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01.03.2023

Projet RER V : quelle gouvernance pour la construction du Grand Paris Cyclable ?

Nous tenons à remercier Béatrice Milan, Directrice de projet adjointe T11 Est Ouest chez SNCF Réseau, pour avoir accepté de partager et de résumer son mémoire réalisé dans le cadre de l’Executive Master Gouvernance territoriale et développement urbain et soutenu en juin 2022.

Quel est le sujet traité par le mémoire ? Pourquoi est-ce un sujet d'actualité et un enjeu pour la gouvernance territoriale ?

La crise sanitaire a été pour moi, comme pour beaucoup, l’occasion d’expérimenter le vélo dans mes déplacements quotidiens. Francilienne de souche devenue parisienne adepte du “sans voiture”, et travaillant pour un des opérateurs historiques de la mobilité ferroviaire, j’ai souhaité approfondir les conditions de réussite de l’intégration du mode cyclable dans le tissu urbain et périurbain francilien au sens large, à travers un véritable projet d’envergure, tel que le RER V ou RER Vélo.

Adopté par la Région Ile de France en avril 2020, dans un contexte particulièrement porteur pour préparer la transition vers des mobilités décarbonées, le projet démarre avec de sérieux atouts pour – enfin - concrétiser un réseau cyclable qui permettra de quadrupler la part modale du vélo d’ici 2030. Programmé à partir d’une large concertation en amont avec la société civile et fondé sur un cahier des charges ambitieux issu des expériences réussies venues du Nord de l’Europe, il bénéficie d’un financement régional facilité tout en conservant des marges de manœuvre intéressantes pour sa conception, son phasage et sa gouvernance.

Aussi, lorsque l’exercice du mémoire professionnel s’est présenté à l’été 2021, ce projet m’est effectivement apparu comme un terrain de jeu particulièrement riche car au carrefour de plusieurs enjeux d’actualité entre opportunités post-crise COVID, étendue de la Zone à faible émission à l’échelle de la métropole du Grand Paris et maturation des transferts de compétences territoriales.

Avec l’ambition de « Dépasser le millefeuille administratif francilien comme cela a été fait pour les grandes infrastructures routières et de transports en commun »>, la question de la gouvernance est rapidement identifiée comme une clé de la réussite d’un tel projet. Mon expérience professionnelle au sein de différentes entités de maîtrise d’ouvrage pour des grands projets d'infrastructures ferroviaires a attisé mon intérêt pour un projet en rupture et m’a donné envie d’approfondir les modalités de pilotage de la construction d’un réseau cyclable « sans couture » dans la complexité des découpages franciliens.

Comment avez-vous mené votre recherche ?

Convaincue que la réussite d’un projet tient aussi à son opportunité, je me suis d’abord attachée à cerner les atouts de démarrage du projet, aussi bien historiques, contextuels que législatifs. Un focus particulier sur la région Ile de France a ensuite permis de mettre en regard le terreau fertile de ce territoire pour le projet et la complexité de sa gouvernance vélo.

Qui dit expérience vélo en Ile de France dit rapidement positionnement sur l’ergonomie, la sécurité des infrastructures et la cohabitation – plus ou moins heureuse - avec les autres modes. Pour autant, si une approche des infrastructures est nécessaire pour comprendre le projet, elle est loin d’être le point focal. Très tôt, la compréhension du système vélo et de ses parties prenantes s’est imposée pour appréhender la dynamique de concertation territoriale dont le projet a besoin pour réussir.

Ce qui m’a particulièrement motivé pour travailler sur le RER V, c’est d’abord son originalité tant dans sa méthode d’émergence que dans sa capacité à fédérer aussi rapidement une dynamique à l’échelle de la région, indépendamment de la maturité territoriale en matière de politique vélo sans que le financeur principal soit lui-même maître d’ouvrage. En effet, la volonté de créer un réseau cyclable structurant en Ile de France n’est pas nouvelle et la relative simplicité des infrastructures prive le projet de l’assise réglementaire dont bénéficient les autres grands projets d’infrastructures. Pour chaque maître d’ouvrage désigné, l’intégration du projet demande de se positionner sur une échelle de réflexion globale de mobilités dépassant sa compétence propre. Existe-t-il un mode de gouvernance adéquat unique pour ce projet ? Quelles adhérences lui sont favorables ? Quels sont ces principaux écueils à éviter ? Quelles innovations le projet développe-t-il ? Pour quels résultats ?

Pour répondre à ses questions, mon travail s’est appuyé sur des entretiens avec plusieurs types d’acteurs : commanditaires, associatifs, coordonnateurs, maîtres d’ouvrage. A partir de cette diversité de points de vue, j’ai pu identifier, en fonction des contextes territoriaux et de la gouvernance associée, les axes de réussite du projet et ses points d'achoppement. Je me suis particulièrement intéressée au positionnement régional qui, au-delà de la volonté politique affichée par les moyens financiers alloués, reste en retrait du domaine décisionnel, aussi bien technique que politique, en laissant au collectif vélo d’une part et à chaque maître d'ouvrage d’autre part, respectivement la garantie technique et le pilotage de son projet propre.

Les différents cas étudiés m’ont permis de mettre en évidence comment un tel projet peut utiliser la complexité des découpages de compétences territoriaux au service d’une forme innovante de dialogue inter-collectivités.

Quels résultats et pistes d'approfondissement ? (dans vos lectures, et puis ce que vous avez observé dans les cas étudiés)

Le projet RER V repose d’abord sur la robustesse de son montage. Son programme comprend aussi bien du fond que de la forme avec des porteurs associatifs très implantés et dont l’organisation ne cesse de se structurer. La force de l’action associative orchestrée par le collectif Vélo dans la durée du projet est indéniablement un gage de réussite et de qualité. Elle a permis de gagner un capital de crédibilité important auprès des institutionnels et a renforcé la compétence programmatique sur un sujet encore peu documenté du point de vue de l'ingénierie.

Autre point notable, les collectivités sont rompues à l’exercice de recherche des adhérences utiles au projet qu’elles défendent. Cette agilité sur les dispositifs et projets à disposition est utilisée aussi bien pour le bouclage du financement que pour bénéficier de l’effet accélérateur des grands projets d’aménagement. Elle est toutefois à double tranchant dans les arbitrages sur des projets jugés prioritaires conduisant parfois à se replier sur des solutions transitoires voire divergentes du cahier des charges du RER V.

Si la volonté de “faire réseau” à l’échelle du Grand Paris a été primordiale dans l’acceptation du projet, le management du projet en lui-même est resté tributaire des découpages de compétences territoriaux. La multiplicité des maîtres d’ouvrage induite par les emprises foncières du projet se traduit par des avancées inégales et des besoins d’arbitrage qui se heurtent à l’absence de “décideur suprême”, propre au grand projet . En effet, le dispositif régional est avant tout un dispositif de subvention avec une gouvernance plus ou moins locale qui s’est inscrite dans les structures existantes de fonctionnement. Les acteurs opérationnels du projet se connaissent parce qu’ils agissent au quotidien pour le déploiement des plans vélos. Pour autant, ce fonctionnement présente ses limites lorsque le projet demande de changer d’échelle, à la fois dans la politique de mobilités elle-même et dans la répartition de l’espace public qu’elle demande. La dimension hors norme du projet n’aurait-elle pas nécessité un dispositif de pilotage spécifique pour impulser la dynamique de réseau ?

La réponse n’est certainement pas binaire sur un sujet aussi clivant que l’intégration d’un réseau cyclable structurant en Ile de France qui ne peut se résumer à la simple expression d’une volonté politique. La question du rôle de la région s’est largement posée tout au long de ce travail : le financement d’un projet octroie-t-il, de fait, un droit de décision ? Sans aucun doute de mon point de vue, encore faut-il vouloir s’en emparer ! Ce n’est pas le choix fait par la région Ile de France qui a préféré laisser les collectivités se porter non seulement candidates mais aussi pleinement assembleuses de leurs projets, avec l’opportunité d’avancer dans leur propre dynamique mais au risque de perdre l’effet réseau initial et les objectifs de mise en service globaux.

Quel est l'apport de ce travail pour votre réflexion dans le cadre de la formation ?

Le RER V s’est révélé un terrain de jeu à la fois déroutant et une belle synthèse de mon année de master. Habituée des projets qui bénéficient, par leur taille ou leur statut d’utilité publique, de procédures cadrant la nature de la concertation, son tryptique coûts/délais/qualité et sa gouvernance, ce mémoire a été l’occasion pour moi d’expérimenter une approche innovante de projet qui se construit en même temps que le projet lui-même. Décloisonnement et agilité sont les deux notions-clés que je retiens dans cette nouvelle approche de dialogue.

Décloisonnement d’abord dans le dépassement du strict périmètre territorial des compétences mais aussi dans le choix des interlocuteurs pour faire avancer le projet. Le panel des lignes étudiées a montré que les réussites ne tiennent manifestement pas à une solution unique de gouvernance mais obligent à “sortir du cadre” en mettant autour de la table une diversité d’acteurs, y compris issus de la société civile, qui montent en compétence ensemble pour construire une solution. Agilité ensuite, par la nécessité d’une coordination à la fois souple mais déterminée, sachant trouver les appuis politiques, les opportunités de dynamique d’aménagement et l’intégration adéquate dans le calendrier politique pour pouvoir déployer l’ambition du projet.

Le projet du RER V suit maintenant sa route avec, sans aucun doute, une véritable première marche de franchie dans la compréhension collective de l’envergure d’un tel projet. La souplesse du dispositif a permis de faire avancer rapidement les axes dont le terrain était d'ores et déjà fertile. Apparaissent à présent les points durs qui entraînent des reports et de multiples études complémentaires faute de décideur. Gageons que les expériences réussies puissent faire “tâche d’huile” pour surmonter ces difficultés.

Le Grand Paris cyclable aura-t-il besoin quoiqu’il en soit à moyen terme, d’une gouvernance centralisée pour exister en globalité ? Sous quelle(s) forme(s) ? À quelle(s) condition(s) ? Autant de questionnements qui mériteraient certainement d’être approfondis pour que le vélo puisse - enfin - prendre une place crédible dans le schéma des mobilités durables.

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