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18.11.2022

Portrait de diplômé : Raphaël Bonet

Après un bachelor à Sciences Po et une troisième année au University College de Londres, Raphaël Bonet a intégré la première promotion de notre Double diplôme Comparative Urban Governance avec le Colegio de México. Rencontre avec cet ancien élève, diplômé fin 2020, qui travaille aujourd’hui à mobiliser des logements pour accueillir les personnes sinistrées par la guerre en Ukraine.

Quel emploi occupez-vous actuellement ?

Je suis coordinateur régional à SOLIHA Ile-de-France, depuis un peu plus d’un an. J’interviens auprès des associations franciliennes du mouvement Solidaires pour l’Habitat (SOLIHA), en les appuyant dans les partenariats et dispositifs régionaux que nous portons pour l’accès et le maintien dans l’habitat. Dans le domaine de la réhabilitation accompagnée d’abord, qui englobe à la fois l’accompagnement à la rénovation énergétique et l’adaptation des logements au handicap et au vieillissement. Et dans le domaine du logement ensuite, dans lequel nous intervenons en aidant à reloger des familles dans le cadre d’opérations de lutte contre l’insalubrité, en assurant des maîtrises d’ouvrage d’insertion (MOI) pour créer des places de logement très social, ou en assurant une gestion locative adaptée pour les familles que nous accompagnons via une intermédiation locative. >Le langage est technique, mais il s'agit plus simplement d'accompagner les particuliers à réfléchir leur projet de rénovation ou d'adaptation, en les aidant à appréhender les besoins techniques qu'ils ont, et à mobiliser les aides financières auxquels ils ont droit ; et d'aider nos partenaires publics à garantir un meilleur accès au logement, pour les personnes non ou mal logées.

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

La coordination régionale dans le monde associatif est une fonction hybride, qui implique d’intervenir entre le suivi opérationnel et la prospection institutionnelle, et en œuvrant avec et pour des structures dont on ne fait pas formellement partie. On a parfois l’impression d’être tiraillé entre deux parties, mais c’est précisément l'ambiguïté du poste qui fait sa liberté et sa richesse, et qui me donne un regard transversal et complet sur un monde complexe comme celui des associations.

SOLIHA s’est spécialisé au cours de ses 80 années d’existence dans le domaine complexe et polymorphe du parc privé, qui échappait historiquement au champ de l’action publique, et qui s’impose aujourd'hui comme un élément essentiel des stratégies d’aménagement urbain et de planification. Je ne rencontre pas seulement des acteurs du logement. J’aime également la diversité des tâches, des compétences et des interdépendances qui me sont données à voir, et sur lesquelles se construit très concrètement l’action sociale et la notion de service social d’intérêt général. C’est cette richesse qui m’amène, un jour, à contribuer à l’aide au retour à domicile après hospitalisation, et un autre à m’engager pour mobiliser des logements pour accueillir les personnes sinistrées par la guerre en Ukraine. En tant que prestataire de services sociaux d’intérêt général, les associations SOLIHA et le monde associatif dans son ensemble opèrent en effet comme un laboratoire de l’action sociale.

Quels sont les enjeux principaux de votre travail au sein de SOLIHA ?

Mon expérience encore limitée ne me permet pas d’avoir un avis tranché sur la question, mais je dirais que coordonner c’est partir de l’existant, accepter l’existant, pour essayer de s’adapter aux nouveaux scénarios.

Dans le cas de l’accueil des réfugiés ukrainiens, ou plutôt de l’ensemble des sinistrés par la guerre en Ukraine, l’enjeu est donc de comprendre comment l'intermédiation locative, qui est d’abord une réponse donnée aux problèmes que rencontrent les familles vulnérables de notre région pour accéder aux parc public et privé, peut être déclinée comme un outil utile pour accueillir des familles qui n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes ressources, les mêmes parcours. Plus concrètement, cela implique de définir, concrétiser et réadapter un outil déjà rodé, avec un ensemble d’acteurs qui n’ont pas forcément eu l’habitude : des opérateurs nouveaux, des propriétaires qui sortent du cadre habituel de la location solidaire, etc. C’est ensuite à partir des limites observées que peuvent être réfléchies les nouvelles pistes.

Quelle est la situation actuelle, après plus de huit mois de conflits ?

Comme chacun sait, le conflit s’est enlisé depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février et il est impossible d’anticiper la sortie de la guerre et les conditions dans lesquelles elle aura lieu ; mais les dégâts matériels sont massifs et la reconstruction du pays sera très longue, au point que Olaf Schölz a déjà appelé de ses vœux la mise en place d’un “plan Marshall” pour reconstruire le pays.

La France n’est pas le premier pays d’accueil des personnes sinistrées par la guerre et nous n’accueillons aujourd’hui que 105 000 personnes, pour près de 1,4 million de personnes en Pologne, 1 million en Allemagne ou 430 000 en République Tchèque. C’est à peine 3% de l’effort européen, ce qui fait de nous le sixième pays, derrière l’Espagne ou l’Italie. Il n’en reste pas moins vrai que les personnes accueillies ont vocation à rester pour une durée indéterminée, ce qui implique de réfléchir à leur insertion linguistique, professionnelle et sociale… et notamment à leur logement.

Dans quel contexte s’inscrit la mise en place de ce dispositif ? Quelles actions ont été portées par l’Etat jusqu’à présent ?

Lorsque les premiers sinistrés ont commencé à arriver sur le territoire, l’Etat a d’abord ouvert des structures d’hébergement collectif, tout en faisant appel à la solidarité des citoyens. Une plateforme de recensement des propositions d’hébergement a été mise en place, et une grande partie des réfugiés est actuellement accueillie chez des particuliers : c’est grâce à cette mobilisation spontanée que les personnes sinistrées ont pu être accueillies sur notre territoire depuis le mois de mars. Malheureusement, cette modalité d’hébergement s’avère complexe à pérenniser dans la durée : une aide financière est en cours de mobilisation pour aider les hébergeurs qui ont accueilli des familles pendant plus de trois mois, mais les personnes hébergées ont besoin de retrouver une autonomie pour avancer dans leur insertion. Aujourd’hui, le risque est donc la “décohabitation” et le retour de certaines familles vers des structures d’hébergement, alors que des places vont devoir fermer d’ici la fin de l’année.

L’Ile-de-France est une région plus que tendue qui centralise la plupart des arrivées alors que le parc y est plus demandé et plus cher. Il a été décidé de répondre à ce problème en orientant vers d’autres départements toutes les personnes qui n'avaient pas encore d’attache médicale, scolaire ou professionnelle qui exige de rester dans la région, mais les actions de “desserrement” conduites dès le printemps par la DGEF (Direction générale des étrangers en France) ont seulement permis d’orienter 5 000 déplacés d’Île-de-France, d’après l’Assemblée nationale. Par ailleurs, il fallait en tout état de cause proposer des logements à toutes celles et ceux qui doivent et souhaitent rester dans les départements franciliens.

L'intermédiation locative (IML), qui se base sur le recours à un tiers agréé pour louer le bien à la place de la famille et assurer l’accompagnement social, a donc été mise en place pour assurer la deuxième étape de l’accueil, c’est-à-dire la pérennisation et l’inscription dans la durée. En effet, la mobilisation d’un intermédiaire associatif qui loue directement un logement du parc privé permet de proposer un logement autonome aux familles qui ne pourraient pas accéder seules au marché locatif privé, tout en garantissant un accompagnement social pour l’accès aux droits, l’apprentissage du français, la recherche d’un emploi, etc.

Comment fonctionne ce dispositif ? D’où vient l’idée de le mettre en place ?

Malgré la multiplicité d’acteurs, le fonctionnement de l’IML Ukraine est assez simple car il s’agit en quelque sorte de croiser une offre et une demande de logement. Du côté de la demande, des opérateurs “pivots” s’occupent de recenser l’ensemble des personnes qui sont actuellement hébergées chez des particuliers ou dans des structures d’hébergement collectif, et de recenser les nouveaux arrivants. S’il y a un risque de décohabitation parce que les relations se compliquent, ou que les structures collectives arrivent à saturation, il s’agit alors d’orienter les personnes vers le dispositif. Du côté de l’offre, SOLIHA s’occupe d’abord de recenser les propositions de logement faites par des bailleurs privés ou institutionnels, puis d’en contrôler la décence et la sécurité pour le transmettre à l’association gestionnaire qui s’occupera de signer le bail avec le propriétaire et d’assurer l’accompagnement du ménage. Cité Caritas, Equalis, Croix Rouge, Emmaüs…il y a une douzaine d’associations bénéficiant de l'agrément IML, qui sont mandatées localement par la DRIHL (Direction régionale et interdépartementale de l'Hébergement et du Logement) ou les DDETS (Directions départementales pour le territoire, les solidarités et l’emploi) pour louer les logements aux bailleurs et accompagner les ménages.

Pour ce qui est de la genèse du dispositif, l’instruction ministérielle du mois de mars [définissant les modalités d’accueil des réfugiés ukrainiens] a immédiatement identifié le recours à des tiers agréés car il a déjà fait ses preuves à travers le territoire, depuis son développement dans les années 90. Les expériences de SOLIBAIL et de Louer Solidaire ont d’ailleurs été particulièrement fructueuses dans notre région, et elles permettent de mobiliser plus de 8 000 logements pour des jeunes ou des familles sorties de structures hôtelières ou d’hébergement, ou qui suivent des parcours d’insertion.

Dans la lignée du travail que portent depuis plusieurs années la DRIHL et l’AFFIL (Association Francilienne pour Favoriser l’Insertion par le Logement), il nous a par ailleurs semblé indispensable de combiner l’intervention au sein du parc privé avec des interventions dites d’habitat “intercalaire”, qui consistent à optimiser la durée de vie des bâtiments à usage habitationnel qui ont été totalement ou partiellement vidés, par exemple avant une opération de rénovation importante. Politiquement, il n’est pas possible en Ile-de-France de favoriser l’accueil des uns au détriment du droit et de l’attente des autres, d’où le besoin de trouver de nouvelles solutions de ce type.

Quelles sont les difficultés rencontrées ? Quelles solutions sont envisagées ?

A l’heure actuelle, nous avons pu mobiliser près de 300 logements, et plus d’une centaine de familles sont installées ou en cours d’installation - ce qui n’est pas suffisant pour répondre aux besoins, mais reste satisfaisant.

Le problème est néanmoins lié à la réalité du marché locatif en Ile-de-France, et à la difficulté de mobiliser des logements privés. Alors que nous accueillons 40% des réfugiés arrivés en France, conjointement avec l’autre région tendue qu’est la région PACA, nous avons besoin de relancer l’élan de solidarité et de trouver de nouvelles offres. Pour ce faire, nous avons besoin d’arriver à sensibiliser les propriétaires franciliens, alors que le marché locatif est traversé par une vague de fond suite à l’entrée en vigueur de la loi Climat et résilience et que la crise ukrainienne suscite moins d’engouement ; mais aussi les partenaires institutionnels et les bailleurs sociaux à même de mobiliser leur parc. Le besoin est simple : des logements entiers et autonomes, disponibles au moins huit mois et situés en Ile-de-France.

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