Phénomène majeur et ancien, les migrations occupent une place centrale dans les recherches menées à Sciences Po, toutes disciplines confondues. En faire le tour, c’est entreprendre un grand voyage, partant du Japon, passant par l’ex-URSS, le Golfe, les Amériques, pour arriver en Europe. C’est aux recherches consacrées à cette dernière région que nous avons choisi de consacrer ce dossier d’ouverture de Cogito. Tout d’abord pour mesurer et qualifier l’ampleur des migrations qui la touchent, puis analyser les politiques migratoires de l’Union européenne et celles des États membres. Puis pour appréhender comment les sociétés européennes et leurs opinions publiques ont, au fil du temps, accueilli (ou rejeté) les migrants – sujet d’une intense actualité au moment où la question migratoire a lourdement pesé en faveur du Brexit. Enfin, pour se pencher sur des questions sociétales qui, comme la vie citoyenne et les droits sociaux des immigrés, suscitent des controverses. De quoi alimenter la réflexion et, pourquoi pas, éclairer les décisions et les actions.
Catherine Withol de Wenden, politiste au CERI, consacre l’ensemble de ses travaux aux migrations. Elle est reconnue pour la qualité de ses recherches tant au sein de la communauté académique - en témoigne sa participation à de nombreuses revues consacrées aux migrations - qu’auprès d’institutions politiques et culturelles - Commission européenne, HCR, OCDE, Musée de l’Immigration...
Comprendre les migrations, c’est tout d’abord en connaître l’ampleur, les évolutions et les trajets. C’est ce à quoi s’emploie Catherine Withol de Wenden à travers la publication régulière d’un Atlas des migrations. Sa dernière édition permet de mesurer l’importance du phénomène migratoire au niveau mondial et son accélération : en 50 ans le nombre de migrants internationaux a triplé, passant de 77 millions dans les années 70 à 240 millions aujourd’hui. Si l’on ajoute à ce chiffre les 740 millions de migrants « internes », c’est un sixième de la population mondiale qui est concerné.
Mais, s’il apparait – fait récent – que les flux migratoires du Sud vers Sud sont devenus équivalents à ceux du Sud vers le Nord, il n’est reste pas moins que l’Europe, entourée de conflits, est devenue la première destination migratoire en terme de flux. De plus de 200 000 demandes d’asile en 2008, on est passé à à 625 000 en 2014 puis à 1 225 000 en 2015.
Or les politiques migratoires mises en place par l’UE depuis plus de 30 ans étant essentiellement sécuritaires, l’Europe est très mal préparée à faire face à cet afflux. Et selon Catherine Withol de Wenden, la diversification des migrations est l’un des points sur lesquels achoppent les politiques publiques. S’appuyant essentiellement sur une dichotomie simpliste – migrants économiques versus réfugiés politiques – elles ne sont pas prêtes à faire face à la diversité et à la mixité grandissante des facteurs d’immigration – économiques, politiques, religieux, sexuels, climatiques…
La complexité des phénomènes migratoires est particulièrement marquée dans les espaces méditerranéens, comme le montre l’ouvrage que Catherine Withol de Wenden a codirigé avec Hélène Thiollet (Sciences Po/CERI) et Camille Schmoll (Paris VII) Migrations en Méditerranée, et qui a été publié au plus fort de la « crise » migratoire. Y sont notamment analysés trois types de migrations qui s’y entremêlent – travail, transit, recherche d’asile – leurs évolutions ainsi que les politiques qui, en les encadrant, les structurent. L’étude de cette région révèle aussi le poids persistant du passé colonial qui ne fait que renforcer la divergence entre les politiques migratoires des pays européens.
Répondre à la diversité des situations, implique, selon Catherine Withol de Wenden, de mettre en place des politiques migratoires offrant un plus large éventail de possibilités conjoncturelles ou durables : mise en place de protection provisoire (telle que celle établie en 2001 durant la guerre en ex-Yougoslavie), diversification du type de visas accordés, plus grande ouverture aux migrants économiques dont l’apport viendrait compenser des pénuries de main d’œuvre (le programme français « Compétences et Talents » n’a permis d’accueillir que 1400 immigrés depuis son établissement en 2008) ainsi que le vieillissement de nos populations.
Enfin, elle propose d’étudier à nouveau l’idée égalitaire d’une citoyenneté universelle, formulée de longue date par certains philosophes, dont Emmanuel Kant. Se basant sur l’observation des pratiques, elle en détecte des embryons – en Europe justement – mais pointe aussi les obstacles qu’un tel projet doit surmonter. Et pourtant, selon elle, établir la liberté de mouvements comme principe universel est l’unique moyen de s’adapter à un monde de plus en plus mobile.
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Crédit image de page d’accueil : Migrants crossing illegally into Hungary/Gémes Sándor-SzomSzed / CC BY-SA 3.0