Directeur de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations, Olivier Borraz consacre ses recherches à la gouvernance des risques.Tout d’abord centrés sur les questions environnementales et sanitaires, ses travaux se sont élargis aux politiques publiques de régulation par les risques. Il livre ici une analyse des risques affectant les métropoles et en appelle à mieux prendre en compte les risques engendrés par les politiques publiques elle-mêmes.
Q ue les métropoles soient exposées à de multiples risques ne surprendra personne. Par l’extrême concentration de populations, conjuguée à des inégalités économiques et sociales, par l’ampleur des flux de biens et de personnes qui les traversent quotidiennement, par l’interdépendance de leurs réseaux techniques, elles sont vulnérables aux perturbations qui peuvent résulter d’un aléa naturel, technologique ou d’origine humaine.
Des mécanismes de prévention et de gestion limités
Ces perturbations peuvent être contenues par les structures sociales et les formes de solidarité qui s’organisent pour gérer l’événement. Elles peuvent aussi être circonscrites par l’aménagement de doublons dans leurs infrastructures de manière à assurer une continuité dans l’approvisionnement en eau ou en énergie, par exemple.
On parle alors de résilience, notion éminemment ambiguë et qui est plus souvent employée pour rendre acceptables les risques que pour véritablement agir sur leurs causes. Mais parfois ces dérèglements débordent les capacités des territoires qui ne peuvent enrayer la survenance d’une catastrophe.
De l’importance d’une vision politique globale
Les risques de catastrophes urbaines se définissent en effet par la rencontre d’un aléa et d’une vulnérabilité. Cette définition, lorsqu’elle fut introduite par des géographes dans les années 80, entendait montrer que la vulnérabilité des régions urbaines ne tient pas seulement à des variables géophysiques ou démographiques, mais qu’elle découle aussi de choix politiques dans l’aménagement urbain : qu’il s’agisse de l’offre de services publics, l’organisation des réseaux (transport, électricité, eau, déchets), la priorité accordée aux quartiers centraux où se concentrent les activités économiques et touristiques, ou le rejet des populations pauvres vers des zones périphériques exposées aux aléas naturels (inondation, glissement de terrain). Ces travaux soulignaient aussi que malgré la concentration des risques sur certaines populations, les catastrophes avaient une fâcheuse tendance à produire des effets dans l’ensemble de la région urbaine ; tout simplement parce que celle-ci demeure un système d’interdépendances complexes dans lequel il n’est pas facile d’isoler les parties d’un tout.
Les risques invisibles du quotidien
Cette définition appelle cependant deux compléments.
En mettant l’accent sur les catastrophes, d’autres phénomènes plus discrets – malnutrition, violence, incendies récurrents de faible ampleur, maladies, accidents de la route … – demeurent invisibles. Si les catastrophes frappent l’imaginaire par leur soudaineté et leur impact, les conséquences les plus importantes sur le plan sanitaire et social du développement des mégalopoles prennent d’abord la forme de risques ordinaires, qui n’attirent l’attention ni des médias, ni des décideurs politiques. On observe ainsi ce que l’on appelle une accumulation de risques, qui voit les populations les plus pauvres exposées quotidiennement à tout un ensemble de dangers qui, par leur agrégation, accroissent encore leur vulnérabilité et constituent l’une des toutes premières caractéristiques de ces mégalopoles.
Quand les villes génèrent leurs propres risques
Il est communément admis que l’aléa est d’origine exogène – un virus, un attentat, un séisme – ce qui permet de renvoyer la responsabilité de son occurrence vers l’extérieur. Or, son origine peut aussi être liée aux processus endogènes du développement urbain. On pense, par exemple, à la proximité des élevages intensifs de volailles et de porcs dans les zones urbaines extrêmement denses d’Asie du sud-est, qui augmente les chances d’émergence d’une pandémie grippale. Aux inégalités de richesses dans les villes d’Afrique ou d’Amérique Latine et les formes de violence politique auxquelles elles peuvent conduire. Ou encore à la pollution de l’air dans les mégalopoles, dont les effets sur la santé sont de mieux en mieux documentés.
Ainsi, appréhender les risques des mégalopoles nécessite de s’intéresser aux choix politiques qui nourrissent leur vulnérabilité mais aussi de se pencher sur leur responsabilité/rôle en matière d’émergence d’aléas.
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