1er juin 2017 : Les États-Unis quittent l’accord de Paris. Coup de tonnerre dans un monde a priori consensuel autour de l’objectif de réduire les émissions des gaz à effet de serre. A priori, car le diable est dans les détails, surtout quand il s’agit d’établir un partage précis des responsabilités. Si l’on parle bien de responsabilité différenciée – les pays en voie de développement devant être moins pénalisés que les pays historiquement industrialisés, la vraie question n’est pas définitivement tranchée : qui est responsable de quelles émissions ? Comment établir des politiques plus efficaces et plus justes ?
C’est à ces questions que l’OFCE cherche à répondre en participant, avec des partenaires européens, à un projet de recherche au bénéfice de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Un système de mesure obsolète
Aussi réelle soit la prise de conscience de la communauté internationale concernant l’urgence climatique et son lien direct avec les émissions de gaz à effet de serre (GES) produit par l’activité humaine, il n’en reste pas moins que toute action repose avant tout sur des instruments de mesure pertinents.
La création d’un système unifié de comptabilité carbone au sein de de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) a été l’une des premières actions sur laquelle s’est entendue la communauté internationale (Sommet de la Terre, Rio 1992). Puis, lors des conférences suivantes (les fameuses COP), la formulation des engagements et la mesure des actions de réduction des émissions de GES ont reposé sur des systèmes d’inventaire nationaux* réalisés à partir de ce système unifié.
Aujourd’hui de nouveaux éléments amènent à le repenser. En effet, à ses débuts, ce système s’appuyait sur une structure de production mondiale historiquement concentrée au sein des pays développés. Or, ces dernières décennies, le contexte a changé : d’une part le commerce mondial a explosé et d’autre part certains pays en développement, Chine en tête, ont pris une part considérable dans les émissions de GES.
Les émissions de carbone sont aussi importées
Conséquence directe de ces évolutions : l’importation de produits fabriqués par ces nouveaux acteurs vient accroître l’empreinte carbone des pays développés, quand bien même ces derniers se seraient engagés dans des politiques de réduction.
Ainsi si les émissions émises sur le territoire français ont été réduites depuis 1990, celles découlant de leur empreinte carbone, c’est à dire du comportement de consommation de produits, quelles que soient leurs origines, ont augmenté dans des proportions similaires, et conduit, in fine, à ce que l’impact global sur le climat reste inchangé, c’est à dire toujours aussi critique.
Déterminer une fiscalité équitable dans un monde globalisé
Ainsi envisager des politiques plus adéquates nécessite de prendre en compte ces nouvelles dimensions. C’est ce que vise le projet de recherche pour lequel l’OFCE s’est associé au bureau d’étude Beyond Ratings, ainsi qu’à l’Agence nationale de recherche néerlandaise TNO (Netherlands Organisation for Applied Scientific Research), un projet soutenu par L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
L’idée est de construire un modèle de simulation de politiques fiscales qui viendraient répondre à la question de la prise en compte des émissions de GES importées. Cette simulation se base sur une cartographie des flux d’émissions de GES la plus détaillée possible. Il s’agit notamment d’identifier les sources sectorielles et géographiques des émissions importées et leur destination finale, à savoir les ménages. Et parmi ces derniers, il s’agit de qualifier qui consomme quoi.
Cartographier…une affaire pas si simple !
En effet, la question de l’imputation des émissions importées reste délicate. Si l’on taxe un pays exportateur d’un produit fini en lui imputant toutes les émissions carbones qui ont participé à la production de ce produit, c’est à dire en comptant la production de tous les composants y compris ceux qui ont été produits à l’étranger, ou que l’on taxe ce pays en lui imputant uniquement les émissions émises sur son territoire, la taxe sera basée sur des volumes radicalement différents.
Un simple exemple permet d’illustrer ce cas : chacun sait que l’essentiel des I-phones sont “produits” en Chine, mais chacun sait aussi que nombreuses de leur composantes proviennent d’autres pays du monde, comme les matières premières nécessaires à leur conception. Et pour être parfaitement rigoureux, il faudrait prendre en compte les émissions de GES de tous les participants à la création de l’I-Phone, tels que les déplacements des designers californiens etc.
Agir via des politiques fiscales justes et incitatives
1 – Taxer les pays exportateurs et les consommateurs
C’est pourquoi ce projet de recherche consiste tout d’abord à calculer à qui imputer quoi (sur les GES importés en France et tous les produits). Trois modalités sont envisagées : la prise en compte des émissions directement exportées par les pays partenaires, la prise en compte de l’ensemble des émissions exportées (directement et indirectement) par les mêmes pays partenaires et enfin la prise en compte de l’ensemble des émissions produites sur la chaîne de production internationale. Trois modalités qui aboutissent à des projections de recettes fiscales biens différentes.
Par ailleurs, un deuxième volet de fiscalité est envisagé : taxer les consommateurs. Il faut donc définir qui consomme les produits importés de façon très précise. En effet, les profils de consommation, et plus spécifiquement d’empreinte carbone, ne dépendent pas seulement du niveau de revenu mais aussi de plusieurs caractéristiques comme l’âge, la localisation (urbain/rural), le statut d’occupation du logement… Cela nous donne des indications précieuses, si l’on envisage – par exemple – de taxer les produits importés.
2 – Redistribuer
Le projet cherche aussi à évaluer comment redistribuer le produit d’éventuelles nouvelles taxes aux consommateurs, entreprises et pays exportateurs, de façon efficiente. On peut par exemple penser à des politiques de redistribution de recettes incitant à produire ou à consommer autrement. Il s’agit alors de savoir qui pourrait en bénéficier et comment répartir au mieux les nouvelles recettes.
Partager les données et des résultats partagés
Outre la production de publications scientifiques, ce projet se veut ouvert à la société civile, puisqu’il s’inscrit dans une démarche Open-Source avec une mise à disposition de la base de données développée et des résultats associés aux simulations conduites. La création d’un site internet dédié qui inclura à la fois un aspect documentaire mais également une interface des résultats sous forme graphique permettra une lecture ergonomique sans perdre en qualité d’information. Visitez le site du projet
*voir ici l’inventaire national français
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