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26.06.2023

De la Vallée à l'École : Pour une nouvelle symbiose entre création, culture et apprentissage

Il n'est pas facile de saisir en quelques mots l'essence de la dernière exposition de Fabrice Hyber à la Fondation Cartier à Paris, et encore moins l'ensemble de sa pratique et de son œuvre. Lorsqu'on lui a demandé de faire son autoportrait en 1991, l'artiste a conclu que se représenter aurait été comme essayer de tenir une savonnette qui ne cesse de se dérober. Partant de cette idée, il a réalisé la plus grande savonnette du monde, exposant 20 tonnes de savon à la Biennale de Lyon. En interrogeant l'artiste, il faut donc s'éloigner des catégorisations strictes et des chemins préconçus, et tenter plutôt d’imaginer où la barre de savon "glissante" nous mènera.  > 

Le 8 mars 2023, Sciences Po a accueilli l'artiste Fabrice Hyber et la commissaire d'exposition Jeanne Barral sur son campus parisien à l'occasion du cycle de « Masterclasses Culture » organisé par l'École d’affaires publiques. À partir de l'exposition « La Vallée » à la Fondation Cartier pour l'Art Contemporain, les étudiants de la filière Culture / Cultural Policy & Management ont préparé une série de questions abordant un large éventail de sujets, allant de la relation de longue date entre l'homme et la nature, à la dynamique plus récente entre l'artiste et le commissaire d'exposition. 


Artiste prolifique et pluridisciplinaire, Fabrice Hyber multiplie les œuvres et les projets artistiques depuis les années 1980. On se souvient de son célèbre Le Mètre Carré de rouge à lèvres (1981), de son installation Eau d'or, eau dort, ODOR, pour la Biennale de Venise en 1997 ou encore de ses POF (Prototypes d'Objets en Fonctionnement). Parallèlement, depuis ses premières ventes, Fabrice Hyber projette d'acheter des parcelles de la ferme familiale de ses parents pour y planter une forêt. Dans les années 1990, grâce à une technique d'essaimage en sillons de 30 à 40 cm, il plante la Vallée, une forêt située en Vendée, qui fait plus de cent hectares aujourd'hui.  

La Vallée - l'exposition comme la forêt - sont des lieux de convergence : des lieux propices aux connexions et aux échanges, comme devrait l'être l'école. En effet, J. Barral et F. Hyber aiment à penser que « toutes les expositions devraient être des écoles, que tous les tableaux devraient être des tableaux noirs ». « La Vallée » est construite comme une « pédagogie joyeuse » : elle nous rappelle l'école mais d'une manière différente, d'une manière qui amuse et provoque le questionnement et la créativité. C'est pourquoi l'exposition travaille en étroite collaboration avec 15 « classes en résidence » de Paris, Vincennes et de Vendée. Au sein de l'exposition, ces classes expérimentent une autre manière d'apprendre à travers les œuvres exposées. Hyber et Barral ont travaillé avec des enseignants et des guides pédagogiques pour créer un lexique qui aborde quarante thèmes liés aux œuvres de Fabrice Hyber. C'est aussi le débat et l'échange qui peuvent permettre cette nouvelle pédagogie, comme dans les conversations qui ont ponctué l'exposition : « Les Voix de la Vallée » invitaient chaque semaine deux personnes à s'engager dans une conversation sans journaliste, où les œuvres étaient les véritables médiateurs. Fabrice Hyber n'exclut d'ailleurs pas qu'un jour le musée devienne la véritable école. 

Comme l'exposition, la Masterclass s'est déroulée à travers un échange continu entre F. Hyber et J. Barral, entre l'artiste et le conservateur. La relation créative et intellectuelle entre les deux, fruit d'une collaboration de plusieurs mois, met en lumière de nouvelles perspectives sur le rôle du conservateur dans la conception et la production d'une exposition. Comme l'explique F. Hyber, il n'aime pas le mot curator, ou « commissaire d'exposition », ainsi que la charge conceptuelle qui lui est attachée depuis les années 1960. Il estime que le terme « producteur » (producer ou délégué) est plus représentatif du rôle de Barral. Dans la préparation de l'exposition « La Vallée », la dynamique habituelle a d'ailleurs été inversée, puisque c'est l'artiste qui a eu l'idée d'un projet, et qui a donc eu besoin d'un « producteur » pour le réaliser. De son côté, Jeanne Barral fait remarquer qu'il n'est pas toujours facile d'être producteur, car il faut s'adapter aux besoins de chaque artiste, tout en adoptant souvent une approche plus pragmatique. L'exposition, dans ses différents aspects, est donc le résultat de négociations complexes et de changements de dernière minute, déterminés par exemple par des contraintes budgétaires ou logistiques. En fin de compte, ces compromis se transforment en opportunités enrichissantes qui peuvent donner des tournures inattendues à la conception finale de l'exposition, de sa scénographie à la médiation.  

J. Barral et F. Hyber ne craignent pas de parler des aspects plus pratiques et matériels du processus de création, mettant en lumière des thèmes et des préoccupations qui sont souvent ignorés, ou considérés comme antithétiques de la créativité. Au contraire, F. Hyber affirme que « les affaires font partie de quelque chose que les gens ne devraient pas hésiter à rendre beau ». C'est dans cet esprit qu'il a créé Unlimited Responsibility (UR) en 1994, afin de promouvoir et de faciliter la production et l'échange de projets entre artistes et entreprises. Grâce à ce partenariat, les artistes peuvent jouir d'une plus grande liberté, car ils sont aidés pour surmonter les contraintes financières et matérielles entre la conception et la production d'une œuvre d'art. Commentant la condition souvent précaire des artistes, Barral ajoute qu'il leur est difficile de s'exprimer en tant que groupe et de faire valoir leurs besoins car ils ne sont pas syndiqués. Si des progrès ont été accomplis depuis les dernières décennies, lorsque les artistes n'étaient pas rémunérés pour leurs expositions, il est encore nécessaire d'améliorer l'élaboration des politiques relatives aux droits des artistes.  

Aujourd'hui plus que jamais, l'art peut et doit être reconnu à sa juste valeur pour le rôle qu'il joue dans la promotion des nouvelles compréhensions, ainsi que des transformations de l'époque complexe dans laquelle nous vivons. Pour reprendre les mots de Fabrice Hyber, « l'art peut aider à montrer que la science et la recherche vont de pair avec la société ». Les artistes peuvent ainsi briser les murs de l'institution dite « white cube » pour s'engager dans différentes disciplines et pratiques, afin de nous montrer toutes les possibilités de transformation. Dans ce monde en pleine mutation, écrasé sous la pression des crises climatiques et écologiques, il est nécessaire de trouver de nouveaux moyens de s'adapter. Mais F. Hyber et J. Barral sont optimistes, car ils croient au potentiel de l'art pour éclairer de nouvelles voies.  

De notre échange avec Fabrice Hyber et Jeanne Barral, une graine a été semée. Elle témoigne de notre compréhension du monde et de l'art comme un processus sans fin.  

Article rédigé par Fanny Bousquet & Alessandra Marchesi, étudiantes de la spécialité Culture/Cultural Policy and Management

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