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21.02.2023
Travail, rh et dialogue social : les besoins humains et économiques sont-ils compatibles ?
“Inflation, récession, mutations et transitions”, les 2e Rencontres Engagées de Syndex, en partenariat avec l’École du management et de l’impact (EMI) de Sciences Po, ont eu lieu le 13 février 2023 sous cette appellation qui ferait “un très mauvais titre de film” selon Nicolas Weinstein, membre du comité de direction de Syndex. Le titre d’un film apocalyptique, peut-être, mais en tout cas le symbole des difficultés auxquelles est confronté aujourd’hui le dialogue social en France, au travail comme dans un cadre plus global. L’événement était en effet l’occasion pour le cabinet d’expertise de présenter son baromètre annuel sur l’état du dialogue social en France. Ce dernier a été réalisé en partenariat avec l’Ifop, représenté ce soir-là par Jérôme Fourquet, son directeur du pôle Opinion et Stratégies.
L’événement s’est déroulé en trois temps : une analyse de spécialistes des résultats du baromètre et de ce qu’il révèle des priorités actuelles des salariés, la présentation du travail des étudiants du master RH et gouvernance durable de l’EMI sur trois grands nouveaux enjeux qui touchent le monde du travail et enfin une intervention de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, pour faire le lien entre réforme des retraites et rapport au travail.
POUVOIR D’ACHAT ET RÉMUNÉRATION AU COEUR DES PRIORITÉS DES TRAVAILLEURS
La présentation des résultats du 5e Baromètre Syndex-Ifop est claire : le Covid et l’inflation ont eu un impact certain sur les préoccupations des salariés et de leurs représentants du personnel. Jérôme Fourquet a rappelé que ce baromètre est à ce jour la seule enquête sur un échantillon aussi représentatif de plus de 900 représentants du personnel (s’ajoutant aux plus de 3 500 salariés interrogés). Particularité cette année, des chefs d’entreprise et des responsables des Ressources Humaines (RH) ont été ajoutés au panel quantitatif afin d’analyser si les diagnostics sont partagés par ces différents acteurs du monde du travail.
Premier constat et non des moindres : l’emploi ne figure plus en première position des préoccupations des salariés, ayant cédé la place au pouvoir d’achat et à la rémunération. Cette bascule provoque un certain rééquilibrage du rapport de force qui pourrait être favorable aux représentants du personnel face aux directions.
Le sujet de la rémunération rassemble représentants du personnel et salariés : les deux groupes espèrent obtenir plus de 10 % d’augmentation en 2023 mais ce qu’ils pensent obtenir est proche du réel de 2022, autour de 3,5 %, et de ce que les responsables RH et chefs d’entreprise prévoient d’accorder.
Les représentants du personnel notent un intérêt plus fort pour leur activité de la part des salariés et se sont appropriés les nouveautés réglementaires suite à la mise en place des CSE. Ils affirment globalement peiner à recruter de nouveaux représentants ce qui est une source d’inquiétude.
Enfin, le télétravail, et sa généralisation dans certains secteurs – sans toutefois oublier que seul un tiers des salariés en bénéficie en France – sont très largement appréciés par les salariés mais moins par le reste des groupes interrogés, qui déplorent parmi ses effets une baisse de la cohésion sociale et de la solidarité qui nuirait au dialogue social. Les trois représentants du personnel présents lors de l’événement ont souligné d’autres éléments négatifs à prendre en compte dans le recours au télétravail, comme l’intensification des journées de travail et les risques psychosociaux.
LES ÉTUDIANTS DU MASTER RH ET GOUVERNANCE MÈNENT L’ENQUÊTE
Florent Bonaventure, directeur de l’EMI, a remercié Syndex d’avoir collaboré avec 18 étudiants d’un des masters historiques de l’école et en pleine transition : le Master RH et gouvernance durable. La maquette de ce master a été repensée cette année afin de s’adapter aux nouveaux enjeux environnementaux et sociaux. Répartis en trois groupes, les étudiants ont interrogé trois salariés, trois représentants du personnel et trois directions autour de trois thèmes importants mis en lumière par le baromètre Syndex-Ifop.
Un représentant de chaque groupe étudiant a pris la parole pour présenter les conclusions de leur enquête. Le premier groupe s’est penché sur “la course entre inflation et pouvoir d’achat”, se demandant quelles étaient les solutions pour compenser la perte de pouvoir d’achat, comment fidéliser les salariés dans un contexte d’inflation, et si les solutions devaient s’effectuer au cas par cas ou de façon générale. Ils en concluent qu’il n’existe pas “de solution miracle” et finissent même par se demander s’il est possible “de rendre compatibles les besoins humains et les besoins économiques”.
Le deuxième groupe a abordé le thème des mutations de l’emploi et particulièrement le recours au télétravail dans un contexte de crise sanitaire. Si les risques psychosociaux et la perte de lien collectif sont à nouveau abordés, la possibilité d’une semaine de quatre jours est aussi évoquée. Les étudiants déplorent que le “partage de l’information soit utilisé comme un outil de pouvoir” et sont persuadés que “plus de transparence permettrait une meilleure intégration de chacun”. Quelle forme de dialogue social veut-on dans nos organisations ? Tout serait encore possible…
Enfin, le troisième groupe a approfondi le thème des enjeux environnementaux, qui n’est dans les priorités d’aucun des groupes du baromètre mais qui reste un défi important aux yeux de tous. Les étudiants sont clairs dans leur analyse et celle-ci devrait leur servir dans l’exercice de leurs métiers dans le domaine des RH : il est nécessaire de renforcer la pédagogie sur la question environnementale et d’en faire le “fil rouge” de toutes décisions et discussions. Il est difficile mais nécessaire de montrer par exemple que les décisions en faveur de l’environnement ne sont pas toujours synonymes de décroissance. Il faudrait également s’appuyer sur les expertises de chacun en mettant en place un processus d’intégration de tous dans la réflexion sur ces enjeux. Une inquiétude pointe néanmoins : “comment susciter l’engagement sur les questions d’environnement dans un collectif épuisé par le dialogue social ?”
CONTRE LA RÉFORME DES RETRAITES : UN MOUVEMENT DE DIGNITÉ DU MONDE DU TRAVAIL ?
Laurent Berger a lancé son intervention par un humble “le syndicalisme doit s’adapter à la réalité, aux transformations du travail”, pour ensuite préciser que les mouvements sociaux en cours ne concernent pas que le sujet des retraites mais aussi celui du travail. Il précise sa pensée et affirme que “les gens avaient envie qu’on leur parle du travail”. Pour le secrétaire général de la CFDT, “la fin du film n’est pas écrite” et ce “mouvement de dignité du monde du travail” est déjà une victoire en soi.
L’économiste Camille Signoretto a souligné que la question actuellement la plus mobilisante pour les travailleurs est celle de leur rémunération et conditions de travail. Les syndicats vont donc devoir innover sur les modes de mobilisation. Laurent Berger a évoqué des pistes comme des mobilisations “festives”, des événements le samedi ou encore la création d’unions territoriales de toutes petites entreprises pour toucher les régions qui ont créé la surprise en se mobilisant contre la réforme des retraites comme la Meuse.
Jérôme Fourquet est moins surpris de cette mobilisation régionale, il comprend le désarroi de cette “France qui se lève tôt”, les “premières et secondes lignes du Covid” à qui on avait promis une reconnaissance et qui ont le sentiment de récolter deux ans de plus avant leur départ à la retraite, les comparant à la situation des mineurs quelques années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Laurent Berger conclut sur la nécessité d’accompagner les départs à la retraite, la fin du travail de chaque personne, comme cela est fait dans les pays d’Europe du Nord sur plusieurs années, il est temps “de travailler sur le travail”. C’est l’une des grandes ambitions de l’École du management et de l’impact et de ses étudiants.