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12.06.2024
PARIS-DUBAÏ : LA VOIE DE LA CROISSANCE
Enquête sur un bond culturel de plus en plus séduisant pour les entreprises tricolores
Par Edgar Brexel
6h40. C’est à peu près le temps qu’il vous faut pour rejoindre Dubaï depuis Paris. En l’espace d’un après-midi, vous voilà passé des bureaux luxueux du cadre haussmannien à ceux, non moins confortables, des grandes tours climatisées du quartier du Trade Center. Ces deux environnements pourraient a priori sembler similaires, peuplés d’esprits brillants, innovateurs et décidés à faire fructifier leurs activités au sein d’un paysage concurrentiel dense et dynamique. Dans les deux cas, on entend régulièrement parler d’EBITDA, de business partners et de use cases, autour de cafés italiens dûment moulus par des machines sophistiquées. Pourtant, à y regarder de plus près, ces 6h40 vous ont transporté dans un environnement bien différent, où les affaires semblent pouvoir prendre une toute autre dimension pour qui réussit à en saisir les codes.
En 2008, peu après avoir obtenu son master à Sciences Po, Olivier Billon a créé l’agence de marketing et d’influence Ykone. S’inscrivant dans le développement naissant des campagnes de publicité sur les réseaux sociaux, ce projet initialement parisien a connu une croissance rapide, permettant à Olivier Billon de s’installer dans des villes stratégiques telles que Londres, Milan ou encore Genève. A partir de 2015, l’intérêt croissant des grandes marques pour les influenceurs lui a permis d’obtenir des contrats d’ampleur, atteignant pour la première fois les six chiffres à l’occasion d’une campagne pour Cartier.
Voyant l’intérêt grandissant pour la péninsule arabique, Olivier Billon a ensuite fait le choix de développer son activité aux Emirats, qui devenaient alors un véritable hub d’influenceurs. Ce choix fit passer Ykone dans une nouvelle dimension. En effet, il gagna rapidement l’intérêt du gouvernement d’Abu Dhabi, qui souhaitait lancer la plus grande campagne d’influence possible pour promouvoir son tourisme. Lorsque vint la question du prix, Olivier Billon donna un ordre de grandeur autour d’un demi-million d’euros, prenant pour référence les plus gros contrats qu’il avait eu jusqu’alors. Ce montant provoqua la surprise des Emiratis, qui lui annoncèrent que leur budget était de 5 millions d’euros pour cette campagne. C’est à ce moment-ci que l’entrepreneur réalisa l’ampleur du marché qui s’offrait à lui.
Le gouvernement d’Abu Dhabi est aujourd’hui le premier client d’Ykone, à hauteur de 17 millions d’euros annuels, loin devant les grandes maisons de luxe avec qui l’entreprise continue de traiter. Le bureau d’Ykone à Dubaï est également très actif, notamment grâce à son studio de production intégré, disposant d’une hauteur sous plafond de près de dix mètres et permettant d’associer directement la création de contenu à l’espace de travail.
Rétrospectivement, le constat d’Olivier Billon est sans appel :
« L’environnement entrepreneurial français est trop restrictif. A Dubaï, l’ambition est sans limite. Si c’était à refaire, j’y serais allé plus tôt. » *
En effet, le montant des contrats n’est pas le seul intérêt qu’un entrepreneur français peut trouver aux Emirats, et la culture de l’innovation est sans aucun doute un autre facteur clé du développement local :
« La norme ici est d’être un entrepreneur, pas un employé. Même au sein d’Ykone, je recherche des personnes qui se comportent de la sorte, qui savent reconnaître leurs erreurs et qui n’ont pas peur de demander de l’aide aux bonnes personnes pour les régler rapidement. A ce titre, je ne demande à être mis en copie des emails échangés au sein de l’entreprise que lorsque c’est absolument nécessaire. »*
Cette vision est également celle d’Ali et Mohammed, respectivement directeur créatif et directeur artistique d’Ykone à Dubaï. Leur métier ? Créer des campagnes innovantes, permettant aux marques de développer leur influence sur la péninsule arabique. Selon les deux hommes, la liberté promue tant par la culture entrepreneuriale d’Ykone que par l’écosystème dubaïote leur offre d’énormes possibilités de création, leur permettant de trouver à chaque fois l’angle juste pour associer des marques d’horizons divers à l’identité culturelle locale.
Un autre exemple de présence française à Dubaï est celui du centre de design de Thalès, dont les bureaux aux allures futuristes se situent au niveau de l’aéroport. Là aussi, la créativité est au cœur du quotidien, ce centre permettant de modéliser des objets ou des services destinés à être vendus aux clients émiratis. Au sein des nombreux avantages de l’écosystème local cités par notre interlocuteur, la culture de l’efficacité est ressortie comme un élément particulièrement marquant :
« Les pays du Moyen-Orient ont à cœur de montrer au monde qu’ils peuvent aller plus vite que les autres. Aux Emirats, il y a une verticalité très efficace dans la mise en œuvre des décisions, et les projets voulus par le gouvernement sont exécutés rapidement et sans contrainte. »**
Cet aspect est en effet une caractéristique forte de la culture émiratie, et est notamment dû à une absence de véritables contre-pouvoirs qui permet au gouvernement de déployer son action sans entrave. Cette liberté est elle-même fruit d’un consensus tacite entre les émiratis, qui ne voient tout simplement pas de raison de s’opposer à une administration qui garantit leur prospérité. Ainsi, le pays bénéficie d’une grande fluidité dans le processus de décision et de mise en œuvre des projets gouvernementaux, bien loin de tout le corpus juridico-politique qui pèse sur les décideurs français.
Le travail du centre de design est également facilité par le caractère organique de l’administration des Emirats :
« Beaucoup d’entreprises locales sont possédées ou co-possédées par les mêmes personnes, ce qui permet de développer des services intégrés impliquant plusieurs acteurs d’un même processus. » **
Cet environnement simplifié représente donc un véritable marqueur culturel des Emirats, qui tranche incontestablement avec tous les obstacles que peuvent rencontrer les entrepreneurs comme les grandes entreprises développant leurs activités en France. Si ce type de différence reste bien entendu à relativiser au vu de l’histoire économique et politique des deux pays, Dubaï n’en représente pas moins, aujourd’hui, un hub hautement concurrentiel vis-à-vis des grandes villes occidentales. Ainsi, à l’heure où les Emirats affichent un taux de croissance plus de trois fois supérieur à celui de la France***, ces différences semblent avoir permis l’émergence d’un véritable écosystème d’avenir, florissant sur le plan économique et offrant des conditions particulièrement attractives pour les business français. A ce titre, nul doute que les 6h40 séparant les deux pays représentent, aujourd’hui, un chemin de croissance pour les entreprises désireuses d’étendre leurs activités à cette région.
*Olivier Billon, fondateur et directeur général d’Ykone, rencontré sur place
**Romain Lalière, chef du design et de l’innovation pour Thalès au Moyen-Orient, rencontré sur place.
*** 7,9 % VS 2,5 % en 2022. Source : Banque Mondiale.
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