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18.03.2024

Retour sur un voyage d'études à Briançon avec Sasha Antonioli, Lina Madani et Etienne Margaillan

   Arrivée en gare de Briançon (Hautes-Alpes)
Lina Madani, Sasha Antonioli et Etienne Margaillan
Briançon (Hautes-Alpes)

Sasha Antonioli, Lina Madani et Etienne Margaillan, étudiants au sein du master Droit économique, nous partagent leur retour d’expérience sur leur voyage d’études et observation de terrain à Briançon (Hautes-Alpes), fin novembre 2023, dans le cadre du programme clinique Migrations de l’École de droit. 

Parlez-nous de votre projet clinique "Criminalisation des exilés et des solidaires" avec l'association Tous Migrants. Quel a été son point de départ ?

Le point de départ de notre projet était de se pencher sur les différentes pratiques, à la frontière briançonnaise, de criminalisation à la fois des exilés et des solidaires. L’idée était donc de comprendre et retranscrire les formes de pressions ou d’usage du droit pratiquées par les forces de l’ordre et/ou les autorités administratives de la région à l’égard de ces deux publics. On entend par là, par exemple, la prise en photo par les forces de l’ordre des solidaires eux-mêmes, de leurs cartes d’identité ou de leurs voitures, dans une démarche de pression ou de dissuasion.

Finalement, le sujet étant plutôt large, nous avons décidé de nous concentrer sur la pratique du contrôle d’identité à la frontière franco-italienne du Briançonnais (Hautes-Alpes), dans le cadre du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures par le gouvernement français, depuis 2015. Plus particulièrement, nous tentons d'aiguiller le sujet sur le contrôle discriminatoire, autrement dit, le contrôle “au faciès”.

Quel est son objectif ?

Dans le cadre de notre projet, nous cherchons à appréhender les pratiques de contrôles d’identité à la frontière, pratiques qui s'insèrent dans un contexte de militarisation croissante. L’objectif de notre projet se définit au fur et à mesure que nous avançons dans les recherches.

Pour l’instant, l’idée serait de construire un argumentaire juridique sur l’irrégularité ou l’illégalité du contrôle, à destination des associations et donc principalement de notre partenaire, l’association Tous Migrants.

Avec qui travaillez-vous ?

Nous travaillons étroitement avec Claire Bruggiamosca, avocate en droit des étrangers à Marseille et membre du GISTI, ainsi que des membres du pôle juridique de Tous Migrants. Le but est de produire des ressources juridiques qui puissent être utilisables à la fois par des professionnels et par les personnes engagées sur le terrain.

Pourquoi avez-vous effectué ce déplacement à Briançon ?

Le déplacement à Briançon a principalement été effectué pour trois raisons. Tout d’abord, c’était l’occasion de rencontrer en personne, pour la première fois, les membres de Tous Migrants, avec lesquels nous avions travaillé uniquement à distance. Il est clair que des réunions physiques sont plus efficaces et pertinentes que des contacts par visioconférence.

Par ailleurs, ce déplacement nous a permis de véritablement nous imprégner de la réalité de la frontière et du contexte socio-politico-juridique du terrain dans laquelle l’association œuvre, ce qui est fondamental pour mener notre projet à bien.

Enfin, ce séjour a été très important puisqu’il a rendu possible le travail sur un certain nombre de ressources, notamment des témoignages et des archives, qui auraient été très difficilement accessibles à distance.

Qu'avez-vous appriS de votre voyage ?

Au cours de notre voyage, nous avons notamment pu observer la dichotomie entre le droit, dans sa théorie et tel que régi par les textes, et la pratique du droit à la frontière. Pour ne donner que quelques exemples, nous avons fait plusieurs découvertes sur les pratiques des forces de l'ordre, les décisions administratives ou encore les interactions entre la société civile et l’administration pour la prise en charge des mineurs non accompagnés. Ce voyage nous a ainsi rappelé que le droit et ses grands principes, tels que nous les apprenons, sont très fragiles en pratique.

Quelle est la suite de ce projet ?

Dans l’immédiat, sûrement beaucoup de recherches et de lectures sur le cadre légal spécifique de la frontière franco-italienne, dans le contexte particulier du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, mais aussi sur la pratique des contrôles d'identité discriminatoires. Nous pensons également réaliser d’autres observations de terrain, y compris à Paris, analyser les différentes archives que nous avons pu recueillir et, si possible, interroger différents acteurs du contrôle d’identité à la frontière (préfecture, gendarmerie, administration).

En quoi participer A CE projet clinique vous aide dans la construction de vos projets professionnels et personnels ?

Participer à la clinique juridique permet de concrétiser des acquis qui peuvent, parfois, ne sembler que théoriques. Travailler sur ce projet spécifiquement donne beaucoup de sens aux métiers du droit. En effet, il s’agit de faire respecter et appliquer le droit, de montrer les endroits où il est vague pour mieux pouvoir l’appréhender. Par ailleurs, la clinique étant un travail d’équipe, elle permet un échange de connaissances, de récits, de vécus et en cela, nous développons de belles capacités à travailler ensemble, d’autant plus que nous sommes répartis entre Paris, Marseille et Briançon. Et finalement, à l’image de notre déplacement, la clinique permet de tisser du lien social, de rencontrer des personnalités engagées et inspirantes qui donnent un sens à cette recherche.

QUEL EST VOTRE PARCOURS ACADÉMIQUE ET PROFESSIONNEL ?

J’ai suivi des études de droit à la faculté d’Aix-Marseille, ayant obtenu un master II en “sciences criminelles”. Depuis plus de dix ans, je me suis servie de ma formation en droit pour assister les personnes étrangères dans le cadre de permanence juridique. Depuis 2018, je suis avocate et j’exerce dans cette matière et également en droit pénal, droit des mineurs et des mineurs non-accompagnés. Je suis tutrice à Sciences Po depuis 2019.

QUEL EST VOTRE RÔLE EN TANT QUE TUTRICE ?

Mon rôle en tant que tutrice se résume à l’encadrement des étudiants dans leur travail de recherche, ce qui implique de les aiguiller vers les pistes de réflexion à aborder afin qu’ils et elles ne se perdent pas en route, le droit peut être une véritable boîte de Pandore ! Surtout quand le sujet est large. Il s’agit également de les rassurer, de les encourager, de les stimuler et de créer une interaction et une dynamique de groupe afin que tout cet investissement personnel et intellectuel se fasse dans la joie et la bonne humeur ! 

QUEL EST VOTRE PARCOURS ACADÉMIQUE ET PROFESSIONNEL ?

Je suis chercheur en droit, spécialisé dans les approches interdisciplinaires des migrations. J'ai toujours combiné travail académique (études de droit et de philosophie) et travail de terrain en collaborant avec des ONG telles qu'Amnesty International, l'Anafé (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers) ou Tous Migrants, une association locale impliquée à la frontière franco-italienne. La Clinique Migrations de Sciences Po joue un rôle essentiel dans mon développement professionnel, car elle est au cœur du lien entre l'enseignement supérieur, la recherche universitaire et l'avancement de la justice sociale. 

EN QUOI CONSISTE LE RÔLE DE COORDINATEUR SCIENTIFIQUE ?

Assurer la coordination scientifique de la Clinique Migrations, c’est avant tout garantir qu’elle prenne vie tout au long de l’année universitaire afin qu’elle réalise sa mission : former des étudiants à la pratique du droit des migrations dans un esprit interdisciplinaire et critique.

Ce travail commence au printemps avec l’élaboration des projets qui structureront le programme l’année suivante. On identifie alors des partenaires potentiels, on caractérise les lacunes et on réfléchit à un projet pédagogique et pratique. Puis vient la phase du recrutement des étudiants et des tuteurs et tutrices. À partir de septembre, c’est l’effervescence ! Il faut assurer le lancement et le suivi des projets, veiller à l’intégration des étudiants et parfaire leur formation, bref, faire vivre la clinique. En tant que responsable du programme, je pilote ces étapes en cherchant à établir une cohérence générale et une vision de long terme sur le rôle de la Clinique Migrations dans le paysage associatif et institutionnel du droit des étrangers en France.

POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS SUR LE PROGRAMME MIGRATIONS DE LA CLINIQUE ?

Notre société conçoit la question migratoire d'une manière de plus en plus politisée et polarisée. “Chaos migratoire”, “submersion”, “appel d’air”, les termes qui ont guidé les débats de la dernière “loi immigration” du 19 décembre 2023 en témoignent. Dans ce contexte, les politiques migratoires se complexifient, souvent au détriment des droits des personnes migrantes. Celles-ci se retrouvent au cœur de dispositifs de contrôle des mobilités qui entravent les libertés, enferment les corps, collectent les données et assignent des statuts.

Le droit est au cœur de ces processus dans la manière dont il catégorise les individus et leur applique un régime juridique plus ou moins protecteur. Il joue à cet égard un rôle ambivalent : il est à la fois une structure qui assujettit et un instrument servant à faire avancer les droits et la justice sociale.

La Clinique Migrations s'attaque de front à cette ambivalence. Nos étudiants et étudiantes examinent les processus juridiques d'inclusion et d'exclusion et réfléchissent, dans le cadre de leurs projets, aux moyens de rendre au droit ses propres valeurs de justice et d’égalité. 

Favoriser l'esprit critique, faire émerger des outils pour humaniser le droit, faire œuvre, à notre humble mesure, de justice sociale : tels sont, en quelques mots, les objectifs du programme Migrations.

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