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15.01.2023
"Savoir allier la raison et la passion..."
Envie de faire une thèse en histoire ? Discipline-phare enseignée dès le Collège universitaire, l'histoire est aussi l’un des piliers de la recherche à Sciences Po. Quelles recherches en histoire pratique-t-on à Sciences Po ? Comment trouver un sujet de thèse dans cette discipline ? ... Les conseils et réponses de Marion Fontaine, professeure des universités à Sciences Po en histoire, rattachée au Centre d’histoire de Sciences Po et directrice des études en histoire.
Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai étudié l’histoire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où j’ai soutenu ma thèse en 2006. Celle-ci portait sur les relations entre sport (football), identité politique et identité sociale dans le monde des mineurs de charbon, de leur apogée à la crise et à leur disparition.
Je n’avais pas à l’origine envisagé de faire de la recherche en histoire mon métier, j’avais plutôt songé, comme beaucoup, au journalisme et à l’édition. Mais la fréquentation de l’histoire et des sciences sociales, telles qu’elles se font en pratique, le plaisir du terrain et des archives, et tout simplement le hasard des rencontres et des amitiés intellectuelles ont fait que j’ai finalement choisi de m’engager dans cette voie.
Après la thèse, j’ai enseigné comme agrégée dans le secondaire, avant d’avoir un poste à l’Université d’Avignon. J’ai beaucoup aimé ces années méditerranéennes qui m’ont permis de découvrir d’autres terrains, que j’ai explorés notamment dans le cadre de ma délégation à l’Institut Universitaire de France (IUF). J’ai eu aussi l’occasion d’expérimenter un autre aspect – important – de ce métier, à savoir la direction d’une structure de recherche (le Centre Norbert Elias, laboratoire interdisciplinaire de sciences sociales).
Après la soutenance de mon habilitation à diriger des recherches en 2021, j’ai posé ma candidature pour le poste de professeur qui s’ouvrait alors à Sciences Po, institution où je retrouvais des collègues que je connaissais bien, et avec lesquels j’éprouvais des affinités intellectuelles pour construire un projet collectif.
Quelles activités de recherche menez-vous au sein du Centre d'histoire ? Qu'est-ce qui vous a amené à vous y intéresser ?
J’ai l’habitude de dire, en plaisantant à demi, que je travaille avant tout sur des domaines qui ont pour point commun aujourd’hui de s’effondrer, ou d’être profondément en crise. Ce n’est bien sûr pas vrai pour le football ! Mais le reste de mes recherches, qui concernent l’histoire des mondes ouvriers et des sociétés industrielles au XXe siècle, ainsi que l’histoire du socialisme, au sens très général du terme, correspondent assez bien à cette définition. La mine et le charbon, la « classe ouvrière », le socialisme… Autant de mots et de réalités qui peuvent paraître éloignées des préoccupations de notre XXIe siècle. Mais en réalité elles ne cessent de hanter notre présent, et c’est bien cette conviction qui me guide dans mes recherches. Celles-ci peuvent s’adosser par ailleurs aux profonds renouvellements théoriques survenues ces dernières décennies (en histoire sociale, en histoire environnementale, sur la question des identités), et qui permettent d’éclairer tous ces objets sous un nouveau jour.
Au Centre d’histoire, je m’occupe en particulier en ce moment d’un important projet international «Deindustrialization and the Politics of Our Time [DEPOT] ». Ce projet rassemble les chercheur.e.s de six pays, en Europe et en Amérique du Nord. Il vise à étudier les formes de désindustrialisation contemporaine, dans une perspective résolument transnationale et de comparaison internationale, ce qui manque souvent dans l’approche de ces phénomènes. Il a également pour objectif de saisir la désindustrialisation sous l’angle de ses effets politiques (marginalisation, crise des collectifs, dans certains cas, montée du nationalisme). Les événements de ces dernières années nous font penser que ce travail peut non seulement être fécond du point de vue intellectuel, mais éclairer un certain nombre de débats majeurs dans l’espace public.
Vous avez été nommée à la rentrée dernière directrice des études doctorales en histoire. En quoi est-ce intéressant d'accompagner les étudiant·e·s ?
C’est plus qu’intéressant, c’est un travail tout à fait passionnant ! Classiquement, et comme tous mes prédécesseurs, ce que j’aime avant tout c’est le contact direct avec les étudiant·e·s.
C’est très gratifiant de les accompagner et de voir éclore des trajectoires de chercheur.e.s ou de voir les étudiant.e.s, sur la base de ce qu'ils ont appris par la recherche, partir vers d'autres horizons.
Avec les masterant·e·s, il s'agit, avec l'ensemble des collègues du Centre d'Histoire, de les accompagner dans leur première expérience de la recherche en histoire et dans l'élaboration de leur sujet de mémoire. C'est un moment important pour eux et pour nous. C'est un moment aussi qui leur permet de savoir s'ils souhaitent poursuivre dans la voie de la recherche, ou si, sur la base de toutes les expériences qu'ils auront faites dans le cadre du master, ils souhaitent suivre d'autres pistes, dans le domaine culturel, dans les médias, dans l'administration ou dans d’autres entreprises. Le master en histoire apporte nombre de compétences et peut mener à beaucoup de voies très diverses !
Et avec les doctorant.e.s, leurs sujets de recherche, par leurs questionnements, par leurs initiatives m’apportent aussi beaucoup : c’est véritablement un échange.
Les tâches administratives peuvent paraître plus rébarbatives, mais elles ont aussi un intérêt et permettent de mieux appréhender aussi bien l’institution Sciences Po que les évolutions du doctorat et de la recherche à l’échelle nationale et internationale. On est aussi aidé par une formidable équipe administrative, qui facilite grandement notre tâche !
En bref, tous les aspects sont intéressants, et je suis très heureuse d’occuper cette fonction.
D’après-vous quelles sont les clés pour bien réussir son doctorat ?
Il y a tout d’abord le choix d’un sujet qui soit à la fois suffisamment ambitieux, et réaliste (notamment en matière d’accès aux archives) et d’un directeur / directrice de thèse. Ce sont deux éléments fondamentaux pour la réussite du doctorat, et auxquels il faut bien réfléchir en amont.
Il y a des clés intellectuelles bien sûr : savoir s’organiser, avoir le goût des archives et de l’écriture, sans lequel rien n’est possible, avoir le goût du débat aussi. En doctorat, on n’apprend plus l’histoire comme un savoir académique stabilisé ; on fait de l’histoire, en tenant compte des évolutions et des remises en cause propres à tout savoir scientifique.
Il y a d’autres éléments important s : le doctorat en histoire n’est pas cet exercice solitaire que l’on présente parfois, il a au contraire une dimension profondément collective : dans les échanges au sein du Centre d’Histoire, dans le contact avec les collègues, dans la participation aux séminaires et aux colloques. C’est une dimension majeure à laquelle il faut être très attentif. En même temps, le doctorat est le temps de l’autonomisation intellectuelle et de la construction de sa trajectoire académique Cela ne va pas sans incertitudes. Mais il faut bien se dire que c’est tout à fait normal, et que les encadrant.e.s, et en général toute l’équipe des études doctorales sont attentifs à ces moments !
Pourquoi intégrer les doctorant·e·s au sein du Centre de d’Histoire ? Quels avantages en retirer ?
Nous considérons les doctorant·e·s non plus exactement comme des étudiant.e.s, mais comme des chercheur·e·s en devenir. Il est donc tout à fait normal et légitime qu’ils et elles soient intégré·e·s à part entière au Centre d’Histoire. Cela leur donne accès aux nombreuses ressources du Centre (bureaux partagés, aide administrative, etc.). Mais, plus important encore, cela leur permet de côtoyer et d’échanger directement, dans le cadre des séminaires, des rencontres que nous organisons, avec les chercheur.e.s du Centre, comme avec les très nombreux invité·e·s. Il y a là une diversité de profils, de méthodes et de contacts, qui est très bénéfique pour les doctorant·e·s.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiant·e·s voulant faire un doctorat en histoire ?
savoir allier la raison et la passion
Outre les éléments que j’ai déjà mentionnés plus haut – le choix du sujet et de l’encadrant·e – je pense que l’essentiel, dans le contexte actuel, est de savoir allier la raison et la passion. Le monde académique est de plus en plus divers, internationalisé, sélectif aussi, ce qui ne veut pas dire qu’il est inaccessible ! Il faut donc être réaliste et relativement souple, et savoir que vos projets peuvent être amenés à évoluer au cours du doctorat (c’est le côté raisonnable). En même temps, la recherche est un métier de passion : il ne faut l’entreprendre que si c’est vraiment cela dont vous avez envie (le master sert en général à tester cela). Si c’est le cas ensuite, lisez (beaucoup), explorez, ne craignez jamais d’explorer de nouvelles pistes ou de nouvelles questions, et surtout conservez la part de plaisir intellectuel dans ce que vous faites, et vous verrez que c’est un très beau métier !
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Photo : Marion Fontaine - Crédits : Alexis Lecomte
[Janvier 2023]