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26.04.2019

De Porto Marghera à l’industrie touristique contemporaine : Venise a-t-elle une prise sur son développement économique?

Si dans l’imaginaire collectif, Venise incarne avant tout le trésor adriatique de la Vénétie, son histoire montre des atouts industriels et économiques considérables. Porto Marghera, extension artificielle de 2000 ha sur la lagune, en est le foyer. La zone est issue des besoins de production liés à la première guerre mondiale et se développe surtout dans les années 50, devenant l’un des pôles industrialo-portuaires symboles du miracle italien.

   

Il Progetto Coen-Cagli 1917- Source : Antonio Revedin Direttore Pianificazione Strategica e Sviluppo AutoritàPortuale di Venezia IUAV – 25 ottobre 2013)

Porto Marghera fait de Venise un port commercial et industriel. Aux côtés de la Cité des Eaux, ce quartier de « terre ferme » confère à Venise un statut de ville monde. Pour cette raison, le modèle d’ultra spécialisation productive caractéristique d’autres secteurs de la Vénétie (districts industriels) n’a jamais pris à Venise. Avec les Trente Glorieuses, la Cité va d’abord connaitre une forte croissance économique, pour ensuite subir, à l’instar de l’Italie, une période de déclin dans les années 2000. La ville se retrouve aujourd’hui confrontéeà un double défi économique et environnemental. Menacée par la montée des eaux et mono-orientée versle tourisme, l’économie vénitienne est à la croisée des chemins. Mais avant d’envisager l’avenir, il nous faut revenir à la genèse du modèle productif local.

Une Venise industrielle puissante jusque dans les années 2000

Reposant originellement sur l’agriculture, Venise a investi la métallurgie, la sidérurgie et la pétrochimieà partir de 1917. Elle est passée de zone agricole à zone industrielle. Porto Marghera fut affecté à cette activité et devint un point d’entrée pour le transport de marchandises en provenance de l’Adriatique vers le Nord de l’Europe. Malgré son statut de ville moyenne, le port de Venise se confronte alors avec les grands ports industriels européens. En 1970, 40 000 ouvriers y sont employés. 

Venise ne sera pas en revanche un foyer pour les districts industriels. Ce modèle, fondé sur une mobilisation intensive des ressources sociales (notamment entrepeneuriales) du territoire « district » autour de la production et de la commercialisation (y compris à l’export) de biens de consommation très spécifiques, a fortement prospéré à partir des années 60, notamment dans la région Vénète, formant ce que l’on a pu appeler la « troisième Italie ». Fondé sur les réseaux de PME localisés sur un territoire donné, ce modèle favorise la complémentarité des compétences et consécutivement la compétitivité, y compris à l’échelle mondiale. La province de Belluno avec ses fabriques de montures de lunettes en est un exemple.

La trajectoire de Venise au XXème siècle apparait ainsi comme une singulière exception dans l’espace régional, devenant une des villes les plus industrialisées du pays.

   

©live.comune.venezia.it - Source : Antonio Revedin Direttore Pianificazione Strategica e Sviluppo AutoritàPortuale di Venezia IUAV – 25 ottobre 2013)

Les effets de la crise des années 2000

La crise financière de 2008 a fait perdre à l’Italie 10 points de PIB/habitant. Elle a très fortement creusé les inégalités territoriales. L’économie italienne a particulièrement souffert, du fait d’une pluralité de facteurs structurels : fin du recours aux dévaluations avec l’adoption de l’euro, intensification de la concurrence mondiale, et surtout faiblesse des investissements de long terme (formation, R&D)  à l’heure de l’économie de la connaissance. La désindustrialisation de Porto Marghera, dont témoignent les nombreuses friches du port, a progressivement conduit à une mono-orientation de l’économie de Venise vers le tourisme, secteur florissant du fait de l’attractivité exceptionnelle du lieu, mais qui pose de nombreuses questions en termes de développement durable. 

Prospective : quelle gouvernance pour réguler l’industrie touristique ?

Certains chercheurs, experts et élus ont pu imaginer qu'à l'avenir Venise puisse diversifier un peu son économie en suivant le modèle des districts, dont elle avait pourtant été coupée pendant la période industrielle,en pariant notamment sur la culture et le design (avec comme symbole et point d’ancrage la Biennale d’Art Contemporain). Certaines initiatives de type « technopole » ont suivi ce chemin. Force est de constater que ce modèle ne fonctionne plus aujourd’hui, en tout pas comme une alternative globale, dans un monde structuré par les métropoles et l'économie de la connaissance. Venise est donc conduite à assumer son statut de ville touristique, ce qui n’empêche pas de questionner le modèle de développement emprunté dans ce secteur. Venise a désormais orienté son développement vers ce qu’il faut bien appeler « l’industrie touristique ». Les pouvoirs publics envisagent d’augmenter la capacité d’accueil de l’aéroport Marco Polo. Le tourisme de croisière continue àse développer. Mestre foisonne d’hôtels en construction. Y a-t-il possibilité de développer des modes de fréquentation touristique plus respectueux de l’environnement et du patrimoine, plus qualitatifs, plus porteurs de valeur ajoutée locale ? 

Cette question renvoie au sujet de la gouvernance et de la capacité des politiques publiques territoriales à peser sur des acteurs privés puissants et largement mondialisés.Or Venise souffre aujourd’hui de la difficulté despouvoirs publics locaux à se rassembler autour d’un projet urbain. Suite à la réforme des autorités locales, la CitéMétropolitaine de Venise a été créée en 2015 et regroupe 43 communes. Cette nouvelle gouvernance est, à moyen terme, une opportunité pourfédérer autour d’un projet de développement de long-terme à l’échelle métropolitaine. 

   

Pour autant, la question de l’inscription dans un projet plus vaste de coopération inter-métropolitain reste posée. Venise doit assumer son imbrication dans un corridor européen dominé par Milan qui constitue la véritable locomotive de l’économie italienne, autour des services financiers et de la mode. Venise peut développer ses avantages comparatifs dans le cadre de ce corridor. La question de la construction d’unréseau inter-métropolitain de transport efficace est aujourd’hui posée, mais elle ne suffira pas à intensifier les coopérations.

Pour éviter de devenir une ville-musée et parvenir à réguler une industrie touristique mondialisée, Venise devra donc à la fois trouver les ressources politiques et sociales pour fédérer sa gouvernance locale et nouer des alliances territoriales avec les autres métropoles.

Merci aux participants de l'Executive Master Gouvernance Territoriale et Développement Urbain pour cet article : Maxime Tang, Muriel Grandguillaume, Philippe Bernard Reymond et Margaux Walk.

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