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02.07.2024
Législatives 2024 : le décryptage du premier tour par 8 chercheurs
Le CEVIPOF de Sciences Po partage son décryptage à chaud sur les résultats du premier tour des élections législatives, afin de nourrir les réflexions des citoyens.
Huit chercheurs, spécialistes des analyses électorales, livrent huit angles thématiques pour mieux comprendre ce scrutin historique (basés sur les résultats réels du 30 juin, et les données de l'enquête électorale française 2024 Ipsos France, CEVIPOF - Sciences Po, Le Monde, Fondation Jean-Jaurès, Institut Montaigne).
Découvrez les analyses de Pierre-Henri Bono, Jérôme Jaffré, Pascal Perrineau, Kévin Arceneaux, Martial Foucault, Luc Rouban, Bruno Cautrès et Anne Muxel.
Télécharger l'analyse et le décryptage des résultats au lendemain du 30 juin 2024 (PDF, 295 Ko).
Par Pierre-Henri Bono, Économètre, spécialisé dans l’évaluation des politiques publiques dans le domaine urbain.
76 candidats ont été élus au premier tour.
La carte ci-dessous présente les résultats à l’issue du premier tour des législatives de 2024. Les 9 couleurs franches représentent les candidats élus en fonction de leur parti dès le premier tour. Les 6 couleurs pastel, les candidats arrivés en tête, mais non élus en fonction de leur coalition. C’est le Rassemblement national (RN) et la France insoumise qui ont le plus de candidats élus au premier tour.
Par Jérôme Jaffré, Chercheur associé au CEVIPOF.
Les résultats du premier tour de ces élections législatives inattendues et précipitées modifient les équilibres partisans. Le vote du 30 juin peut se lire par rapport à "la révolution électorale" de 2017 pour reprendre le titre du livre dirigé par Bruno Cautrès et Anne Muxel (Histoire d'une révolution électorale (2015-2018, Classiques Garnier, 2019). Il met fin à la puissance macroniste constatée alors et maintenue déjà avec peine en 2022. Et pour autant il ne restaure pas l’ordre ancien ni pour la gauche, ni pour la droite classique. Il fait du Rassemblement national le parti leader de notre système politique sans qu’il soit assuré d’être le parti majoritaire.
Avec 21 % des voix, les candidats du camp macroniste (Renaissance, MoDem, Horizons) essuient une sévère défaite car elle les place bien souvent en troisième position, synonyme d’élimination, de retrait volontaire ou sinon de figuration dans un système à trois blocs sans alliés. La baisse est constante : 34 % en 2017, 26 % en 2022, 21 % aujourd’hui. Il y a clairement un vote-sanction contre le pouvoir en place. Comme il y a une remontée par rapport aux Européennes, l’effet d’annonce s’en trouve atténué. Et pourtant ! Si l’on examine le score du parti au pouvoir dans les seize législatives qui se sont tenues depuis 1962, il n’y a en tout et pour tout qu’un seul précédent à ce niveau-là : le Parti socialiste de 1993 qui, avec ses proches, ne recueillait que 19 % des suffrages. 1993 : l’année de la débâcle de la gauche au pouvoir depuis cinq ans qui, en tout et pour tout, n’avait fait élire que 91 députés dans un Parlement qui comptait 577 sièges alors que RPR et UDF en obtenaient 485, soit 84 % de l’hémicycle, record de notre histoire parlementaire démocratique.
En 2017, la domination macroniste renvoyait la gauche et la droite classique au plus bas. Sa chute en 2024 ne suffit pas à rétablir l’ordre ancien. La gauche – toutes tendances confondues – ne totalise que 31 % des suffrages exprimés, certes plus qu’en 2017 (26,7 %) mais à peine mieux qu’en 2022 (30,5 %). Elle est loin de retrouver ses niveaux de l’avant macronisme. Sans prendre en référence 2012, l’année de sa dernière victoire, elle obtenait 39 % des voix en 2002 ou 2007 dans des scrutins suivant immédiatement des présidentielles gagnées par Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy.
En 2024, selon le dernier sondage pré-électoral d’Ipsos pour le CEVIPOF, elle n’obtient que 22 % des suffrages des ouvriers contre encore 42 % en 2007. Quant à la droite classique, rien n’arrête sa chute. Elle semble ne rien récupérer du macronisme. À son sommet en 2007, elle comptait pour près de 46 % des voix puis 35 % en 2012, 21 % en 2017, l’année du sacre d’Emmanuel Macron. Mais depuis, la chute s’accélère encore : 14 % en 2022 et 10,5 % dans ce scrutin du 30 juin.
C’est le Rassemblement national qui ramasse la mise au moins du premier tour avec 33,2 % des voix pour lui et ses ralliés. On parle souvent de sa montée continue mais, en réalité, 2024 représente une accélération brutale et un changement de nature. Il ne comptait que pour 14 % des voix en 2017 et 19 % en 2022. Il a brutalement accru son influence de quatorze points.
Tout se passe comme si le RN, disposant déjà du suffrage des catégories populaires, avalait en sus une large partie des soutiens habituels de la droite classique. Et pourtant, lorsque l’on considère la grande droite (droite classique + extrême droite), leur total reste minoritaire dans le pays. À quelques jours du second tour, l’information n’est pas neutre. Si l’on considère les législatives à partir de la montée du Front national de Jean-Marie Le Pen, la grande droite a dépassé les 50 % des suffrages exprimés pendant plus de vingt ans entre 1986 et 2007. En 2012, le total était encore à 48 % puis la révolution macroniste a ramené ce score à 36 % en 2017 et 38 % en 2022. L’ascension du RN en 2024 porte ce score à 44 % mais le laisse encore nettement en dessous des 50 %.
Dans les nouveaux équilibres partisans, le RN domine le premier tour de scrutin. Il lui reste à démontrer qu’il peut transformer cette avance en voix en une majorité absolue des sièges. Ce sera l’enjeu du deuxième tour le dimanche 7 juillet.
Par Pascal Perrineau, Professeur des universités.
Les candidats du Rassemblement national et des amis d’Éric Ciotti ont rassemblé au premier tour des élections législatives plus de 10 millions et demi de voix (33,5 % des suffrages exprimés). Jamais cette formation n’avait atteint un tel niveau. Aux dernières élections législatives de 2022, elle n’avait attiré que 4 248 626 voix (18,68 % s.e.). Elle connaît ainsi, en deux ans, une progression vertigineuse de plus de six millions de voix (soit +14,8 % des suffrages exprimés).
Jusqu’alors, le niveau de voix le plus élevé atteint par le RN était, à l’exception des seconds tours des présidentielles de 2017 et 2022, celui enregistré au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 : 8 133 828 voix (23,15 % s.e.). La performance électorale est exceptionnelle et rappelons que, depuis sa percée électorale aux européennes de 1984, le Front national devenu Rassemblement national avait oscillé lors des élections législatives entre un étiage de 1 116 005 voix (4,29 % s.e.) en 2007 et 4 248 626 voix (18,68 % s.e.) en 2022. En sortant de cette zone, où le RN était certes un parti qui compte mais sans pouvoir s’imposer comme premier rôle, le parti de Jordan Bardella est devenu un véritable parti dominant et national.
Dominant comme le disait Jean Charlot à propos de l’UNR dans les années 1960 (Jean Charlot, L’Union pour la nouvelle République. Étude du pouvoir au sein d’un parti politique, Paris, Armand Colin, 1967) et comme l’étaient l’UDR néo-gaulliste associé aux Républicains indépendants dans les années 1970 (31,38 % aux législatives de 1973) et le Parti socialiste associé aux radicaux de gauche dans les années 1980 (36 % aux législatives de 1981). National, car le RN était, il y a quelques semaines lors des élections européennes, le parti qui arrivait en tête dans 93 % des 34 935 communes françaises. Dans la vague 6 de l’Enquête Électorale Française (ENEF) réalisée par Ipsos pour Sciences Po et ses partenaires, il faisait, dans la perspective des élections législatives, la course en tête chez les hommes et chez les femmes, dans toutes les tranches d’âge (sauf les moins de 35 ans qui préfèrent les candidats du Nouveau Front Populaire) et dans toutes les catégories sociales (sauf les cols blancs qui mettent en tête la gauche).
Après le premier tour des élections législatives, le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen est non seulement dominant et national, il est populaire.
Par Kevin Arceneaux, Directeur du CEVIPOF.
La couverture médiatique de la campagne en vue des élections législatives anticipées s'est particulièrement concentrée sur les motivations économiques du soutien électoral croissant des Français au Rassemblement national. La hausse de l'inflation, conjuguée à la faible progression des revenus, a donné à de nombreux électeurs le sentiment d'une réduction significative de leur pouvoir d’achat. De plus, de nombreuses personnes vivant en dehors des grandes villes, confrontées à des écarts de ressources et de conditions de vie, ont pu ressentir une certaine forme d’injustice par rapport aux populations vivant dans des zones urbaines ou des grandes agglomérations, en particulier Paris.
S'il s'agit sans aucun doute d'un ressort explicatif du soutien populaire pour le Rassemblement national, il apparaît néanmoins paradoxal que l’on ne le retrouve pas à l’œuvre concernant les partis de gauche alors même qu’ils défendent fermement des politiques économiques fortement redistributives. Une première réponse à ce paradoxe tient au fait que le Rassemblement national, outre son insistance sur la question du pouvoir d’achat, met en avant, contrairement à la gauche, l’enjeu de l’immigration ainsi que des préoccupations d’ordre culturel qui répondent aux préoccupations de larges segments des catégories populaires. En cela, il se différencie de la gauche.
Toutefois, ces thématiques et enjeux programmatiques ne sont pas absents de la campagne menée par Les Républicains et la majorité présidentielle, cette dernière étant du reste régulièrement accusée d’un virage à droite sur ces questions. Eux non plus ne captent pas les votes des catégories populaires. Il faut donc se tourner vers d’autres explications, notamment relevant de la psychologie sociale. La plupart des gens développent un sentiment d’appartenance à des groupes sociaux. Ils sont conscients également de la hiérarchie sociale dans laquelle ces groupes sont insérés.
Lorsque les gens ont l'impression que leur groupe social est en train de perdre de sa position au profit d'autres groupes, ils ont tendance à éprouver un fort ressentiment et le désir de faire quelque chose pour y remédier. Ce sentiment de perte, appelé “frustration relative”, peut être lié aux conditions matérielles, mais pas uniquement. Il peut aussi résulter de la perception d'une perte de reconnaissance sociale. Ces deux types de frustration relative ne sont pas nécessairement liés. Par exemple, le propriétaire d'une boucherie peut être matériellement bien loti (du moins par rapport aux autres), mais il peut néanmoins avoir l'impression que son mode de vie et le groupe social auquel il appartient ont perdu de leur reconnaissance et de leur réputation aux yeux de ceux qui pensent, par exemple, que manger de la viande est moralement répréhensible.
Pour explorer cette grille de lecture, nous avons inclus deux questions dans l'Enquête Électorale Française (ENEF) 2024. L'une mesure la frustration relative du groupe en ce qui concerne ses conditions matérielles d’existence ("En France, les gens comme moi ont des conditions de vie de moins en moins bonnes") et l'autre en ce qui concerne son statut social ("Les gens comme moi ne reçoivent pas le respect qu'ils méritent"). Il apparaît que les réponses obtenues en fonction du degré d’accord à ces deux affirmations sont étroitement corrélées aux intentions de vote. Toutes choses égales par ailleurs, une fois contrôlés les facteurs socio-démographiques qui influencent traditionnellement le comportement électoral, on enregistre une association étroite entre la frustration de nature économique et le vote RN, et dans une moindre mesure NFP. Plus le sentiment de frustration dans ce domaine est élevé, plus les chances de voter pour ces deux partis sont grandes, plus il est faible, plus les chances de voter Ensemble, et de manière plus atténuée LR, sont importantes.
En revanche, concernant la frustration liée au manque de reconnaissance sociale, elle n’affecte pas les électeurs du NFP, et a fortiori ceux d’Ensemble, tandis qu’elle s’impose comme un facteur explicatif décisif de la probabilité de vote pour le RN. Ce dernier a su être l’exutoire de ces électeurs qui pensent qu’ils “ne reçoivent pas le respect qu’ils méritent”. En revanche, le NFP a échoué à porter cette frustration relative de reconnaissance sociale.
Par Martial Foucault, Professeur des universités en science politique et titulaire de la Chaire de recherche sur les Outre-mer à Sciences Po.
Le Rassemblement national (RN) a réussi un véritable coup de force en obtenant près de 10 millions de voix lors du premier tour des élections législatives de 2024. Jamais le parti de Jordan Bardella n’avait conquis autant de voix à une élection législative. Concrètement, cela se traduit par la victoire dès le premier tour de 37 candidats RN et un candidat LR soutenu par le RN. Malgré cette performance électorale historique, le RN ne dispose pas de garanties certaines pour obtenir une majorité absolue dimanche 7 juillet au soir. Et ce pour trois raisons.
En premier lieu, obtenir une majorité absolue signifie pour le RN (et ses alliés) de l’emporter dans 251 circonscriptions au second tour. Ce pourrait être un pari gagné si les candidats RN et alliés confirment leur dynamique dans les 258 circonscriptions où ils sont arrivés en tête. Mais dans ces mêmes circonscriptions, le retrait des candidats Ensemble ou Nouveau Front Populaire (NFP) arrivés en troisième position rend le pari difficile.
En deuxième lieu, les réserves de voix pour le second tour restent très minces en raison d’une offre électorale rétrécie en 2024 (7,5 candidats en moyenne par circonscription contre 11,5 en 2022). Le RN doit donc viser les réserves de voix potentielles parmi les abstentionnistes du premier tour, ce qui est là encore une gageure pour un parti qui peut difficilement aller au-delà de son socle de premier tour, et ce, d’autant que la participation sera plus faible au second tour.
Enfin, dans l’hypothèse d’un nombre plus important de duels RN face à la coalition de gauche ou Ensemble (en raison des désistements républicains), nous savons grâce à la vague 6 de l'Enquête Électorale Française, que les reports de voix se distribuent de manière hétérogène. Dans le cas d’un duel RN vs NFP, 41 % des électeurs choisissent le RN, 32 % le NFP et 23 % l’abstention. Dans le cas d’un duel Ensemble vs RN, 40 % des voix se reporteraient sur Ensemble, 35 % vers le RN, 22 % vers l’abstention.
La clé de cette équation repose donc sur l’écart de voix entre les candidats RN et leurs adversaires arrivés en deuxième position mais aussi, et surtout, sur la stratégie des candidats Ensemble, NFP et LR qui, arrivés en première ou deuxième position, restent menacés par le candidat RN arrivé en troisième position. Il semble difficile de convaincre ces candidats de désister au second tour, augmentant les chances de victoire du RN dans près de 50 circonscriptions où le RN est en moyenne à moins de 3 000 voix de ces adversaires en ballotage.
Penser le front républicain seulement dans les cas où le RN est en tête et la majorité présidentielle ou coalition de gauche en troisième place est un barrage friable pour contrer l’arrivée du RN au pouvoir.
Par Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS / Sciences Po.
La stratégie adoptée par la gauche lors de la campagne du premier tour des élections législatives s’est traduite par une volonté de rassemblement au sein du Nouveau Front Populaire (NFP), associant l’extrême-gauche à la social-démocratie face à la montée en force du RN. Cette alliance électorale s’est tout de suite inscrite dans une perspective de radicalisation, prise en main par La France insoumise (LFI) et son leader, désormais très contesté, Jean-Luc Mélenchon. Elle n’a pas tiré les leçons des élections européennes où l’on a vu la liste PS-PP de Raphaël Glucksmann obtenir des résultats bien meilleurs que la liste LFI (14 % contre 9 %).
En quoi une telle stratégie de radicalisation peut-elle s’avérer efficace ? La question se répercute sur plusieurs plans. On peut tout d’abord penser que l’échec d’Ensemble, qui réunit à peine 20 % des suffrages exprimés au soir du 30 juin, aurait pu être bien plus sévère face à une force de gauche social-démocrate qui seule aurait été capable de mener à terme la décomposition de l’électorat macroniste. En enfermant le second tour dans une opposition frontale entre le NFP et le RN, “il y a eux et nous, rien au centre” a déclaré Jean-Luc Mélenchon, la radicalité va sans doute conduire bon nombre d’électeurs de gauche modérée à s’abstenir en cas de duel entre un candidat RN et un candidat NFP venant de LFI.
Déjà, la position très nuancée d’Ensemble, comme d’Édouard Philippe, sur les désistements du second tour, devant se faire au cas par cas, afin de ne donner des voix ni au RN ni à LFI, risque fort de se traduire par de l’abstention ou même un renforcement du RN. En cas de duel NFP-RN, l’enquête électorale du CEVIPOF nous apprend que 36 % des électeurs Renaissance aux européennes préfèreraient voter au second tour pour le candidat RN.
Ensuite, la stratégie de l’argument “ad hitlerum”, selon lequel les électeurs RN sont essentiellement motivés par le racisme et cherchent à renverser le régime républicain dans la nostalgie de Vichy, ne prend pas en compte la dimension sociale du vote RN. L’échec de Fabien Roussel, leader du PCF, dès le premier tour face au RN en dit long sur le fait que le RN a pris à la gauche l’argument social, sans lui prendre en revanche ses propositions fiscales qui effraient les catégories moyennes et supérieures.
Enfin, les théories fumeuses selon lesquelles les abstentionnistes constitueraient une armée de gauche de réserve (les électeurs sont de droite mais la France est de gauche) ont prouvé leur inanité. La très forte participation n’a pas profité particulièrement au NFP mais au RN qui a amélioré son score des européennes. La gauche a fait le plein de ses voix et représente aujourd’hui moins du tiers des électeurs.
La stratégie de radicalisation de la gauche et de revendication exclusive du pouvoir par LFI la rend donc très vulnérable pour le second tour, mais également lorsqu’il s’agira de s’allier à Renaissance à l’Assemblée nationale pour faire face à un grand bloc de droite souverainiste et nationaliste qui, lui, va jouer la carte de la modération et du recentrage, comme le fait le RN depuis 2022.
Par Bruno Cautrès, Chercheur CNRS / Sciences Po.
C’est un échec clair et sans discussion que l’exécutif a subi lors du premier tour des législatives. Malgré un score honorable de 20 %, la majorité présidentielle est passée de la première à la troisième marche du podium de la “tripartition” de notre vie politique.
Parmi toutes les explications qui devront être mobilisées et qui nécessitent de prendre le temps de l’analyse, on peut d’ores et déjà mettre en exergue deux facteurs politiques : l’impossibilité, pour l’exécutif, de convaincre des bonnes raisons d’avoir fait la dissolution, d’une part, et d’autre part, l’image détériorée du chef de l’État dans l’opinion, en particulier depuis l’annonce de la dissolution. Jamais Emmanuel Macron n’a pu, au cours de la campagne, donner sens à cette dissolution qui est davantage apparue comme une “dissolution de convenance” que comme correspondant à un projet politique. Pour que l’opération ait la moindre chance de fonctionner, encore aurait-il fallu développer un argumentaire proposant une remise à plat de l’agenda de réformes de l’exécutif, explicitant sur quelles bases programmatiques la nouvelle majorité appelée de ses vœux par le chef de l’État allait reposer. Or, rien de tel.
Les données de la vague 6 de l’Enquête Électorale Française montrent d’ailleurs clairement que la perplexité et l’incompréhension dominaient les sentiments ressentis à propos de la dissolution, vécue en revanche comme un espoir par les électorats de la FI et surtout du RN. Cela a créé une situation où ce sont les électorats les plus opposés au chef de l’État qui étaient les plus mobilisés, toutes les données des enquêtes du CEVIPOF montrant l’intérêt pour la campagne, l’engagement et la certitude de vote parmi l’électorat RN en particulier.
Cette situation n’aurait probablement pas eu des effets aussi négatifs sur la majorité si l’image du chef de l’État avait été porteuse. Mais après sept ans de pouvoir, l’usure avait fait largement son chemin. Toutes les données produites par les enquêtes d’opinion ont clairement montré une image à bout de souffle du chef de l’État. Même parmi ses soutiens dans l’opinion, l’image du réformateur audacieux de 2017 qui avait muté en image de gestionnaire de crises au fil du temps, est devenue hier un stratège un peu perdu et sans plan B, comme en attestent les hésitations sur le “front républicain”.
En quelques jours, le temps semble bien court pour redresser la situation et éviter la quatrième cohabitation de la Ve République ou le scenario d’une chambre ingouvernable, le contraire de la clarification qui était recherchée par Emmanuel Macron.
Par Anne Muxel, Directrice déléguée du CEVIPOF et directrice de recherches émérite au CNRS.
La forte mobilisation électorale enregistrée par ce premier tour des législatives concerne aussi les tranches les plus jeunes du corps électoral. Les moins de 35 ans ont exprimé l’importance qu’ils ont accordé aux enjeux de ce scrutin, dans un contexte électoral inédit, particulièrement polarisé et politisé.
Les trois quarts d’entre eux (77 %) reconnaissent un intérêt pour ces élections, et parmi eux 82 % des étudiants, et leur intention d’y participer a connu une hausse significative dans les derniers temps de la campagne. Lors du premier tour des élections législatives, 58 % des 18-24 ans et 52 % des 24-34 ans ont voté. C’est davantage qu’aux européennes (respectivement 40 % et 34 %), et surtout qu’aux élections législatives de 2022 (29 % et 34 %). Comparée aux autres tranches d’âge, leur participation reste moindre (respectivement -8,7 et -14,7 points par rapport à l’ensemble des votants ; -23 et -29 points comparés aux électeurs âgés de 70 ans et plus). Mais référé à bien des scrutins précédents comparables, c’est un niveau de participation qui redonne toute sa place à la jeunesse dans la décision électorale et les équilibres politiques qui en résultent.
Leurs votes se sont répartis entre les trois blocs, mais en privilégiant nettement les candidats du NFP. Les 18-24 ans lui ont accordé 48 % de leurs suffrages et les 25-34 ans 38 %, soit respectivement +20 et +10 points que l’ensemble des votants. Le Rassemblement national a capté un nombre de voix équivalent à celui qui est enregistré dans l’ensemble du corps électoral, 32 % parmi les 18-24 ans, 31 % parmi les 25-34 ans. Enfin, Ensemble, ne recueille que respectivement 9 % et 14 % de leurs voix, soit des proportions clairement inférieures à son étiage national.
La jeunesse qui vote donne donc ses voix très largement à la gauche, même s’il ne faut pas minimiser l’importance d’un socle électoral pour le Rassemblement national, désormais bien consolidé dans certains segments de la jeunesse des catégories populaires et peu diplômées. Lors des élections législatives de 2022, le Rassemblement national n’avait capté les voix que de 14 % des moins de 35 ans. Deux ans plus tard, il en obtient le double. Cette poussée est forte, mais la gauche prévaut, et la coalition NFP a, elle aussi, progressé depuis les législatives de 2022 où la NUPES avait obtenu les suffrages de 38 % des moins de 35 ans.
Le tropisme de gauche spécifique à la jeunesse qui s’était quelque peu édulcoré au fil du temps a donc retrouvé une certaine force et une dynamique. Les moins de 35 ans ont été nettement plus nombreux à approuver la création du NPF au lendemain de la dissolution (57 % contre 37 % de l’ensemble des Français). Les enseignements de la vague 6 de l'Enquête Électorale Française, permettent de mettre en évidence trois singularités de ce tropisme de gauche juvénile qui méritent attention.
Tout d’abord l’existence d’un différentiel assez marqué entre les jeunes femmes et les jeunes hommes, les premières affirmant un vote à gauche se portant sur le NFP de façon distinctement plus prononcée que les jeunes hommes (50 % des jeunes femmes de moins de 35 ans contre 37 % des jeunes hommes de la même tranche d’âge ont voté pour un candidat ou une candidate de cette coalition). La deuxième singularité est que ce tropisme concerne principalement la jeunesse étudiante. Plus d’un jeune étudiant sur deux (52 %) vote pour un candidat NFP. Enfin, troisième singularité, ce tropisme de gauche s’accompagne dans la jeunesse de moins de rejet envers LFI que dans le reste de l’électorat. 23 % des moins de 35 ans considèrent par exemple qu’il serait une bonne chose que Jean-Luc Mélenchon soit premier ministre (contre 11 % de l’ensemble de l’électorat). Les jeunes se montrent aussi plus décidés à voter pour un candidat ou une candidate LFI représentant la coalition NFP dans leur circonscription, reconnaissant même que cela conforterait leur volonté de voter pour cette famille politique (24 % contre 14 % dans l’ensemble de l’électorat).
La radicalité est à l’œuvre dans la jeunesse française, celle de gauche est active dans son vote et dans les mobilisations qui accompagnent la réaction à la victoire électorale du RN, celle de droite touche une jeunesse beaucoup moins visible sur la scène de la protestation politique, mais qui se fait néanmoins entendre dans les urnes.