Le séminaire Arts & Sociétés se consacre au monde des représentations visuelles. Il reçoit des chercheurs et des chercheuses en sciences humaines et sociales (histoire de l’art, histoire, anthropologie, philosophie, littérature, droit…) dont les travaux en cours sur des questions essentielles contribuent à enrichir les savoirs et pratiques des étudiantes et des étudiants engagés dans la préparation d’un mémoire ou d’une thèse de doctorat.
Laurence Bertrand Dorléac et Thibault Boulvain
Les séminaires se tiennent en format hybride (mi-présentiel/mi-zoom).
Merci de vous inscrire en ligne, pour chaque séance
Calendrier 2024-2025
1. 25 septembre 2024 | Raphaël GAILLARD
Folie et créativité
Avant même de donner lieu à une élaboration théorique ou un projet politique, plane dans la psychologie populaire l’idée que folie et créativité sont intimement liées. Du Problème XXX chez Aristote au Manifeste surréaliste, en passant par le coup de hache dans la tête chez Diderot, cette croyance trouve un large écho dans la littérature. Mais est-elle fondée ? Il s’avère que le lien est plus complexe qu’il n’y paraît, et que davantage qu’une superposition entre folie et créativité, c’est d’un lien de parenté qu’il faudrait parler. Ce pas de côté crée de nouvelles perspectives de réflexion concernant ce qu’il est convenu de désigner sous le nom d’art brut, mais aussi sur la place des troubles psychiatriques dans nos sociétés et le devenir des êtres humains.
Raphaël Gaillard est normalien et médecin, professeur de psychiatrie à l’Université Paris Cité, en charge du pôle hospitalo-universitaire de l’hôpital Sainte Anne. Ses travaux de recherches portent sur les bases cérébrales de la conscience. Il a publié aux éditions Grasset Un coup de hache dans la tête. Folie et créativité en 2022 et L’homme augmenté. Futurs de nos cerveaux en 2024. Elu à l’académie française en 2024 sur le fauteuil laissé vacant par la disparition de Valéry Giscard d’Estaing, il est le benjamin de cette institution.
2. 23 octobre 2024 | Thibault BOULVAIN
Faire de la peine
À partir d’une série de photographies d’une femme et de ses filles prises par Brian Weil (1954-1996) dans le contexte de la crise du sida, dans les années 1980, nous voudrions déplier une réflexion sur le rôle singulier des images provoquées alors par l’épidémie. Ce faisant, nous tournerons autour de la sorte de malaise, très personnel, que nous éprouvons toujours à regarder et à parler de ces images en particulier, moins, en réalité, pour essayer d’en trouver les raisons, que pour réfléchir au statut des formes visuelles et artistiques, au rôle des artistes dans un monde dont il nous semble qu’il supporte de moins en moins d’être bousculé par eux, de toutes les manières, qu’ils l’inquiètent, le frustrent et lui « fassent de la peine ».
Thibault Boulvain est Assistant Professor en histoire de l’art à Sciences Po (Centre d’histoire). Il y codirige avec Laurence Bertrand Dorléac le séminaire « Arts et Sociétés ». Il est l’auteur de nombreux textes, dont L’art en sida. 1981-1997 (presses du réel, 2021), qui a obtenu en 2022 le Prix de la Fondation Lucie et Olga Fradiss. Thibault Boulvain poursuit actuellement ses recherches sur les représentations artistiques et visuelles de la maladie dans l’histoire, en particulier de la grippe « espagnole ». Il explore également « ‘‘L’effet-Méditerranée’’ dans les arts visuels des années 1950 à nos jours ».
3. 20 novembre 2024 | Nathalie BONDIL
Du care au cure, le musée au soin de la société
Au XXIe siècle, face à l’injonction croissante d’une éthique du care dans nos sociétés plurielles, comment la culture et les musées se saisissent-il de ce nouveau paradigme ? Avec quelle pertinence mettent-ils en pratique cette requête qui leur est faite ? Comment participent-ils, de manière explicite ou inchoative, au développement de la capacité d’empathie positive (ou sympathie) de chaque citoyen et citoyenne ? Ce faisant, comment cette exigence de démocratisation culturelle agit-elle en faveur d’une harmonie démocratique dans nos sociétés civiles ? Comment la culture et le musée peuvent-ils aider et s’inscrire dans la société civile ? Comment l’expérience émotionnelle s’inscrit-elle dans une éthique du soin ?
Muséologue et historienne de l’art, Nathalie Bondil est Directrice du Musée et des Expositions de l’Institut du monde arabe (Paris). Elle a rejoint en 2021 l’Institut du monde arabe, en tant que responsable de la refonte du « Nouveau Musée de l’IMA » : initié par son président Jack Lang, sa collection d’art moderne et contemporain s’est enrichie de la donation majeure Claude & France Lemand. Cette franco-canadienne a dirigé le Musée des beaux-arts de Montréal (2007-2020) où elle a mené plusieurs chantiers d’expansions et expositions interculturelles et interdisciplinaires. En action éducative et recherche en santé, son engagement est reconnu pour un musée plus inclusif avec le pavillon pour la Paix et la plateforme EducArt (2016) ; enfin l’aile des arts du Tout-Monde (2019). Elle enseigne le care et le cure au musée, avec la « muséothérapie » comme « sage » de l’Université de Montréal, pour l’École du Louvre et l’Institut national du patrimoine, Paris. Vice- présidente du Conseil des Arts du Canada (2014-2021), membre élu du conseil d’administration d’ICOM-France, elle est récipiendaire de prix et doctorats au Canada et au France.
4. 04 décembre 2024 | Blandine CHAVANNE, Cécile BARGUES
Accrochage/montrage/dysplay/étalage …
À l’occasion de l’exposition « Chaosmose » présentée au Centre Pompidou (16 octobre 2024 – 3 février 2025), Cécile Bargues, Blandine Chavanne et Jean-Jacques Lebel réfléchissent aux différentes manières dont les œuvres peuvent être présentées, ensemble, dans un espace muséal. Accrocher est un art en soi, une mise en scène méticuleuse qui demande une attention particulière pour chaque œuvre. Il s’agit de trouver l’équilibre parfait entre l’espace disponible, la lumière, et la manière dont les œuvres interagissent tant entre elles qu’avec le public. Un bon accrochage peut transformer une collection d’œuvres individuelles en une expérience cohérente. Il est affaire de sens et aussi de perception physique. Au-delà des interventions des artistes et de leurs influences sur notre regard, la nature même des œuvres a-t-elle fait évoluer l’accrochage ?
Cécile Bargues est historienne de l’art du XXe siècle, pensionnaire à l’InstitutNational d’Histoire de l’Art. Elle travaille actuellement sur la période de la Seconde guerre mondiale. Co-commissaire de «Chaosmose» au Centre Pompidou, elle a été commissaire de plusieurs expositions et publié de nombreux ouvrages et articles. Elle enseigne dans le M2 Histoire de Sciences Po.
Blandine Chavanne, titulaire d’un D.E.A. d’Arts Plastiques (1978) et diplômée de l’École du Louvre (1982), a été conservatrice aux musées de la ville de Poitiers, directrice des musées des beaux-arts de Nancy, puis de Nantes. À la Direction des Musées de France, elle a été conseillère-musées, puis conservatrice à l’InspectionGénérale des Musées, puis sous-directrice de la politique des musées. Elle a été commissaire de nombreuses expositions, autrice de nombreuses publications.
5. 15 janvier 2025 | Élisabeth ANTOINE-KÖNIG
Passer du fou à la folie, ou entrer dans les temps modernes
À la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, les représentations de fous pullulent et envahissent l’espace visuel de l’Occident chrétien. Mais la maladie mentale n’est jamais représentée. Que nous dit cette absence ? À travers les œuvres présentées dans l’exposition « Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques », on abordera la question des « fous naturels » (simples d’esprit), des modes de guérison proposés pour les maladies mentales, mais aussi du statut à part du fou, parfois perçu comme un élu de Dieu accédant à des réalités supérieures.
Élisabeth Antoine-König, ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégée d’histoire, est conservatrice générale du patrimoine. Spécialiste des arts précieux à l’époque gothique. Elle a été conservatrice au musée de Cluny, où elle a créé le jardin d’inspiration médiévale (2000), puis été commissaire de l’exposition « Sur la terre comme au ciel. Jardins d’Occident à la fin du Moyen Âge » (2002). Conservatrice au Louvre depuis 2005, elle y a été commissaire de l’exposition « Le trésor de Saint-Maurice d’Agaune » (2014).
6. 12 février 2025 | Léonard POUY
Précieuses dissimulations : les trésors de la peste, de Colmar à Londres
Tant la rareté des matières mises en œuvre que les divers recyclages, remontages, refontes et retailles opérées au gré des changements de mode, de règnes ou de loi entravent tout espoir d’une histoire joaillière exhaustive. Si certains témoignages, inventaires ou représentations peuvent parfois aider à pallier des lacunes béantes il est une exception notable qui permet chaque fois d’éclairer des pans entiers d’activité ancienne : le trésor. Or la période correspondant à la deuxième pandémie de peste, démarrée en 1347 pour presque cinq siècles, fut l’occasion de nombreuses dissimulations aussi précieuses pour celui qui les aura quitté à la hâte, espérant vainement survivre à une contamination, que pour l’historien moderne y trouvant une véritable capsule temporelle.
Léonard Pouy est responsable des contenus et de la transmission pédagogiques au sein de L’École des Arts Joailliers, avec le soutien de Van Cleef & Arpels. Après s’être intéressé aux pillards et preneurs de butins néerlandais de la guerre de Trente Ans à l’occasion d’une thèse de doctorat en histoire de l’art (universités de Paris-Sorbonne et de Genève, 2017), c’est vers l’ancienne « Côte des pirates », soit l’actuelle rive occidentale du golfe arabo persique, qu’il se tourne dans le cadre du commissariat de l’exposition « Pearl Merchants, A Rediscovered Saga Between the Gulf & France at the Dawn of the 20th century » (Dubaï, 2019). Spécialiste de l’histoire joaillière et notamment des perles, son dernier ouvrage est consacré à Paris, capitale de la perle (Paris, 2024).
7. 26 mars 2025 | Tiphaine LOURS
Représenter les greffes de tissus durant le long XIXe siècle : enjeux techniques et esthétiques de la mise en image du geste chirurgical
Dès les années 1820, plusieurs médecins français s’intéressent à de nouvelles opérations spectaculaires, les autoplasties, visant à combler des pertes de substance grâce à des lambeaux cutanés. Dans leurs traités, ces chirurgiens ont recours aux illustrations médicales afin d’attester l’efficacité de leurs procédés et favoriser leur intelligibilité. À partir des années 1860, la multiplication des techniques de greffe s’accompagne d’une diversification des représentations visuelles comme la photographie, la coupe histologique ou la radiographie. Or tous ces médiums révèlent une difficulté : comment représenter le geste chirurgical par le biais d’une image figée qui peine à traduire la perception sensible des tissus par la main du chirurgien ? Cette présentation tentera d’identifier les rôles que remplissent ces représentations des greffes, parfois support de transmission des savoirs, guide au geste chirurgical, ou encore dispositif de promotion d’interventions encore méconnues.
Tiphaine Lours est doctorante en histoire contemporaine au Centre d’histoire de Sciences Po, sous la direction de Paul-André Rosental et Nathalie Sage-Pranchère.
Sa thèse porte sur le développement des connaissances médicales et des pratiques opératoires relatives aux greffes de tissus et aux transplantations d’organes en France entre les années 1820 et 1920, en intégrant l’histoire des patients greffés à cette recherche. Son travail a pour horizon la Première Guerre mondiale, puisqu’il tâche de relier l’expérience accumulée sur les greffes au cours du XIXe siècle au traitement des blessures graves causées par le conflit. Elle a été lauréate du soutien à la recherche du Comité pour l’Histoire de l’INSERM en 2020 et a reçu le prix de la Fédération Hospitalière de France dans le cadre du concours 2024 de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux .
8. 09 avril 2025 | Patrick BOUCHERON
Juste une maladie ? Les images débordées par la peste
Il faudrait, avec la maladie, adopter la sobriété interprétative recommandée par Susan Sontag : pour être juste avec la maladie, se contenter de dire que c’est juste une maladie. Et pourtant, tout dans l’analyse des représentations de la peste noire déborde cette prudence de méthode. Si les images contemporaines de la peste ne la documentent que peu ou mal, la hantise pestifère les font sortir d’elle-même. Latence ou différence ? De Millard Meiss à Georges Didi-Huberman, l’histoire de l’art est confrontée à ces écarts de temporalités et significations. On proposera d’autres interprétations de cette décomposition de la ressemblance depuis la peste noire, à partir notamment du concept de pharmakon.
Patrick Boucheron est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècles ». Il a notamment publié Conjurer la peur. Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images (Seuil, 2013) et prépare actuellement un livre sur la peste noire.