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02.12.2024
Enquête "Fractures françaises" : le gouvernement n’a pas pu restaurer la confiance
Le gouvernement n’a pas pu restaurer la confiance dans les institutions politiques.
C'est l'analyse proposée par Kevin Arcenaux et Anne Muxel, directeur et directrice déléguée du Cevipof, à partir de la douzième vague de l’enquête annuelle « Fractures françaises », réalisée par Ipsos pour « Le Monde », la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne.
Cinq mois après une dissolution inattendue et controversée de l’Assemblée nationale et une longue période estivale marquée par nombre d’atermoiements des acteurs politiques, la défiance, déjà très haute, des Français envers les institutions et leurs représentants politiques s’est encore accentuée, d’après l’étude « Fractures françaises », réalisée par Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Centre de recherches politiques de Sciences Po et l’Institut Montaigne, du 14 au 21 novembre auprès d’un panel de 3 000 personnes.
Dans un climat dominé au mieux par l’incertitude, au pire par le mécontentement, les trois quarts d’entre eux (74 %) n’ont aujourd’hui pas confiance dans la présidence de la République et plus de huit sur dix (86 %) dans les partis politiques. En un an, cette défiance s’est accrue respectivement de 7 et 3 points. Quant à l’Assemblée nationale, elle fait l’objet d’une confiance en berne : 74 % ne lui font pas confiance et l’image des députés s’est encore abîmée. Déjà, en 2023, seuls 29 % des Français leur faisaient confiance, ils ne sont plus que 22 % aujourd’hui. Cette défiance généralisée touche tous les segments de la population et tous les électorats, à l’exception des proches du parti présidentiel. Mais, même parmi ceux-ci, seule une minorité (47 %) exprime sa confiance.
Le gouvernement de Michel Barnier a pu rassurer en remettant le pays en marche politiquement, mais il n’a pas pu restaurer la confiance dans les institutions politiques et notamment dans l’Assemblée nationale, sous la pression de laquelle, en ce moment même, il se débat. Mais, face à cette crise politique, les réactions ne sont pas unanimes. Une majorité de Français (52 %) se prononce en faveur d’une démission d’Emmanuel Macron. Le rejet du président de la République en place ne faiblit pas. En revanche, sans doute échaudés par les désordres et les dysfonctionnements entraînés par la dissolution de juillet, seuls 31 % souhaiteraient une nouvelle dissolution. Il y a un an, ils étaient 38 %.
Face à l’ampleur de cette défiance, les oppositions pouvant constituer une alternative sont perçues très différemment. Certains partis sont écartés quant à leur capacité gouvernementale. La France insoumise (LFI) et Les Ecologistes ne sont créditées sur ce point que par moins d’un Français sur quatre (respectivement 22 % et 24 %). Sur ce terrain, LFI a même perdu 6 points en un an, soit une perte capacitaire sans doute liée à la stratégie de tension extrême entretenue par ses responsables de manière constante au sein de l’Assemblée nationale. Seuls 19 % des Français approuvent le comportement de ses députés et 63 % considèrent le parti comme dangereux pour la démocratie.
Par contre, Les Républicains et le Parti socialiste, soit les partis classiques de gouvernement, sont mieux évalués quant à leur capacité gouvernementale (47 % et 42 %) et devancent le parti présidentiel, Renaissance (37 %). Quant au Rassemblement national (RN), il est considéré par 44 % des Français comme capable de gouverner, soit un chiffre stable par rapport à 2023, et beaucoup plus haut qu’il y a dix ans (31 % en 2015). Si seul un gros tiers des Français (37 %) apprécie le comportement de ses députés, c’est néanmoins plus que pour les députés de toutes les autres formations présentes dans l’Hémicycle. Seul un quart (24 %) a le même avis concernant Renaissance, le parti au pouvoir depuis 2017. Les tensions récentes entre les députés Renaissance et le gouvernement Barnier y sont peut-être pour quelque chose.
Ce climat délétère peut avoir des conséquences sur l’avenir du système démocratique. Même si les deux tiers des Français (65 %) restent convaincus que le régime démocratique est irremplaçable, dans les nouvelles générations, cette proportion tombe à 58 % et confirme à terme un risque de « déconsolidation démocratique », pour reprendre l’expression du politiste américano-allemand Yascha Mounk. En un an, la perception d’un mauvais fonctionnement de la démocratie a progressé de 9 points, passant de 69 % à 78 %.
La clarification souhaitée par le président de la République n’a pas eu lieu, tout au contraire, ce qui a indéniablement creusé encore la crise démocratique que connaît le pays. Les électeurs du Nouveau Front populaire et du RN ont le sentiment de ne pas avoir été respectés dans leurs choix. Pour une immense majorité de Français, les responsables politiques ne sont plus porteurs de l’intérêt général. Les manœuvres politiques de l’été n’ont pas contribué à améliorer cette perception. Là encore, en un an, le nombre d’entre eux considérant que les politiques agissent d’abord pour leur intérêt personnel a progressé de 8 points pour culminer aujourd’hui à 83 %.
Dans ce contexte politique troublé, les Français ont pris conscience que le monde bipolaire d’antan enraciné dans des majorités absolues est fragilisé et que le monde des coalitions parlementaires composites s’impose. Une courte majorité (53 %), surtout à gauche, considère que le bon système est celui où la majorité relative à l’Assemblée permet à la fois des contre-pouvoirs et la nécessité de compromis. En revanche, 47 % de nos concitoyens, surtout à droite, restent attachés aux vertus d’une majorité absolue.
Devant la fragilité extrême des majorités relatives, la nostalgie d’une majorité absolue claire et efficace fait retour. En deux ans, l’opinion sur la nécessité de la majorité absolue a augmenté de 17 points. On voit ainsi un clivage plus que jamais présent dans l’opinion des Français entre une lecture présidentialiste et une lecture parlementariste des institutions de la Ve République. Un clivage au cœur même de la crise démocratique qui entame la confiance politique du pays.
Analyse publiée dans Le Monde le 2 décembre 2024