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13.01.2016

Être un éclaireur à l’ère de la surinformation - Regards croisés sur le métier de Directeur de la communication

Internet et réseaux sociaux ont révolutionné le métier de communicant. Il est désormais impossible de contrôler totalement le discours et la réputation d’une entreprise. Dans un monde d’immédiateté, tout est communication et chacun est communicant. Dès lors, le Directeur de la communication appartient-il au passé ? Est-il encore possible d’émerger de manière crédible d’un environnement où les informations foisonnent ? Réponse avec Nicolas Bordas, Président de BEING Worldwide et Vice-Président de TBWA\Europe et Louise Beveridge, qui a occupé des fonctions stratégiques de communication dans différents grands groupes internationaux.

Qu’est-ce qui a changé dans le monde de la communication ?

Nicolas Bordas : L’essence de la communication n’a pas changé en soi. Il s’agit de mettre en relation une entreprise, une marque, un produit, un service avec des personnes. Néanmoins, la manière de s’exprimer et d’organiser le système de communication a été totalement bouleversé et révolutionné par le digital.
3 grandes tendances depuis 30 ans transforment ce métier : la globalisation, la digitalisation, la dimension plus corporate qui pénètre le marketing de l’entreprise. Aujourd’hui, les entreprises sont interpellées en même temps sur des questions relatives aux produits et sur des questions corporate. Cette porosité entre les dimensions marketing et corporate sont tout à fait inédites.

Louise Beveridge : En effet, les évolutions ne sont pas seulement technologiques, mais aussi sociales et sociétales. Le modèle économique de l’entreprise a été bouleversé depuis une dizaine d’années. Quand j’ai commencé mon métier, le modèle était clairement celui d’une économie de l’actionnariat. C’était la performance de l’entreprise sur le plan financier qui nourrissait sa réputation et justifiait son existence même. Après les multiples crises financières, sociales, environnementales que nous avons traversées, nous vivons désormais clairement dans une ère où les solutions doivent être collectives. Nous sommes passés d’une économie de l’actionnariat à une économie de parties prenantes.

Comment faire entendre sa voix à l’heure de l’hypercommunication ?

NB : Avec le digital, il est désormais impossible de vivre caché. Un des grands enjeux est donc d’avoir une véritable capacité de réactivité. Chacun devient communicant, et la communication est de plus en plus centrale et stratégique. Revers de la médaille : elle représente aussi un risque qu’il faut savoir maîtriser.

LB : Selon moi, une autre difficulté réside dans la prise en compte de plusieurs acteurs. Dans une économie de parties prenantes, la communication doit engager chaque protagoniste, déployer des messages adaptés tout en garantissant la cohérence du discours de l’entreprise. Un véritable exercice d’équilibriste.

NB : J’ajouterais que nous sommes passés d’une communication régie par la notion d’espace – on parle d’ailleurs d’achat d’espace dans les médias –  à une communication de plus en plus gouvernée par le temps. Les individus sont connectés en permanence, en particulier sur leur téléphone mobile, avec lequel ils vivent continuellement. On peut les toucher en fonction du temps physique mais aussi du temps psychologique. L’objectif est désormais de diffuser les bons messages sur les bons points de contact. Nous devons émettre les bons messages au bon moment, tout en produisant un discours différencié en fonction de chacun. Cette notion de synchronisation, de timing, de temps réel, de réactivité, fait partie probablement des évolutions les plus significatives générées par la transformation digitale

LB : Et cette immédiateté inhérente au web remet en cause l’organisation même de l’entreprise. Les structures ne sont pas conçues pour communiquer de façon instantanée. Les entreprises sont plutôt organisées de façon verticale et très hiérarchique. Le web impose de latéraliser les discussions, les prises de décisions. Ces évolutions provoquent de fortes tensions organisationnelles.

Comment la communication peut-elle s’imposer dans cet environnement totalement transformé ?

LB : La communication est profondément intégrée dans le fonctionnement de l’entreprise, et, logiquement, dans ses instances de direction. Depuis 10 ans, le Directeur de la communication a conquis sa place au sein du Comité exécutif.

NB : Internet a vigoureusement renforcé rôle du Directeur de la communication au sein de l’entreprise sur 2 tableaux. Sur le plan offensif, la transformation digitale impacte toutes les entreprises du monde et impose aux organisations de se transformer. Mais le Directeur de la communication a également un rôle défensif à jouer : l’organisation doit en permanence être capable de réagir face à des crises qui peuvent arriver dans n’importe quel pays du monde sur n’importe quel sujet qui concerne l’entreprise.

Quel est le nouveau visage du Directeur de la communication ?

NB : Le Directeur de la communication est un chef d’orchestre qui doit avoir la capacité de jouer sur tous les tableaux. Il doit être à la fois capable de convaincre les actionnaires, le Conseil d’Administration ou le Comité exécutif du bien-fondé d’une prise de position qui va exposer l’entreprise. Il doit les pousser à accepter une forme de lâcher-prise nécessaire sur les réseaux sociaux. Et en même temps, il doit pouvoir traiter les questions de communication interne, de ressources humaines. Aujourd’hui, les enjeux de recrutement sont majeurs pour l’entreprise. Les meilleurs talents sont très mobiles et ont tendance à changer souvent d’organisation. Evidemment, le Directeur de la communication doit aussi comprendre les consommateurs, qui ne cherchent plus seulement des bons produits mais ont aussi besoin d’être rassurés sur les conditions dans lesquelles ils sont fournis.

LB : En effet, il ne suffit pas d’avoir seulement une bonne maîtrise technique. Il faut également être capable de convaincre, d’emmener les collaborateurs et les parties prenantes avec soi, et parfois de s’affranchir des normes pour aller de l’avant.

NB : J’utiliserais cette idée d’éclaireur : le Directeur de la communication veille, il éclaire et il est à l’avant-garde. Le bon Directeur de la communication a la capacité d’écoute et d’empathie pour veiller, la capacité d’allumer la lumière dans l’entreprise pour que chacun comprenne quelle est la stratégie générale, mais il a aussi la nécessité d’être à l’avant-garde pour faire avancer l’entreprise, dans un monde de plus en plus incertain et de plus en plus mouvant.

Quelles sont les qualités d’un bon Directeur de la communication ?

NB : Se montrer stratège. Il doit avoir une capacité de conseil en temps réel pour faire prendre les bons risques tout en évitant les mauvais.

LB : Être à l’écoute. C’est extrêmement important. Il faut être capable de bien distinguer les informations importantes parmi les bruits de fond.

NB : Etre curieux. Il faut être attentif aux individus, aux signaux forts comme aux signaux faibles mais aussi à toutes les nouveautés dans un environnement plus vaste qu’autrefois. Un environnement où tout bouge tout le temps, où l’innovation est permanente, où le plus grand danger pour sa propre entreprise peut surgir d’ailleurs, d’un Google, d’un Apple, d’un Uber. Il ne suffit plus d’être expert dans son domaine.

LB : Avoir le sens du timing. Il est essentiel d’être réactif, mais il faut aussi savoir attendre. Les bonnes idées surviennent parfois trop tôt pour être présentées. Il faut savoir saisir la conjoncture favorable pour les mettre en œuvre. C’est un métier redoutable ! Formons les nouvelles générations qui prendront la relève !

 

LOUISE BEVERIDGE
Louise Beveridge exerce le métier de communicante depuis 30 ans. Elle a occupé de nombreuses fonctions à Paris et à Londres, d’abord en agence puis en entreprise. Depuis 20 ans, elle a piloté la communication de grands groupes internationaux dans des secteurs très différents : Antalis International (industrie du papier), BNP Paribas (secteur bancaire), Kering (secteur du luxe). Ancienne élève de Sciences Po, elle y enseigne depuis 2012 la Stratégie de communication au sein de l’École de la Communication.  Elle est présidente d’honneur de l’Executive Master Communication depuis 2015.

NICOLAS BORDAS
Nicolas Bordas est publicitaire et homme d’agence depuis plus de 30 ans. Après avoir présidé pendant 8 ans TBWA/France, troisième groupe de communication en France, Nicolas Bordas est aujourd'hui Vice-Président de TBWA/Europe et Président du réseau BEING worldwide, qui accompagne les entreprises dans leur stratégie de marque, design et communication. Il a été amené à accompagner des grands groupes de secteurs très différents dans leurs problématiques de communication. Il enseigne depuis 2007 à l'École de la Communication de Sciences Po dans le cadre du cours sur la marque. Il est directeur de l’Executive Master Communication depuis 2015. 

L’Executive Master Communication de Sciences Po

« Nous avons souhaité créer la formation que nous aimerions suivre nous-mêmes. Une formation « idéale », qui s’actualise en permanence, qui mêle apports théoriques, pour donner les bons repères, et enseignements pratiques, avec les meilleurs intervenants dans leur domaine », expliquent Nicolas Bordas et Louise Beveridge.

L’Executive Master Communication représente un moment d’apprentissage technique, mais aussi d’ouverture lors duquel les intervenants professionnels abordent leur métier en toute transparence. Parce que la vérité n’est pas seulement dans le récit de leurs réussites, mais aussi de celui de leurs échecs et de leurs doutes.

Les atouts du nouveau communicant

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