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27.04.2022

Babacar Seck : « Aucune université ne peut réussir sans ses Alumni »

Portrait de Babacar Seck (crédits : Sciences Po)

Originaire de Dakar au Sénégal, et de la région Auvergne en France, Babacar Seck a été diplômé de Sciences Po en 2014, après avoir suivi le programme de Bachelor au sein du campus du Havre du Collège universitaire, puis le master en Finance et Stratégie à Paris. Aujourd’hui responsable investissement chez Proparco et président du Cercle Afrique de Sciences Po, il nous raconte son parcours et son engagement pour le continent africain.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre Sciences Po après le lycée ?

Au lycée, j’avais un profil très scientifique - j’ai fait une terminale S spécialité mathématiques - et j’étais plutôt parti pour devenir ingénieur spécialisé en énergies renouvelables. J’avais cette volonté de participer au développement du continent africain et la question de l'accès à l'énergie me semblait essentielle.

Étant également intéressé par d’autres matières, je voulais prendre ma décision après une étude exhaustive du champ des possibles et j’ai donc lu entièrement un de ces annuaires de formations, qui était plutôt indigeste mais très complet. C’est comme ça que j’ai découvert Sciences Po, dont la description correspondait exactement à mes centres d’intérêts : la diplomatie, les relations internationales, l'économie, l'actualité. J’ai découvert une école créée pour apprendre à résoudre les problèmes de nos sociétés, une école créée pour réaliser ce à quoi j’aspirais et dans laquelle je me reconnaissais.

J’ai choisi de suivre le programme Europe-Asie sur le campus du Havre car la Chine émergeait alors sur la scène internationale et j’avais envie d’en saisir les implications. Je me disais également qu’apprendre le mandarin pourrait m’être utile professionnellement. Les deux années que j’ai passées au Havre ont été exceptionnellement enrichissantes. Le campus était très international avec une majorité d’étudiantes et étudiants internationaux - principalement originaires d’Asie.

Il s’agissait d’étudiants aux parcours et aux expériences très différentes des miennes, avec une toute autre approche de l’Université. En France - ou au Sénégal - nous sommes plutôt scolaires et nos activités étaient plutôt portées vers les loisirs que l’engagement associatif ou entrepreneurial. Avant Sciences Po, je jouais basket au Dakar University Club et avais créé un petit club de philosophie, mais ce n’était pas très structuré. Au Havre, j’ai eu la chance de côtoyer des étudiants coréens et singapouriens qui avaient déjà géré des associations ou des grands projets et qui n’avaient peur de rien ! J’ai beaucoup appris de leur sens de l'initiative, ce qui m’a permis de prendre confiance en moi et de m’engager dans des projets passionnants notamment avec l’Association Sportive et l’English Debating Society.

Après votre Bachelor, vous avez suivi le Master Finance et Stratégie à Sciences Po. Pourquoi ce choix de cursus ?

Après mon Bachelor, tout m’intéressait, mais ce que je voulais vraiment, c’était avoir un impact profond sur l’économie. J’aspirais à œuvrer pour le développement africain et je trouvais que tout ce qui se rapportait à l’administration publique sur le continent n’était pas suffisamment efficace, et surtout très dépendant du politique. Je voulais avoir un impact sur le développement de l’Afrique à l’échelle de ma vie. Il me semblait également nécessaire de favoriser le développement d’un secteur financier et privé local fort et moins dépendant des financements internationaux. C’est certainement aussi mon background scientifique qui m’a influencé, cette envie de voir des résultats concrets et mesurables.

Après quatre années passées à la Présidence puis à la direction stratégique d’AXA, je suis désormais responsable d’investissement chez Proparco - la filiale de l’Agence française de développement dédiée à l'investissement dans le secteur privé. Je suis spécialisé dans l’investissement dans les start-up, les services financiers et les fonds de venture capital et de private equity.

En résumé, je suis chargé de prendre des participations dans des entreprises ou des entités financières prometteuses dans des pays en développement puis de jouer le rôle d’actionnaire actif, pour accompagner leur croissance et augmenter leurs impacts. 

C’est un poste dans lequel il faut pouvoir analyser les enjeux contemporains, le contexte politique et même géopolitique des zones géographiques dans lesquelles nous investissons. Il faut être capable d’appliquer une forme d’esprit critique au business, tout en construisant une relation forte avec les entrepreneurs. C’est Sciences Po qui m’a permis d’acquérir à la fois ce sens critique et cette capacité d’analyse, ainsi que le goût du relationnel et du travail en équipe indispensables dans ce domaine.

Vous présidez aujourd’hui le Cercle Afrique de Sciences Po. De quoi s’agit-il exactement ?

Le Cercle Afrique est une entité au sein de Sciences Po Alumni. Le groupe existe depuis plus de 10 ans maintenant et nos activités sont centrées sur trois thèmes principaux : la transmission entre les générations d’étudiants, le débat d’idées autour de l’Afrique et la volonté de faire vivre la communauté d’Alumni de Sciences Po. Nous sommes motivés par la volonté de renforcer les liens entre Sciences Po et l’Afrique tout en portant la voix de l’Afrique à Sciences Po, et en promouvant l’équité dans toutes ses dimensions.

Nous organisons des conférences pour présenter notamment la perspective africaine sur les enjeux contemporains, qui manque souvent dans les médias. L’une d’entre elles, organisée avec l’African Business Lawyers Club, concernait par exemple la question du droit des affaires en Afrique. Elle a réuni plus de 200 personnes, dont d'éminents avocats et juristes. Les participants sont venus de toute la France car ce type d’événement n’avait jamais été organisé auparavant. À la fin de la conférence, les participants sont restés plusieurs heures à échanger, créer des connexions, certains ont trouvé des stages, d’autres, des réponses sur leur orientation, etc.

Nous avons également créé plusieurs plateformes, dont un groupe WhatsApp qui compte plus de 250 membres et où l’on échange quotidiennement des opportunités, des offres d’emplois, des conseils, des idées.

Enfin, nous développons plusieurs programmes de mentorat. L’un des plus beaux projets que nous avons réalisé dans le domaine concerne un partenariat avec plusieurs lycées publics d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Nous leur avons présenté Sciences Po et eux nous recommandent régulièrement des candidats que nous coachons. Nous avons par exemple aidé plusieurs jeunes filles à intégrer l’école en les accompagnant jusque dans l’obtention de bourses et les procédures administratives. Nous en sommes particulièrement fiers car il s’agit d’étudiantes brillantes mais qui viennent de milieux défavorisés, qui ne connaissaient pas Sciences Po, et qui avaient besoin de ce petit coup de pouce pour se construire le meilleur avenir possible.

Quelle est la place des Alumni dans les liens entre Sciences Po et l’Afrique ?

L’offre de Sciences Po par rapport à l’Afrique s’est beaucoup enrichie depuis 10 ans et les diplômés qui veulent travailler sur ou pour le continent sont de plus en plus nombreux.

Une fois diplômés de l’école, c’est très important pour eux de pouvoir garder la stimulation intellectuelle que leur offrait Sciences Po - avec ses associations, ses conférences, ses débats - et qu’on ne retrouve pas forcément dans l’univers professionnel. Au-delà du networking, c’est cela que Sciences Po nous apporte réellement après notre diplomation.

À l’inverse, je suis profondément convaincu qu’aucune université ne peut réussir sans ses Alumni, y compris quand il s’agit d’Afrique. L’école est encore assez jeune dans son approche du continent et les Alumni ont bien sûr beaucoup à apporter en termes d’expérience, de vision stratégique et d’opportunités professionnelles. J’ai déjà parlé du mentorat mais nous sommes également en train de travailler avec Sciences Po à la mise en place d’un fonds de bourses qui permettra de financer plus d’étudiantes africaines méritantes mais dont les ressources financières sont limitées. C’est aussi cela le rôle des Alumni, accompagner Sciences Po dans la mise en œuvre de sa stratégie.

Le principal enjeu de cette collaboration entre l’école et ses départements et ses Alumni est de trouver le meilleur cadre pour mettre en place des ponts et développer encore plus de synergies.

Dans le cadre du Cercle Afrique, nous voyons déjà énormément de connexions se développer mais il s’agit le plus souvent de relations ad hoc et spontanées. Ce que nous voudrions, c’est structurer les cadres de ces échanges et de ces réseaux pour toucher encore plus de monde et de projets.

Comment souhaiteriez-vous voir évoluer les rapports entre Sciences Po et l’Afrique ?

Le continent a besoin de plus de cadres et de leaders bien formés parce que trop peu d’entre eux bénéficient d’un accès à une formation de qualité - souvent pour des raisons financières - et je suis convaincu que Sciences Po a un rôle à jouer en la matière. Pour cela il faut aller encore plus loin dans l’inclusion des étudiants venus d’Afrique - ceux qui ne font pas partie des élites locales et qui n’ont pas la possibilité de payer des frais de scolarité. C’est, à mon avis, l’un des grands enjeux en termes de formation et d’équité.

Au Cercle Afrique, nous militons également pour la création d’un centre d’étude ou de recherche spécialisé sur le continent Africain. Il y a cet enjeu de monter une sorte de hub, qui fasse le pont entre l’Afrique et l’Europe pour favoriser les échanges et la recherche et Sciences Po pourrait endosser - en partie - ce rôle.

L’Afrique a également un grand rôle à jouer dans le développement de Sciences Po. Il s’agit du continent le plus dynamique du monde sur de très nombreux aspects, avec sa population jeune et sa croissance économique très forte. C’est également un continent qui est de plus en plus stable sur le plan politique et qui partage beaucoup de valeurs européennes. Dans une époque où des modèles de société fondamentalement différents sont en compétition, il nous semble essentiel pour une institution aux racines démocratiques comme Sciences Po de jouer ce rôle de partenaire et de relais d’initiatives dont elle partage les valeurs et les objectifs, notamment en Afrique.

Le continent est une immense source d’innovation pour Sciences Po, pour ses étudiantes et étudiants, mais aussi ses chercheurs avec des champs de recherches totalement nouveaux et complémentaires par rapport à ce qui a déjà été fait et je pense que cela peut réellement contribuer à nourrir le développement et le rayonnement de Sciences Po dans les prochaines années.

L'équipe éditoriale de Sciences Po

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