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19.02.2021
Bâle : industrie et transition écologique
Située sur les bords du Rhin, Bâle est une enclave, un îlot de terre, à la convergence de la France, de la Suisse et de l’Allemagne. La ville de Bâle regroupe 178 000 habitants. Mais son agglomération, tri nationale, en compte près de 7 fois plus.
Devenue en quelques années un véritable “hub logistique”, les habitants bénéficient d’un aéroport, de 3 gares, d’un port dynamique et d’un réseau autoroutier solide.
Fer de lance de l'industrie chimique au milieu du 19ème siècle, la ville a longtemps abrité les usines pharmaceutiques qui furent délocalisées, laissant place aux activités de recherche et aux sièges sociaux de ces groupes internationaux, conférant à ce petit territoire sa grande attractivité et sa prospérité.
Au sein de ce territoire contraint, les capacités d’hébergement se font de plus en plus rares et la pression résidentielle croit. Les anciennes zones industrielles attirent de nombreux promoteurs.
BÂLE, PÔLE EMPLOI ET VILLE DE FLUX
Bâle a su tirer parti de sa situation géographique pour attirer aussi bien les entreprises qu’une population active qualifiée. Son agglomération compte quelques 350 000 actifs dont 10% exercent dans le secteur pharmaceutique. La ville de Bâle représente à elle seule un bassin d’emploi de 190 000 actifs (2017) avec un taux de chômage qui tourne autour de 4% et une prévision de croissance de plus de 30 000 emplois d’ici 2035.
Ce contexte favorable justifie que Bâle pratique une politique dynamique de transports. Il s’agit en effet de créer les conditions favorables pour que les quelque 70 000 frontaliers allemands et français, puissent venir travailler dans les entreprises installées dans l’agglomération, le secteur pharmaceutique employant à lui seul 20% de ces actifs.
La ville de Bâle, est, pour le planificateur des transports, le modèle idéal de la mobilité douce et partagée. Avec 13 lignes, son réseau de tramway, qu’elle n’a jamais démantelé et continué à étendre, maille densément la ville. S’ajoutant à un réseau de bus et de Regio S-bahn, le réseau tramway se poursuit au-delà des frontières communales pour relier Bâle ville à un grand bassin de vie, permettant aux navetteurs frontaliers français et allemands de venir y travailler quotidiennement. A Bâle, 55 % des ménages ne possèdent pas de voiture. 22 % des déplacements sont effectués en voiture, contre 27 % pour les transports en commun. Mais la part belle revient aux modes doux : 33 % de part modale pour la marche, et 17 % pour le vélo. Bâle, ville « marchable », et ville cyclable, grâce à une politique forte menée sur la gestion de la place de la voiture en ville (vitesses limitées à 30km/h, stationnement contingenté), à la qualité des espaces publics, mais aussi à la façon de penser le vélo dès l’origine dans la fabrique de la ville (règles de construction : 1 place de vélo par pièce d’appartement versus 0,6 place de stationnement voiture par logement !).
Cette qualité de vie a un prix et la ville de Bâle veille à ce que rien ne vienne la modifier. Les voitures des non-résidents n’y sont pas les bienvenues et Bâle finance ainsi de nombreux projets en dehors de son territoire (construction de parcs relais connectés au tram ou au S-bahn ; extension et modernisation du RER tri national ; aménagement d’aires de co-voiturage ; réalisation de liaisons cyclables). Cette régulation n’est pas toujours bien vécue par les territoires frontaliers. Même s’ils bénéficient de nouvelles infrastructures, ces territoires peuvent se retrouver avec les nuisances reportées du trafic routier.
Car Bâle est bel et bien une ville de flux. Son économie repose sur le bon fonctionnement de ces flux, qu’il s’agisse de personnes ou de biens. Enserrée sur un territoire limité (57 km2), Bâle a délocalisé la production de son industrie chimique et pharmaceutique à l’étranger, tout en conservant localement les activités de R&D. Les grandes surfaces commerciales, autorisées en Allemagne, accueillent chaque jour une clientèle bâloise recherchant les prix les plus bas, malgré son fort pouvoir d’achat.
BÂLE, L’INDUSTRIE AU SERVICE DE L’URBANISATION
La région bâloise compte parmi les destinations mondiales de premier plan dans le domaine des sciences de la vie : chimie, biotechnologies, nanotechnologies, cosmétiques. Avec une part de près de 42 % du PIB, elle est le principal pilier de l’économie cantonale. 3 des 5 leaders mondiaux de cette industrie ont leur siège social à Bâle.
Cette industrie s’est développée depuis depuis le XVIIème siècle avec l’université de Bâle, tout d’abord par une activité concentrée sur la chimie (avec des sociétés historiques et leader telles que Clariant, Syngenta, Huntsman et BASF qui ont leur siège dans la région) et désormais plus axée sur la R&D (Novartis et Roche y développent même leurs propres campus) après avoir délocalisé leurs activités de production.
La rançon de ce transfert d’activité chimique polluante est donc de laisser aux générations futures des sites en friches et une pollution des sous-sols importantes. Prenons l’exemple d’un projet immobilier résidentiel à venir dans le quartier du Klybeck qui était occupé majoritairement par BASF et Novartis, piloté par la ville et les deux entreprises, puis vendu à des fonds de pensions. Un site particulièrement pollué avec une présence avérée de substances cancérigènes.
Le législateur oblige la dépollution des sites par le nouveau propriétaire qui aurait besoin de travailler le sous-sol pour son projet (Novartis a dépensé plus de 150 M CHF pour dépolluer le site de son campus). Il a inscrit des normes environnementales de construction comme la norme “2000 Watts” qui implique l’utilisation d’énergies renouvelables pour tous projets neufs notamment. Le quartier de Erlenmatt qui accueille aujourd’hui 500 logements, des services et des commerces, a été conçu sur ce modèle après plus de 10 ans de travail pour livrer cette opération de restructuration.
Les pouvoirs publics mettent en place des “master plan”, ou schémas directeurs d’aménagements avec une vision pragmatique des projets, de leurs futurs usages et de leur conception avec une finalité simple : ce qui est bon pour Bâle doit être inscrit dans les conventions signées entre les parties pour une mise en application.Les pouvoirs publics mettent en place des “master plan”, ou schémas directeurs d’aménagements avec une vision pragmatique des projets, de leurs futurs usages et de leur conception avec une finalité simple : ce qui est bon pour Bâle doit être inscrit dans les conventions signées entre les parties pour une mise en application.
D’autres sites en cours de reconversion accueillent des usagers temporaires comme des associations, des utilisateurs “pionniers” pouvant faire partie des projets futurs des promoteurs immobiliers (quartier I-Land). A l’inverse, le site de Gundeldinger Feld a été reconverti en incubateur de startup, théâtre, restaurant, atelier d’architecture par l’action de l’architecte Barbara Buser qui a su mobiliser les citoyens et convaincre le propriétaire du terrain de la pertinence de son projet, grâce d’une part à sa conception sociale et solidaire de l’opération immobilière, d’autre part à la solidité financière de son offre.
Ces partenariats public-privé de premier ordre sont au service du bien être bâlois et de ses générations futures avec une doctrine fondamentale qui est de régénérer des espaces bâtis plutôt que densifier par l’artificialisation des sols.
CONCLUSION
La ville de Bâle est bâtie sur une économie de liens, lui demandant d’agir bien au-delà de son territoire, pour préserver sa qualité de vie et son attractivité économique. A l’heure où le mantra « penser global, agir local », résumant l’esprit du développement durable, résonne de plus en plus dans nos consciences, nous interrogeons la réplicabilité et la scalabilité de ce modèle. Si Bâle a résolu localement la question d’une croissance sans pollution, celle de la délocalisation de ses anciennes activités industrielles perdure. En effet, les grands noms de l’industrie chimique et pharmaceutique ont leur siège à Bâle mais produisent ailleurs en Asie, loin des normes environnementales et des coûts de main d’oeuvre qui contraignent les pays occidentaux. C’est pourquoi, tout aussi vert et innovant qu’il soit, le modèle bâlois ne doit pas faire oublier la dure réalité d’une économie globalisée encore favorable aux métropoles européennes, mais pour combien de temps ?
Merci aux participants de l'Executive Master Gouvernance Territoriale et Développement Urbain pour cet article : Maud BERNARD, Alexandre BITON, Elise ROBAGLIA et Béatrice ROCAMORA.