Le nouveau Directeur du Centre Pompidou-Metz, inauguré en mai 2010, Laurent Le Bon, lui répond sur le mode du résultat, à la tête d’une expérience inédite qu’aurait peut-être approuvé Picon, dans le sillage de ce qu’a voulu et imposé Georges Pompidou pour Paris, en 1977. Du Centre interdisciplinaire né sur le plateau Beaubourg, le nouveau Musée de Metz serait la suite inspirée, non la doublure, fondé ailleurs, où l’atmosphère n’est pas la même, où l’histoire demande a être commencée à nouveaux frais, en partenariat avec des collectivités territoriales différentes, servi par une architecture transparente, conviviale, où sont mis en relation l’intérieur et l’extérieur – l’extérieur forcément modifié par cette présence ouverte à un public en construction dont on sait déjà qu’il dépasse de loin les habitués des institutions culturelles.
Laurence Bertrand Dorléac
Le Centre Pompidou-Metz,
une nouvelle institution culturelle et européenne
Laurent Le Bon
Première décentralisation d’un établissement public culturel en France réalisée en partenariat avec des collectivités territoriales, le Centre Pompidou-Metz [ref]La maîtrise d’ouvrage du Centre Pompidou-Metz est assurée par Metz Métropole, principal financeur de l’équipement, associée à la Ville de Metz (mandataire) et au Centre Pompidou. La construction du Centre Pompidou-Metz a également bénéficié du soutien financier du Conseil Général de la Moselle, du Conseil Régional de Lorraine, de l’État et de l’Union européenne (Fonds européen de développement régional, Feder). Le coût total de l’opération s’élève à 72 millions d’euros hors taxes. Le Centre Pompidou-Metz est devenu, fin 2009, un établissement public de coopération culturelle, dont les membres fondateurs sont l’État, le Centre Pompidou, la Région Lorraine, la Communauté d’Agglomération de Metz Métropole et la Ville de Metz.
Principaux intervenants :
Maître d’ouvrage : Communauté d’agglomération de Metz Métropole.
Mandataire du maître d’ouvrage : Ville de Metz.
Partenaire du maître d’ouvrage : Centre Pompidou, Paris.
Architectes : Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes, Paris.
Architecte associé en phase concours : Philip Gumuchdjian Architect, Londres.
Bureaux d’études techniques : Arup, Londres, et Terrell, Boulogne-Billancourt.
Entreprise générale : Demathieu & Bard, Montigny-lès-Metz.
Entreprise de charpente métallique : Viry, Eloyes.
Entreprise de charpente bois : Holzbau Amann, Weilheim-Bannholz, Allemagne.
Entreprise pour la membrane : Taiyo Europe, Munich, Allemagne[/ref] s’est donné pour mission de montrer la création artistique sous toutes ses formes depuis 1905. Ni musée, ni redite en réduction du Centre Pompidou, le Centre Pompidou-Metz (fig. 1) a la responsabilité d’en prolonger l’aventure et l’esprit. Institution sœur du Centre parisien, elle détermine sa programmation de manière autonome en s’inspirant des principes fondateurs du Centre Pompidou que sont l’innovation, la générosité, la démocratisation culturelle et la pluridisciplinarité. Elle s’appuie en outre sur son savoir-faire, son réseau et sa notoriété. Pour porter ces valeurs, elle bénéficie d’un atout unique, celui de pouvoir bénéficier de prêts du Musée national d’art moderne qui, avec plus de soixante mille œuvres, détient la plus importante collection d’art moderne en Europe.
Une architecture unique
Le projet architectural du Centre Pompidou-Metz reflète une exigence tendue vers l’accueil et l’hospitalité. Il a été conçu par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, avec Philip Gumuchdjian pour la phase concours. Le bâtiment comprend un Forum (fig. 3), quatre espaces d’exposition, une Grande Nef et les Galeries 1, 2 et 3, un Studio, un Auditorium, ainsi qu’un centre de ressources. Par son impressionnante toiture constituée d’une charpente en bois recouverte d’une membrane translucide, il allie élégance esthétique et technicité novatrice. Cette charpente est recouverte par une toile très résistante qui laisse cependant passer 15 % de lumière, ce qui permet de faire apparaître la trame hexagonale de la charpente lorsque le bâtiment est éclairé de l’intérieur (fig. 2 et 3).
Les architectes ont proposé une composition de trois galeries, superposées et orientées dans différentes directions. Le premier espace d’exposition, au rez-de-chaussée, est la Grande Nef. Son volume impressionnant est unique en France : une surface de 1200 m² avec un plafond situé à 6, 13 et 21 mètres de hauteur. Il permet de présenter des œuvres de grandes dimensions, dont certaines ne peuvent pas l’être à Paris. Egalement au rez-de-chaussée, le Studio, accueille des expositions, des installations, mais aussi du spectacle vivant. Plus loin, l’Auditorium, d’une capacité de cent quarante-quatre places, est dévolu au cinéma et aux conférences. Les galeries d’expositions, de 85 m de long, 15 m de large et 7 m de haut, sont situées à 7, 14 et 21 mètres du sol. Plus de 1100 m² chacun, sans aucun point porteur : la galerie peut être totalement libérée ou cloisonnée à volonté en fonction de la scénographie des expositions. À chaque extrémité, se situe une fenêtre de 14 mètres sur 5, qui offre une image en cinémascope sur le paysage urbain (fig. 4). Le sol est constitué de dalles en sulfate de calcium uniformément perforées, ce qui facilite une répartition uniforme de l’air conditionné et une stabilité climatique quel que soit le cloisonnement. Un faux plafond intègre un éclairage indirect, ainsi que des rails sur lesquels viennent se raccorder des projecteurs. Transparence, mouvement, fluidité et flexibilité sont mis au service de la rencontre des visiteurs avec les œuvres. Jouant de la relation entre intérieur et extérieur, les espaces se déploient autour d’une tour hexagonale culminant à 77 mètres, en référence à l’année d’ouverture du Centre Pompidou à Paris, en 1977. Cette tour abrite les ascenseurs panoramiques, ainsi que l’escalier principal. Les façades du Forum sont munies de stores rétractables transparents d’une hauteur de 6 mètres, qui permettent de le ventiler efficacement et de l’ouvrir totalement sur le parvis et le jardin.
Le projet culturel
Témoigner de la diversité des cultures contemporaines, élargir la fréquentation à de nouveaux publics, raviver la relation du visiteur à l’art, créer un lieu de vie, de rassemblement et de convivialité, telles sont les finalités essentielles du Centre Pompidou-Metz.
N’ayant pas de collections propres, le Centre Pompidou-Metz conçoit exclusivement des expositions temporaires et inscrit son projet culturel au cœur d’une réflexion sur la monstration des œuvres. Participer à la mise en valeur de la collection du Musée national d’art moderne et permettre la (re)découverte des œuvres qui la constituent, sont apparus, dès la genèse du projet, comme des impératifs premiers. Dès ses origines, le Musée national d’art moderne a proposé des accrochages qui, selon les mots de Dominique Bozo, tendaient à « cartographier le contemporain plutôt que d’en faire la généalogie ». Le Centre Pompidou-Metz se propose de poursuivre cette expérimentation en proposant des expositions offrant de nouvelles lectures de l’histoire de l’art depuis 1905. Parallèlement aux expositions temporaires, est proposée une programmation pluridisciplinaire (spectacles vivants, cinéma, conférences), dans l’esprit du Centre Pompidou. Elle porte sur tous les champs de la création et se déploie essentiellement autour des thématiques des expositions afin d’en proposer des prolongements.
« Chef d’oeuvre ? »
L’exposition inaugurale du Centre Pompidou-Metz, « Chefs-d’œuvre ? », a investi l’intégralité des espaces d’exposition, soit plus de 5000 m². 800 œuvres ont été présentées, dont plus de 700 issues de la collection du Musée national d’art moderne, constituant ainsi la plus grande opération de prêts de l’histoire du Centre Pompidou. Elle a accueilli en outre des prêts d’autres institutions et des productions d’artistes contemporains, réalisées spécialement pour l’occasion. Destinée au grand public comme au spécialiste, l’exposition a permis un dialogue entre des pièces célèbres et d’autres moins connues, en invitant le visiteur à s’interroger sur sa propre appréciation des œuvres. Plusieurs ensembles ont été constitués autour de noms essentiels de la création du XXe siècle, tels que Georges Braque, Robert Delaunay, Fernand Léger, Henri Matisse, Pablo Picasso, afin d’illustrer la richesse des collections, constituées d’importants fonds monographiques. Cette exposition a rendu possible la rencontre de la Compression « Ricard » de César avec Le Magasin de Ben, des décorations de Delaunay pour l’exposition de 1937 avec des gouaches découpées de Matisse, ou du Voyage dans la lune de Méliès avec La Muse endormie de Brancusi (fig. 5).
Le parcours était constitué de quatre parties : « Chefs-d’œuvre dans l’histoire », « Histoires de chefs-d’œuvre », « Rêves de chefs-d’œuvre » et « Chefs-d’œuvre à l’infini ». L’exposition a interrogé de façon inédite la notion de chef-d’œuvre, son histoire et son actualité. Le questionnement sur cette notion, ancienne et parfois considérée comme désuète, a été réactivé et appliqué à l’art moderne et contemporain.
En écho aux grandes expositions qui ont fait la réputation du Centre Pompidou, la pluridisciplinarité était présente tout au long du parcours (peinture, sculpture, installation, arts graphiques, photographie, vidéo, œuvres sonores, cinéma, architecture, design). L’exposition a également couvert un large champ chronologique depuis le Moyen-Âge jusqu’à nos jours.
Exposition exceptionnelle à plus d’un titre, « Chefs-d’œuvre ? » laisse place progressivement aux futures expositions temporaires, au rythme de quatre ou cinq par an, qui, avec le reste de sa programmation, contribuent à dessiner l’identité culturelle du Centre Pompidou-Metz : une commande à Daniel Buren « Échos, travaux in situ », puis l’exposition thématique « Erre, variations labyrinthiques » ainsi que la première grande exposition monographique des designers Ronan et Erwan Bouroullec. En 2012, seront présentées une rétrospective sans précédent des dessins muraux de Sol LeWitt ainsi que d’œuvres de sa collection privée et l’exposition « 1917 », qui a pour sujet la création artistique en temps de guerre, à l’échelle internationale, durant l’année 1917.
Le Centre Pompidou-Metz a été inauguré le 11 mai 2010 par le Président de la République. L’ouverture du Centre Pompidou-Metz a connu un succès public exceptionnel avec, au total, près de 100 000 personnes qui ont participé à la semaine inaugurale du 10 au 16 mai 2010.
Après un an d’ouverture, la fréquentation a atteint le nombre de 800 000 visiteurs dont 20 000 ont souscrit au Pass, la carte d’adhésion annuelle qui permet de visiter les expositions de manière illimitée. 86% des visiteurs du Centre Pompidou-Metz sont français, parmi eux figurent une majorité de Lorrains. Pour plus de 60% des visiteurs résidant hors de la Moselle, le Centre Pompidou-Metz est le motif de leur déplacement à Metz. 33% des visiteurs déclarent venir à Metz pour la première fois ; ainsi depuis l’ouverture de l’institution, on a noté une nette augmentation de l’activité économique dans la ville de Metz. Ces résultats classent le Centre Pompidou-Metz comme l’institution culturelle de type muséal la plus fréquentée en dehors de l’ Île de France.
Bibliographie
Laurent LE BON (dir.), Chefs-d’œuvre ?, catalogue de l’exposition, Metz, Centre Pompidou-Metz, 2010.
Philip JODIDIO, Laurent LE BON et Aurélien LEMONIER (dir.), Chefs-d’œuvre ?, Architectures de musées, 1937-2014, Metz, Centre Pompidou-Metz, 2010.
Philip JODIDIO, Laurent LE BON (dir.), Centre Pompidou-Metz, Paris, Centre Pompidou / Prestel, 2008.
Laurent Le Bon. Conservateur général du patrimoine, diplômé de l’IEP de Paris et de l’Ecole du Louvre, Laurent Le Bon a été en charge de la commande publique à la Délégation aux arts plastiques du Ministère de la Culture puis, de 2000 à 2010, conservateur au Musée national d’art moderne, Centre Pompidou. Il a été commissaire de nombreuses expositions, notamment, « Dada » au Centre Pompidou et « Jeff Koons Versailles » au château de Versailles. Il est depuis 2008, directeur du Centre Pompidou-Metz, inauguré en mai 2010 avec l’exposition « Chefs-d’œuvre ? » dont il est le commissaire.
Il enseigne à l’Ecole du Louvre et à Sciences Po Paris. Il a publié, entre autres ouvrages Catalogue de raison, Ronan et Erwan Bouroullec, éditions Images modernes, et L’Art à ciel ouvert (codirection avec Caroline Cros), éditions Flammarion.