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02.05.2024

Masterclass 3 : La Fabrique des transitions écologiques et sociales

Au deuxième semestre, les étudiants du Master Cycle d’urbanisme ont l’opportunité de suivre une série de masterclass intitulée « La Fabrique des transitions écologiques et sociales ». Ces masterclass sont spécialement conçues pour explorer des sujets peu ou moins abordés dans le reste du cursus académique et répondent ainsi aux attentes des étudiants qui souhaitent approfondir leur compréhension des enjeux émergents et des solutions novatrices dans les domaines de l'écologie et des transitions sociales.  

Dans le cadre de ces sessions, les étudiants doivent produire des compte-rendu qui incluent notamment des interviews des intervenants. En documentant ces échanges avec des experts, les élèves contribuent à la mission du Lab de l’École urbaine, à savoir la co-production et la de diffusion de connaissance publiques pour les villes, les territoires, et leurs acteurs. 

Masterclass 3 : Villes et paysages alimentaires

   

Animée par Constance de Alexandris, alumna du Master Cycle d'urbanisme, fondatrice de Ecoceaty

Durant une quinzaine d’année, Constance de Alexandris a travaillé dans la direction de projets immobiliers au sein de différentes structures de promotion et de maîtrise d’ouvrage à Paris et Marseille.

En parallèle, son intérêt pour les questions autour d’une alimentation durable a d’abord été personnel. Au fil de ses découvertes et de ses rencontres, cet intérêt a évolué vers un engagement citoyen au sein d’un réseau d’épiceries solidaires puis vers la création d’Ecoceaty afin d’intervenir concrètement sur les enjeux de transition et de démocratie alimentaire.

Encore présents et exploités dans certains territoires franciliens (Champs-sur-Marne, Aubervilliers), les jardins ouvriers ont une fonction sociale, économique et alimentaire. Que pensez-vous de ces espaces dans leur forme actuelle ? Y-a-t-il un enjeu à ce que les bailleurs sociaux et les villes confortent cette forme d’agriculture populaire ?

A l’heure où de nombreuses opérations urbaines disposent de leur potager, il est amusant de rappeler qu’il y a encore 50 ans, en particulier dans les villes ouvrières, les règlements de lotissement interdisaient l’aménagement de tels espaces, alors associés à une certaine pauvreté. Cette forme d’agriculture urbaine était alors perçue comme une « modernité inachevée ». 
Le regain d’intérêt pour les potagers est donc une bonne nouvelle, dès lors qu’on en attend ce qu’ils sont à même de donner : un support de sociabilisation et d’éducation, un espace végétalisé contribuant à diminuer les ilots de chaleur et à retisser du lien vers le monde agricole.

Il faut néanmoins rester raisonnable sur les aspects productifs ou économiques. Lorsque l’on sait que le revenu annuel moyen des maraichers est d’environ 13.000 euros (étude INSEE 2021) pour une activité de production sur des surfaces agricoles de plusieurs hectares. Il serait illusoire de penser que les jardins ouvriers ou même des surfaces agricoles de plusieurs milliers de mètre carrés ont une fonction économique. 
Comme l’a montré l’excellente étude d’Anne Cécile Daniel (Fonctionnement et Durabilité de micro fermes urbaines), les revenus de la plupart de ces micro fermes reposent sur des subventions (entre 40 et 70% selon les modèles) et une activité complémentaire au maraichage telle que l’insertion, culture, accueil des scolaires… cette activité pouvant contribuer jusqu’à 60% au budget de la micro ferme.
Bref, la part de la production agricole représente entre 2 et 49% des revenus d’une telle ferme.
D’une manière générale, la question des revenus agricoles tirés de l’activité du maraichage est bien évidemment liée à la surface cultivée (qui reste contrainte en ville) mais aussi aux variétés et segments de clientèles associées (bien plus valorisées lorsqu’elles s’adressent à des chefs étoilés par exemple).

Mais pour en revenir aux jardins offerts aux habitants, ils ont un effet bénéfique évident : pour certains, ces jardins permettront une petite production pour de l’autoconsommation, et pour la plupart, ils auront une fonction davantage récréative.
Pour toutes ces raisons, les bailleurs sociaux et les villes doivent intégrer ces espaces dans la conception des projets urbains. Ils doivent aussi penser à la montée en compétence des habitants sur la pratique du jardinage et enfin, assurer l’animation de ces espaces, à minima sur les premières années qui suivent leur création, pour garantir leur totale appropriation. 
 

La loi Egalim a introduit l’obligation pour les cantines scolaires de proposer au moins 50% de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques. Cette approche vous semble-t-elle pertinente pour accompagner la transition alimentaire des territoires ? 

Tout ce qui contribue à sensibiliser la chaine d’acteurs aux labels de qualité et une alimentation durable d’une manière générale est positif.

Néanmoins, il faut garder à l’esprit les points suivants :
- Même s’il est difficile d’avoir des chiffres fiables, on peut affirmer que ces deux obligations sont loin d’être remplies. D’une part parce que les petites communes n’ont pas forcément les ressources pour suivre le respect de ces obligations et d’autre part parce que, lorsque la restauration est déléguée à un prestataire privé, il est très difficile de s’assurer du respect de ces obligations contractuelles. 
- La restauration collective ne représente que 4% de la consommation alimentaire des ménages français (Étude FranceAgriMer – 2018) A titre d’exemple, en 2016 la Fédération des fruits et légumes du Languedoc-Roussillon a estimé que la totalité des repas en restauration collective (écoles, maisons de retraites, hôpitaux, crèches…) de la région ne représentait que 2 % des salades et 1 % des tomates ou des melons, qui y étaient produits.
- Le code des marchés publics auquel sont soumis les collectivités interdit d’exiger une origine française ou régionale ou encore de valoriser cette origine lors de la sélection des offres pour des marchés de restauration collective. Dans ces conditions, la loi EGAlim ne permet pas de cibler des produits locaux et de participer ainsi à la structuration des filières locales.
- Enfin, la lourdeur des démarches administratives peut représenter un frein pour les petits producteurs lorsqu’il s’agit de répondre à des marchés pour approvisionner les cantines locales.
Les directeurs de cuisine centrales et les producteurs trouvent bien sûr des solutions pour contourner ces deux derniers écueils mais cela nécessite une forte motivation des acteurs.
La transition alimentaire des territoires repose donc bien davantage sur les habitudes alimentaires de chaque habitant. 
Lorsque l’on sait que 70% des achats alimentaires des Français se font dans les enseignes de grande distribution (source : FCD, 2019, Évolutions du commerce et de la distribution, faits et chiffres 2019), on peut se dire que ces enseignes ont aussi un rôle à jouer dans cette transition.
 

Et enfin, une question que nous posons à l’ensemble des intervenants des Masterclass cette année : Quelles ont été les principales questions ou préoccupations soulevées par les étudiants au cours de votre Masterclass ?

Dans le prolongement de la précédente question, les étudiants sont en grande partie préoccupés par la responsabilité des collectivités – en particulier des métropoles – sur les questions de soutien et de structuration des filières locales.

Cette question est évidemment cruciale pour la résilience alimentaire des territoires. Néanmoins au-delà de l’organisation des flux et de la possibilité pour ces produits d’être commercialisés via les marchés locaux et la restauration collective, il faut également poser les questions de la juste rémunération du producteur et de l’accès pour tous à une production locale et de qualité.

Ces différentes questions aboutissent à une forme de « triangle d’incompatibilité » (formulé initialement par l’économiste canadien Robert Mundell dans les années 60). En effet, comment concilier :
- Une production agricole locale et durable
- Une valorisation de cette production qui rémunère dignement le producteur 
- Une production qui soit accessible à tous économiquement (et pourquoi pas géographiquement !).
Sans l’intervention des acteurs publics, ce triangle reste insoluble. 
A Marseille, l’association « Les Paniers Marseillais » propose une alternative commerciale en circuit court à une cinquantaine de producteurs dont une dizaine de maraichers locaux en agriculture biologique et à près de 5000 personnes provenant d’une quarantaine de quartiers de Marseille. Avec le soutien d’associations locales et de la Métropole Aix Marseille, Les Paniers Marseillais ont mis en place une distribution de paniers bio au prix de 3 € au lieu de 18 € pour les familles adressés par le Secours populaire dans différents quartiers de la ville.
Mais cela reste encore trop anecdotique compte tenu de l’importance de l’insécurité alimentaire vécus par les habitants de cette ville. 
Pour disposer d’un réel impact, on en revient donc à la question du rôle des centrales d’achat (Super U, Auchan, Carrefour, Casino, Leclerc, Intermarché) dans cette nouvelle donne ! Certains Projet Alimentaire de Territoire (PAT) commence à explorer des partenariats avec ces centrales pour travailler sur la visibilité et l’accessibilité de ces produits. Je suis sincèrement convaincue du potentiel de tels partenariats pour travailler sur ces enjeux. 

Propos recueillis par les étudiants du Master Cycle d’urbanisme : Emmanuel Carpentier, Charlotte Le Moigne, Yasmine Madouche et Margaux Saint-Paul.

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