Comme le soulignent Luc Rouban, Daniel Boy et Jean Chiche dans l’analyse du premier baromètre de la confiance réalisé en 2009 (La confiance dans tous ses états), la défiance envers le politique, apparue dès la fin des années 70, s’est considérablement accrue évoluant vers un rejet du “système” . Selon les résultats récents du Baromètre de la confiance politique, analysés par Bruno Cautrès, seuls 11% des sondés disent avoir confiance dans les partis et 70% considèrent que notre démocratie fonctionne mal.
Moins marquée au niveau local que national, la défiance est aussi liée au niveau du diplôme, au statut socio-économique, ainsi qu’à l’âge et au bord politique. Les plus diplômés, les mieux lotis, les plus âgés et les partisans des partis modérés sont les plus confiants, même si la “confiance” des seniors envers la politique, en proie à un sentiment d’abandon, a tendance à s’affaiblir.
Les recherches montrent aussi d’importantes différences sur les critères pris en compte pour juger de la classe politique : les plus diplômés, les plus modérés accordent de l’importance aux compétences et au “style” des hommes politiques, tandis que les moins diplômés et les plus extrémistes jugent les élus sur la réalisation de leurs promesses. Or, la façon d’évaluer les résultats des politiques pose problème.
Dans leur ouvrage récent, “Pourquoi détestons-nous autant nos politiques”, Emiliano Grossman et Nicolas Sauger soulignent que la défiance politique est présente dans un grand nombre de pays et que la France n’est pas championne en la matière. Pour en comprendre les mécanismes, les deux chercheurs mettent en avant des éléments structurants. Ils soulignent tout d’abord que défiance n’équivaut pas à méfiance. Cette dernière reflète une exigence envers une démocratie meilleure et de fait participe à son amélioration, en conduisant par exemple à un encadrement plus important – même si encore imparfait – du financement des campagnes. Autre point, ils relèvent que la multiplication des sources d’information a accru le niveau d’exigence des citoyens sans pour autant signifier une meilleure connaissance des résultats des actions politiques. On a en effet tendance à surtout retenir les informations qui confortent nos opinions, notamment à travers les réseaux sociaux. In fine, ils insistent sur le rôle que les institutions ont à jouer sur le niveau de confiance entre citoyens et politiques et militent notamment pour que la définition des règles du politique ne soit pas assurée par les politiques eux-mêmes mais par des institutions indépendantes.
L’exemple du redécoupage des circonscriptions électorales, étudié de manière plus approfondie par Nicolas Sauger dans un article - Partisan bias and redistricting in France - montre que la politisation des décisions de découpage électoral pose problème. Mais le problème n’est pas particulièrement là où on l’attend, les biais systématiques en faveur ou en défaveur d’un parti étant en fait très limités. En revanche, elle contribue à de très fortes inégalités démographiques de représentation du fait que les redécoupages ne sont pas assez fréquents. En 2007, juste avant le dernier redécoupage, la population métropolitaine la plus faiblement peuplée représentait seulement le tiers du poids démographique de la circonscription la plus peuplée.
Sur l’importance des institutions, les auteurs sont rejoints par Patrick Le Bihan qui s’attache à démontrer qu’au delà des aspects purement électoraux (vérification des comptes de campagnes, modes de scrutin etc), de nombreuses institutions – et pas forcément les plus visibles – ont un rôle à jouer pour renforcer la crédibilité des élus et leur légitimité vis-à-vis des électeurs. Elles le font en particulier en participant à la façon dont les élus rendent compte des actions pour lesquelles ils ont été élus. Il met aussi en lumière l’importance du rôle que peuvent jouer des acteurs non élus – tels que les juges – dont les contrôles influencent la confiance que les citoyens ont envers la démocratie.
Dans un vademecum sur les présidentielles, récemment (re)publié, Olivier Duhamel, montre à quel point l’inversion du calendrier des élections présidentielle et législatives et le passage au quinquennat, “réformes” actées l’une et l’autre en 2000, en ont modifié les issues. Organiser les législatives après la présidentielle a permis de constituer plus aisément une majorité parlementaire venant renforcer la légitimité de l’exécutif, mise en péril par les cohabitations précédentes.
En revanche, le passage au quinquennat a été dès son origine analysé comme à double tranchant. Censé renforcer la responsabilité de l’exécutif, il peut a contrario entraîner un manque de recul présidentiel et une moindre liberté du gouvernement vis-à-vis de sa majorité parlementaire. La crainte que cela conduise à renforcer la fonction présidentielle, au détriment du gouvernement, est confirmée quinze ans plus tard : hyperprésidence, difficulté pour le gouvernement de se détacher de sa majorité à moins de recourir au 49.3 et de le payer au prix fort. Autant d’éléments qui viennent grossir les rangs des partisans – déjà nombreux – d’une VIe République.
Un autre fait émergent est la professionnalisation du personnel politique, souvent décriée. Didier Demazière, sociologue des professions, montre à l’issue d’un projet de recherche sur le travail des élus locaux que ceux-ci , rémunérés, développent des compétences spécifiques dans un monde peu ouvert aux profanes. Il étudie par ailleurs la complexité des formes de rémunération et les inégalités qui en résultent ainsi que les conséquences de l’instabilité naturelle des fonctions d’élus du fait de la récurrence des élections, et les dispositifs de “sécurisation” qui visent à les limiter.
Article suivant : Au-delà de nos frontières
Bibliographie