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19.10.2022

Les frontières de la santé publique

Appel à communication pour les Journées d’Études 

LES FRONTIÈRES DE LA SANTÉ PUBLIQUE

Les 16 et 17 janvier 2023 – Paris / Date limite de soumission : 21 octobre 2022

Dans sa définition classique (Winslow, 1920), la santé publique est « la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et de promouvoir la santé et l’efficacité physique ». Contrairement à la santé curative, les champs d’intervention de la santé publique s’étendent aux conditions matérielles de vie au sens large (assainissement de l’environnement, développement des dispositifs sociaux), à la prévention (éducation à la santé, contrôle des infections, diagnostic précoce), et à l’organisation des soins. Elle représente ainsi « toute mesure susceptible de garantir et d’optimiser la santé des populations et des individus » (Bergeron et Castel, 2014).

De nombreux travaux documentent une extension du domaine de la santé publique principalement d’un point de vue critique, au travers de notions variées telles que le biopouvoir (Foucault, 1976), la médicalisation (Conrad, 1992), la moralisation (Massé, 2003) ou encore la sanitarisation (Fassin, 1998). Ces notions ont en commun de montrer un lien entre le recadrage médical des problèmes publics et l’accroissement du contrôle des groupes sociaux, des individus ou des comportements. Dans cette perspective, de nombreux travaux ont documenté la diffusion de nouveaux savoirs, instruments, normes organisationnelles ou pratiques à de nouveaux domaines, acteur·rices ou lieux (Nikolas, 2001 ; Peretti-Watel, 2004; Saguy, 2014 ; Loretti, 2020).

Des travaux nuancent ce constat en s’intéressant au manque de ressources financières, matérielles et humaines auquel le système de santé est confronté (Tabuteau, 2007). Plus récemment, l’épidémie de Covid-19 illustre les tensions autour des contenus et des contours de l’extension de la santé publique. L’impossibilité des hôpitaux à faire face à l’afflux de patient·es ou encore la délégation par l’ARS de missions de tracing des cas contacts à des entreprises privées (Bergeron et al., 2020 ; Gaudillière et al., 2021) et questionne les frontières de la santé publique. L’objet de ces Journées d’Études consistera précisément à documenter empiriquement et discuter ces frontières, au-delà de l’épidémie du Covid-19.

L’originalité de cette approche réside dans la focale donnée à ces frontières, entendues comme espace de démarcation et d’intermédiation entre des institutions, des instruments, des normes et des savoirs (Courlet, 1988). Ces frontières sont questionnées dans une acception large de la santé publique, ouvrant la porte aux thématiques traditionnellement traitées dans la littérature (gestion collective des maladies, prévention, intersection avec le domaine social, etc.), mais également à d’autres enjeux comme la santé au travail, la santé sexuelle, la santé mentale ou la santé environnementale. Les frontières entre différentes organisations ou secteurs d’activités peuvent être formelles ou plus symboliques. Plusieurs échelles d’analyse peuvent être adoptées : relations interpersonnelles, relations entre et au sein de groupes d’acteur·rices capables d’importer les logiques et savoirs d’un espace à l’autre, d’institutions et de champs organisationnels (Aust et Benamouzig, 2022).

Plutôt que d’interroger ses effets, cet appel invite à documenter empiriquement les frontières de la santé publique en termes de cadrage d’une part et de capacité de contrôle de l’autre. Pour y parvenir, nous proposons trois axes de réflexions s’articulant autour des limites des ressources disponibles pour construire les problèmes publics et les politiques de santé censées les prendre en charge (axe 1), les concurrences entre acteur·ices autour de leur définition (axe 2), et les réappropriations dont ces politiques peuvent faire l’objet par les différent·es acteur·ices concerné·es (axe 3). Les contributions pourront intégrer des réflexions autour d’un ou plusieurs de ces axes.

Axe 1 : Ressources

Dans cet axe, nous proposons de s’intéresser aux situations où l’extension ne s’accompagne pas de l’allocation de ressources qu’un recadrage comme problème de santé publique pourrait supposer (Fassin, 2005). Il invite ainsi à interroger la diversité des contraintes issues de ce déficit, et ses effets à toutes les étapes de l’élaboration et du déploiement des politiques de santé publique.

La santé publique apparaît comme un champ d’intervention professionnelle particulièrement sous-doté en contraste avec la santé curative (Mariette et Pitti, 2021), limitant sa mise en œuvre. En effet, l’ambition de recadrer l’action publique est régulièrement confrontée à un manque chronique d’ordre budgétaire (Loncle, 2009), mais également institutionnel (Loncle, 2009) et cognitif (Clavier, 2009). L’étude de la mise en œuvre de ces politiques a aussi mis en évidence les tensions autour de l’appropriation de dispositifs qui transforment les logiques locales (Mariette, 2017) ou des pratiques professionnelles existantes (Bloy, Adhéra, Rigal, 2015 ; Defossez, 2020). L’absence de ressources s’incarne ici dans un manque de moyens disponibles pour contrôler l’action des acteur·rices chargé·es de déployer ces politiques. Quels sont les effets de ce manque de ressources sur le déploiement des politiques de santé publique, tant sur le travail des acteur·rices chargé·es de les mettre en œuvre, que sur les publics ciblés par les politiques ?

Si l’extension de la santé publique s’accompagne d’une promotion de savoirs de gouvernement (Foucault, 1976), leurs points aveugles constituent autant de limites pour les acteur·rices étudié·es. La sociologie politique des sciences étudie notamment l’épidémiologie, discipline reine de la santé publique (Boudia et Bergeron, 2015 ; Porter, 2005) et met en évidence la place croissante occupée par l’épidémiologie des facteurs de risque dans la construction des politiques de santé (Peretti Watel, 2004). Les communications pourront interroger comment, dans un contexte de faiblesse des ressources attribuées, la favorisation de savoirs centrés sur la responsabilisation individuelle et la modification des conduites légitime la mise en œuvre de politiques peu coûteuses économiquement et politiquement. Comment ce paradigme s’articule-t-il avec des lectures contradictoires ou concurrentes des problèmes soulevés par la santé publique ?

L’imposition du paradigme épidémiologique pourra également être discuté, en analysant ses restrictions théoriques (Parascandola, 2011 ; Henry, 2017) et matérielles (Counil, 2019). En s’appuyant sur la littérature sociologique des problèmes publics (Blumer, 1971), les contributions pourront ainsi s’intéresser aux difficultés dans la construction de certains problèmes publics liés à des manques de techniques et de connaissances (Ollitrault, Le Bourhis, 2018). Ces difficultés découlent également de problématisations déjà existantes, effectuées par les acteur·rices dominant·es du champ, qui réduisent les possibilités de nouvelles constructions des problèmes publics (Gilbert, Claude, Henry, 2009). Comment les acteur·rices et les organisations agissent-ielles malgré ces manques ? Quels bricolages mettent-ielles en œuvre ? Où vont-ielles chercher d’autres ressources ?

Axe 2 : Concurrences

La santé publique a toujours été sujette à des concurrences autour de la définition de ses objets et des acteur·ices responsables de sa mise en œuvre (Murard, Zylberman, 2003 ; Berlivet, 2013). Cependant, le mouvement d’extension du domaine de la santé publique nous encourage à poursuivre les réflexions classiques de la sociologie de l’action publique sur les luttes définitionnelles (Gusfield 1981). Dans ce deuxième axe, les propositions pourront interroger la stabilisation de cette extension, en étudiant les luttes entre acteur·rices qui peuvent contester les principes organisationnels qui leur sont nouvellement imposés, et les savoirs associés.

Cette approche autour de la concurrence invite ainsi à discuter les conflits engendrés autour de la propriété de problèmes dont la gestion n’est pas traditionnellement assurée par le secteur de la santé publique, comme la santé au travail (Ponge, 2021), l’alimentation (Bergeron et al., 2011) ou encore le sport (Sallé et al, 2021). À quels secteurs et dans quelle mesure s’étendent ces logiques de santé publique ? Les travaux portant sur la santé environnementale, la santé au travail, la santé mentale ou d’autres secteurs à la frontière de la santé publique seront particulièrement bienvenus.

Les communications s’inscrivant dans cet axe pourront également conduire des réflexions similaires sur des secteurs historiquement dominés par une logique de santé publique, pour lesquels les auteur·rices notent que la multiplication des organisations et des niveaux d’action publique entraîne des concurrences autour d’institutions, de réglementations ou d’objets (Benamouzig, et Besançon, 2005 ; Hauray, 2005). Comment les différent·es acteur·rices et organisations travaillent-ielles ensemble ? Quels sont les objets de ces coopérations et de ces concurrences ?

Au-delà de l’arrivée de ces acteur·rices, nous pourrons questionner un mouvement plus large de promotion de nouvelles normes organisationnelles au sein du système sanitaire, notamment via l’imposition largement constatée des logiques du New Public Management dans les administrations ou à l’hôpital (Bezes et al., 2011). Il s’agira de questionner les résistances des différents domaines de la santé publique et l’opposition de ces nouvelles pratiques, outils et savoirs avec des logiques professionnelles plus anciennes (Crespin, 2016 ; Bertillot, 2014). Quels sont les effets de ces normes, spécifiquement dans le secteur de la santé publique ? Comment s’y confrontent les acteur·rices de ce champ ?

Axe 3 : (Ré)appropriations

Plutôt que de présenter l’extension de la santé publique comme un mouvement sans heurt à sens unique, explorer ses frontières autorise à penser les hybridations, recyclages et assemblages qui se jouent à ses frontières. On peut définir l’appropriation comme un processus dynamique, par lequel un groupe donne du sens à un objet, l’interprète et le transforme afin qu’il lui appartienne de façon singulière et innovante (Lapoujade, 1997). Cette acception a le mérite d’être suffisamment large pour l’appliquer aux savoirs et dispositifs de santé publique, les acteur·rices chargé·es de leur mise en œuvre, et le public visé. Les propositions s’inscrivant dans cet axe pourront ainsi interroger la réception par les patient·es, professionnel·les et autres acteur·ices de santé des normes et savoirs associés à l’extension de la santé publique, et discuter leur capacité à les adapter à leurs domaines et problématiques (Coutant, 2012 ; Verdier, 2012). Les propositions pourront également étudier la façon dont ces acteur·rices s’approprient stratégiquement ce recadrage pour légitimer des secteurs d’action divers (Lonceint 2017).

Alors que des travaux ont documenté combien la valorisation de nouveaux savoirs ne s’accompagnait pas automatiquement d’une évolution des rapports de pouvoir (Henry 2011), les propositions pourront s’intéresser aux processus de « domestication » visant à maintenant les déséquilibres déjà existants (Dedieu, Jouzel, 2020). À l’inverse, l’étude des associations de lutte contre le VIH/Sida (Epstein, 1995 ; Barbot, 2001), de lutte contre les addictions (Jauffret-Roustide, 2009) ou des mobilisations en santé environnementale (Coburn, 2005) a mis en évidence les effets de la construction d’une expertise de terrain et sa capacité à influencer la recherche et les prises de décisions (Rabeharisoa, 2013). Comment les acteur·rices travaillant à la santé publique ou visé·es par ces politiques s’approprient-ielles ces savoirs, voire participent à leur production et à l’orientation des politiques de santé publique? Dans quelle mesure la santé publique permet-elle de légitimer certaines revendications pour ces acteur·rices ?

Cet axe s’intéresse également au développement des savoirs profanes qui nous semble constituer des résistances individuelles et collectives vis-à-vis du pouvoir des institutions et du contrôle médical. En prenant appui sur le cadre théorique proposé par Isabelle Baszanger à propos des maladies chroniques (1986), la gestion individuelle des symptômes par les malades et leur entourage peut être analysée comme un travail de soins devant composer avec des normes et pratiques concurrentes (Seear, 2009). Cette perspective invite notamment à questionner les appropriations différenciées des recommandations de santé publique par les patient·es selon leur positionnement dans les structures sociales (Boulet, 2018 ; Cardon, 2018). Pour renouveler les approches existantes, les communications s’inscrivant dans une perspective intersectionnelle seront ici particulièrement valorisées.

Modalités de participation 

Les Journées d’Études auront lieu sur deux jours le 16 et le 17 janvier 2023.

Cet appel à communication encourage particulièrement les participations de jeunes chercheur·ses (masterant·e, doctorant·e, post-doctorant·e).

Les propositions de communication peuvent être rédigées en français ou en anglais. Une longueur d’environ 300 mots (+/– 10 %) est attendue, et les propositions seront transmises par courriel à l’adresse suivante : lucie.kraepiel@sciencespo.fr.

Vous pouvez joindre une bibliographie si vous le souhaitez, de manière facultative. Merci d’indiquer dans le corps du mail les noms, prénoms, et affiliations universitaires des auteur·rices. Le résumé transmis en pièce jointe devra être anonymisé. 

La date limite de soumission est le 21 octobre 2022.

 

  • Comité d’organisation composé de doctorantes et doctorants du CSO :

Crystale AounitDamien GarciaClara JacquotLucie KraepielCécile LavierStéphane LavoipierreNoémie Morize également chercheuse associée à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes).

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