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05.12.2022
Charlotte Halpern, de retour de la COP27
Charlotte Halpern est docteure en science politique, chercheuse au Centre d’études européennes et de politique comparée. Elle est spécialiste des transformations de l’action publique, qu’elle analyse dans une perspective comparée, au croisement entre trois perspectives : le gouvernement des sociétés contemporaines, l'analyse des conflits et formes de participation politique, et l’évolution des rapports public-privé. Elle prépare une habilitation à diriger des recherches sur le gouvernement des politiques de transition écologique dans les villes européennes. Elle revient de la COP 27 et nous raconte son expérience d’intervenante.
Propos recueillis par Charlène Lavoir (Sciences Po, direction de la communication)
Pourriez-vous nous en dire plus sur votre présence à la COP 27 ?
Les possibilités d’accréditation pour la COP sont peu nombreuses et de ce fait, ma présence à la COP 27 résulte d’un formidable concours de circonstances. Pour vous expliquer comment fonctionne la COP 27, je vais oser faire un parallèle avec le Festival d’Avignon : il y a le on et le off. Le programme officiel, ce sont les négociations entre les parties, et le off permet à l’ensemble des observateurs de proposer des panels sur les sujets de leur choix – agriculture, santé, mobilité, développement, etc. –, et de disposer ainsi d’une opportunité de prise de parole sur leurs sujets d’expertise et d’échange avec un public à la fois expert et très mobilisé.
J’ai été invitée à présenter mes résultats de recherche dans un événement du “off”, organisé par Anneliese Depoux, directrice du Centre Virchow-Villermé de Santé Publique Paris-Berlin de l’Université Paris Cité. Anneliese porte les questions de santé au sein du Centre des politiques de la Terre, dont nous sommes toutes deux membres du bureau, et cette table ronde organisée en partenariat avec l’Université de Californie portait sur la décarbonation des systèmes de santé. Dans le cadre du projet européen H2020 CIVITAS SUMP PLUS, dont Sciences Po est partenaire et au sein duquel je coordonne le volet gouvernance et capacités politiques des villes à impulser une trajectoire de mobilité urbaine durable et décarbonée, une part importante du travail a porté sur la décarbonation des systèmes locaux de santé.
C’est un peu technique, mais en quelques mots : pour les villes les plus expérimentées en matière de mobilité urbaine durable, il devient essentiel d’identifier des réservoirs supplémentaires de réduction de leurs émissions carbone pour intensifier et accélérer la décarbonation. Elles le font en nouant des partenariats stratégiques avec les secteurs d’activités générateurs de mobilité, par exemple la santé, l’éducation, le tourisme ou la logistique, etc. Pour le système de santé, cela concerne le transport et la livraison de médicaments, les soins à domicile et les services de secours, les trajets des personnels de santé et des patients vers les hôpitaux, maisons de santé et cabinets médicaux, le transport des déchets de santé, etc. D’autres postes s’ajoutent – efficacité énergétique des bâtiments, marchés publics, gestion des déchets, par exemple. Réduire les émissions carbone implique la mise en place d’approches intégrées, ancrées dans l’inter-sectoriel : leur conception et surtout leur mise en œuvre constitue un défi majeur pour des acteurs qui ne parlent pas le même “langage” et se croisent rarement.
Le projet SUMP-PLUS m’a donné l’opportunité d’appréhender ce défi à partir d’un cas britannique : suite à l’adoption d’un plan de décarbonation par la NHS, l’Agence nationale de santé britannique, en 2020, l’agence de transport du Grand Manchester a lancé un projet pilote de décarbonation des déplacements liés au système de santé sur son territoire, le Manchester City Lab. Grâce au projet SUMP-PLUS, il lui a été possible de réunir l’ensemble des acteurs de ce projet inter-sectoriel : personnels de santé, directions des hôpitaux, autorités municipale et régionale de santé, sans oublier les acteurs économiques ainsi que les représentants des patients et des usagers. Le City lab a jeté les bases d’un plan d’action conjoint, tiré les leçons de projets pilotes préexistants, pour envisager leur déploiement à l’échelle de la ville toute entière. Ces acteurs ont aussi travaillé en transversal avec l’ensemble des services de la ville et le cabinet du Maire pour proposer une gouvernance dédiée au pilotage de ce processus de décarbonation à horizon 2038.
Mon rôle en lien avec mes collègues de University College London, également partenaires du projet, a été d'accompagner la ville dans cette réflexion. Je me suis appuyée sur une double compétence : en tant que chercheuse spécialisée dans l’action publique territoriale pour identifier, sur un plan conceptuel et analytique, les enjeux propres à l’action publique inter-sectorielle, et en tant que responsable scientifique d’un executive master de Sciences Po sur la gouvernance urbaine, organisé en partenariat avec l’École urbaine, pour former les professionnels du publics et du privé à la conduite de projets territoriaux.
C'est donc ce projet européen que vous avez présenté à la COP 27 ?
Tout à fait. Lors de ce "side event", j’ai présenté les résultats de recherche du Manchester City Lab et qui constituent l’aboutissement de 3 années de travail. 5 autres villes sont partenaires de ce projet européen, chacune ayant développé son City Lab sur un enjeu identifié comme prioritaire – le tourisme pour Lucca (Italie) et Platanias (Crète), la logistique pour Anvers (Belgique) et Klaipeda (Lituanie), l’éducation pour Alba Iulia (Roumanie). Ce projet est très ancré dans la réalité, on arrive à montrer les nombreuses implications d’une décarbonisation du système de transport à l’échelle d’un territoire avec des conséquences pratiques : les limites d’une stratégie centrée sur le tout-électrique, le défi que constitue le déploiement d’alternatives à la voiture dans des villes petites et moyennes, et la manière dont la montée en puissance de l’objectif zéro carbone nécessite la refonte des structures et des processus de gouvernance à l’échelle de la ville toute entière.
J’ai aussi pu rencontrer d’autres chercheurs des universités de Californie, de Heidelberg et de la London School of Hygiene & Tropical Medicine, qui travaillent sur la décarbonation du système de soins. Ces rencontres aboutiront peut-être à un futur projet de recherche. La table ronde était donc très utile !
Comment Sciences Po était représenté à la COP 27 ?
Sciences Po était présent de diverses manières. Carola Klöck, Assistant Professor au CERI, participait avec des doctorantes et étudiantes dont les recherches portent sur les négociations internationales. Les recherches de Carola portent sur l’adaptation au changement climatique et la politique du changement climatique plus généralement, elle étudie aussi le rôle des États insulaires en voie de développement dans les négociations climatiques internationales. La COP 27 est bien un objet d’études en soi !
Grâce au soutien du réseau Global Alliance of Universities on Climate Change (GAUC), dont Sciences Po est membre, la Direction des Affaires internationales de Sciences Po a pu disposer d’accréditations supplémentaires pour trois étudiants ayant participé pendant l’été 2022 à une initiative “Climate x” Leadership training pilot co-portée par Sciences Po et l’Université Tsinghua. Sciences Po est l'un des membres fondateurs de la GAUC, une alliance internationale de 15 universités de rang mondial dont de nombreux partenaires proches de Sciences Po qui s'unissent, depuis 2019, autour des questions de changement climatique. Le “Climate x” leadership training pilot, s’est donné pour ambition de former une communauté étudiante issue des quatre coins du monde aux problématiques du changement climatique dans une perspective interdisciplinaire. Plus de 150 étudiantes et étudiants issus des 15 universités membres à travers le monde, dont 30 de Sciences Po, ont participé à cette première édition, avec des interventions de membres de la faculté permanente des différents établissements partenaires, dont Carola et moi, pour aborder les enjeux liés à l’énergie, la finance, la nature, la biodiversité et l’alimentation, l’adaptation et la résilience, et enfin, les négociations internationales et politiques publiques du climat. Les étudiantes et étudiants ont également travaillé par groupes sur leurs propres projets, et deux étudiantes de Sciences Po ont pu présenter leur travail à la COP 27, dans le cadre d’un side event organisé le jour de la jeunesse, le 9 novembre.
Une autre alliance importante pour Sciences Po a été représentée à la COP 27 : l’Alliance U7+, fondée par notre université en 2019, y animait un side event et un moment plus informel de contact entre représentants des universités membres d’U7+ présentes à la COP, dans une démarche de mise en commun des savoirs et des ressources qui sont essaimées à travers les 50 membres de l’Alliance U7+ et au service d’une action universitaire sur les transformations environnementales.
Quel est le rôle de la recherche dans les enjeux de transformation environnementale ?
Le GIEC et, en France, le Haut Conseil pour le Climat, pour ne citer que ces deux instances, n’ont de cesse d’alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de tenir compte des résultats de recherche sur les transformations environnementales pour éclairer la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. Il n’y a jamais eu autant de données faisant état de l’urgence climatique et environnementale, de travaux dédiés aux questions environnementales, et ce toutes disciplines confondues. Au-delà de cet effort de conceptualisation, de production de données et d’analyses, le monde académique bouillonne de propositions, de pistes à explorer et de solutions.
Pour autant, et pour celles et ceux qui, comme moi, s’intéressent aux transformations de l’action publique, la traduction de ces savoirs dans l’action publique n’a rien d’automatique et se heurte à de nombreux blocages. La prise en compte du changement climatique à toutes les échelles implique un chamboulement tellement profond de nos systèmes économiques, politiques, sociaux et juridiques, et ce à horizon 2050, que nombre de gouvernements hésitent. Comment concilier ces objectifs de long terme avec les contingences du court terme ? Comment passe-t-on de mesures incitatives à l’introduction de restrictions sur les activités à l’impact environnemental le plus élevé ? Comment traduire, sur un plan opérationnel, les modèles scientifiques comme celui, aujourd’hui très en vogue parmi les praticiens, des limites planétaires ? Quelles mesures d’accompagnement prévoir, à quelle échéance, pour accompagner la reconversion des emplois et des professions directement impactées, pour soutenir les groupes sociaux et les territoires les plus vulnérables ?
Devant l’ampleur de la tâche, la tentation est forte, malheureusement, de se limiter à de petites mesures de court terme, des “quick wins”, de servir ses clientèles ou encore de privilégier des solutions routinières, travers maintes fois mis en évidence par les recherches en politiques publiques.
L’écologie est présente dans les médias, dans le débat public : cela a-t-il bouleversé votre manière de travailler ?
Lorsque je suis arrivée à Sciences Po en 2012, nous n’étions pas très nombreux à travailler sur le sujet, toutes disciplines confondues. Aujourd’hui, nous sommes plus d'une quarantaine de membres permanents, l’attention portée à l’écologie n’a cessé de croître, notamment grâce à la mobilisation étudiante, et nous a ouvert de nombreuses portes : nous avons davantage d’espaces pour échanger et dialoguer. Il y a aussi plus de financements disponibles pour la recherche.
Sciences Po est un bon exemple de cette montée en puissance de l’intérêt pour les questions environnementales depuis une dizaine d’années : la faculté permanente s’est étoffée, un groupe de recherche interdisciplinaire, AIRE, a été créé en complément de ce qui se fait déjà dans les labo, et des programmes interdisciplinaires, ouverts sur d’autres secteurs des sciences, ont été créés en partenariat avec Université Paris Cité. Grâce au lancement du Fonds Latour, dix chercheurs et chercheuses en post-doctorat vont venir renforcer cette dynamique collective. Du côté des enseignements aussi, les cours se sont multipliés, de même que les programmes dédiés. Cela entraîne aussi une demande accrue en terme de suivi des travaux des étudiants et étudiantes, à tous les niveaux – collège universitaire, masters, doctorat – et d’accompagnement de leurs initiatives.