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03.03.2025
Léonard COLOMBA-PETTENG, Master & doctorat en Science politique
POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE VOTRE PARCOURS ACADÉMIQUE ?
J'ai été admis en première année à Sciences Po en 2013. J'ai étudié pendant dix années dans cet établissement avant de soutenir une thèse de doctorat en science politique. J'ai commencé par étudier dans le programme Europe-Afrique du Collège Universitaire qui était encore installé sur le campus parisien. Entre 2015 et 2016, j'ai étudié à University College of London. J'ai découvert une culture universitaire et une pédagogie différentes, un peu plus horizontales et davantage tournées sur les lectures personnelles. De retour à Paris, j'ai intégré le master de Relations internationales de l'École de la recherche de Sciences Po. J'y ai rencontré, entre autres, Bertrand Badie qui a gentiment accepté d'encadrer mon mémoire. Arrivé au terme de sa carrière et ne pouvant diriger une nouvelle thèse, il m’avait conseillé de parler de mon projet doctoral à Christian Lequesne. Je lui ai donc demandé s’il pouvait être intéressé par mon projet de thèse un après-midi de janvier 2018 et, le jour même, il m'invita à venir en discuter avec lui. Je découvrirai rapidement que Christian Lequesne est un directeur de thèse particulièrement réactif - une chose éminemment importante - et qu'il sait toujours se montrer très encourageant !

« Mes années à l'École de la recherche m'ont donné les outils pour mener à bien cette recherche et comprendre les différentes étapes : problématisation, revue de la littérature scientifique, cadrage théorique, collecte des données, interprétation du matériau empirique, structuration de la démonstration, rédaction. »
Léonard COLOMBA-PETTENG
Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Strasbourg
COMMENT EST NÉ VOTRE INTÉRÊT POUR LA SCIENCE POLITIQUE ? QUE VOUS ONT APPORTÉ VOS ANNÉES D’ÉTUDES À L’ÉCOLE DE LA RECHERCHE ?
Mon intérêt pour la science politique est assez lointain. J'avais choisi l'option "Science politique" au lycée et je m'étais beaucoup investi dans cette matière pour laquelle j'avais obtenu la note maximale au baccalauréat ! L'année de mon admission dans le programme Europe-Afrique a été marquée par un regain de l’interventionnisme militaire français. J’avais suivi de près l'actualité autour du déclenchement des opérations "Serval" au Mali, "Sangaris" en République centrafricaine, puis "Barkhane" au Sahel. J'ai intégré l'École de la recherche, en 2016, avec l'idée de consacrer un mémoire à la coopération militaire franco-africaine. En prenant appui sur les outils conceptuels et méthodologiques de la science politique, je voulais réfléchir à la rénovation des accords bilatéraux de défense pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’un des résultats de mon mémoire mettait en évidence la place grandissante de l’Union européenne sur ces questions. La thèse sur laquelle j'ai travaillé, par la suite, au Centre de recherches internationales (CERI) prolonge la réflexion en étudiant la mise en œuvre locale d’un instrument européen de gestion de crise au Sahel. Je me suis rendu à Niamey, Agadez, Bamako et Bruxelles pour interroger et observer les pratiques des diplomates, militaires, policiers et gendarmes européens. Mes années à l'École de la recherche m'ont donné les outils pour mener à bien cette recherche et comprendre les différentes étapes : problématisation, revue de la littérature scientifique, cadrage théorique, collecte des données, interprétation du matériau empirique, structuration de la démonstration, rédaction. J'ai également pu me rendre compte de la manière dont mon champ d'étude est structuré, ce qui est important pour comprendre comment je pouvais situer ma contribution à la littérature scientifique.
QUELS SOUVENIRS GARDEZ-VOUS DE VOTRE ÉCOLE, DE VOTRE PROMOTION, DE VOS ENSEIGNANT·E·S ?
Je garde d'abord le souvenir d'excellentes conditions de travail. Il est important d'être conscient de ce privilège, selon moi, car nous ne sommes malheureusement pas logés à la même enseigne partout en France. Cela passe par des choses a priori triviales mais qui permettent d'avancer très efficacement comme l'accès à un service d'impression presque illimité. Nous avons également des financements qui permettent de nous déplacer dans le cadre de colloques ou d'enquêtes de terrain à l'étranger. Nous disposons aussi d'un catalogue scientifique gargantuesque et nous pouvons trouver de l'aide facilement auprès de bibliothécaires hautement qualifiés. Je pense particulièrement à Michaël Goudoux qui m'a bien aidé. Par ailleurs, l'École de la recherche de Sciences Po a noué des partenariats avec des universités excellentes. C'est grâce à l'un de ces partenariats que j'ai pu effectuer un séjour de recherche de six mois au Département de relations internationales et de science politique de l'Université d'Oxford. Je garde le souvenir d'une grande émulation intellectuelle au sein de ma promotion. Plusieurs d'entre nous ont été admis en doctorat et je me réjouis que nous soyons tous arrivés sains et saufs au bout de nos thèses !
QUEL EST L’ENSEIGNANT·E OU L’ENSEIGNEMENT QUI VOUS A LE PLUS MARQUÉ ?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre car j'ai aimé beaucoup d'enseignements que j'ai eu la chance de suivre à l'École de la recherche. Je reste très impressionné par l'érudition de Pierre Grosser. Voilà quelqu'un capable de vous raconter à peu près n'importe quels événements historiques du XXème siècle dans le monde avec un tel degré de précision que vous finissez par vous demander s'il ne les a pas directement vécus. J'ai aussi été marqué par les enseignements de Guillaume Devin sur la coopération internationale et celui de Bertrand Badie sur le multilatéralisme. J'aimais beaucoup la manière dont ils parvenaient, dans des styles différents, à dérouler progressivement le fil de leurs réflexions de séance en séance. Je pourrais aussi mentionner un enseignement de Frédéric Ramel sur les transformations contemporaines de la guerre : j'ai découvert une façon de penser et une pédagogie iconoclastes. Nous étions notés par le biais d'un examen oral d'une vingtaine de minutes au cours duquel nous devions nous placer dans la peau d'un auteur et répondre à une question d'actualité précise. Nous n'avions que quelques minutes pour nous préparer à cet exercice. Le sujet que j'ai tiré au hasard m'a conduit à incarner Jean-Jacques Rousseau et il m'était demandé d'expliquer "ma" conception du rôle du Parlement français en matière d'engagement des forces armées à l'étranger depuis la réforme constitutionnelle de 2008... L'exercice était périlleux mais stimulant au point que je m'en souviens encore parfaitement bien !
POURQUOI AVOIR CHOISI DE POURSUIVRE EN DOCTORAT ?
J'ai choisi de poursuivre en doctorat car je voulais essayer de travailler dans l'enseignement supérieur et la recherche. L'idée de devenir enseignant-chercheur m'est apparue au cours de mes premières années à Sciences Po. Mes cours favoris étaient ceux qui étaient développés autour de grandes questions de recherche. Je pense, par exemple, à l'enseignement de sociologie politique de l'Afrique contemporaine qui était donné par Richard Banégas dans le programme Europe-Afrique. J'ai aussi été très influencé par mes rencontres : les parents de certains camarades étaient dans le milieu de la recherche et je crois que leur trajectoire personnelle m'impressionnait beaucoup. J'avais déjà l'intuition que je pouvais aimer préparer des cours et transmettre des connaissances. J'aimais aussi l'idée de pouvoir étudier des enjeux complexes, sensibles voire controversés de façon indépendante, en prenant le temps et le recul nécessaires. Faire de la recherche en sciences sociales, c'est une certaine manière de s'interroger sur les problèmes qui traversent la société dans son ensemble et une certaine manière de les étudier avec autant de rigueur, d'honnêteté et de réflexivité que possible. Souvenons-nous que les enseignants-chercheurs font partie des rares corps de la fonction publique qui jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions. Il s'agit même d'un principe à caractère constitutionnel !
VOUS AVEZ RÉCEMMENT REMPORTÉ LE PRIX DE THÈSE DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE, POURRIEZ-VOUS NOUS DIRE DEUX MOTS SUR CE PRIX ?
Le prix de thèse de l'Association française de science politique (AFSP) existe depuis 2007 grâce à un partenariat avec la fondation Mattei Dogan. Il est remis tous les deux ans à quatre docteur(e)s qui ont soutenu leurs thèses au cours des deux années écoulées. J'ai eu le plaisir de recevoir ce prix lors du dernier Congrès de l'AFSP, à Grenoble, aux côtés de trois brillants collègues. Pour postuler à ce prix, il nous était demandé d'envoyer un dossier comprenant une lettre de candidature, un curriculum vitae, le résumé officiel de la thèse, le rapport du jury de thèse et la version intégrale de la thèse. Je pense que la lettre de candidature est le principal levier pour essayer de convaincre le jury étant donné que les autres paramètres ne peuvent plus tellement faire l'objet de modifications à ce stade. Dans cette lettre, j'ai expliqué les raisons qui m'ont poussé à vouloir m'engager dans l'enseignement supérieur et la recherche. Je suis aussi revenu en quelques lignes sur les objectifs de ma thèse et sur ma méthodologie en essayant de mettre en avant l'originalité de mon approche. Enfin, j'ai mentionné ce que la thèse m'a apporté à un niveau plus personnel. Cette recherche m’a permis de découvrir des mondes professionnels et des endroits inattendus au gré d'enquêtes de terrain au Niger et au Mali et de séjours de recherche à l'Université libre de Bruxelles et à l'Université d'Oxford. J’ai aussi eu la possibilité de me rendre à divers événements scientifiques en Écosse, en Espagne, aux États-Unis, au Ghana et en Suisse. Dans tous ces lieux, j'ai pu rencontrer des personnes qui m'ont bien aidé à progresser. Je tenais à le mentionner dans la lettre de candidature au prix de thèse de l'AFSP.
QUELLE FONCTION OCCUPEZ-VOUS AUJOURD'HUI ?
Aujourd'hui je suis Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Strasbourg. J'y enseigne des cours magistraux plutôt généralistes en relations internationales notamment auprès du premier cycle (licence). J'assure aussi des enseignements plus spécifiques dans différents masters sur les pratiques de construction de la paix (peacebuilding) ou sur les groupes d'intérêt et le lobbying. Pour la partie scientifique, je suis rattaché à l'unité mixte de recherche SAGE ("Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe") où j'essaie de trouver le temps de continuer à travailler sur les thématiques liées à la diplomatie, à la sécurité internationale et à la coopération multilatérale entre l'Europe et l'Afrique.
AURIEZ-VOUS UN CONSEIL À DONNER À UN·E ÉTUDIANT·E QUI SOUHAITE POURSUIVRE EN DOCTORAT ?
Je conseillerais à cette étudiante ou cet étudiant de consacrer beaucoup de temps à réfléchir à la façon d'inscrire le parcours doctoral dans un projet d'insertion professionnelle. L'accès aux postes permanents d'enseignants-chercheurs est de plus en plus réduit, faute de moyens. Le chemin pour y parvenir est entouré d'incertitudes et de précarité pour une majorité de personnes. Je ne vois pas de raison de penser que la situation s'améliorera dans les années à venir au vu des coupes budgétaires prévues dans l'enseignement supérieur et la recherche. Cela ne veut pas dire qu'il faudrait renoncer avant d'essayer mais c'est une dimension tellement importante et concrète qu'il faut la garder à l'esprit au moment de se lancer dans l'écriture d'un projet doctoral. Plusieurs outils peuvent permettre de s'informer plus concrètement sur ces problématiques. Un travail très considérable est effectué par les bénévoles du bureau de l'Association nationale des candidat(e)s aux métiers de la science politique (ANCMSP) qui consacrent beaucoup de temps et d'énergie à lutter contre la précarité dans ce milieu. Leur liste de diffusion est particulièrement efficace et reconnue pour son utilité. Enfin, je recommanderais d'écouter assidument le podcast "Dazibao" produit et réalisé par Marjolaine Guillemet. Chaque épisode est une occasion de découvrir le parcours d'un jeune chercheur ou d'une jeune chercheuse (en master, en thèse ou en postdoctorat). Au-delà de la diversité des thématiques de recherche, ce podcast permet de comprendre les différentes possibilités de financements de thèse et les difficultés concrètes avec lesquelles nous devons composer.
Thèse
« Décentrer l’étude de la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne : ethnographie de la mission de renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure du Niger (EUCAP Sahel) », sous la direction de Christian Lequesne.