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31.10.2024
L'utilisation des données du CDSP : le portrait de Jens CARSTENS
Doctorant en sciences politiques à Sciences Po, Jens Carstens se consacre à l'étude des disparités régionales et de leur impact sur la politique à travers sa thèse sur la "géographie du mécontentement". Avec un parcours académique débutant à l'Université de Mannheim, Jens utilise désormais les données du CDSP pour décrypter les dynamiques sociopolitiques qui façonnent les attitudes politiques en Europe.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours en quelques mots ?
Je suis originaire d'Allemagne, où j’ai commencé mon parcours universitaire en effectuant mon bachelor à l’université de Mannheim. J’y ai reçu une formation solide avec un accent fort sur les méthodes quantitatives, avec de nombreux cours et séminaires où l'on devait systématiquement utiliser des méthodes quantitatives pour nos recherches. J’ai ensuite poursuivi par un master en économie politique à l’université de Stockholm en Suède, où j’ai abordé des théories plus marginales par rapport à ce qui est enseigné à Mannheim, telle que le post-colonialisme.
Ensuite, j’ai commencé à postuler pour des programmes de doctorat à travers l’Europe. Bien que je n’aie pas eu de préférence particulière pour la France, je savais que Sciences Po avait une très bonne réputation et offrait un excellent environnement de recherche. C’est finalement les recherches des directeurs de thèse et l’image de l’institution qui m’ont décidé. Avant de rejoindre Sciences Po, j'ai travaillé pour Eurofound, une agence européenne basée à Dublin, en Irlande, qui se concentre sur l'impact des politiques sociales en Europe. Mon travail portait sur la divergence socio-économique des régions (PIB, taux de chômage, etc.), en collaboration avec des économistes pour rédiger des rapports. Cette expérience m’a beaucoup sensibilisé aux inégalités territoriales en Europe, que nous percevions comme une menace pour la démocratie et la cohésion sociale.
En tant que politiste, j’ai voulu aller plus loin en me demandant comment et pourquoi ces inégalités étaient perçues comme une menace pour la démocratie, ce qui a donné naissance à mon projet de thèse.
Quel est votre travail de thèse et qu’est-ce qui vous a poussé à travailler là-dessus ?
Ma thèse porte sur ce que l’on appelle la « géographie du mécontentement ». L’idée est qu’il existe des zones, souvent urbaines, qui prospèrent et deviennent des pôles d’innovation, attirant les gens et offrant de nombreux emplois, tandis que d’autres régions, laissées pour compte, connaissent une dépopulation, un manque d’emplois et une baisse des services publics (fermeture d’hôpitaux, d’écoles, etc.). Ce déclin entraîne une réaction des habitants, qui sont attachés à leur lieu de vie. Quand leur environnement se dégrade, cela génère une réaction négative. Mon objectif est de comprendre comment ce déclin est perçu et comment il devient un enjeu politique. Je pense que le manque de confiance politique naît quand les citoyens constatent que les politiciens semblent se désintéresser de leur région, ce qui mène à une défiance politique, exploitée ensuite par des partis d’extrême droite qui utilisent un discours de division. Pour quelqu’un qui vit loin de Paris, par exemple, le discours de « nous contre eux » prend une dimension spatiale : « nous », c’est ici, tandis que « eux », les politiciens, c’est Paris, Bruxelles ou Londres. C’est donc ce que j’explore actuellement dans le cadre de ma quatrième année de doctorat, où je suis encadré par Jan Rovny et Emiliano Grossmann. Ma collaboration avec Emiliano m’amène donc à travailler en lien avec le CDSP.
Comment les données du CDSP vous sont-elles utiles ?
Plusieurs personnes m’ont conseillé d’utiliser les données de l’enquête ELIPSS. Les données ELIPSS sont particulièrement intéressantes, car elles contiennent une série de questions sur les problèmes perçus dans le quartier des répondants. En analysant ces perceptions, je cherche à savoir comment elles influencent la confiance politique et les choix électoraux. Méthodologiquement, j’ai employé un modèle d’équation structurelle, car il existe une chaîne causale entre les griefs liés à l’environnement local, la confiance politique et le comportement électoral.
J’ai également fait une analyse en classes latentes, qui a révélé deux groupes de griefs : urbains et ruraux. Les griefs urbains incluent par exemple le manque d’espaces verts et la pollution sonore, tandis que les griefs ruraux se concentrent sur l’isolement perçu, le manque de commerces et d’endroits pour socialiser. Ces éléments m’ont permis de voir comment ces perceptions se traduisent en attitudes politiques.
Est-il courant qu’un centre de données permette aux chercheurs de venir consulter des données sensibles sur place ? Comment cela fonctionne-t-il ?
Le CDSP propose un service sur mesure en plus de ses activités de diffusion de données de la recherche, qui répond aux besoins d'accès aux données confidentielles du chercheur. En Allemagne, par exemple, on utilise des salles de données sécurisées où l'on peut travailler directement sur les données sans les emporter. En France, cela reste rare, mais pour nous, chercheurs, c’est précieux car cela nous permet d’aller plus loin dans nos analyses. Cela reste cependant toujours dans un cadre strict de sécurité des données, ce qui est primordial.
Comment s’organise votre travail ? Quel rythme avez-vous en tant que doctorant ?
J’organise mon travail de façon cyclique, en fixant des objectifs tout au long de l’année académique. Pour moi, les conférences et les ateliers sont des moments essentiels, car ils imposent des deadlines pour rédiger des articles. Chaque lundi, je fais le point sur les tâches à accomplir pour la semaine et je les découpe en objectifs plus précis et atteignables.
Cette organisation m’aide à structurer mon travail doctoral. Je pense que le fait d'avoir une vue d'ensemble des grandes choses que l'on veut réaliser et de les diviser en petites choses que l'on peut faire aide vraiment à structurer ce grand désordre qu'est la thèse.
Y a-t-il un point particulier que vous souhaitez partager pour conclure ?
Ce qui ressort de mes recherches avec les données ELIPSS, c’est que les griefs ruraux sont liés à une défiance politique et un vote pour l’extrême droite, tandis que les griefs urbains n’ont pas cet effet, ce qui est je trouve quelque chose d’intéressant. J'ai relié les données de l'enquête aux données contextuelles réelles, j'ai également trouvé une base de données qui contient tous les services locaux d'une commune, la « Base permanente des équipements » qui contient le nombre de boulangeries, épiceries, supermarchés, médecins, etc. Je me suis amusé avec cette base et j'ai découvert que les personnes qui vivent dans une commune où la dernière boulangerie a fermé au cours des cinq dernières années sont beaucoup plus susceptibles de faire part de leurs griefs concernant leur lieu de vie. La boulangerie m'a un peu surpris parce que, en tant qu'Allemand, c'est une petite chose, mais c'est aussi statistiquement significatif et substantiellement important que le PIB, par exemple.
Je m'amuse donc un peu avec cela et je me demande, vous savez, quel est le rôle des services locaux, des services locaux privés qui ferment, comme les boulangeries, et je trouve qu'il y a un petit effet sur les parts de vote pour le RN. Mais ce n'est pas avec les données ELIPSS que je travaille, c'est en fait au niveau écologique, donc au niveau de la commune, entre le nombre de ce type de services locaux et la part des votes aux élections. Il s'agit donc d'une retombée de ce projet qui nous amène à la question “Quel est le rôle de la boulangerie ?”.