Accueil>DUBAÏ OU LA REVANCHE DE LA PERLE

12.06.2024

DUBAÏ OU LA REVANCHE DE LA PERLE

Introduction au contexte macroéconomique des Emirats

Par Edgar Brexel

Si la naissance de Dubaï est souvent assimilée à la poussée fulgurante de ses gratte-ciels observée tout au long des trente dernières années, les origines de la ville remontent en réalité à une période bien plus lointaine, avec une première phase de développement entamée dès la fin du 19ème siècle. En ces temps-ci, la ville qui s’accrochait aux bords du Dubaï Creek vivait en grande partie sur le commerce de perles, elles-mêmes issues des huîtres qui jonchaient les fonds marins des alentours. Si ce produit n’est pas sans faire écho à la dimension luxueuse qui anime encore l’estuaire aujourd’hui, d’autres éléments de contexte ont subsisté comme des caractéristiques de la ville au fil du temps, à l’image de l’exonération fiscale voulue par le Sheikh Al Maktoum en 1894 pour booster l’attractivité du hub naissant.

L’apparition des perles de culture au Japon dans les années 1920 a mis un coup d’arrêt à cette période de prospérité, les Dubaïotes ayant progressivement vu leur principal marché leur échapper au profit de cette nouvelle concurrence. Néanmoins, quelques temps plus tard, c’est la découverte d’une autre ressource naturelle précieuse qui remettra Dubaï au cœur du commerce maritime mondial : à partir de 1966 commença l’ère du pétrole.

L’argent de l’or noir, aujourd’hui essentiellement géré à Abu Dhabi, n’est toutefois pas éternel aux yeux des Emirats. En effet, ceux-ci savent vivre avec leur temps, et ils ont désormais la certitude que la demande de pétrole ne pourra connaître qu’un déclin sur le long terme. Par anticipation, ils ont donc entamé une grande politique de diversification économique, utilisant leurs fonds souverains pour investir massivement dans des secteurs d’avenir tels que les fintechs, la cybersécurité ou encore l’intelligence artificielle. A titre d’exemple, Mubadala, deuxième plus gros fonds du pays, possède plus de 57 milliards d’euros d’actifs sous gestion au sein des Emirats, et continue d’y investir activement.

Cette réinjection de l’argent du pétrole via le canal des fonds souverains représente donc une donnée majeure de l’écosystème macroéconomique local, et vient constamment irriguer cette nouvelle industrie de services, qui se trouve majoritairement à Dubaï. L’enjeu de la captation de ces investissements colore également les stratégies diplomatiques des autres pays vis-à-vis des Emirats, à l’image de la France qui promeut notamment son savoir-faire dans les secteurs de la défense et des transports : 

« L’attractivité de la France auprès des fonds souverains Emiratis est un fort enjeu pour nous. Emmanuel Macron a une relation bien établie avec Mohamed Bin Zayed, sur laquelle nous faisons levier pour promouvoir des entreprises telles que Safran, Thalès ou encore Alstom, comme par exemple dans le cas de l’extension du métro de Dubaï avec la blue line. »*

De leur côté, les Emirats tentent de conserver une diplomatie équilibrée, notamment en s’impliquant le moins possible dans les conflits régionaux et en capitalisant sur une mentalité anglo-saxonne donnant la primauté au business. De plus, eux aussi cherchent à maximiser leur attractivité, notamment pour ce qui leur manque le plus, à savoir des talents. En effet, les Emiratis ne représentent qu’environ un dixième de la population locale, et sont souvent plus enclins à truster les postes hautement rémunérés au sein de l’administration qu’à s’orienter vers le secteur privé. Le pays cherche donc à attirer des profils du monde entier, souvent hautement diplômés, pour poursuivre son développement.

Le pacte social local tient donc sur une sorte de marché, un deal, entre les expatriés et les Emirats. D’un côté, le pays offre un écosystème florissant, pourvu des meilleures infrastructures possibles et formant un cadre de vie au sein duquel tout type de personne est censé pouvoir trouver satisfaction. Les salaires compétitifs, l’absence d’insécurité ou encore la tolérance de l’alcool** viennent, entre autres, compléter ce package. En contrepartie, les expatriés doivent notamment accepter la présence de caméras à reconnaissance faciale dans les lieux publics ainsi qu’une certaine précarité dans leur situation :

« Il faut garder à l’esprit que nous ne sommes que des invités ici. Demain, je peux perdre mon travail et devoir rentrer en France en l’espace de quelques semaines. »***

En effet, le droit civil aux Emirats est très loin des canons français, et une perte d’emploi s’accompagne rapidement d’une expiration de visa. Néanmoins, les Emirats souhaitant de plus en plus favoriser l’installation sur le long terme de leurs talents étrangers, il ne serait pas impossible que ces règles soient aménagées au cours des prochaines années.

Le temps du commerce de perles semble donc bien loin lorsqu’on regarde aujourd’hui ce qu’est devenu Dubaï, vitrine mondiale du développement exponentiel des Emirats démontrant toute l’ampleur de leurs ambitions pour venir concurrencer les principaux hubs mondiaux. Avec une population dynamique, formée et confiante en l’avenir, nul doute que les Emirats disposent désormais des moyens nécessaires pour emmener leur économie encore plus loin. Reste à savoir qui de Dubaï ou de sa vieille sœur Riyad, actuellement en plein boom, s’arrogera finalement le statut de maître de la région.

*Anaïs Huin, responsable de l’antenne de Dubaï du service économique régional de l’ambassade de France aux Emirats, rencontrée sur place.

**Contrairement à Riyad, bien que cela soit, là-bas aussi, en discussion.

***Marie de Ducla, cadre chez Google Dubaï, rencontrée sur place.

Rendez-vous sur la page Learning Expedition pour en savoir plus sur le programme.

Nous contacter

Une question ? Contactez-nous sur centre.entrepreneuriat@sciencespo.fr