Que nous apprend l'inspection en situation de crise ?

Entretien avec Jean-Richard Cytermann
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Administrateur civil, Jean-Richard Cytermann a été chef du service de l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche) de 2014 à 2019.

En 2019, l’IGAENR a fusionné avec trois autres inspections générales (l’Inspection Générale de l’Education nationale, IGEN, l’Inspection générale des Bibliothèques, IGB, et l’Inspection Générale de la Jeunesse et des Sports, IGJS) pour former l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (IGESR).

L’ouvrage met en lumière un paradoxe. Les critiques adressées à l’inspection – en l’assimilant à une forme de contrôle bureaucratique qui ne serait plus au goût du jour – laissent penser qu’il s’agit d’une institution en « crise ». Mais les récentes crises politiques (sanitaires, environnementales, sociales, etc.) montrent pourtant que les pouvoirs publics lancent systématiquement ou presque des missions d’inspection pour désamorcer ces crises. Pour prendre un exemple d’actualité, comment la crise sanitaire actuelle liée à la pandémie a-t-elle affecté l’activité du corps d’inspection dont vous exerciez la direction ?

Dans cette réponse, je m’appuie sur les éléments fournis par Pascal Aimé, responsable du collège « Enseignement supérieur, recherche et innovation » au sein de l’IGESR. Il faut d’abord rappeler que l’inspection mène différents types de mission : évaluation des politiques publiques, enquêtes administratives, audits institutionnels, appui et accompagnement des directions d’administration centrale, des établissements et des responsables de ces structures. Le positionnement et la méthodologie utilisés par l’inspection s’adaptent, à chaque fois, à la nature de la mission qui lui est confiée.

Dans le cadre de la crise sanitaire, l’inspection générale est intervenue dans ces différents registres. La fusion récente de l’IGEN, de l’IGAENR, de l’IGB et de l’IGJS a renforcé sa dimension interministérielle, mais également sa capacité à traiter des sujets dans leur globalité en intégrant leur dimension pédagogique, systémique, administrative et humaine. De multiples exemples illustrent cette forme d’interdisciplinarité.

logo IGESRDepuis le mois de mars 2020, l’IGESR a accompagné les établissements d’enseignement scolaires et leurs équipes pédagogiques à organiser la continuité pédagogique. Elle a travaillé à la définition de contenus pédagogiques adaptés aux enseignements à distance, et est intervenue en soutien d’enseignants dans la conception d’outils diffusés à l’adresse des publics scolaires sur France 4 notamment. Elle a également joué un rôle important dans l’organisation et la coordination des modalités d’accès aux grandes écoles et écoles d’ingénieurs confrontées à la nécessité de revoir l’organisation de leurs concours de recrutement. Elle a été présente au sein des cellules de crise ministérielles pour aider à définir les divers protocoles proposés aux établissements.

Dans le même temps, l’IGESR a été très présente, sur le terrain, dans les académies pour aider les acteurs locaux à surmonter les difficultés qui ne manquaient pas de survenir. Dans le champ de l’enseignement supérieur, elle a maintenu son activité et a continué à venir en appui des établissements sur les sujets pour lesquels elle avait été saisis et a contribué à des groupes de travail chargés de préparer la sortie de crise. 

Depuis septembre, l’IGESR a engagé différentes missions figurant à son programme de travail annuel et qui s’inscrivent clairement dans le contexte de la crise sanitaire et dans l’analyse de l’efficacité des réponses qui ont été apportées depuis mars 2020 en matière de continuité pédagogique, de condition d’accueil, d’hébergement et d’aide aux élèves, apprentis et étudiants, nationaux et internationaux, d’impact sur le salariat étudiant, mais également en matière de coordination des recherches sur le Covid-19 par exemple.

Plus généralement, les missions sur les situations de crises sont nécessaires et bienvenue même pour le travail des inspections générales. Une mission sur une situation de crise est formatrice. Elle est révélatrice souvent des dysfonctionnements du système. Au-delà de l’enquête sur la situation de crise elle-même, qui peut contribuer à dédramatiser une situation, ces missions permettent de dégager des processus d’amélioration. A partir de ses investigations sur les situations de crise impliquant les personnes, l’IGAENR a établi un guide méthodologique permettant de sécuriser les enquêtes pré-disciplinaires et, par là même, les procédures disciplinaires. Les missions sur la situation financière d’université en difficulté ont débouché sur la production de guides méthodologiques (analyse des fonds de roulement, gestion de la masse salariale) et sur l’amélioration du dispositif de prévention de ces difficultés.

Les inspecteurs disposent d’un droit de regard sur l’ensemble des activités des inspectés, ces derniers peuvent-ils le contester ? Si oui, comment s’expriment ces réticences/ résistances/ blocages ? 

Je rappellerai d’abord que théoriquement, d’après les dispositions du Code de l’éducation, les inspectés ne peuvent, sous peine de sanctions pénales et financières, s’opposer à un contrôle ou à une inspection. Cette disposition n’a de fait jamais été appliquée et il n’y a jamais eu de blocages ni de résistances pendant les missions d’inspection ou de contrôle mais parfois des réticences, notamment lorsque l’entité est une structure privée recevant des fonds publics, du type association ou fondation. Certains dirigeants d’universités ou responsables d’académies, souvent visités au titre d’un échantillon, se plaignent du travail ou de la charge que représentent une mission d’inspection (principalement sur la fourniture de données) et, dans les missions d’accompagnement à la demande d’une université, il est arrivé que l’IGAENR arrête la mission du fait d’une absence d’engagement et de coopération avec l’inspection. Globalement les incidents de mission sont rares. Les réticences ou même des réactions de désaccord se produisent plutôt au vu des conclusions du rapport, qui peuvent déplaire à telle ou telle institution, même si le recours à des procédures contradictoires doit théoriquement minimiser ce genre de situation.

J’ai en mémoire quelques cas d’incidents dont celui d’un président de la CPU [Conférence des Présidents d’Université] qui n’avait pas apprécié qu’on dise au Ministre que sa gestion d’une crise dans un IUT de son université avait été défaillante. Le rapport sur les petites et moyennes universités ou celui sur l’enseignement supérieur privé ont suscité des réactions parfois vives de certaines institutions. Par exemple, l’administrateur de la FMSH [Fondation Maison des Sciences de l’Homme] avait estimé que la mission d’inspection saisie sur un problème de conflit interpersonnel avait outrepassé sa saisine en critiquant la gouvernance et l’absence de stratégie de l’institution.

Mais la légitimité des interventions de l’IGAENR s’est accrue durant les dix dernières années, du fait notamment, pour l’enseignement supérieur, de son rôle dans les audits RCE [Responsabilités et Compétences Elargies], ce qu’ont d’ailleurs montré vos travaux [Brunier, 2018].

A l’inverse des missions menées par le Parlement, par France Stratégie ou par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), les inspections ne sont pas organisées selon une logique transversale mais plutôt sectorielle. Est-ce que les collaborations entre elles sont fréquentes ? 

Lorsqu’il y a une mission transversale, du type de celles que vous évoquez et qui concernent l’« éducation nationale », l’« enseignement supérieur », la « recherche », l’IGAENR est d’une manière ou d’une autre auditionnée. C’est le cas pour les rapports parlementaires et aussi pour les missions de la Cour des Comptes, à la demande ou non du Parlement. Mais cela s’est fait aussi pour France Stratégie ou pour le CNESER [Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche] ; il m’est ainsi arrivé personnellement d’être auditionné par le Conseil d’Etat pour certains de ses rapports, d’être mis à disposition du rapporteur du CESE sur la loi sur l’école de 2005 ou d’être auditionné à l’Assemblée sur l’évaluation du système éducatif 

Plus généralement, je trouve un peu contestable ou trop absolue la distinction qui est faite dans l’ouvrage entre transversal ou sectoriel. D’abord, parce que les politiques de l’enseignement supérieur, de la recherche et même de l’éducation ont un aspect interministériel incontestable : par exemple, parce que les politiques publiques dans les secteurs de l’environnement, de la santé ou de l’agriculture s’appuient sur la recherche. Pour donner un exemple l’IGAENR avait avec l’IGAS [Inspection générale des affaires sociales] plusieurs champs importants d’intervention en commun : la recherche en santé, les études médicales et paramédicales, la relation formation emploi, la formation professionnelle et l’apprentissage.

S’agissant de missions conjointes à plusieurs inspections générales, il est clair qu’elles favorisent la transversalité du travail des corps d’inspections. Entre 2014 et 2019, l’IGAENR n’a pu que se féliciter de l’accroissement de ces missions conjointes. Il y a même eu une des années où l’IGAENR a effectué des missions avec la totalité des corps d’inspection. La diversité des approches et le transfert éventuel de méthodologies sont parmi les bénéfices du travail conjoint. Quelques grands rapports sur des mesures concrètes ont ainsi été réalisés : l’universitarisation des formations paramédicales, l’analyse de la situation financière des universités ou les relations entre la justice et l’éducation nationale sur le signalement des actes de pédophilie sont des exemples des bienfaits de ce travail commun. Je trouve par ailleurs que l’ouvrage minimise un peu la réalité de ce travail conjoint. Toutes les inspections ont signé en 2018 une charte fixant les règles de fonctionnement des missions conjointes. Des formations communes à plusieurs inspections ont été réalisées sur l’audit interne, la déontologie ou les enquêtes pluridisciplinaires. Pour sa part, l’IGAENR a invité fréquemment des représentants d’autres inspections ou de la Cour des Comptes à ses séminaires mensuels de formation relatifs à l’enseignement supérieur et a largement diffusé aux autres inspections générales ses guides méthodologiques sur l’analyse des fonds de roulement et de la masse salariale, ou sur les procédures pluridisciplinaires. 

Les fusions récentes, comme celle ayant conduit à la création de l’IGESR est-il le signe d’une dynamique actuelle de rapprochement entre différents corps d’inspection ? 

C’est donc trois périmètres ministériels qui sont concernés par cette fusion : éducation nationale, enseignement supérieur et recherche, jeunesse et sport et, partiellement, la culture, même si l’inspection générale des affaires culturelles a refusé de se joindre à l’opération. Il y avait bien dans mon esprit et dans celui de Caroline Pascale, la doyenne de l’IGEN [devenue doyenne de l’IGESR à sa création], l’idée, acceptée par la DGAFP [Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique], d’une véritable inspection interministérielle avec un champ très vaste. Il ne faut pas oublier que les deux missions LOLF [loi organique relative aux lois de finances] « enseignement scolaire » et « enseignement supérieur et recherche », correspondent respectivement en termes de crédits à la première et à la troisième mission budgétaire de l’Etat [respectivement 76 et 29 milliards d’euros aux termes du projet de loi de finances pour 2021].

Cette fusion n’est pas le produit d’une dynamique interministérielle de fusion des corps d’inspections. Elle n’est pas non plus la première : dans le passé, l’IGAS, le CGEFI [Contrôle Général Économique et Financier], le CGAAER [Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux] sont le résultat de fusions de différents corps d’inspection et de contrôle. Elle s’inscrit en revanche dans un mouvement plus global de modernisation de l’État. Le statut de l’IGESR, dans la logique de la réforme du statut de l’IGAENR de 2016 repose sur des principes de diversification et d’ouverture des origines de recrutement et de mobilité. Il a vocation à rassembler à la fois les cadres supérieurs administratifs des ministères, les services extérieurs et les établissements publics de l’ESR, mais aussi l’encadrement et l’expertise pédagogique et scientifique au plus haut niveau.

Propos recueillis par Sylvain Brunier et Olivier Pilmis - 2021

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