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27.09.2024

Il n'y a pas de moment plus stimulant ou important pour être journaliste que le nôtre

Phil Chetwynd, directeur de l'information à l'AFP, était l'invité de la Leçon inaugurale 2024 de l'Ecole de journalisme de Sciences Po le jeudi 26 septembre pour adresser à la promotion 2024-2026 un message optimiste et réaliste sur le journalisme. Selon lui, "il n'y a pas de moment plus stimulant et important pour être journaliste que le nôtre". L'Agence France-Presse célèbre cette année ses 80 ans. « Dans un monde de polarisation, de fausses informations et d'opinion, l'information fiable est devenue un phénomène rare », souligne Marie Mawad, doyenne de l'École de journalisme de Sciences Po. Environ 200 étudiants et invités étaient présents dans l'amphithéâtre Leroy Beaulieu, au 27, rue Saint Guillaume, sur le campus de Paris. La conférence a été suivie d'une séance de questions-réponses avec nos étudiants.

"C'est important pour moi de vous parler lors d'un moment aussi positif qu'une rentrée universitaire. A l'AFP, nous bénéficions tous les jours de l'enseignement de Sciences Po et de cette école de journalisme car de nombreux diplômés travaillent chez nous. Vous avez emprunté un chemin escarpé pour être ici: vous avez une détermination sans faille. Vous avez fait preuve de discernement et compris qu'une carrière dans le journalisme n'est pas la plus facile. Mais elle peut être gratifiante et je salue votre courage et votre force." 

Voici les points clés de son intervention: 

  • La société a plus que jamais besoin de vous, journalistes : le journalisme de qualité n'a jamais autant compté. La profession fait face à tant d'obstacles. Nous devons demander des comptes au pouvoir et couvrir les sujets liés à la corruption. Pendant les Jeux Olympiques, l'AFP a rapporté des faits, des histoires humaines. Le journalisme est vital pour une société qui fonctionne. Les fausses informations se propagent 6 fois plus vite que les faits. A l'AFP, 150 personnes travaillent à plein temps pour démystifier les fausses nouvelles. Maria Ressa affirme qu' "une bombe atomique invisible a explosé dans notre écosystème de l'information". Selon la lauréate du prix Nobel, le PDG de Facebook Mark Zuckerberg est un dictateur au même titre que l'ancien président Rodrigo Dutertre qu'elle a combattu aux Philippines. Le journalisme est plus qu'un métier. Il doit être protégé. Je crois fermement qu'une crise est une opportunité.
  • Les gens ne veulent pas payer pour s’informer : 70 % des 20 pays les plus riches du monde paient pour s’informer. Le trafic provenant des réseaux sociaux s’est effondré. Interesser le jeune public est un enjeu clé. Vous pouvez faire de l’excellent journalisme sur YouTube. Il n’est pas forcément nécessaire d’attirer les jeunes vers les médias existants.
  • J’ai toujours eu l’opportunité de faire quelque chose que je n’aurais jamais pensé faire. Il n’y a pas de moment plus stimulant ou plus important pour être journaliste que le nôtre. Je suis devenu journaliste grâce à Nelson Mandela. J’ai grandi en Afrique du Sud et il me semblait impossible d’être journaliste. Mais la société civile se souciait vraiment de ce qui se passait dans le pays. L’humilité m’a toujours frappé lorsque je rencontrais un collègue. J’appréciais vraiment le journalisme qui allait à l’encontre du récit officiel selon lequel « Mandela était un terroriste ». J'ai donc fait une école de journalisme au Royaume-Uni et j’ai appris à devenir journaliste. Un jour, j’ai reçu un appel téléphonique pour travailler à Nairobi. En fait, c’était à Nicosie, une île au milieu de nulle part… Et c’était fantastique! En tant que jeune journaliste, vous ne pouvez pas faire d’erreurs. Tout le monde en fait, mais vous devez assumer rapidement et vous excuser. Je pense sincèrement que le contexte nous a rendus bien meilleurs grâce à cette pression. Nous avons besoin que votre génération reprenne le flambeau !
  • L'IA remet en question le modèle économique et nous ne savons pas quel impact elle aura sur la consommation d'informations. La traduction et la transcription aident les journalistes à mieux travailler. Mais nous apportons de la créativité. C'est notre valeur ajoutée en tant que journalistes. En 2024, le New York Times a remporté un prix Pulitzer avec un travail incroyable où l'IA a beaucoup aidé. Le bureau d'enquête visuelle a imaginé un modèle pour identifier des cratères de bombes dans des zones considérées comme sûres pour les civils à Gaza. Nous utilisons l'IA pour améliorer ce que nous faisons. Cependant, comment ferons-nous du journalisme dans 5 ans ? Je n'en ai absolument aucune idée. 
    Voir la vidéo sur l'IA.
  • Populisme et autocratie : les journalistes subissent une pression immense en Inde, en Amérique latine et aux États-Unis. De nombreux journalistes ont été blessés ou tués l’année dernière en Ukraine, en Russie, à Gaza, au Liban. Nous avons dû évacuer des correspondants et en exfiltrer un autre de Moscou. Un de nos journalistes a été emprisonné pendant 10 jours en Syrie. Nous recevons des menaces de mort tous les jours. Les opposants sont également menacés
  • La magie de l'AFP à sa création, c'était sa prise de recul sur les faits. Depuis internet, nous sommes au cœur de tout, 24h/24. L'idée datait d'avant internet, et aujourd'hui elle est très ambitieuse. Découvrez notre dernière vidéo pour les 80 ans de l'AFP.

Phil Chetwynd est le directeur de l'information de l'Agence France Presse. De nationalité britannique, journaliste professionnel depuis plus de 25 ans, diplômé de l'Université de Wales, à Cardiff, il a fait ses armes dans la presse régionale britannique avant de rejoindre l'AFP en 1996. Son parcours de reporter dans le réseau international de l'AFP l'a mené en poste au Moyen Orient, en Europe et en Asie, ainsi qu'en missions dans une vingtaine de pays, dont l'Afghanistan, le Pakistan, la Corée du Nord, Israël et les Etats-Unis. Il a travaillé entre 2002 et 2012 à Hong-Kong, au siège de la région Asie-Pacifique de l'AFP, en tant que rédacteur en chef régional. Il a aussi occupé le poste de rédacteur en chef central de l'AFP, au siège de Paris.

Légende de l'image de couverture : Phil Chetwynd, directeur de l'information à l'AFP (crédits : Marine Sehan)

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