Maria Ressa: "Que sacrifiez-vous pour la vérité?"

Lundi 13 novembre 2023, l'Ecole de journalisme de Sciences Po et l'Ecole des affaires internationales (PSIA) ont reçu Maria Ressa, prix Nobel de la Paix 2021, à l'amphithéâtre Boutmy, en lien avec les Etats Généraux de l'Information. 

Voici résumée son intervention en quelques citations :

Je m’excuse de commencer par une question difficile, mais « que sacrifieriez-vous pour la vérité ? » J'espère que vous vous posez chaque jour la même question que nous nous posons au sein de notre rédaction chez Rappler. Les Etats Généraux de l'Information sont un moyen de recueillir votre avis et de dire au monde où nous devons aller.

Mon livre "Comment tenir tête à un dictateur" a été publié en novembre 2022, en même temps que la sortie de Chat GPT et permettez-moi de le résumer rapidement : la guerre qui se déroule n'est pas au Moyen-Orient ou en Ukraine. Elle est dans votre téléphone. Vous en faites partie, vous êtes une cible. La démocratie se délite et meurt à petit feu. Cela fonctionne pour vous en tant que citoyen et pour une démocratie de la même façon.

Combien d'entre vous ont essayé d'utiliser Chat GPT ici ? Je vois que 95 % d’entre vous lèvent la main. Si vous avez posté 4 000 fois sur vos réseaux sociaux, le machine learning prendra votre publication et construira un clone de vous-même. Cette base de données permet de nous micro-cibler. Avez-vous dit oui ? Aucun de nous n’est d’accord.

Les mensonges se propagent six fois plus rapidement que les faits. Cela m’épate d’y penser : c’est de la science-fiction. Les grands modèles de langage nourrissent tellement la machine qu’elle essaie d’imiter le fonctionnement de notre cerveau. L’IA générative évolue à un rythme exponentiel. Ce n’est pas pour vous déprimer, j’espère que c’est un défi. Ce modèle économique est basé sur des données. Comment pouvons-nous le combattre ? Avec la modération du contenu, par exemple.

Je n'autoriserais pas mes enfants à aller sur les réseaux sociaux parce que c'est un peu comme l'alcool. Ils sont pensés pour sonder notre cerveau, nos émotions. Si vous pouvez éviter cela, prenez du recul. Parce que le monde réel vaut mieux que le monde virtuel. Mais nous devons aller plus vite car ce qui se passe dans un pays affecte son voisin et ainsi de suite. N’oubliez pas : l’Indonésie, Taiwan, l’Inde, puis les États-Unis auront des élections majeures à venir.

Les foules sur les réseaux sociaux ont bien plus de pouvoir que dans la vraie vie. Et je ne cesse de le répéter : la violence en ligne est une vraie violence. Nous sommes tellement occupés à nous détester.J'ai été inondée par 90 messages haineux par heure. La déshumanisation est le premier pas vers la violence. Lorsque vous dites un mensonge autant de fois qu’il devient la vérité, cela peut changer les faits. Et ce qui est arrivé au Capitole, ou encore avec l’élection de Bolsonaro au Brésil, où les électeurs n’ont pas cru au coronavirus à cause des infox. Nous vivons dans l’absurde. Les populistes qui mentent ont pris l’avantage car leurs messages se propagent très loin. Nous sommes facilement manipulés, alors comment rétablir la confiance ? C'est une question que vous poseront les Etats Généraux de l'Information.