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07.10.2021

L'art de décrypter : la série Mad Men, ou comment la publicité fait société (et réciproquement)

A la sortie de la série Mad Men, en 2007, le monde de la communication ne pouvait rêver meilleure campagne de recrutement. Peu de personnages ont en effet autant fasciné que le brillant et charmeur directeur créatif de l’agence Sterling Cooper, Don Draper. Pourtant, la série dresse avant tout le portrait d’une époque, avec des enjeux sociétaux dans lesquels l’agence et les marques n’ont pas toujours le bon rôle. 


Que nous apprend, encore aujourd’hui, la série sur les liens qui existent entre les métiers de la communication et la société qui les entoure ? Nicolas Bordas, Vice-Président International de TBWA\Worldwide et directeur pédagogique de l’Executive Master Communication, décrypte avec nous les enseignements de cette grande saga télévisuelle.

Une série qui raconte un métier… et surtout une époque

Ce que l’on constate d’abord, c’est que dans Mad Men, les métiers de la communication (et en l’occurrence de la création publicitaire) sont traités avec justesse et précision. A la manière de séries plus récentes comme Suits, qui nous fait entrer dans un cabinet d’avocats, ou Dix Pour Cent, qui raconte le quotidien d’agents d’acteurs, Mad Men nous dévoile les coulisses d’une profession méconnue du grand public. « Il y a dans la série une vérité intemporelle qui ressort sur le métier et sur le "spin", cette façon d’orienter par sa communication la perception de la réalité.

On y voit aussi la révolution créative qui s'opère, de l'apparition de la campagne VW dans la saison 1, à la campagne Coca-Cola qui conclue la saison 7,  en passant par la fameuse scène du projecteur Kodak renommé par Don Draper ‘le carrousel’ : alors que les clients s’attendent à une campagne mettant l’accent sur le côté technologique du produit, Don préfère évoquer l’émotion en faisant défiler ses propres photos souvenirs. Je pense que tout ça a plutôt contribué à redorer l’image de nos métiers… et même s’il y a aussi du négatif -des personnages parfois détestables, machistes, alcooliques- je pense que cela est davantage rattaché dans l’esprit du public à l’époque » juge Nicolas Bordas.

C’est là peut-être une autre spécificité de la série : se faire le miroir de son époque. « La série est culte avant tout parce qu’elle raconte à merveille la transition entre les années 1960 et 1970 aux Etats-Unis, avec tous les changements sociétaux et moraux que cela implique » explique Nicolas Bordas. « On y aborde de façon frontale la question du sexisme, de la pollution, de l’alcoolisme, ou encore du tabagisme dont on voit la mise en place de la régulation. » Autrement dit : l’agence de publicité est avant tout un moyen de soulever ces questions sociétales.


Communication & enjeux sociétaux : histoire d’un dialogue

Néanmoins, les personnages, leur travail et le monde qui les entoure sont liés. Non seulement Sterling Cooper n’est pas étanche aux questions sociétales, mais elle s’en inspire dans sa réflexion et elle les influence à son tour par sa production. « La publicité est un objet socioculturel qui raconte son époque et qui crée elle-même une certaine forme de culture. En ce sens, les communicants sont des agents culturels, et ils ne peuvent faire un bon travail qu’avec une conscience aiguë de la socioculture dans laquelle ils évoluent » résume Nicolas Bordas.

Pour « sentir » la société américaine et les changements qui s’y opèrent, les publicitaires de Mad Men ne peuvent pas encore s’appuyer sur les réseaux sociaux. Ils se fient d’abord à leurs intuitions. Ce faisant, ils mettent aussi en place les bases de ce qui deviendra le département études, dans la série comme dans les agences de l’époque. Cette objectivation des données marque la naissance du marketing. Elle annonce aussi l’avènement plus récent d’une fonction hybride, à la croisée de la sociologie, des études et de la communication : le planning stratégique.

Le communicant est alors au centre d’un double mouvement : celui de la marque, dont il lui revient d’éclairer le chemin pour la guider et la faire rencontrer sa cible, et celui de la société qui elle aussi est perpétuellement en mouvement. Si la publicité ne crée pas l’avant-garde des évolutions sociétales, elle est toutefois capable d’y capter des signaux faibles et de les amplifier, accélérant parfois certains changements. « Je me souviens de la saga publicitaire Eram, qui a fait un travail formidable au niveau sociologique sur une vingtaine d’années, et qui a notamment mis en scène pour la première fois en primetime à la télévision en France un club gay, au début des années 80 – il fallait oser, ils l’ont fait, et ça a (modestement) contribué à une plus grande acceptation des personnes LGBT » plaide Nicolas Bordas.

De 1960 à aujourd’hui, l'avènement du consommateur-citoyen

La question des liens entre les marques et les enjeux sociétaux soulevée par Mad Men ne se conjugue pas qu’au passé : elle est au contraire plus actuelle que jamais. Le créateur de la série lui-même, Matthew Weiner, la définit comme « de la science-fiction dans le passé », destinée à éclairer le présent. Quelque chose toutefois a changé dans la réception de la communication : la conscience citoyenne du consommateur s’est considérablement développée, et il est donc devenu plus sensible encore aux thématiques de société et à la façon dont les marques s’en emparent – ou non.

De plus, ces consommateurs-citoyens sont devenus plus méfiants quant aux messages des marques. Plusieurs facteurs sont en cause, dont le dévoilement du processus publicitaire auquel une série comme Mad Men a participé, mais aussi et surtout une meilleure culture du monde économique et des ficelles du « business », devenues plus mainstream. « A vrai dire c’est tant mieux car, à choisir, je préfère faire ce métier en m’adressant d’égal à égal à des personnes mieux informées » se félicite Nicolas Bordas.

Dans une société confrontée à des défis existentiels tels que le changement climatique, la solution pour les marques passe notamment par la définition de leur raison d’être. « Il y a 10 ans déjà, Jim Stengel publiait Grow, ouvrage dans lequel il démontrait que les marques dont la raison d’être était perçue par le consommateur étaient plus performantes que les autres. Je crois qu’on est entrés, et c’est heureux, dans une époque où les investissements en communication peuvent servir à autre chose que simplement à vendre des produits et des services. Il peut y avoir une plus-value sociétale – à condition de la prouver » analyse Nicolas Bordas. Gare, ajoute-t-il, aux marques qui seraient tentées par le greenwashing ou le cynisme de Don Draper : le régulateur veille, et les réseaux sociaux avec lui.


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Crédit photo : Mad Men © Matthew Weiner

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