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Kevin Mellet, nouveau chercheur
“Mes recherches actuelles portent sur le paysage émergent du data marketing et sur la formation et la régulation de l’économie des données personnelles.”
Vous arrivez au Centre de Sociologie des Organisations à la rentrée 2020 sur un poste d’assistant professor en sociologie des techniques marchandes, et vous prendrez la direction scientifique du master « Marketing et Société ». Quel est l’apport de la sociologie sur ces questions ?
Mon intérêt pour le marketing et les techniques marchandes prend sa source dans mes recherches sur des innovations numériques variées, tels que les job boards, les sites web de notes et avis, les applications de réseaux sociaux, la publicité en ligne ou encore les bases de données de traces de navigation, les cookies. Ce qui m’intéresse tout particulièrement, c’est la façon dont ces innovations, en facilitant la mise en relation entre offreurs et demandeurs, en équipant les choix du consommateur, ou en permettant aux entreprises de mieux connaître leurs clients et s’adresser à eux, rendent possibles et façonnent les échanges marchands. Je rejoins en cela les chercheuses et chercheurs qui, à l’articulation de l’histoire, de la sociologie économique et des science & technology studies, ont, depuis plus d’une vingtaine d’années, analysé les marchés comme des agencements socio-techniques résultant d’une activité collective intense de mise en forme et de cadrage.
Cette activité collective, ce « travail marchand », les professionnels du marketing y prennent une part importante, primordiale. Dès lors, étudier le marketing avec un regard sociologique, ce n’est pas se préoccuper de la seule figure du consommateur, mais aussi s’intéresser aux professionnels du marketing, à leurs organisations, et aux différentes techniques qu’ils mobilisent dans leurs activités. L’une de mes premières tâches, à mon arrivée début septembre, a été de mettre en place un cours de « sociologie du marketing et des techniques marchandes » pour les étudiants du master « Marketing et société », au sein de l’Ecole du Management et de l’Innovation de Sciences Po. L’objectif de ce cours est de présenter les principaux apports de ces travaux qui étudient les marchés, leurs acteurs, au prisme des techniques marchandes, et par un travail d’enquête, d’initier les étudiants à cette démarche. Aborder le marketing par son analyse sociologique fournit assurément une entrée originale et réflexive à ce domaine, complémentaire des cours d’introduction au marketing.
Quelles collaborations envisagez-vous au sein de Sciences po et du CSO ?
Mes recherches actuelles portent sur le paysage émergent du data marketing et sur la formation et la régulation de l’économie des données personnelles. Je me suis ainsi récemment intéressé aux pratiques de mise en conformité au nouveau règlement européen sur les données personnelles (le RGPD) par le biais d’interfaces de consentement, ainsi qu’aux opérations de manipulation de données et de catégorisation des professionnels de la publicité. Cette recherche entre tout particulièrement en résonance avec des enquêtes collectives récentes du CSO, sur la gouvernance des conduites économiques et sur les instruments cherchant à agir sur les “biais comportementaux” des individus. Mais il me semble que d’autres collaborations sont possibles au sein du CSO, particulièrement avec les chercheuses et les chercheurs qui s’intéressent au droit et à la place des données dans la construction de l’expertise dans des domaines tels que la santé. Plus généralement, ma préoccupation pour les impacts socio-économiques des technologies numériques me conduira, je l’espère, à développer des collaborations au-delà du CSO, en particulier avec les chercheuses et les chercheurs du Médialab.
Du côté de l’enseignement, je vais m’investir à court terme dans l'École du Management et de l’Innovation et tout particulièrement dans le master « Marketing et société », et également dans le Collège universitaire.
Vous avez un double parcours en économie et en sociologie. Quelles sont les problématiques qui vous interpellent spécifiquement dans le domaine de la Digital Economy ?
En 2019, j’ai été associé à la création d’un réseau de recherche sur l’économie numérique au sein de la SASE, qui est l’une des principales associations professionnelles réunissant tant des sociologues que des économistes. Le succès rencontré par ce network à l’occasion des conférences annuelles de la SASE, en 2019 et en 2020, témoigne du dynamisme de l’objet de recherche « Digital Economy ».
Parcourir sur le web le programme des conférences de 2019 ou 2020 est un bon moyen de repérer les principaux objets de recherche et problématiques de l’économie numérique. Ils concernent la genèse, l'organisation et la régulation des marchés numériques. Ils s’intéressent aux frontières de l'économie numérique, où les échanges marchands rencontrent des formes participatives et horizontales de coordination, où la sphère domestique et la vie quotidienne sont ‘digitalisées’ et ‘marchandisées’ en travail de plateforme et en économie collaborative. Ils visent également à comprendre les conséquences de l'utilisation d'algorithmes sur l'autonomie des individus et les nouvelles formes de coordination produites par ces technologies de calcul sophistiquées. Au-delà de la grande diversité de leurs objets, méthodes et orientations théoriques, ces chercheurs partagent l’ambition commune de comprendre la grande transformation de l'économie et de la société induite par l'arrivée et le développement d'Internet et des technologies numériques.
Vous serez associé aux travaux de la chaire de recherche Good in Tech. Pouvez-vous nous parler de ses activités et de vos projets au sein de cette chaire ?
La chaire Good in Tech est une chaire de recherche associant deux institutions d’enseignement et de recherche : Sciences Po et l’Institut Mines Telecom. Sa mission principale est de soutenir et diffuser de nouvelles connaissances autour d’un objet émergent, aux contours encore flous : l’innovation numérique responsable. Comment définir et mesurer l’innovation numérique responsable ? Comment l’intégrer dans le développement et le design de nouvelles technologies ? Quels sont les mécanismes de gouvernance de l’innovation numérique responsable ? Ces questions structurent aujourd’hui l’agenda de recherche de la chaire, qui prend la forme d’appels à projets de recherche, de financement de thèses et de post-doctorats, ou de soutien à l’organisation de workshops et de conférences.
Mon implication dans la chaire est double. D’abord, je vais promouvoir et relayer les activités et les appels à projets de la chaire au sein de la communauté des enseignants et des chercheurs de Sciences Po, en lien avec les deux titulaires de la chaire, Dominique Cardon et Christine Balagué. Ensuite, je vais moi-même m’impliquer en tant que chercheur dans les activités de la chaire, avec un projet de recherche sur les pratiques de mise en conformité des entreprises dans le domaine du marketing relationnel à la suite de la mise en place du RGPD, en 2018.
Entretien réalisé en septembre 2020