković-Vangeli indiquaient elles que « tous les trains ont été accompagnés par le police bulgare, le second également par la gestapo » : Kolonomos & Vesković-Vangeli, 1986, p.59.
- 15. Matkovski, 1962, p.82-83 ; Nadja Danova et Roumen Avramov retiennent le nombre de 7141 sur la base des listes nominatives de déportation bulgares : Danova & Avramov, 2013, vol. 2, p.9-286.
- 16. Chiffres cités dans Matkovski, 1982, p.147 (données de la commission d’enquête yougoslave sur les crimes de guerre). L’auteur précise que les Juifs albanais et italiens libérés furent contraints de quitter le territoire bulgare ; à Pristina, alors sous contrôle italien, 12 d’entre eux furent arrêtés par la gestapo et déportés vers le camp de Bergen-Belsen, où quatre trouvèrent la mort.
- 17. Matkovski, 1982, p.155 (données de la commission d’enquête yougoslave sur les crimes de guerre).
- 18. Grinberg, 1945, p.123, p.151, p.164. N. Danova et R. Avramov ont publié une liste nominative des Juifs citoyens étrangers libérés du camp de Skopje, datée du 29 mars 1943, conservée dans les archives du Commissariat aux affaires juives, qui porte sur 76 libérations (57 Espagnols, 14 Italiens, 3 Hongrois et 2 personnes dont la citoyenneté n’est pas indiquée) : CDA, F 190K, o 3, ae 171, l.1-2 in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.682-684.
- 19. CDA, F 190K, o 3, ae 103, l.9.
- 20. Jevrejski istoriski muzej Beograd (JIMB), n°.2479, k.23-6-1/7, cité dans Matkovski, 1982, p.176.
- 21. Grinberg, 2015, p.123.
- 22. Grinberg, 2015, p.124. Les archives du Commissariat aux affaires juives ont gardé la trace d’une liste de 18 noms de Juifs originaires de Drama, Kavala, Sofia et Pravište, en date du 28 mars 1943, arrêtés et transférés vers Gorna Džumaja, après les rafles de début mars : CDA, F 190K, o1, ae 8522, l.12, in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.723.
- 23. Chorapchiev & Ritzaleos, 2013.
- 24. Le document n’est pas sans présenter de contradiction pour ce qui concerne le nombre des cibles des rafles. Il indique, d’un côté, que ne sont pas visés les Juifs détenteurs d’une citoyenneté étrangère (hormis les Juifs des territoires sous contrôle allemand), les Juifs mariés à des non-Juifs, les citoyens mobilisés « si et seulement si ils sont absolument indispensables » et les personnes affectées de maladies contagieuses. Dans le même temps, le nombre total qu’il fournit (48 000 victimes) correspond à la présence juive bulgare dans le « vieux » royaume. CDA, F. 1568K, o 1, ae 122, l.49-51.
- 25. Le « Plan pour la déportation des Juifs hors du pays » est non daté, mais on peut supposer qu’il est antérieur à l’ordonnance gouvernementale du 21.05.1943 : CDA, F. 1568K, o 1, ae 122, l.49-51.
- 26. Ordonnance n°.70, Conseil des ministres, protocole 74, 21.05.1943.
- 27. Yad Vashem, URO 190-192, dont une copie est conservée dans les archives de David Koen à l’Académie des sciences bulgares (Bălgarska akademija na nuakite, BAN : NA BAN, F 111, o 1, ae 41, l.1-3). Le courrier, ainsi que d’autres documents issus des archives diplomatiques allemandes, a fait l’objet d’une publication en allemand et en traduction bulgare dans Koen, 1983, p.109-112.
- 28. Miller, 1975, p.137-143.
- 29. Miller, 1975, p.170-182.
- 30. Baruh, 1960, p.172.
- 31. D.V., n°.219, 06.10.1944.
- 32. Ragaru, 2015a.
- 33. Shealtiel, 2009, p.493.
- 34. Statističeski godišnik, 27, 1935, p.14-25.
- 35. Mezan, 1925 ; Eskanazi & Krispin, 2002 ; Benbassa & Rodrigue, 1993.
- 36. Pour une relecture de l’histoire de l’antisémitisme en Bulgarie, voir Poppetrov, 2013 ; Todorova, 1994, p.10-22 ; Kulenska, 2012.
- 37. Additionnant des critères hétérogènes, le texte désigne comme ayant « adopté la religion juive » toute personne née de parents de confession juive, issue d’un mariage mixte célébré selon un rite juif, enfant d’un couple mixte non baptisé avant l’âge d’un an, circoncise selon le rite juif ou inscrite dans les registres des communes juives avant d’avoir été baptisée, etc. (art.8).
- 38. Taneva & Gezenko, 2002.
- 39. Truden izbor s goljamo značenie, 2013, p.58-59.
- 40. Voir le pamphlet de l’historien amateur et acteur engagé, Spas Tašev, 2012, p.10.
- 41. Sur le caractère central de ces dispositifs, voir Hollander, 2008 ; Danova & Avramov, 2013 ; Dičev, 2013. On doit à Nadja Danova et Roumen Avramov un impressionnant travail de publication d’archives du ministère des Affaires étrangères jusqu’alors inédites. Celles-ci aident à affiner la restitution des politiques bulgares envers les nationaux juifs à l’étranger comme les Juifs étrangers en Bulgarie.
- 42. La trajectoire française est ici bien connue, qui vit l’adoption d’une nouvelle législation de la nationalité définie comme prioritaire par le régime de Vichy dès le mois de juillet 1940 et les autorités concevoir une refonte de la nationalité française reposant sur trois piliers, les dénaturalisations, la restriction des conditions d’accès à la citoyenneté et le projet d’adoption d’un nouveau code de la nationalité française (finalement avorté). Voir Weil, 2002, p.144-202.
- 43. National Archives USA (NA) Microfilm Publications, T-120/237, 179035-41 ; PA AA, StS, Bd. 4, in : Obračeni i spaseni…, 2007, p.258-259.
- 44. NA BAN, F 111, o 1, ae 7, l.3 (traduit de l’allemand).
- 45. NA BAN, F 111, o 1, ae 8, l.12-14 (traduit de l’allemand).
- 46. NA BAN F 111, o 1, ae 1, l.9-10 (traduit de l’allemand).
- 47. CDA, F. 176K, o 8, ae 1110, l.3, in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.381.
- 48. NA BAN, F. 111, o 1, ae 14, l.9 (traduit de l’allemand).
- 49. Yad Vashem, K207526-207527.
- 50. CDA, F 176K, o 1 “sh”, ae 488, l.86, in: Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.450.
- 51. CDA, F 176K, o 1 “sh”, ae 256, l.2 r/v, in: Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.451-452.
- 52. CDA, F 176K, o 8, ae 1184, l.252, in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.436-437.
- 53. CDA, F 176K, o 8, ae 1184, l.252, in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.452-453.
- 54. Citant les données réunies dans un tableau dressant un « état par nationalités des déportés ou transférés du camp de Drancy » fournies en mars 1945 par Georges Etlin, interné à Drancy et chargé par les autorités du camp de tenir la comptabilité statistique, Serge Klarsfeld précise : « ce tableau n’est pas tout à fait exact, car il tient compte non seulement des convois partis à l’Est, mais également de transferts de détenus de Drancy dans d’autres camps d’internement ». (p.1126). L’auteur note par ailleurs que plusieurs convois ont été omis, qui ont concerné 9 773 déportés dont 120 Roumains et 100 Tchèques ; il n’indique pas si des Juifs de nationalité bulgare en firent partie. Certaines victimes furent par ailleurs classées comme de nationalité « inconnue », « à déterminer » ou « apatrides », limitant la possibilité de fournir des données exhaustives et entièrement fiables sur l’origine des déportés (p.1127). Notons enfin que les rafles du 14 septembre 1942 en région parisienne, qui ont touché 208 personnes dont 27 enfants, ont particulièrement visé des Juifs bulgares, yougoslaves, baltes et hollandais (p.1227) : voir Klarsfeld, 1993, p.1126, 1127, 1227.
- 55. CDA, F 370K, o 6, ae 928, l 75 r/v.
- 56. CDA F 176K, o 11, ae 1775, l.10, in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.455-456.
- 57. CDA F 176K, o 11, ae 1775, l.9 : in : Danova & Avramov, 2013, vol.1, p.457.
- 58. Chary, 1972, p.35.
- 59. Voir la présentation « 70 godini ot spasiavaneto na bălgarskite evrei », 07.03.2013, sur le site du ministère des Affaires étrangères bulgare : http://www.mfa.bg/events/73/11/1481/index.html.
- 60. CDA, F 176 K, o 11, ae 2165, l. 10-25.
- 61. CDA, F 176K, o 11, ae 1779, l. 10.
- 62. CDA, F 176K, o 1, ae 1176, l. 58, 60, 62.
- 63. CDA, F 176K, o 8, ae 1176, l. 58 ; Chary, 1972, p.134-137.
- 64. CDA, F 176K, o 8, ae 1176, l 70.
- 65. CDA, F 176K, o 8, ae 1176, l 77.
- 66. Dès son arrivée au pouvoir en 1944, le Front de la patrie a cherché à documenter ces activités dans le cadre de sa politique d’attestation de l’ampleur de la résistance antifasciste. Une nouvelle vague de témoignages a été sollicitée durant les années 1970 sur fond de déploiement par l’Etat bulgare d’une « diplomatie internationale » du sauvetage des Juifs bulgares. En 1979, le diplomate Ljuben Zlatarov, ancien cadre de la Direction consulaire du ministère des Affaires étrangères, indiquait avoir retrouvé la trace archivistique de 430 visas, mais il évaluait leur nombre total à environ un millier : Zlatarov, 1979, p.301-317. Ces dernières années, la thématique des « visas de transit » a acquis une nouvelle visibilité dans l’espace public bulgare.
- 67. CDA, F 2123 K, o 1, ae 22 286, l. 56-57.
- 68. Logor Banjica. Logoraši. Knjige zatočenika koncentracionog logora Beograd-Banjica (1941-1944), Vol. I, Beograd: Istorijski arhiv Beograda, 2009, p.163-166. L’auteur remercie Milan Koljanin d’avoir mis cette information à sa disposition.
- 69. D.V., n°.263, 21.11.1940.
- 70. CDA, F 264K, o 1, ae 180, l.17 (Ordonnance n°31 du Conseil des ministres, protocole 77, 5 juin 1942). Le décret a été publié au Journal officiel : D.V., n°.124, 10.06.1942).
- 71. CDA, F 242K, o 4, ae 897, l.8-10. Le 2 avril 1942, l’Assemblée nationale avait adopté une loi qui donnait au Conseil des ministres le pouvoir d’adopter toute mesure jugée nécessaire au « règlement rapide de question ne souffrant pas de délai » dans les terres occupées (D.V., 72, 02.04.1943). Les décrets (naredbi) du gouvernement pris en vertu de cette habilitation législative dans un domaine relevant normalement de la compétence du Parlement, possédant force de loi, la traduction privilégiée ici est celle de « décret-loi ».
- 72. CDA, F 242K, o 4, ae 897, l.11-12.
- 73. CDA, F 242K, o 4, ae 897, l. 6-10.
- 74. D.V., n°.288, 20.12.1940 et Dičev, 2013.
- 75. Voir, par exemple, la lettre du 13 février 1941 du secrétaire de la Légation royale de Bulgarie chargé des affaires consulaires au groupement des administrateurs généraux des entreprises juives : Fonds CGQJ, cote : XXXVI-85a, C.D.J.C., Mémorial de la Shoah, .
- 76. Voir Lettre du 22/03/1941 du secrétaire de la Légation royale de Bulgarie chargé des affaires consulaires au Docteur Blanke, Conseiller économique militaire général : Fonds CGQJ, cote : XXXVI-23, C.D.J.C., Mémorial de la Shoah, . Voir par ailleurs la Note de service (non datée, 1942/1943 ?) de Melchior de Faramond, directeur du Service de contrôle des administrateurs provisoires, sur la politique de l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Suisse et l’Iran en ce domaine : Fonds CGQJ, cote : CIVb-215, C.D.J.C., Mémorial de la Shoah, .
- 77. Evrei zaginali, 1958.
- 78. Rahamimov, 1984, p.105-114.
- 79. Botušarov, 1986, p.125-147.
- 80. CDA, F 88, o 7, ae 2.
- 81. Godišnik, 1987, p.388-398.
- 82. CDA, F 1568K, o 1, l.1-5.
- 83. CDA, F 1568K, o 1, ae 46, l.1-5.
- 84. Voir les extraits des mémoires du métropolite traduits dans Todorov, 1999, p.150-157.
- 85. Todorov, 1999, p.134 ; Bar-Zohar, 1998.
- 86. Sur ces mouvements, voir Poppetrov, 2009.
- 87. Kolonomos, 2012 ; Čepreganov et Nikolova, 2015, p.219-228.
- 88. Avramov, 2012 ; Ragaru, 2015b, p.249-262; Ragaru, 2016.
- 89. Chary, 1972.
- 90. Bar Zohar, 1998 ; Nissim, 1998.
- 91. Bar Zohar, 1998, p.122 ; Arditi, 2013. Voir par ailleurs le récit que l’intéressé a proposé des événements dans ses mémoires: Pešev, 2004, p.227-232.
- 92. Pešev, 2004.
- 93. Narodno săbranie, Dnevnici, 25ème ONS, 4ème session, II, 26.03.1943, p.1163-1171 – les pages 1167 à 1170 sont manquantes.
- 94. Voir, par exemple, Maier, 1967, p.21-40.
- 95. En 1973, D. Pešev s’est vu décerner le titre de « Juste parmi les nations » par l’Institut Yad Vashem, organisme étatique en charge de la commémoration de la Shoah en Israël.
- 96. Yonchev, 1993 ; Arditi, 2013.
- 97. Gezenko & Taneva, 2002. Par comparaison avec l’attitude des autres Eglises chrétiennes en Europe, l’engagement constant du Saint-Synode en faveur des Juifs convertis et, plus largement, de la communauté juive, fait figure d’exception. Cet engagement mérite d’être souligné ; il ne signifie pas que tous les hauts dirigeants orthodoxes aient démontré une intégrité sans faille (sur le cas du métropolite Neofit de Vidin, voir Avramov, 2012, p.192), ni même que le bas clergé ait accueilli de manière univoque les Juifs nouvellement baptisés (de fait, l’étude de ces réponses constitue un chantier historiographique à ouvrir).
- 98. Ragaru, 2014.
- 99. Taneva & Vezenko, 2002.
- 100. Grinberg, 2015.
- 101. Todorov & Poppetrov, 2013.
- 102. Todorov, 1999, p.43.
- 103. Džulibrk, 2011, p.33-133.
- 104. Matkovski, 1958, 1962, 1982.
- 105. Kolonomos & Vesković-Vangeli, 1986; Kolonomos, 1987.
- 106. Kerenji, 2008, p.194.
- 107. Troebst, 1983 ; Marinov, 2010.
- 108. Služben vesnik [Journal officiel], S.V., 43, 30.05.2000.
- 109. Danova, 2013, p.3-4
- 110. Deyanova, 2010, p.152-169.
- 111. Baruh, 2003.
- 112. Ragaru, 2014, p.237-274.
- 113. Fleischer, 1986 ; Mazower, 2005 ; Benveniste, 1998; Bowman, 2008.
- 114. Apostolou, 2000 ; Carpi, 2002 ; Bowman, 2002 ; Molho, 2005 ; Sealtiel, 2015.
- 115. Ritzaleos, 2006 ; Ritzaleos, 2013 ; Ritzaleos, 2014.