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13.10.2023

Entretien avec Jérôme Pélisse, directeur des études en Sociologie

Entretien avec Jérôme Pélisse, directeur des études en sociologie
Portrait de Jérôme Pélisse (crédits : Samia Ben)

Envie de faire une thèse en sociologie ? Discipline phare enseignée dès le Collège universitaire, la sociologie est aussi l’un des piliers de la recherche à Sciences Po. Quelle recherche en sociologie pratique-t-on à Sciences Po ? Comment trouver un sujet de thèse dans cette discipline ? Voici les conseils et les réponses de Jérôme Pélisse, sociologue et directeur des études en sociologie à l’École de la recherche. 

Vous êtes sociologue au Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po. Vos recherches portent notamment sur les thèmes suivants : relations professionnelles, risques et santé au travail, droit du travail, sociologie du droit et de la justice. Qu'est-ce qui vous a amené à vous y intéresser ?

Depuis mes études de sciences sociales (économie, histoire, sociologie) à la prépa B/L, à l’ENS Cachan et à l’Université Paris Nanterre, je me suis toujours intéressé aux activités, organisations et relations de travail. Mon premier travail a porté sur le dirigeant de la principale organisation syndicale des années 1980 en France, et ma thèse était centrée sur la politique de réduction du temps de travail (les fameuses « 35h »). Passant par l’adoption de deux lois, en 1998 puis en 2000, ce thème a été le point de départ de mes travaux sur les conflits et les négociations en entreprise, ainsi que sur la sociologie du droit et de la justice, où j'ai contribué à introduire des travaux américains dans l'espace francophone. Ces deux domaines de spécialisation se sont enrichis grâce à des contrats et recherches collectives sur diverses thématiques liées au travail, notamment les politiques de l’emploi, l'expertise judiciaire, les politiques de santé et sécurité au travail, et bien d'autres. Actuellement, je mène plusieurs enquêtes sur les rapports au droit en contexte pandémique, l'expertise en droit fiscal, le télétravail, les pratiques syndicales, les conditions de travail et la santé des élus. Malgré leur diversité, ces sujets ont tous en commun la question du travail, des organisations et des professions. Ils me permettent de me renouveler et de découvrir de nouveaux mondes sociaux, ce qui constitue selon moi l'intérêt fondamental du travail de chercheur.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Après avoir préparé et obtenu l’agrégation de sciences économiques et sociales en 1998, et passé deux années à travailler pour le Ministère du travail sur la politique de réduction du temps de travail, j’ai mené une thèse de sociologie au Centre d’Études de l’Emploi, soutenu en 2004 à l’Université de Marne la vallée. J’ai ensuite été recruté en 2005 à l’Université de Reims Champagne Ardenne, sur un poste de maître de conférences (MCF) partagé entre l’IUT (Institut Universitaire Technologique, département Techniques de commercialisation) et la faculté de sciences économiques, de gestion et de sciences sociales. En 2010, j’ai été recruté à l’Université Versailles saint Quentin en Yvelines sur un autre poste de MCF auquel était associée une « chaire d’excellence CNRS », qui, grâce à un service d’enseignement réduit pendant 5 ans m’a permis de particulièrement développer mes activités de recherche. J’ai pu notamment organiser un premier séjour aux Etats-Unis de plusieurs mois, d’abord au MIT (Massachusetts) puis à l’Université de Berkeley en Californie. Après avoir passé une Habilitation à diriger les recherches fin 2014, j’ai été recruté comme Professeur des universités à Sciences Po en 2015, et suis devenu membre du Centre de sociologie des organisations (CSO).

Quelles activités conduisez-vous au sein de votre centre de recherche (CSO) ?

Je viens d’évoquer ma direction, co-direction ou participation à des projets de recherche qui, la plupart du temps, impliquent des collègues du CSO mais aussi d’autres centres de recherche, et des jeunes chercheurs et chercheuses (étudiant·e·s, doctorant·e·s). Je me suis sinon occupé du programme doctoral du CSO entre 2016 et 2021, j’ai été membre du conseil du laboratoire entre 2018 et 2022 et j’ai encadré et encadre plusieurs thèses et mémoires de master ou accueillis de nombreux post doctorant·e·s et visiting au Centre de sociologie des organisations depuis 8 ans.

Vous êtes directeur des études doctorales en sociologie et à ce titre, vous accompagnez les travaux des doctorants et doctorantes de Sciences Po. Que vous apporte cette expérience ?

Cette expérience est toute neuve puisque je n’occupe cette fonction que depuis septembre 2023 ! Même si j’ai « tuilé » avec mon prédécesseur, Ettore Recchi depuis le mois de mars dernier. Mais je peux m’appuyer sur mon expérience de responsable du programme doctoral du CSO et l’encadrement d’une dizaine de doctorant·e·s depuis que j’ai été recruté à Sciences Po. Être directeur des études doctorales, c’est s’occuper du master recherche et ces deux promotions de master 1 et de master 2. Et donc gérer de nombreux dossiers : admissions, évolution de la maquette, suivi des étudiant·e·s et des enseignant·e·s, ajustement des modalités de soutenance des mémoires de M2, mise en place d’un comité pédagogique du master intégrant notamment des représentants des étudiant·e·s, pour n’en citer que quelques-uns. C’est aussi suivre les doctorant·e·s et gérer leurs ré inscriptions, imaginer des cours inter semestres, se préoccuper, avec les responsables des programmes doctoraux, les directeurs et directrices de thèse et les représentant·e·s des doctorant·e·s des conditions de formation, de recherche et du devenir de ce travail, intense et formateur, qu’est le doctorat de sociologie à Sciences Po.

Comment accompagnez-vous les étudiantes et étudiants dans leurs recherches ? Que leur conseillez-vous ?

Avec les étudiant·e·s que j’accompagne tout particulièrement – en master ou en doctorat -, j’ai quelques règles simples pour assurer ce suivi : une rencontre toutes les six semaines environ, précédées d’un écrit de la part de l’étudiant·e - de quelques pages à un chapitre -, qui permet d’alimenter les échanges – j’encourage d’ailleurs les étudiant·e·s à produire un compte rendu écrit de ces échanges qui fixe un peu les choses. Mon accompagnement passe par des conseils bibliographiques et méthodologiques, des échanges sur la solidité des raisonnements et des démonstrations, ou les modalités de problématisation. En cours, j’accompagne aussi les étudiant·e·s car, pour valider mes enseignements, je demande souvent un travail personnel ou en groupe (comme réaliser un entretien avec un acteur), qui exige de préciser les attentes et d’énoncer des calendriers, mais aussi de s’adapter aux cas, au fond tous particuliers, des groupes ou des étudiant·e·s.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants et étudiantes voulant faire un doctorat en sociologie à Sciences Po ?

D’abord d’avoir un sujet qui « parle » personnellement, qui intéresse et engage beaucoup car il va falloir vivre (sinon rêver) avec pendant plusieurs années. Ensuite, d’être à la fois méthodique et rigoureux (et du coup d’être attentif aux procédures et aux calendriers pour candidater aux sources de financement indispensable pour se lancer en thèse), mais aussi d’être inspiré, imaginatif et créatif, aussi bien dans le type de données qu’il va falloir produire, analyser et interpréter que dans les méthodes qui pourront être employées pour « faire parler » ces données ou que dans les littératures qu’il faudra explorer et maîtriser. Ces dernières – comme les méthodes d’ailleurs – doivent d’ailleurs aussi être découvertes en passant par l’international, en se demandant toujours comment cela se passe « ailleurs » (tout comme comment cela se passait « avant »). La sociologie à Sciences Po dispose de nombreux atouts de ce côté-ci – notamment des chercheurs et chercheuses très ouverts et connaisseurs de travaux étrangers – et faire une thèse de sociologie à Sciences Po, c’est s’appuyer sur ces ressources exceptionnelles. Enfin, si la thèse est un travail solitaire – notamment au moment de l’écriture -, il est aussi collectif, peut et même doit s’appuyer sur d’autres, le ou la directrice de thèse évidemment (qui sont parfois deux), mais aussi d’autres chercheurs et chercheuses et d’autres doctorant·e·s qui peuvent constituer des supports et des collectifs fondamentaux pour mener à bien ce travail exigeant. Pour finir, il faut aussi savoir pourquoi on veut faire une thèse – et on peut vouloir en faire une pour de multiples raisons, et pas forcément parce qu’on imagine une carrière académique. Notamment car si on veut devenir chercheur et chercheuse ou enseignant-chercheur et enseignante-chercheuse dans le monde académique, il faut aussi savoir que ce ne sera pas facile, et souvent long pour s’insérer dans ce monde professionnel pour y trouver un poste stable.

A propos de l’intégration des doctorants et doctorantes dans les laboratoires : pourquoi les intégrer dans les centres de recherche ? Quels sont les avantages pour eux ?

Les centres de recherche - quatre sont intégrés et représentés au département de sociologie, dont je suis membre du bureau (CRIS, CSO, Medialab et CEE) - sont les environnements naturels les plus évidents pour les doctorant·e·s. C’est là où se forment des collectifs, et où se trouvent des ressources intellectuelles et matérielles pour mener les thèses. Chacun de ces centres développe aujourd’hui une politique en matière d’accueil et d’accompagnement des doctorant·e·s, dont s’occupe un responsable du programme doctoral, avec qui je travaille régulièrement. Les centres ont des axes et des groupes de recherche qui s’appuient sur les activités des doctorant·e·s et constituent des instances fondamentales de socialisation à la recherche. Cela n’interdit nullement des collaborations extérieures, avec des chercheurs et chercheuses d’autres centres de Sciences Po ou d’ailleurs. Mais les laboratoires sont les lieux naturels et premiers où se mènent les thèses, l’École de la recherche de Sciences Po étant aussi là pour gérer administrativement et accompagner, à un second niveau qui est aussi important (formation doctorale, suivi des inscriptions et réinscriptions, financement de missions et autres colloques, organisation des soutenances, etc.), tous ces doctorant·e·s, à la fois étudiant·e·s et chercheurs et chercheuses en devenir qui peuvent en attester les compétences une fois la thèse soutenue.

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