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16.12.2024
Héloïse WIART, Master en Histoire (Promotion 2019)
POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE VOTRE PARCOURS ACADÉMIQUE ? COMMENT EST NÉ VOTRE INTÉRÊT POUR L’HISTOIRE ?
Après trois années en classe préparatoire littéraire, j’ai intégré Sciences Po au niveau du master avec l’objectif de préparer un doctorat en Histoire. Cependant, mes recherches approfondies sur la crise de Chypre de 1974 ont progressivement orienté mon intérêt vers le Moyen-Orient et les enjeux de sécurité internationale. Cette réorientation m’a conduite à poursuivre un second master à l’Université de Georgetown, à Washington DC, où je me suis spécialisée sur les conflits et les crises internationales. Pour moi, l’Histoire n’est pas une simple accumulation de faits figés, mais un outil essentiel, une grille de lecture pour mieux comprendre les dynamiques complexes du monde contemporain. Mon intérêt s’enracine aussi dans une forme de fascination pour les récits humains et le plaisir de la recherche, de la découverte et de l’enquête. Avec le temps que j’ai passé à conseiller des décideurs politiques et à travailler dans différents contextes, notamment en Afrique de l’Ouest et du Centre, et particulièrement le Sahel, et au Moyen Orient, cet intérêt s’est également nourri d’un sens accru de responsabilité envers la mémoire collective. S’engager en un sens à œuvrer pour la préservation et la transmission du passé, pour éviter les dérives de la mémoire sélective et de l’instrumentalisation partisane de l’Histoire.
QUE VOUS ONT APPORTÉ VOS ANNÉES D’ÉTUDES À L’ÉCOLE DE LA RECHERCHE ? QUELS SOUVENIRS GARDEZ-VOUS DE VOTRE ÉCOLE, DE VOTRE PROMOTION, DE VOS ENSEIGNANT·E·S ?
J’en garde avant tout le souvenir de plusieurs années de grande stimulation intellectuelle, dans un cadre international marqué par des conférences fréquentes, des rencontres interdisciplinaires et des échanges enrichissants avec des chercheurs, des décideurs politiques et des experts issus de divers horizons. Ces expériences ont non seulement nourri ma curiosité intellectuelle mais ont également structuré ma réflexion. Je conserve d'excellents souvenirs de l'école et de ma promotion, parmi lesquels certains camarades sont restés des amis proches. Quant à l’École de la recherche, je crois que les choses évoluent dans la bonne direction. Je pense qu’il est essentiel de continuer à ouvrir les portes de la recherche, à favoriser les passerelles entre la recherche et des parcours plus diversifiés. Soutenir les étudiants désireux d’explorer des trajectoires transversales représente à mes yeux un levier fondamental pour valoriser tout le potentiel de cette discipline.
QUEL EST L’ENSEIGNANT·E OU L’ENSEIGNEMENT QUI VOUS A LE PLUS MARQUÉ ?
J’ai été particulièrement marquée par mon cours d’Histoire des relations internationales avec Pierre Grosser. Il nous incitait à questionner les simplifications ou mythes souvent véhiculés dans les récits historiques traditionnels, à interroger les approches dominantes dans l’analyse des grandes crises et des rapports de force internationaux pour éviter une vision réductrice ou eurocentrée des événements.
QUELLE FONCTION OCCUPEZ-VOUS AUJOURD’HUI ?
Après plusieurs années à Dakar (Sénégal), où j'ai mené des recherches sur les trafics illicites au Sahel pour l'Agence des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), je travaille actuellement à Erbil, au Kurdistan irakien, sur des enjeux sécuritaires, politiques, sociaux et économiques, en collaboration avec des agences des Nations Unies, l'Union Européenne, diverses représentations diplomatiques et des organisations non-gouvernementales. En tant que chercheuse freelance, je conseille les politiques publiques et j’accompagne la mise en œuvre de projets humanitaires et de développement international, tout en proposant des analyses approfondies des dynamiques locales et régionales, visant à garantir la pertinence et l'efficacité des interventions.
Actuellement, dans le cadre de mon travail avec l'UNESCO, je participe à un projet emblématique de reconstruction du patrimoine culturel à Mossoul, lancé après la conférence sur la reconstruction de l'Irak au Koweït en 2018. Ce projet vise à réhabiliter des sites historiques et religieux de grande importance, tels que la Mosquée Al-Nouri et son minaret Al-Hadba, ainsi que les églises Al-Tahera et Al-Saa’a, tous gravement endommagés par l'État islamique il y a sept ans. Mon rôle consiste à mener une analyse approfondie du projet de reconstruction, en évaluant le déroulement de l'implémentation avec les contracteurs, les techniques de restauration utilisées, l'efficacité de la formation dispensée à la main-d'œuvre locale. Au-delà de cet aspect très technique, je m’intéresse particulièrement aux mécanismes de consultation avec les décideurs politiques à l’échelle locale et nationale, ainsi qu'avec la communauté de Mossoul. Une dimension essentielle de mon analyse concerne l'impact de cette restauration sur la cohésion sociale, le sentiment d'appartenance et l'identité des habitants de Mossoul, profondément affectés par des années de conflit.
En parallèle, je contribue régulièrement à des journaux francophones et internationaux, où je propose une analyse des dynamiques politiques, sociales et économiques en Irak. Voici quelques liens vers mes articles récents :
QUELLES ONT ÉTÉ LES PRINCIPALES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION DE VOTRE PROJET PROFESSIONNEL ?
Après un passage aux États-Unis, où j'ai collaboré avec des centres de recherche et think tanks sur des questions de politique internationale, j'ai orienté mon projet professionnel en fonction des besoins spécifiques du terrain. J'ai d'abord travaillé au Sahel, abordant des enjeux tels que le trafic illicite et le terrorisme. Par la suite, mon parcours m'a conduit en Irak, une région en transition entre l'aide humanitaire et le développement. J'y ai notamment conseillé le gouvernement irakien sur les lois de compensation pour les Yazidis victimes de Daech. Mes travaux suivants se sont concentrés sur l'analyse des relations entre les communautés tribales et les forces de sécurité dans le sud de l'Irak, en étudiant les facteurs contribuant à l'insécurité, y compris les migrations liées aux changements climatiques. Tout au long de ce parcours, mes priorités ont été influencées par l’émergence de nouvelles crises et une adaptation continue aux besoins des populations dans les zones fragiles, tout en tenant compte des priorités des parties prenantes impliquées, telles que les gouvernements, les organisations internationales et non gouvernementales.
QUELLES ONT ÉTÉ LES CONTRIBUTIONS DE VOTRE FORMATION À LA FONCTION QUE VOUS OCCUPEZ AUJOURD'HUI ?
Ma formation à Sciences Po a été déterminante dans ma politisation. Elle m'a permis de développer une conscience aiguë des enjeux politiques et sociaux mondiaux, et d'analyser les dynamiques de pouvoir qui influencent les décisions publiques. À travers une approche multidisciplinaire, j'ai appris à interroger et déconstruire les politiques publiques, en comprenant leurs implications pour les populations. Ce parcours m’a non seulement préparée à appréhender des questions complexes, mais m’a aussi incitée à m’engager activement dans les processus de transformation sociale, en reconnaissant le rôle clé de l’action politique dans le changement.
« Ce parcours m’a non seulement préparée à appréhender des questions complexes, mais m’a aussi incitée à m’engager activement dans les processus de transformation sociale, en reconnaissant le rôle clé de l’action politique dans le changement. »
Héloïse WIART
Researcher I Policy & Advocacy I Focus on Iraq & MENA
AURIEZ-VOUS UN CONSEIL À DONNER À UN·E ÉTUDIANT·E QUI SOUHAITE S'ORIENTER VERS LE SECTEUR D’ACTIVITÉ DANS LEQUEL VOUS TRAVAILLEZ AUJOURD'HUI ?
Il est essentiel de comprendre que la trajectoire professionnelle est un processus dynamique, influencé par l’évolution des contextes et des opportunités. Bien que la formation académique constitue une base fondamentale, elle n'en est pas le facteur déterminant. En d'autres termes, le simple fait d'avoir suivi tel ou tel master à Sciences Po ne détermine pas directement votre parcours professionnel. Ce qui compte véritablement, c'est de tirer le meilleur parti des ressources offertes par l'institution et d'adopter une démarche proactive. Pour ceux qui souhaitent s'orienter vers le secteur humanitaire, je recommande vivement d'explorer les opportunités d’échanges universitaires ou professionnels à l'étranger, de valoriser les expériences de terrain dans des zones fragiles, et de développer un réseau solide qui pourra être un atout tout au long de leur parcours.