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11.03.2022
Retour sur la Masterclasse Culture autour du film documentaire Indes Galantes
Article rédigé par Fanny Berdah, Maria Crevatin, Joséphine Villeroy de Galhau, étudiantes de la spécialité Culture/Cultural Policy and Management de l'École d'affaires publiques.
Le 15 novembre 2021, dans le cadre des Masterclasses Culture de l’École d’Affaires publiques, les étudiants de l’Ecole d’affaires publiques, et de Sciences Po, ont rencontré trois figures clés de la réalisation du documentaire Indes Galantes : Philippe Béziat, réalisateur, Philippe Martin, producteur du film et directeur artistique de la “3ème scène” de l’Opéra et Feroz Sahoulamide, danseur. Un échange franc et généreux pour mieux saisir les enjeux esthétiques, politiques et institutionnels de ce projet artistique hors du commun. >
Une création plurielle et pluridisciplinaire
Sous un même nom, Indes Galantes désigne en réalité trois créations. À la genèse du projet, Clément Cogitore réalise en 2017 un court-métrage pour la “3ème scène” de l’Opéra de Paris. Il invite des danseuses et danseurs de krump à revisiter la Danse du grand calumet de la paix, extraite de l’opéra-ballet Indes Galantes de Rameau. Face à son succès, Stéphane Lissner, alors directeur de l’Opéra de Paris, lui propose de monter Indes Galantes dans son intégralité à l’Opéra Bastille, le spectacle y sera joué pendant douze représentations en 2019. Simultanément Philippe Béziat réalise un documentaire sur la création du spectacle, diffusé en 2021 et projeté à Sciences Po en novembre.
Outre la pluralité des objets, Indes Galantes constitue une “fantasmagorie” pour Philippe Béziat, une “polyphonie” où se mêlent les différentes disciplines que sont la danse, la musique et le chant. L’opéra, “art total”, rencontre ici un “écosystème déjà très complexe” (Philippe Béziat) : les danses de rue (hip-hop, krump, flexing, etc.). Feroz Sahoulamide insiste bien sur cette “communauté” de danseur.euse.s qui ont leurs propres histoires, cultures et visions du monde réunies ici sur un même plateau. Le documentaire, “au cœur du laboratoire”, cherche à témoigner de ces enjeux de création, de cette véritable “utopie de collaboration”.
Des perspectives institutionnelles
Envisagée d’abord comme une rencontre “éminemment politique et peu conforme”, la création n’a pas été reçue de la même manière par la presse et les publics, témoignant ainsi d’une dimension réellement transgressive. Il s’agit de saisir comment le projet a réussi à faire venir des corps, des pensées, des danses “à un endroit où elles ne viennent pas” habituellement, dans l'institution, “incarnation d’un lieu de pouvoir” (Philippe Martin). Pour Feroz Sahoulamide, le projet des Indes Galantes est une opportunité de “reprendre l’espace” par les corps, de se réapproprier le “je suis” par le “détournement”. Ce qui se fait aussi bien par la mise en avant de danses considérées comme minoritaires par l’institution que par une lecture décoloniale de l’œuvre de Rameau, nécessaire aujourd’hui.
La recréation des Indes Galantes est-elle pour autant le signe d’un changement institutionnel ? Pour Philippe Martin, tout dépend de la direction. La création de la “3ème scène” est emblématique d’une institution qui a su être “visionnaire” sur des questions qui “agitent le monde du spectacle vivant” (ici le numérique). Mais les nouvelles directions et les contraintes budgétaires sont au contraire symptomatiques d’institutions qui restent “figées” et dans “une inertie incroyable”. Philippe Martin rappelle que l’Opéra n’avait pas les moyens de monter les Indes Galantes et que les répétitions comme le travail de création se sont faits “en dehors” de l’institution. Faudrait-il remettre en perspective le bouleversement institutionnel ? Si pour Philippe Martin, la “diversité des publics presque inhabituelle” et le succès auprès des abonnés en font une “expérience unique” dont il faut tirer des enseignements durables, Feroz Sahoulamide apporte une nuance en rappelant que ce public habitué ne s’est pas pour autant déplacé pour “venir les voir ailleurs”.
Une aventure humaine
Mais au-delà d’une expérience de spectacle vivant unique et d’un projet transgressif, Philippe Martin nous rappelle que l’aventure Indes Galantes, c’est avant tout “une rencontre”. Entre des disciplines que tout semblait opposer, l’opéra et des danses de rue. Entre l’institution et “l’art du détournement” (Feroz Sahoulamide). Mais celle avant tout entre des artistes, des énergies rassemblées autour de ce que la chorégraphe du projet Bintou Dembélé désigne comme un “cercle”.
En effet, cette aventure a débuté par un temps de formation au Centre National de la Danse à Pantin pour faire se rencontrer les danseur.euses et “apprendre à se regarder et se raconter”. Après le “choc générationnel”, la cohésion est née de ce travail préalable de découverte entre danseur.euses mais aussi en allant à la rencontre des technicien.nes, des chanteur.euses et d’autres corps de métier.
De même que Feroz Sahoulamide objecte “Nous sommes allés les voir, ce ne sont pas eux qui sont venus”, nous ne pouvons que nous interroger sur les répercussions d’un tel projet : bouleversement éphémère ou mutation profonde ? L’avenir le dira, mais la nomination des Indes Galantes dans la catégorie du meilleur film documentaire aux Césars 2022 apparaît déjà comme une forme de reconnaissance institutionnelle. Un succès bienvenu pour ce projet qui vise juste précisément parce qu’il “met l’artiste au centre” de la création, comme le recommande Philippe Martin.
Indes Galantes, documentaire de Philippe Béziat sur la création de l’opéra par Clément Cogitore, 2021, 48min.