Émilie Biland-Curinier, nouvelle chercheure
Émilie Biland-Curinier vient d’être recrutée au CSO en tant que professeure des universités en sociologie. Elle travaillait auparavant à l’Université Rennes 2, au sein de l’UMR Arènes, après avoir été professeure-adjointe à l’Université Laval, à Québec (Canada). Elle est aussi membre de l’Institut Universitaire de France.
Vous venez de rejoindre l’équipe de CSO. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce centre de recherche et quelles collaborations entendez-vous tisser avec ses membres ?
J’ai cherché à rejoindre le CSO tant pour la perspective sociologique qui s’y déploie que pour son atmosphère de travail. Mes recherches portent sur la contribution des organisations et des groupes professionnels à la recomposition des inégalités qui structurent les sociétés contemporaines. À mon sens, les organisations sont incontournables pour penser l’articulation entre le niveau micro des interactions (que ce soit en face-à-face, sous forme papier ou numérique) et le niveau macro des rapports sociaux (fondés sur la classe, le genre, la sexualité et l’origine). Dès lors, je me réjouis d’appartenir à un centre de recherche qui les place au cœur de son agenda de recherche depuis plusieurs décennies, tout en intégrant, de manière de plus en plus assumée et féconde, d’autres champs de recherche. De surcroît, il y a au CSO une vraie dynamique collective, tant par la convivialité des repas partagés que par les projets menés en commun – je suis d’ailleurs convaincue que la première contribue beaucoup aux seconds ! Dès le mois de juin, j’ai participé au séminaire annuel du centre, en Normandie, et j’ai commencé à m’impliquer dans un projet éditorial commun à tou∙tes les chercheur∙es. Dans notre monde professionnel où la valorisation individuelle domine, une telle initiative est aussi rare que précieuse... Je suis également impressionnée par l’engagement des collègues dans la formation des doctorant∙es : j’ai commencé à y contribuer lors d’un séminaire de l’axe « droit, normes et régulations » et je compte bien continuer…
Vous publiez ces jours-ci un ouvrage intitulé Gouverner la vie privée sur l'encadrement des séparations conjugales et ses incidences sur les inégalités. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à cette question ?
Cet ouvrage est le fruit de dix années de recherche, au sein de plusieurs équipes de recherche, tant en France qu’au Canada, puisque j’y compare les régimes institutionnels de reproduction des inégalités privées dans ces deux contextes. Je travaille de manière inductive, par va-et-vient régulier entre ce que j’apprends des enquêtes empiriques que je mène et ce que m’enseignent les recherches réalisées par d’autres. Dans ce livre, j’analyse la double tension qui caractérise le gouvernement contemporain de la vie privée, entre libéralisme et normalisation d’une part, entre pouvoir d’État et privatisation de l’action publique d’autre part. Cette problématisation est le fruit de ce long cheminement entre deux continents. Le « dépaysement » outre-Atlantique – durant les quatre années où j’ai habité et résidé à Québec – a été très utile pour enrichir mes analyses, de même que la soutenance de mon habilitation à diriger des recherches, en 2017. Enfin, je dois beaucoup aux collègues et étudiant∙es avec qui j’ai travaillé : j’aurais été bien incapable de mener seule des investigations empiriques aussi fournies, et mes analyses sur les rapports sociaux et les inégalités doivent beaucoup à la perspective que nous avons collectivement forgée.
Le 1er octobre, vous êtes devenue membre junior de l’Institut Universitaire de France. Que représente pour vous cette distinction ?
L’Institut Universitaire de France permet à des enseignant∙es-chercheur∙es de disposer de temps et d’argent pour mener, durant cinq ans, un projet de recherche sélectionné par un jury international. C’est véritablement un luxe au sein de l’enseignement supérieur français, où les conditions de travail se sont globalement dégradées. Intervenant au moment où je rejoins un des établissements français les mieux dotés, cette distinction demeure très importante pour me permettre de poursuivre, et d’étendre, la pratique du comparatisme que je défends, fondée sur des enquêtes de terrain approfondies, non seulement en France et au Québec, mais aussi au Chili à présent. Elle me donne également les moyens de m’investir dans un champ de recherche encore émergent en France, celui des études sur les sexualités. Je travaille en effet sur les rapports au droit et à la justice des parents LGBT, qui sont des observatoires scientifiquement et politiquement essentiels pour penser la portée et les limites des politiques des droits.
Pour en savoir plus
La fiche d'Emilie biland-Curinier sur le site de l'IUF
Entretien réalisé le 15 octobre 2019