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19.12.2017

Témoignage de Marine Doisy, diplômée 2017 du master Droit économique spécialité Global Governance Studies

J'ai intégré Sciences Po en première année, suite au BAC, avec l'objectif premier de bénéficier de trois ans supplémentaires pour affiner mon projet professionnel, tout en continuant un parcours étudiant qui me plairait. J'ai eu la chance de rejoindre le bi-cursus Sciences Po-Paris IV Sorbonne, et de pouvoir suivre une licence de philosophie en parallèle. Déjà à ce moment, je m’intéressais à la problématique des réfugiés et des migrations en général, intérêt qui m'a conduite à réaliser un service civil international dans un centre pour demandeurs d'asile aux Pays-Bas, et à collectionner les cours sur le sujet, notamment en droit, à Sciences Po. 

C'est avec en tête l'opportunité d'intégrer la Clinique Migrations (Denizen à ce moment-là) que j'ai finalement, au retour de ma 3ème année à Istanbul, décidé de m'inscrire au Master Droit Economique proposé par l'École de droit. Si l'École de droit offre d'abord, et principalement, une formation en droit des affaires, les propositions de parcours sont en effet suffisamment flexibles pour se construire un parcours qui n'est plus tellement spécialisé dans ce domaine, et qui permet de toucher tant aux problématiques de droit de l'homme, que de droit des étrangers ou droit international public. J'ai personnellement toujours trouvé auprès de l'École de droit une oreille attentive pour discuter de mes questionnements d'orientations. 

C'est en 2ème année de master que j'ai finalement pu rejoindre la Clinique Migrations, lancée alors pour la première année. Réunissant quatorze étudiants, à la fois français et internationaux, de l'École de droit et de PSIA, le lancement de la Clinique nous a offert la possibilité de définir et délimiter nous-mêmes, par binôme ou trinôme, en lien avec nos tuteurs et partenaires, les projets sur lesquels nous allions travailler - donner notre avis, être force de propositions, problématiser nos recherches au fur et à mesure de l'année en lien direct avec nos projets de terrain, etc. 

Je travaillais avec Sophie-Anne sur le projet de l'Anafé, Association nationale d'assistance aux étrangers à la frontière. L'association a pour vocation de fournir un soutien juridique, mais surtout humain, aux personnes maintenues en zone d'attente (ces zones dans lesquelles les personnes arrivant dans les aéroports, ports et gares ouvertes au trafic international, sont maintenues jusqu'à 20 jours en attendant leur renvoi dans leur ville de provenance, lorsqu'elles ne présentent pas toutes les conditions requises pour entrer sur le territoire français), et de communiquer, sensibiliser, autour des questions liées aux réalités des zones d'attente. 

J'ai découvert l'existence même des zones d'attente en devenant, par la Clinique, bénévole à l'Anafé. 

Notre projet, comme tous les projets Clinique, s'articulaient selon deux axes : 

  • Une dimension opérationnelle: rejoignant l'équipe de bénévole de l'Anafé, nous avons démarré, dès octobre, les permanences téléphoniques pour les personnes maintenues en zone d'attente, remplacées par des permanences à Roissy directement lorsque nous avons reçu nos habilitations ensuite. Nous réalisions aussi le suivi des personnes que l'Anafé avait suivi, une fois celles ci refoulées vers leur pays de provenance ou d'origine, placées en garde à vue, ou libérées sur le territoire, ainsi que des observations d'audiences devant le juge des libertés et de la détention (JLD) à Bobigny, la Cour d'appel, et le tribunal administratif de Paris. Cette phase fut l'occasion de découvrir, sur le terrain, les réalités correspondants en fait à ce que les textes juridiques prévoyaient... et le décalage entre les deux. 
  • Une dimension plus théorique, avec la réalisation de rapport de recherches. Nous avons réalisé, notamment, sur la base des observations d'audiences des bénévoles au cours des deux dernières années, un rapport de recherche visant à rendre compte de l'accès à la justice pour les personnes maintenues et du contrôle juridictionnel en zone d'attente (contrôle finalement assez absent). Si le régime de la zone d'attente offre sur le papiers un certain nombre de garanties, il n'organise aucune des défaillances que, en pratique, nous pouvons observer dès lors qu'un maintenu se trouve face à la justice. Au contraire semble-t-il, ce régime est construit pour n'offrir aux personnes maintenues, considérées comme n'étant pas juridiquement sur le territoire, que le minimum des garanties, sans en encadrer les défaillances. Toutes les garanties possibles offertes par les textes ne semblent pas efficacement en effet, empêcher l'arbitraire d'un contentieux qui, s'il est très spécifique, fini par être traité comme un contentieux "de masse". 

L'objet de mes mots n'est pas ici de reprendre et de redétailler nos recherches et nos conclusions, mais simplement de souligner l'apport d'un enseignement à la fois pratique et théorique, tel que l'offre la Clinique. Il ne s'agit pas d'y apprendre le régime prévu pour régir une situation donnée, mais de comprendre, en y étant confronté, le fonctionnement réel - autant que cela est possible bien sur - de cette situation : en comprendre son fonctionnement pratique, en perspective avec les prévisions théoriques, et de tenter d'en comprendre les écarts. Expérience vraiment enrichissante, qui pour le coup, nous fait réellement sortir du cadre purement universitaire ! 

C'est pour ce projet que nous avons reçu le Prix Anthony Mainguené en avril l'année dernière. Ce prix, destiné à récompenser un projet de la Clinique de Sciences Po qui transmet les valeurs de la Fondation Anthony Mainguené, a vocation a aider la poursuite du projet cette année. Le prix a surtout été pour nous l'occasion de nous projeter sur la façon dont nous souhaitions le voir continuer cette année. Cette année, nous sommes désormais tutrice sur le projet Anafé pour les étudiantes qui ont pris le relais, plus particulièrement sur le projet de recherche qui, par comparaison avec les résultats de notre propre rapport, visera à comprendre l'impact réel - et symbolique ? - de la délocalisation des audiences JLD directement à Roissy (dans une salle d'audience attenante à la zone d'attente), sur la justice et les recours offerts aux personnes maintenues. Le prix permettra surement de financer, en 2018, une réunion publique sur la question. 

Je suis diplômée de l'École de droit depuis juin dernier, et suis actuellement en train de passer le CRFPA, avec l'objectif de devenir avocate. Et si je ne sais dans quel domaine je souhaite exactement me spécialiser pour l'instant, le tutorat et la Clinique me permettent en attendant de garder un pied dans un domaine qui me passionne réellement, et dans lequel on ne sera jamais de trop à prendre une place.

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