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Trois décennies de séminaires sur les migrations au CERI

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Au commencement, le séminaire « Migrations et relations internationales »

Ce séminaire mensuel, initialement baptisé « Migrations et relations internationales » trouve son origine au milieu des années 1990 avec les séminaires organisés par Rémy Leveau et Catherine Wihtol de Wenden sur les populations de culture musulmane et leur engagement politique en France, qui donnent alors lieu à des comparaisons franco-américaines et franco-européennes, notamment allemandes, puis au croisement des thématiques migratoires avec les conséquences de l’ouverture du rideau de fer, un thème développé par Anne de Tinguy. Plusieurs contrats de recherche et un financement du CERI, à partir de 2005, permettent d’expliquer la longévité de cette entreprise, qui a par ailleurs été enrichie par la venue de chercheurs étrangers à Paris, à Sciences Po et ailleurs, qui ont accepté d’intervenir dans le séminaire, ainsi que par quelques colloques internationaux.

Ainsi, des spécialistes de questions de migrations, d’asile, d’intégration ou de diversité et de discrimination, mondialement reconnus, sont parfois devenus des « habitués » du séminaire, dans une approche résolument pluridisciplinaire. C’est le cas notamment d’Aristide Zolberg (Université de Chicago puis New School for Social Research) qui fut invité au CERI pendant un an au début des années 1980. Il est ensuite revenu intervenir dans le séminaire sur la politique migratoire américaine en apportant des comparaisons franco-américaines. Stephen Castles (Université de Wollongong, Center for Refugee Studies et International Migration Institute, Oxford, puis Université de Sydney) a été invité et a travaillé au CERI pendant six mois sur les réfugiés, la politique australienne des migrations, la citoyenneté et le multiculturalisme, en animant le réseau CAPSTRANS (Centre for Asia Pacific Social Transformation Studies) sur les migrations en Asie-Pacifique. James Hollifield (Southern Methodist University, Texas) est venu présenter ses travaux sur la contradiction entre le libéralisme économique et les logiques étatiques de contrôle des frontières aux États-Unis et en Europe. Leila Kawar (Université du Michigan), qui a passé plusieurs mois au CERI, a présenté le fruit de ses recherches en sociologie du droit et des mobilisations autour de l’asile. Jeffrey Reitz (Université de Toronto) est intervenu à plusieurs reprises sur la politique canadienne d’immigration.

Après 1991, le CERI a attiré de nouveaux partenaires de Russie et d’Europe centrale et orientale, comme Anatole Visniewski, démographe russe invité à l’INED, Zhana Zaïonchovskaya (Académie des Sciences de Moscou), Alexander Koss (Université Kant de Kaliningrad), Dusan Dbohlav (Université Charles, Prague), Anna Krasteva (Université de Sofia), Dariuz Stola (Université de Varsovie), Judith Toth (Université de Szeged) parmi d’autres, à la faveur de réseaux de recherche sur les migrations est-ouest en Europe constitués à Vienne (Heinz Fassman et Rainer Münz, Institut de démographie) et à Berlin (WZB et Freie Universität).

Les dynamiques d’intégration ou d’immigration en Europe occidentale ou en France (Patrick Weil, CNRS, Gérard Noiriel, EHESS) ont bien sûr été largement discutées grâce à la présence de chercheurs venus des Pays-Bas et de Belgique (Han Entzinger, Université de Rotterdam et Marco Martiniello, Université de Liège), d’Italie (Enrico Pugliese, Université de Naples Federico II et Raimondo Cagiano de Azevedo puis Elena Ambrosetti, Université de Rome La Sapienza et leur équipe de démographes), de Suisse (Claudio Bolzmann de l’Université de Genève), d’Espagne (Ricard Zapata, Université Pompeu Fabra de Barcelone), du Portugal (Rui Pena Pires, de l’ISCTE de Lisbonne), pour ne citer qu’eux.

Un élargissement progressif, à la fois géographique et thématique

À partir des années 2010, le spectre géographique des interventions s’est étendu.  Le séminaire a accueilli des interventions sur le Japon (Yuji Nakano, Université Komazawa de Tokyo) et Minako Suzuki, doctorante à la Hitotsubashi University, d’autres sur les réfugiés Vénézuéliens (Carles Gomes, Fundação Casa de Rui Barbosa), sur la politique des États envers les diasporas en Amérique latine (Jean-Michel Lafleur, Université de Liège). Didem Denis (Université de Galatasaray, Istanbul) est venue présenter ses travaux sur la Turquie, et Raul Delgado-Wise (Université de Zacatecas) son analyse marxiste des migrations internationales.

Après 2015, les débats se sont portés sur la crise politique liée à l’asile et le séminaire a accueilli des chercheurs comme Dietrich Thränhardt autour des politiques d’accueil allemandes (Universität Münster) et Hillel Rapoport (PSE) venu discuter des quotas de relocalisation.

Parmi les thématiques transversales et comparatives qui ont été traitées dans le séminaire, on peut citer le développement par l’exil à travers les transferts de fonds et les réseaux diasporiques (Davesh Kapur, Harvard University et Alejandro Portes, Princeton University), les réseaux sociaux transnationaux (Thomas Faist, Université de Bielefeld), la démographie de l’immigration dans le monde arabe (Philippe Fargues, Institut universitaire européen de Florence), le contrôle des frontières euro-méditerranéennes (Didier Bigo, Sciences Po), les réfugiés et les droits de l’homme (François Crépeau, Université de Montréal), les relations entre migrations et développement dans le cas de l’Afrique (Flore Gubert, IRD) ainsi que des approches globales sur le rôle des organisations internationales notamment (Antoine Pécoud, Université Paris 13).
Nos collègues géographes, sociologues, anthropologues, politistes français ou étrangers ont nourri nos débats et présenté leurs travaux. Sur le changement climatique et les migrations, on peut citer Frédéric Docquier (Université catholique de Louvain FNRS) et François Gemenne (Université de Liège et FNRS). Le séminaire a été l’occasion de discussions sur les frontières, avec Serge Weber (Université Paris Est), le  tourisme international avec Rémy Knafou (Université Paris 1), les migrations de retraités britanniques en France avec Helen Drake (Université Loughborough) et Sue Collard (Université du Sussex), le genre et l’asile avec Leah Bassel (University of Roehampton), la littérature « beur » avec Alec Hargreaves (Université FSU), le rôle d’internet dans la construction de liens transnationaux avec Dana Diminescu (Telecom Paris), les intermédiaires de l’immigration irrégulière avec Maurizio (Ambrosini, Université de Milan). Ces questions ont souvent appréhendées à travers des approches empiriques précises. Les thèmes de la citoyenneté, de l’intégration, de la diversité, des discriminations, du multiculturalisme, de l’école, des femmes dans l’immigration, de la population, ont aussi été traités à de nombreuses reprises dans une perspective comparative, avec Ellie Vasta (Université Mackarie), Sophie Body-Gendrot (Université Paris-Sorbonne), Catherine Delcroix (Université de Strasbourg), Danièle Joly, (Université de Warwick), Mirjana Morokvasic (CNRS), Françoise Lorcerie (CNRS), Hervé Le Bras, (EHESS), Philippe Bataille (EHESS), Denise Helly (INRS, Montréal).

Émergence d’un pôle « Migrations » au CERI

L’arrivée au CERI à partir des années 2010 d’Hélène Thiollet, d’Hélène Le Bail puis de Thomas Lacroix ont permis au séminaire de prendre de l’ampleur et de s’ancrer à la fois dans des collaborations avec d’autres laboratoires de Sciences Po (notamment le Centre d’Études Européennes et comparatives et des séances communes avec le séminaire « Migrations et Multiculturalisme » et le CEVIPOF sur « Immigration and (Post)Nationalism »), avec l’École des Affaires Internationales pour une conférence internationale sur « Migration policies in the Mediterranean and Libya: Crimes, Victims and the rule of International Law » en 2020, mais aussi d’associer Catherine Perron et Antoine Pécoud (Paris 13, chercheur associé au CERI) à son organisation. Un séminaire en coopération avec le CEFRES (Centre français de recherche en sciences sociales, Prague) sur les usages de l’histoire dans les discours sur la migration a été organisé à l'occasion de plusieurs publications, dont l'ouvrage « How to Address the Loss? Forced Migrations, Lost Territories and the Politics of History” coordonné par Catherine Perron et Anne Bazin. Un séminaire sur la minorité chinoise en France a été monté en coopération avec le CIEMI à l'occasion de la publication du numéro spécial de Migrations Société par Hélène Le Bail avec Juan Du, Florence Lévy, Zhipeng Li, et Tamara Lui, tandis que Thomas Lacroix et Hélène Thiollet ont organisé un colloque commun avec l’ICM (projet LOCALACC - L’accueil en question : les localités urbaines et rurales face aux migrations) et le projet PACE sur « villes et gouvernance des migrations ». En 2017, une journée d'études exceptionnelle du groupe de recherche Migrations et mobilités a été organisée en l'honneur de Catherine Wihtol de Wenden sur le thème « Migrations, citoyennetés, et relations internationales ».

Le séminaire n’a pas seulement donné la parole à des scientifiques confirmés, il a, au contraire, permis à des doctorants et post-doctorants de rencontrer des chercheurs de notoriété internationale, mais aussi à ces universitaires de débattre avec des hauts fonctionnaires, des responsables associatifs, des membres d’organisations internationales et d’ONG, des étudiants ou des citoyens éclairés profitant de l’ouverture de ce séminaire sur la Cité. En effet, les séances ont été le lieu et le moyen de s’adresser à un public plus large sur des thèmes souvent très politisés, d’autres tout à fait nouveaux, présentant des terrains d’enquête, des comparaisons et des problématiques originaux.

Un groupe de recherche, une pépinière…

Le séminaire a été, ces dernières années, un des lieux d’élaboration de projets collectifs financés par l’ANR, la ville de Paris, la Commission européenne, en particulier le projet MOBGLOB sur la Mobilité globale et la gouvernance des migrations co-dirigé par Catherine Wihtol de Wenden et Hélène Thiollet, auquel participaient déjà Antoine Pécoud, Thomas Lacroix et François Gemenne (2012-2014) et le projet PACE sur la crise des migrants et des réfugiés en Europe (2019-2023) porté par Hélène Thiollet. Il a aussi accompagné la naissance du projet Emergence(s) financé par la Ville de Paris : Chinois.es en (Ile de) France : identifications et identités en mutations, (2018-2020) et du projet ANR PolAsie (Political Participation of Asian Migrants and their Descendants in France) (2020-2024) portés par Hélène Le Bail. Le projet MAGYC Migration Governance and Asylum Crises a inséré le CERI et le groupe Mobilité et Migrations dans un consortium européen. Le groupe a aussi hébergé le projet d’Hélène Le Bail, intitulé «Diasporic identities and post-refugee generations » en coopération avec l’Université de Berkeley.  Le séminaire a collaboré avec des projets portés par d’autres institutions comme le projet ANR SYSREMO pour un colloque sur « Social change and migration in the Middle East » en 2013, avec le projet INTEGRIM porté à MGIRINTER (Poitiers) sur les réfugiés au Moyen Orient. Les partenariats ont aussi construit des ponts avec des programmes de recherche internationaux comme le projet « Authoritarianism from Afar: Diaspora Engagement and the Transnationalisation of State Repression », avec l’université de Birmingham et la SOAS (School of Oriental and African Studies, Londres).

Forts de ces collaborations anciennes et nouvelles, nationales et internationales, et de ces liens consolidés et étendus avec le temps au sein de Sciences Po et au-delà, les membres du groupe aujourd’hui baptisé Migrations et Mobilités ont initié la mise en place d’un réseau des chercheurs et de chercheuses des différents centres de recherche de Sciences Po. Le collectif de recherche MiDi- Migration et Diversité fédère les chercheurs et chercheuses, dynamise la recherche en cours et nous a permis de rejoindre le réseau européen IMISCOE et de siéger au comité de direction de l’Institut Convergences Migrations. Il rend plus visible la production scientifique aussi bien à l’intérieur, pour la communauté de Sciences Po, en particulier les étudiants et étudiantes, qu’à l’extérieur, pour nos partenaires institutionnels et pour favoriser les coopérations dans le cadre de projets internationaux. MIDI a été présenté à l’occasion de l’une des soirées-débat du Festival des Idées de Paris sur les « nouvelles normalités » (novembre 2020) et dont la discussion s’est concentrée sur le thème des migrations, coordonné par Hélène Thiollet avec la participation de nombreux chercheurs et chercheuses. Cet événement a été suivi d’une édition de COGITO, le magazine de la recherche.

Notre groupe de recherche poursuit aujourd’hui cette longue et belle tradition de recherche collective internationale sur les migrations !

Bibliographie/Référence
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