L’appareil d’État au service de la présidence française du Conseil de l’Union européenne
La France est un « Etat intégré » à l’Union européenne1. Reste que sa relation à la construction européenne est marquée du sceau de l’ambiguïté et de l’ambivalence. D’un côté, la France est responsable de crises politico-institutionnelles majeures en Europe (liées notamment au rejet de la Communauté européenne de défense (1954) et de la Constitution européenne (2005)). De l’autre, elle est un État fondateur et moteur du projet politique que représente l’Union européenne (UE). Elle continue de peser de tout son poids au sein de l’organisation d’intégration, même si l’ampleur de son influence nourrit des débats et des doutes récurrents. En cela, la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) au premier semestre 2022 représente un véritable « test » quant à la place de la France au sein d’une Union post-Brexit, sous domination allemande. Un rendez-vous politique d’autant plus important que l’exercice de cette fonction européenne s’est raréfié avec l’élargissement de l’UE. Alors que dans les années 1960, la France présidait le Conseil tous les deux ans et demi, entre 1995 et 2021, elle n’aura présidé cette institution de l’UE qu’à trois reprises : 1995, 2000, 2008. Ainsi, treize ans après le dernier exercice, la PFUE (la première depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009) revêt en soi un caractère exceptionnel.
Toutefois, il ne s’agit pas de « présider » l’UE mais d’assurer la présidence de l’une de ses institutions à caractère intergouvernemental : le Conseil de l’Union. Institution clef de l’UE, le Conseil co-exerce les fonctions législative, exécutive, budgétaire et diplomatique de l’organisation d’intégration. Du reste, la PFUE intervient à une période charnière de la vie institutionnelle de l’UE (à mi-parcours du mandat du Parlement et de la Commission), en plein « goulot d’étranglement législatif » (près de 250 textes sont engagés dans le processus décisionnel européen). Des contraintes qui soulignent une réalité plus globale : une présidence du Conseil ne se prépare pas et ne s’exerce pas de manière totalement libre.
Même si toute présidence du Conseil doit s’attendre à des imprévus2, il revient à chaque État membre qui l’exerce de présenter un programme semestriel de travail (dévoilé dans le mois qui précède le début de la présidence). Or ce programme ne procède pas de décisions strictement unilatérales et discrétionnaires. Les priorités d’une présidence ne sauraient ignorer ni le programme législatif préétabli par la Commission européenne ni l’agenda communautaire où des projets et d’autres actions se trouvent déjà engagés dans le processus décisionnel. Ainsi, la présidence du Conseil se prépare et s’exerce en collaboration avec les institutions de l’Union, mais aussi avec les capitales des autres États membres. Du reste, une présidence suppose l’élaboration d’un programme commun sur dix-huit mois rédigé (par le secrétariat général du Conseil) à partir des contributions de l’État membre qui en est en charge, de l’État membre qui l’a précédé et de celui qui lui succèdera. Ce dispositif tend à pallier les inconvénients du système de rotation semestrielle et à garantir une continuité de (la programmation de) l’action de l’UE3. Non seulement la présidence du Conseil revêt une dimension collective, mais aucun pouvoir normatif ou décisionnel n’est reconnu à l’État membre qui l’exerce. Celui-ci ne jouit d’aucun pouvoir hiérarchique à l’égard des autres membres étatiques.
Il n’empêche, une présidence du Conseil consiste à exercer une responsabilité essentielle dans le fonctionnement de l’UE. Formellement, la combinaison des dispositions pertinentes des traités et du règlement intérieur du Conseil (aussi prolixes soient-ils) assure à la présidence du Conseil des fonctions d’initiative, de coordination et de représentation (au sein et à l’extérieur de l’UE). Il s’agit sur ce dernier point d’assurer un rôle d’interface avec les institutions de l’UE et dans les relations extérieures (avec les pays tiers de l’UE). Au sein même du Conseil, la présidence consiste à organiser les réunions, à les diriger et à assurer par ce biais la continuité des travaux. Se dégage ainsi une triple mission d’organisation-animation (des réunions du Conseil, mais aussi les Comités des représentants permanents (COREPER)), de fixation de l’ordre du jour (mission stratégique par laquelle la présidence pèse sur l’agenda législatif européen, en faisant avancer un texte, ou au contraire en le ralentissant) et de recherche de solutions de compromis (qui se traduisent concrètement par la rédaction finale de propositions d’accords sur le texte concerné), y compris dans le cadre des trilogues, ces réunions de négociations informelles menées avec le Parlement européen pour dégager une position commune sur un texte. Placé au cœur du système institutionnel de l’UE, la présidence du Conseil représente l’institution intergouvernementale dans les relations avec les autres institutions de l’UE, elle veille à la cohérence et à la continuité du processus de décision européen.
La présidence du Conseil peut également être une véritable force de proposition et d’impulsion au sein de l’UE. Politiquement, elle est une opportunité pour chaque État membre de mettre en avant un agenda politique et règlementaire prioritaire. Sur ce plan, toutes les présidences ne se valent pas, notamment du fait du poids et du volontarisme différenciés des États membres. Dans le cas de la France, l’intérêt stratégique de la présidence du Conseil est pris au sérieux. Ainsi, la PFUE 2022 a fait l’objet d’une longue préparation, débutée il y a près de deux ans (la première réunion interministérielle sur le sujet a eu lieu en novembre 2019). L’ambition est clairement affichée au sommet de État : la « PFUE 2022 » doit exercer pleinement sa « fonction d’inspiration » au service d’une « Europe plus souveraine »4, afin d’être à la fois « un accélérateur d’Europe, un accélérateur de notre agenda européen »5.
Le caractère particulièrement tardif de la présentation officielle du programme6 est lié à la (gestion de la) crise sanitaire mais aussi au contexte politique national. La PFUE correspond en effet à une période marquée par (la campagne) des élections présidentielle et législatives7. Une concomitance qui a diverses conséquences : la campagne présidentielle donne mécaniquement aux priorités de la PFUE une résonance nationale, dans la mesure où le chef de l’État en exercice est un acteur central des deux événements, qui se télescopent et la PFUE est susceptible de se clore avec un chef de l’État différent de celui qui l’a ouverte. Enfin, ce contexte électoral n’est pas sans effet sur l’organisation même de la présidence8 : la « période (politique) utile » de la PFUE risque de se concentrer autour des trois premiers mois du semestre (qui précèdent lesdits scrutins). Durant la durée de la présidence française, le code électoral amène à considérer que, d’une part, les membres du gouvernement doivent s’astreindre à une certaine réserve en matière de communication, et que d’autre part, leur participation à des événements officiels se trouve limitée dans le temps. Ainsi, les réunions informelles et conférences ministérielles se tiendront au premier trimestre 2022. En revanche, le calendrier des travaux du Conseil à Bruxelles ne sera pas impacté par le calendrier électoral français et les ministres français pourront assurer la présidence des réunions les concernant tout au long du semestre. En définitive, période de réserve électorale oblige, la PFUE se déclinera en deux temps/formes : essentiellement de nature politique au premier trimestre 2022, la PFUE devrait prendre ensuite une teneur plus technique, avec une activité plus centrée sur Bruxelles et le Luxembourg.
Ces circonstances particulières font peser sur l’appareil d’État français une responsabilité certaine dans la garantie de la continuité et de l’efficacité de la PFUE. Certes, aucune disposition de la Constitution de 1958 ne vise spécifiquement la fonction européenne de présidence du Conseil ni ne fixe précisément la répartition des compétences pour son exercice. En pratique, la mobilisation de l’appareil d’État en vue de la PFUE reflète les caractéristiques de la morphologie du système politico-administratif français et confirme son adaptation spécifique à l’intégration européenne.
La préparation et l’exercice de la PFUE font l’objet d’une répartition fonctionnelle et organique au sein de l’appareil d’État. Si le président de la République ne souffre aucune concurrence politique dans l’orientation et l’impulsion de la PFUE, l’organisation de celle-ci repose fondamentalement sur le travail d’organes politiques et administratifs liés à l’autre tête de l’exécutif : le gouvernement. Une responsabilité qui place Matignon au cœur du dispositif de la PFUE qui contraste avec la (faible) visibilité politique du Premier ministre durant cet exercice.
La fonction d’impulsion politique de la PFUE par le président de la République
Le président de la République a pesé de tout son poids dans la définition du programme officiel de travail semestriel de la PFUE, qu’il aura l’opportunité d’incarner à l’occasion de certains événements officiels : le sommet des chefs d’État et de gouvernement à Bruxelles et la présentation du programme de travail de la France au Parlement lors de la session plénière à Strasbourg. Toutefois, depuis l’institution d’un président permanent de cet organe par le traité de Lisbonne, la PFUE n’inclut pas la présidence du Conseil européen, institution politique qui définit les orientations et les priorités politiques générales de l’UE.
Il n’empêche, au niveau national, le président de la République a fixé au nom de la France les priorités de la PFUE. Un rôle d’impulsion qui procède de ses prérogatives constitutionnelles et de la pratique présidentialiste du régime de la Ve République. Pour la PFUE, le chef de l’État revêt ainsi ses habits traditionnels d’« arbitre » et de « capitaine » (selon la formule de J. Massot). Une double fonction qui a une portée particulière pour le président actuel qui a vocation à se présenter à sa propre réélection durant la PFUE. La concomitance entre la campagne présidentielle et la PFUE est une source de valorisation du candidat-président Emmanuel Macron, qui a fait de l’Europe une « part non négociable » de sa pensée politique, son « combat idéologique »9. Partant, la PFUE 2022 est appelée à être un instrument d’action et de communication politiques non négligeable dans la campagne du président sortant.
Au terme d’un long travail préparatoire, le chef de l’État a officialisé, dans une conférence de presse solennelle à l’Elysée, le 9 décembre 2021, les grandes priorités que la France portera pendant sa présidence. Les axes de la PFUE se déclinent ainsi à travers le triptyque « relance, puissance, appartenance », placé à la base d’un programme de travail – qui a été coordonné par le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) à partir de contributions ministérielles – mettant en avant des projets de texte relatifs à trois domaines en particulier : la régulation économique et la responsabilisation des plateformes numériques (avec la législation sur les services et les marchés numériques), la transition écologique (dans le but de créer une taxe carbone aux frontières de l’UE) et la transition sociale (avec la volonté d’établir une législation européenne sur les salaires minimum).
La polarisation politique de la PFUE autour de la figure présidentielle interroge le rôle des membres du gouvernement plus spécifiquement concernés. Le ministre et le secrétaire d’État de l’Europe et des Affaires étrangères doivent à jouer un triple rôle de coordination politique intragouvernementale, de coopération fonctionnelle avec les institutions de l’UE et de diplomatie bilatérale avec les autres États membres. En dépit de la tutelle officielle de son ministre, force est de reconnaître une prévalence de fait du secrétaire d’État dans la phase de préparation de la PFUE, dans laquelle il a su en effet jouer un rôle pivot.
L’idée d’instituer un poste ministériel chargé spécifiquement du suivi des affaires européennes s’est progressivement imposée sous la Ve République10. La création d’un organe ministériel spécialisé, placé au rang de ministre délégué ou de secrétaire d’État au gré des alternances et des remaniements ministériels, traduit l’ambivalence de l’appareil d’État dans sa conception de l’intégration européenne : si celle-ci n’est plus assimilable aux affaires étrangères, son autonomie n’est pas pleinement admise. Le ministère des Affaires étrangères n’a jamais accepté l’idée de se voir amputer des Affaires européennes et soutient le maintien du cordon ombilical politico-institutionnel qui relie ces deux domaines. En général, la tutelle du ministre des Affaires étrangères et le primat présidentiel dans les affaires européennes sapent l’autorité et la capacité d’influence du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes tant dans ses rapports avec les autres membres du gouvernement que dans ceux qu’il entretient avec les acteurs politico-institutionnels de l’Union et des autres États membres.
Ce schéma général ne s’est pas vérifié dans la préparation de la PFUE 2022. Bien que dépourvu d’une administration de gestion, Clément Beaune a su exercer un rôle de porte-parole politique (interne et externe) de la PFUE, tout en étant étroitement associé à la définition des priorités françaises. Il est vrai que, outre son expertise avérée sur les questions européennes, le titulaire du portefeuille bénéficie d’une relation privilégiée avec le président de la République. Une compétence technique et une proximité politique et personnelle avec l’hôte de Élysée (dont il a été le conseiller aux affaires européennes) qui ont permis de valoriser sa propre fonction, d’acquérir une visibilité médiatique rare à ce poste et de s’imposer au cœur de deux dispositifs liés entre eux : celui de la préparation de la PFUE et celui de la (pré)campagne présidentielle française. La visibilité du secrétaire d’État aux Affaires européennes durant la préparation de la PFUE contraste avec la discrétion du Premier ministre qui pourtant occupe une place stratégique dans la coordination politico-administrative de la PFUE.
La fonction de coordination politico-administrative (d’organes) du Premier ministre
Le primat présidentiel exercé sur la PFUE est de nature à effacer le rôle du Premier ministre qui assure toutefois une fonction essentielle dans l’organisation de la PFUE. Celle-ci nécessite un travail de coordination politique et administrative, de préparation logistique et financière assuré par des entités à vocation interministérielle placées sous l’autorité du Premier ministre : le Comité interministériel sur l’Europe, le SGAE, la Représentation permanente de la France et un organe ad hoc : le secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Le Premier ministre préside le Comité interministériel sur l’Europe (CIE), lequel s’inscrit dans le dispositif institutionnel et politique de préparation de la PFUE. Le CIE réunit les membres du gouvernement (ministres ou secrétaires d’État) concernés par l’ordre du jour qu’il a lui-même arrêté. Le CIE comprend également des membres permanents qui siègent auprès du Premier ministre, quel que soit l’ordre du jour : le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l’Économie et des Finances et le secrétaire d’État ou ministre des Affaires européennes, soit des membres du gouvernement ayant un champ d’action interministérielle. Le CIE répond aux trois objectifs de veille politique, de transparence et d’information systématique des citoyens sur les choix qui se présentent, les décisions prises et leurs conséquences. Un rôle qu’il est loin d’avoir assuré dans la préparation de la PFUE 2022. En réalité, après l’échec du référendum sur la Constitution européenne, le recours à cet organe interministériel s’est fait de plus en plus rare et irrégulier. Le CIE n’a pas réussi à s’imposer ni dans l’ordre institutionnel ni dans le travail gouvernemental. Si quelques réunions du CIE ont été initiées par le Premier ministre à l’approche de la PFUE 2022, ce dernier n’a pas joué un rôle stratégique dans la préparation de l’événement au contraire du SGAE et de la Représentation permanente de la France à Bruxelles.
Le SGAE et la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne ont contribué à l’élaboration des priorités du programme de la PFUE et de son agenda sous l’autorité du Premier ministre (et de son cabinet). A Bruxelles, forte de sa position d’interface, la Représentation permanente de la France assure en particulier la coordination et la transmission de l’information officielle entre les institutions de l’Union et l’appareil d’État (dont l’interlocuteur privilégié est le SGAE). Pendant la présidence de l’UE, la Représentation permanente joue un rôle crucial : en amont, pour nouer les contacts préalables avec les institutions de l’UE et les autres États membres ; puis, pour la préparation de la présidence des réunions du Conseil et de ses organes : le COREPER et les groupes de travail.
A Paris, ce rôle d’interface est assuré par le SGAE. Dirigé par Mme Sandrine Gaudin, également conseillère Europe auprès du Premier ministre, le SGAE a fait office de courroie de transmission des informations entre les ministères et les institutions/administrations de l’Union (via la Représentation permanente de la France à Bruxelles). Un rôle d’interface assuré également auprès des ambassades des États membres.
Chargé de la préparation et de la coordination interministérielle des priorités politiques de la PFUE, le SGAE a procédé avec les ministères à l’identification des projets de textes législatifs et non législatifs destinés à être promus dans l’agenda de la PFUE. Le SGAE fut directement impliqué dans la définition du programme semestriel de la présidence en cours, de la précédente et de la suivante. Sur un plan plus organisationnel, le SGAE, en liaison avec un SGPFUE, a programmé le calendrier des réunions des Conseils et veillé à tous les aspects protocolaires. Transmis par le SGAE au SGPFUE, le calendrier de la PFUE fixe les réunions formelles et informelles des Conseils pour les six mois de la présidence, ainsi que celles des COREPER et du Comité politique et de sécurité (COPS).
Durant l’exercice de la PFUE proprement dite, le SGAE continue d’exercer au sein de l’appareil d’Etat ses missions d’organisation (des réunions avec les ministères), de coordination interministérielle et d’arbitrage. Il est en effet responsable de l’unicité des positions (ministérielles) françaises (qui seront présentées et défendues en session du Conseil), sur la base d’un travail de coordination interministérielle qui peut prendre la forme d’arbitrage entre les options défendues par différents ministères. La proximité organique du SGAE avec le Premier ministre s’avère être ici un atout en faveur de son autorité. Toutefois, en cas de différends persistants sur des dossiers communs, il revient au Premier ministre de trancher.
Au niveau de l’UE, le SGAE veille à la sélection et l’avancée des dossiers prioritaires de la PFUE, tout en étant mobilisé dans la recherche du compromis avec les autres acteurs du processus législatif : les États membres, la Commission et le Parlement européen.
Malgré l’efficacité et l’expertise reconnues au SGAE, l’ampleur des missions liées à la préparation et à l’exercice de la PFUE a justifié (comme lors de la précédente expérience, en 2008) la création d’une structure ad hoc : le secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (SGPFUE) qui a été institué par le décret n° 2020-1117 du 8 septembre 2020. Placé sous l’autorité du Premier ministre, dirigé par l’ambassadeur M. Xavier Lapeyre de Cabanes11, le SGPFUE assure la coordination et l’organisation logistique et financière de la présidence.
Il est en charge des crédits budgétaires alloués à la présidence, soit un budget de 150 millions d’euros (adopté dans le cadre des lois de finances pour 2021 et 2022, sensiblement inférieur à celui de la présidence allemande qui a atteint 180 millions d’euros). Le SGPFUE est chargé de gérer ce budget réparti en trois types d’activités : les activités obligatoires de la présidence ; les activités à l’initiative de la présidence ; le fonctionnement du SGPFUE.
En sus de cette fonction gestion financière, le SGPFUE doit assurer une mission de gestion logistique des événements, réunions et manifestations - arrêtés par le Premier ministre - qui animeront la PFUE. Parmi ces événements institutionnels, l’organisation des réunions informelles du Conseil et autres réunions ou conférences ministérielles (siégeant en France, et non à Bruxelles) sont organisées par les ministères sous la coordination du SGPFUE.
La préparation et l’exercice de la PFUE par des organes ministériels
Les ministres doivent assurer la présidence effective du Conseil, même si leur mobilisation varie en fonction des priorités politiques et du programme de travail semestriel qui ont été fixés.
Ils exercent la fonction centrale de toute présidence qui consiste à diriger les sessions des différentes formations du Conseil. Une grande part de l’incarnation institutionnelle de la PFUE revient donc aux ministres présidant les neuf formations du Conseil (formels et informels) de l’UE. Précisons que la présidence du Conseil Affaires étrangères échappe au ministre des Affaires étrangères et revient - depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne - au Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères). En outre, il appartient au ministre de l’Économie de présider les réunions (informelles) des ministres de l’Économie de l’UE (Ecofin) et de la zone euro (Eurogroupe).
Un point mérite ici d’être précisé. Pour le ministre représentant de la France, la présidence du Conseil de l’UE s’ajoute à sa fonction de simple représentant de l’État membre (motivé par la défense des intérêts nationaux). Il est appelé à poursuivre (plus que jamais) l’intérêt commun, celui de de l’UE (dans les relations extérieures), en se conformant à ses obligations tacites de neutralité et d’impartialité.
La présidence du Conseil est source de valorisation des ministres qui ont à assurer cette fonction au nom de leur État membre. Toutefois, les positions qu’ils ont à exprimer dans l’exercice de leur fonction sont strictement encadrées : elles procèdent du travail de coordination interministérielle réalisé par le SGAE. Le ministre qui préside le Conseil s’exprime au nom et pour le compte de l’État, suivant la position définie par le gouvernement. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de la culture politico-administrative française, les ministres connaissant très bien les contraintes interministérielles et le caractère hiérarchique du travail gouvernemental.
Outre les ministres, l’ensemble de leurs administrations centrales sont mobilisées par la PFUE.
Suivant un schéma général de répartition des fonctions intra-ministérielles, les cabinets des ministres donnent l’impulsion politique, tandis que les services spécialisés se concentrent sur le travail d’expertise et technique. Au titre de leur mission de coordination générale des services et de la politique du ministère, les cabinets ministériels disposent souvent d’un conseiller aux questions européennes. Exceptionnellement, une équipe spéciale PFUE peut être mise en place, comme c’est le cas au sein du cabinet de Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique.
La PFUE a justifié la mise en place d’un plan de formation à trois niveaux (sensibilisation, approfondissement et expertise en négociations européennes) à l’attention des agents de l’État impliqués. Dès le début de l’année 2020, chaque ministère a nommé un coordonnateur PFUE et son adjoint. Les coordonnateurs sont les points de contact privilégiés pour le SGAE s’agissant de toutes les questions relatives à la PFUE. Toutefois, la préparation de la PFUE a nécessité une adaptation relativement limitée des administrations centrales, qui se sont appuyées sur les services spécialisés dans les affaires européennes déjà existants. Une structure restreinte et souple (points de contacts ministériels, missions pour la PFUE, cellules) a été créée dans certains ministères pour contribuer à définir les priorités sectorielles et les projets destinés à être portés par le ministre. Ainsi, la Délégation des affaires européennes et internationales du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a créé dès janvier 2021 une cellule PFUE 2022, dont les missions s’articulent autour de fonctions de coordination intra-ministérielle, de conseil et expertise, de gestion d’événements et de communication.
Les ministères sont chargés de préparer et d’organiser des manifestations réunissant leurs homologues, au niveau ministériel ou des experts-techniques, sous la coordination du SGPFUE. Deux sommets ministériels sont notamment prévus dans le cadre de la PFUE : l’un, sur la mer, réunira les ministres nationaux compétents à La Rochelle ; l’autre, sur le développement, réunira à Montpellier tous les ministres européens des Affaires étrangères et du Développement. Outre les sommets et les réunions ministérielles informelles, une série de réunions ou de conférences ministérielles (sur le logement, l’égalité femmes-hommes, la fonction publique, la biodiversité, le sport…) doit être organisée sur l’ensemble du territoire national par les ministères concernés.
La PFUE est marquée par une emprise institutionnelle et politique de l’exécutif, mais aussi par une consolidation de l’européanisation de l’administration nationale. A l’inverse, force est de reconnaître la marginalisation des assemblées parlementaires dans la préparation et l’organisation de la PFUE. Le discours (le 15 décembre 2021) du Premier ministre à l’Assemblée nationale suivi d’un débat sur la PFUE (sur la base de l’article 50-1 de la Constitution) n’est pas de nature à modifier cette donnée structurelle. La faible participation parlementaire12 est prolongée par une absence de mobilisation de la société civile. Si une série de manifestations sont prévus durant l’exercice de la PFUE, le gouvernement a lancé quelques initiatives en amont de cet événement politique majeur : la mise en place d’un comité des sages de la PFUE13 ou encore l’organisation d’une consultation citoyenne ouverte avec la perspective d’une Déclaration commune sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe14. Des initiatives insuffisantes, lorsqu’on sait que les Français sont les citoyens européens les plus défiants à l’égard de l’UE15.
Illustrations
Photo de couverture : Totophotos (2008) pour Shutterstock
Photo 1 : Alexandros Michailidis (2020) pour Shutterstock
Photo 2 : Alexandros Michailidis (2017) pour Shutterstock
Photo 3 : Patrice 6000 pour Shutterstock
- 1. Béligh Nabli, L’Etat intégré, Paris, Pedone, 2019.
- 2. Ainsi, l’Allemagne, qui a présidé le Conseil entre juillet et décembre 2020, avait soigneusement préparé son programme et ses priorités, avant de se rendre compte qu’elle devrait se consacrer aux urgences : la négociation du budget européen 2021-2027, la finalisation du plan de relance post-Covid et le Brexit.
- 3. La France a ainsi préparé sa présidence en étroite collaboration avec la République tchèque et la Suède qui lui succéderont à la présidence du Conseil.
- 4. Emmanuel Macron, Conférence de presse de présentation de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, 9 décembre 2021.
- 5. Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, ancien conseiller Europe du chef de l’État, Le grand entretien, Confrontations Europe.
- 6. L’échéancier de l’organisation de toute présidence implique la transmission par l’État membre concerné six mois avant le début de son exercice au Secrétariat général du Conseil de la première version de son calendrier prévisionnel comportant les dates des Conseils et autres événements formels qui auront lieu à Bruxelles et à Luxembourg ainsi que les dates des conseils informels et autres événements majeurs.
- 7. Élection présidentielle (10 et 24 avril 2022) et élections législatives (12 et 19 juin 2022) . En 1995, l’élection présidentielle avait également eu lieu pendant la PFUE.
- 8. Voir le rapport parlementaire de la députée et vice-présidence de l’Assemblée nationale, Laetitia Saint-Paul, La présidence française du Conseil de l'Union européenne (1er janvier - 30 juin 2022) : pour une Europe stratège au service des citoyens, octobre 2021.
- 9. Emmanuel Macron cité dans « L’Europe au cœur de la future campagne d’Emmanuel Macron », Le Monde, 9 décembre 2021.
- 10. À partir de 1978 - hormis durant le premier gouvernement Chirac (avril-août 1986) de la première cohabitation, tous les gouvernements ont eu un poste ministériel dédié aux affaires européennes.
- 11. Décret du 9 septembre 2020, JORF n° 0221 du 10 septembre 2020.
- 12. Le Sénat accueille les 13 et 14 janvier 2022 la « petite Cosac, » qui rassemble les présidents des commissions des Affaires européennes des chambres parlementaires des États membres. La « grande Cosac » se tiendra du 3 au 5 mars 2022 à Paris, avec des parlementaires des 27 Etats membres.
- 13. Ce groupe de réflexion a rendu au gouvernement un rapport qui se présente comme une « boîte à idées » pour la PFUE mais aussi pour l’avenir des relations entre la France et l’UE.
- 14. Démarche participative, la Conférence sur l’avenir de l’Europe se résume essentiellement à une plateforme multilingue en ligne permettant de recueillir les contributions des citoyens européens.
- 15. Voir l’enquête et le rapport publiés le 29 novembre 2021 par l’Institut Jacques Delors.