L'historicité de l'Etat importé
Jean-François Bayart
L'Etat en Afrique et en Asie est volontiers considéré comme un "pur produit d'importation", selon l'expression désormais classique de Bertrand Badie et Pierre Birnbaum. Mais plutôt que de nous en tenir au constat d'une "universalisation manquée", il convient de nous interroger sur la formation de l'Etat en tant que processus historique conflictuel, involontaire, largement inconscient et de ce fait souvent paradoxal. En effet la thèse de son extranéité radicale ne résiste pas aux acquis les plus récents de l'histoire et de l'anthropologie. Les institutions d'origine européenne disposent d'une base sociale propre et ont fait l'objet d'une appropriation culturelle. Elles doivent être comprises à la lumière de la "longue durée" chère à Braudel, moyennant certaines précautions méthodologiques. L'on peut envisager trois manières de restituer les trajectoires historiques de l'Etat en Afrique et en Asie : en tant que continuités civilisationelles, scénarios de l'inégalité sociale ou configurations culturelles du politique. Mais si la compréhension de l'historicité culturelle conditionne celle de l'historicité politique, elle ne peut pour autant consister en un retour à l'explication culturaliste, n'en déplaise aux faiseurs de modes intellectuelles. Le concept foucaldien de "gouvernementalité" offre une problématique comparative autrement plus fructueuse qui met la formation de l'Etat en relation avec le processus de subjectivation et la dimension de l'imaginaire politique, saisis dans leur rapport à la matérialité.
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