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03.04.2023
L’art de décrypter : 12 hommes en colère, 1 dilemme, ou comment prendre une bonne décision ?
Un meurtre, un accusé, 12 jurés et un verdict à prononcer, c’est la trame du film “12 hommes en colère“. Un chef d’œuvre, né il y a 60 ans, dont le succès ne se dément pas. D’arguments en contre arguments, son réalisateur, Sidney Lumet, nous offre une véritable radioscopie de la prise de décision. Loin des recettes toutes faites faisant le succès des manuels de développement personnel, le film ne cesse de nous interroger sur la part de l’expérience, du doute, de l’instinct et de la rationalité dans le processus décisionnel. Alors, qu’en est-il vraiment ? Nous avons refait le film avec Eric-Jean Garcia, expert en leadership, professeur affilié et co-directeur d'Executive Masters à Sciences Po Executive Education.
Une histoire intemporelle et universelle
Inspirée de la propre expérience de juré du scénariste Reginald Rose, l’histoire de “12 hommes en colère” a d’abord été portée au petit écran, en 1954, puis transposée au théâtre avant d’être reprise pour le cinéma par Sydney Lumet en 1957. Et si le film hollywoodien fait aujourd’hui référence, l’histoire continue de donner lieu à de multiples adaptations théâtrales, cinématographiques et télévisuelles à travers le monde. De nombreuses références appuyées sont également régulièrement repérées dans des séries à succès à l’instar des Experts(1) ou des Simpson(2). “La longévité de ce succès tient d’abord à l’intrigue, superbement orchestrée, et à l’universalité du sujet posé en toile de fond, la peine de mort”, explique Éric-Jean Garcia. “Le très large éventail de personnalités très stéréotypées qui compose le jury favorise également une identification large des spectateurs. Le film est enfin une ode à une forme non hiérarchique de leadership, où le charisme est d’une discrétion avérée et l’art de la négociation sublimement maîtrisé... Ce leadership aussi efficace que séduisant est celui du juré numéro 8 brillamment interprété par Henry Fonda, résistant au conformisme social. C’est lui qui fera passer un présumé coupable pour un présumé innocent en instillant le doute, en bousculant les préjugés et les intuitions de chacun des autres jurés.
Une dissection méthodique de la prise de décisions
Parce qu’il met en scène le balancement permanent des jurés entre doute et certitude, oppose, mêle ou juxtapose logiques intuitive et rationnelle, et pose le débat dans une certaine urgence, “12 hommes en colère” réunit de nombreuses composantes de la prise de décisions. Il démontre aussi la difficulté de la résolution d’un dilemme, difficulté à laquelle les dirigeants d’entreprise sont régulièrement confrontés. “La confrontation à des dilemmes est constitutive de la fonction de dirigeant car les décisions les plus faciles sont généralement prises au plus près de l’action ”, rappelle Éric-Jean Garcia.
Sans revêtir un caractère aussi radical que la peine capitale ou l’acquittement, la décision consécutive à un dilemme en entreprise demande un certain courage, celui d’accepter les conséquences négatives de son choix. Peut-on dans un tel contexte laisser place à l’intuition ? Pour Éric-Jean Garcia, l’affirmation ne fait aucun doute. “L’intuition est parfois une conviction qui ne dit pas son nom. Je pense d’ailleurs que le juré numéro 8 du film est dès le départ convaincu de l’innocence de l’accusé puisqu’il détient dans sa poche la copie conforme de l’arme du crime pourtant présentée comme unique par l’accusation. Mais l’intuition ne vient pas de nulle part. Elle résulte d’une trajectoire, nourrie par l’expérience.
Dans un autre registre, la rationalité peut gêner la prise de décision. C’est le cas lorsque l’on cherche à tout comprendre et tout maîtriser. Une attitude qui peut devenir contre-productive, surtout lorsque le temps est compté. Il n’existe donc pas de modèle normatif de la bonne décision. Décider dans des univers incertains convoque assez naturellement l’intuition, la rationalité et l’objectivité mais à l’arrivée c’est le discernement qui fera la différence.“
Le discernement, pierre angulaire d’une décision harmonieuse
Préalable indispensable à tout jugement, le discernement exige de faire la part des choses entre le factuel, le rationnel et l’émotionnel, de bien comprendre le contexte de la prise de décision, de respecter une certaine éthique en tenant compte des intérêts tiers. L’avancée des délibérations du jury du film “12 hommes en colère“ en est d’ailleurs une parfaite illustration. “Tout au long de ses échanges avec les autres jurés, Henry Fonda parvient avec beaucoup d’habileté à instiller chez eux un doute sans jamais chercher à modifier leur mode de raisonnement ni contredire directement leurs arguments”, commente Éric-Jean Garcia. “C’est une technique manipulatoire particulièrement efficace qui va générer progressivement une dynamique positive de nature à éclairer le discernement de ses pairs.“
Malheureusement pour les apprentis dirigeants, si le discernement constitue la clef d’une décision pertinente et responsable, il ne relève ni d’un théorème ou d’une équation. “Le discernement est un mode de raisonnement, une façon de traiter les informations, de considérer les enjeux en présence et de les mettre en perspective. Mais cette façon de penser d’apparence complexe n’est pas figée”, tempère Éric-Jean Garcia. “Elle évolue tout au long de la vie, à condition de savoir tirer de l’expérience de ses expériences, une faculté assez peu répandue d’après le philosophe et sociologue Edgar Morin. L’expérience, c’est une capacité à revisiter les événements, à en tirer des enseignements constructifs de nature à modifier, à faire évoluer sa façon d’être et de faire. Autrement dit, c’est un travail exigeant et permanent sur soi-même“. Apprendre à capitaliser sur ses expériences pour cultiver son discernement semble ainsi le meilleur moyen pour un dirigeant d’optimiser ses aptitudes sociales et d’aiguiser la sagacité de ses décisions.
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(1) 11 jurés en colère, Les Experts 2004
(2) The Boy Who Knew Too Much, 20e épisode de la saison 5 des Simpsons
