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18.06.2020
Le paysage, angle mort des projets de développement urbain ? L’exemple des espaces périurbains
Nous tenons à remercier Hortense VILLEREY, Paysagiste concepteur, pour avoir accepté de partager et de résumer son mémoire réalisé dans le cadre de l’Executive Master Gouvernance territoriale et développement urbain.
Le paysage : angle mort des projets de développement urbain ?
Depuis la Convention européenne du Paysage du 20 octobre 2000, la prise en considération des « paysages du quotidien » s’amplifie. Toutefois, dans le processus des projets de développement urbain, le paysage est encore souvent perçu et mobilisé de manière réductrice, soit comme un outil de description et de diagnostic des territoires, via les analyses paysagères, soit comme un outil d’enjolivement des projets d’aménagement urbains.
Pourtant, le paysage recèle un double intérêt dans une perspective de gouvernance territoriale : c’est un moyen d’appréhension mais aussi de conception et de structuration des espaces, dans un processus itératif entre la petite et la grande échelle. Plus précisément, l’attention portée au paysage permet de mobiliser deux leviers d’intervention : l’un qui consiste à articuler la réalité morphologique d’un espace donné à ses différentes composantes (politiques, économiques, sociales, etc.), l’autre qui repose sur une lecture sensible des territoires, passant par les sens et au plus proche de l’expérience vécue des habitants.
Une recherche à travers le prisme sensible et pragmatique de paysagiste
Dans le cadre de ce mémoire, je me suis extraite de ma pratique de paysagiste, ce qui pouvait être opportun, pour analyser la gouvernance territoriale du périurbain. J’ai donc abordé ce mémoire comme une aubaine pour développer et tester de nouvelles méthodes d’appréhension et d’analyse des espaces.
Fruit d’un cheminement personnel et professionnel, cette recherche s’empare d’un sujet aux effets paysagers notoires, l’aménagement des espaces périurbains. Le paysage est appréhendé au regard d’une approche sensible, qui présente un double intérêt en tant que propice à mettre en relation les acteurs de l’aménagement du territoire et les habitants, et à appréhender les émotions exprimées par les habitants autant qu’à révéler leurs besoins.
Ainsi, le paysage, perceptible par tous, peut-être une ressource pour la gouvernance projets de développement urbain, à même de favoriser la sensibilisation des parties prenantes et de dépasser les frontières politico-administratives et les catégories d’acteurs. Autrement dit, le paysage peut contribuer à l’ancrage du développement urbain dans le contexte territorial … Dans cette perspective, le sensible, les émotions constituent un fil rouge qui laisse transparaître les raisons explicatives de l’acceptation, de l’appropriation, de la réussite ou à l’inverse, du rejet et de l’échec des projets de développement urbain.
Un constat paradoxal : un étalement urbain qui perdure
Cette recherche part d’un paradoxe initial : un étalement urbain qui perdure malgré l’existence d’un cadre de politiques publiques et d’outils opérationnels pour le contrôler, le réguler voire le limiter. Pour résoudre cette énigme, je propose de décrypter les processus collectifs et individuels qui concourent à l’étalement dans les espaces périurbains, qui constituent des paysages ambivalents, entre ville et campagne, ni ville, ni campagne, à la fois ville et campagne, et suscitant attrait et répulsion.
À partir d’une étude de cas portant sur une commune limitrophe de la Métropole de Lyon, je propose d’articuler deux approches du développement dans les espaces périurbain, l’une de sociologie de l’action publique, et l’autre sensible pour identifier les mécanismes explicatifs de cet agencement spatial et de ce qui lie les habitants à cet espace de vie.
Le travail d’enquête repose sur une combinaison de méthodes qualitatives, qui mêlent analyses documentaires, observations de terrain et une marche exploratoire avec des habitants.
A ceci s’ajoutent des entretiens auprès d’un panel représentatif d’habitants et d’associations locales, et de différents acteurs de l’aménagement, privés et publics, portant une vision sur le périurbain à différentes échelles de territoire.
Tout ceci contribue à mettre le paysage périurbain et les émotions qui lui sont liées au cœur de l'analyse, tout en s’attachant, grâce aux apports de la sociologie de l’action publique, à mettre en perspective les processus d’urbanisation et leurs évolutions, les acteurs concernés, leurs places et leurs rôles, et les relations qui s’établissent entre eux.
Le « périurbain », quelle définition ?
Le « périurbain » est, à l’origine, une catégorie statistique créée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (1). Mais ce terme renvoie à une diversité de conceptions que l’on passe rapidement en revue ici. Sur un plan opérationnel, le périurbain apparaît plus signifiant aux professionnels de l’aménagement urbain, quoique les définitions et les représentations sur le périurbain puissent être aussi diverses que les individus qui les portent … Pour d'autres, la définition découle simplement de son étymologie. Dans la recherche urbaine, de nombreux avis sont avancés sur la question du périurbain. La forme spatiale, la sociologie de ces espaces ne sont pas clairement établies, tant la définition de ce qui les caractérise semble mouvant. D’où l’intérêt d’aller « gratter » sous le vernis de la « maison individuelle », souvent mise en exergue comme l’une de ses caractéristiques majeures et vecteur de représentations négatives …
Proposer une définition paysagère a priori du « périurbain » permet de donner corps à cette forme de développement urbain : on l’entend alors comme un phénomène s’amplifiant rapidement, caractérisé par un fort impact paysager à l’échelle tant locale que nationale, et sur lequel les politiques publiques d’aménagement du territoire ne semblent pas particulièrement axées ou avoir peu de prise. Bien que le périurbain recouvre une diversité de paysages, cette appellation conduit à banaliser, homogénéiser ces espaces et avec pour effet corollaire de faire disparaître les singularités paysagères. En filigrane, le périurbain renvoie aux choix et aux modes d’habiter, aux rapports sociaux et à l’environnement, à la localisation de l’emploi, aux relations à l’urbain et au rural …
Quels facteurs encouragent ce processus de périurbanisation ?
Le travail permet, à partir de trois axes d’analyse, d’identifier les facteurs qui concourent et encouragent le processus de périurbanisation, et d’interroger la manière dont les communes périurbaines pourraient adapter leur stratégie d'urbanisation.
Quels modes de gouvernance et de régulation du périurbain ?
Il s’agit ici d’opérer une véritable plongée dans la complexité des strates territoriales et des manières dont celles-ci sont régulées, en particulier les évolutions législatives déterminant les attributions de compétences et les nombreux outils de régulation de l’urbanisme qui impactent l’aménagement des espaces périurbains. Ces limites institutionnelles peuvent, localement, être source de complexité dans la réalisation des projets, notamment de mobilité, une problématique récurrente dans ces territoires.
Dans ce magma législatif et territorial, la commune se situe en bas de ces échelons mais possède l'outil majeur de traduction spatiale des différentes stratégies d'urbanisation déployées aux échelons supérieurs : le Plan Local d'Urbanisme. Certes, celui-ci doit se plier aux règles édictées en amont, mais tout est affaire de traducteurs et de traductions … La qualité d’urbanisation des espaces périurbains est fortement liée aux usages de cet outil, à une finesse d’écriture qui nécessite une connaissance détaillée des espaces à urbaniser, et aux moyens dévolus à sa formalisation et à sa mise en œuvre.
La gouvernance territoriale des espaces périurbains engage de multiples acteurs, opérant à différents échelons territoriaux. Cette complexité soulève la question des expertises et des moyens (humains, techniques, financiers) dédiés, nécessaires tant à l’élaboration qu'à la réalisation des projets urbains. Une mutualisation de moyens pourrait être envisagée grâce à la montée en puissance des intercommunalités en matière d’aménagement et d’urbanisme. Mais localement, l'expression possible d'une minorité de blocage quant à cette compétence peut bousculer ce rôle … Derrière ce blocage peuvent se cacher des tensions, des réticences, des attachements.
Au regard des dynamiques à l’œuvre, les communes périurbaines n'ont pas les moyens d'une métropole. Elles essaient de trouver des alternatives pour mener à bien leurs projets d’urbanisation.
Les aménageurs et promoteurs : un rôle singulier dans l’aménagement des espaces périurbains ?
Les modes de production de logements dans la Métropole, et en particulier le jeu sur les dispositifs d'incitation à l'investissement locatif, influencent grandement la périurbanisation. La Métropole devenue « hors de prix » transforme les communes périurbaines en territoires de report tant pour des aménageurs et promoteurs en mal de foncier disponible et relativement « bon marché », que pour certaines catégories de ménages (des familles, dans cette étude de cas) souhaitant accéder à la propriété ou à certaines typologies de logement à des prix encore abordables. A l’échelle des communes périurbaines, cette demande de logement permet aux aménageurs et aux promoteurs de jouer à nouveau avec les dispositifs d'incitation à l'investissement locatif ou les dispositifs d'aide à l'accession à la propriété pour proposer à la vente ou à la location les pavillons recherchés, ou le logement convoité dans un cadre idéalisé. La construction dans les espaces périurbains revêt également un intérêt programmatique, avec des terrains à moindre coût, bien souvent vierges de constructions (et de leurs frais inhérents), les projets seront assurés de la délivrance des permis de construire, le tout, avec des plans locaux d'urbanisme bien souvent permissifs au regard de ceux des grandes agglomérations. Les aménageurs et les promoteurs constituent en effet un recours pour des communes périurbaines aux moyens limités : ils permettent de produire les logements nécessaires, notamment dans le cadre de carences en logements sociaux.
Néanmoins, d’un point de vue qualitatif, les aménageurs et les promoteurs visent à l’équilibre entre leurs objectifs financiers et la qualité architecturale et paysagère de leurs réalisations. Il en va de même pour les collectivités, à travers les règles d’urbanisme définies par le Plan Local d’Urbanisme.
Cet équilibre entre l’économie des projets d’urbanisation et leur qualité apparait comme un facteur majeur d’intégration spatiale mais aussi sociale au sein de ces territoires.
Quelles perceptions et mobilisations des habitants ?
« Vivre et ressentir » le périurbain renseigne, à travers les émotions exprimées, sur les représentations, les intérêts et les besoins des habitants du périurbain. Leur « choix » affectif pour un certain « cadre de vie » est sous-tendu par des choix rationnels, qui renvoient à des contraintes budgétaires et de localisation de l’emploi. La mise en exergue de ce « choix » affectif plutôt que du « choix » rationnel sous-jacent non exprimé, peut aussi être la source des représentations portées sur les habitants du périurbain. Néanmoins, l’attention portée aux émotions exprimées dans ce mémoire montre que les habitants trouvent dans le périurbain une hybridation ville / campagne qui leur donne accès aux principales aménités tout en leur offrant de l’espace (intérieur / extérieur), des liens sociaux hybrides entre ceux de la ville et ceux de la campagne et une vie proche de la « nature » et globalement apaisée.
Par ailleurs, des incitations politiques, sociétales et commerciales les poussent vers le modèle de la maison individuelle, une image intégrée à laquelle il n’est pas véritablement proposé d’alternative. Dans cette recherche d’une certaine qualité de vie, des signes montrent pourtant une prise de conscience des limites de ce modèle d’urbanisation et de ses effets paysagers. Certains habitants expriment leur sensibilité et leurs représentations face aux évolutions à l’œuvre et souhaiteraient être davantage associés à ces projets d’aménagement.
Principaux résultats et pistes d’approfondissement ...
Cette recherche montre que le processus de métropolisation à l’œuvre encourage le développement des communes périurbaines qui doivent alors adapter leur stratégie de développement. Elle souligne les difficultés des territoires périurbains à concilier différents enjeux et politiques publiques, et à faire face à des injonctions parfois contradictoires en termes d’objectifs. Un cadre règlementaire complexe, multi-niveaux, en perpétuelle évolution, des attributions de compétences à différentes échelles territoriales ne sont par ailleurs pas sans contribuer à un certain manque de lisibilité pour ces territoires.
Ces résultats interrogent quant au glissement de la production des projets urbains du public vers le privé, sur la part du modèle économique au regard de la qualité des projets, sur la place des habitants et la prise en compte de leurs besoins dans la gouvernance de ces espaces. Plusieurs questions émergent de mon analyse : quelle est la finalité des politiques locales d’aménagement et dans quelle mesure les besoins de ces territoires et de leurs habitants sont-ils réellement pris en compte ? Quelle est la relation entre le choix des instruments et la qualité architecturale et paysagère ? Quelle est la part accordée à la sensibilisation des publics concernés ? Comment favoriser l’émergence d’alternatives à la maison individuelle ? Comment améliorer le ressenti des habitants et favoriser leur participation effective aux projets d’aménagement, et comment resituer les prises de décision dans une échelle globale et une perspective de long terme ?
L’analyse pourrait aussi être prolongée par l’étude du phénomène de divisions parcellaires à l’initiative de propriétaires privés, d’investisseurs, et de structures prônant la démarche BIMBY (Built In My Back Yard). Ce phénomène n’est pas sans conséquences sur les évolutions paysagères à l’œuvre. Une focale sur l’influence des évolutions législatives et l’encadrement de ces initiatives, mais aussi sur les effets de ces divisions parcellaires sur le long terme permettraient de mieux envisager les stratégies d’urbanisation à engager.
Le paysage périurbain est étroitement lié à la métropolisation et à la promotion de l’accession à la propriété privée. Une action publique davantage à l’écoute des besoins des habitants, aux différentes échelles de territoire, pourrait donner lieu, sur un plan stratégique et opérationnel, à la co-construction des territoires périurbains, en mêlant habitants et acteurs de l’aménagement, dans une gouvernance partagée avec tous les territoires concernés, et favorisant l’émergence de réponses localisées, ancrées dans le territoire. Le périurbain est une hybridation ; il est en quête d’une identité, entre ville et campagne, et d’un sens autre que la seule production de logements découlant des dynamiques métropolitaines. Il demande à faire émerger de nouvelles façons d’habiter.
(1) Définitions de l’Insee :
Les communes périurbaines sont les communes des couronnes périurbaines et les communes multipolarisées.
Les « communes multipolarisées des grandes aires urbaines » sont les communes dont au moins 40 % des actifs occupés résidents travaillent dans plusieurs grandes aires urbaines, sans atteindre ce seuil avec une seule d'entre elles, et qui forment avec elles un ensemble d'un seul tenant. Les « autres communes multipolarisées » sont les communes situées hors des grandes aires urbaines, des moyennes aires, des petites aires, hors des communes multipolarisées des grandes aires urbaines dont au moins 40 % des actifs occupés résidents travaillent dans plusieurs aires, sans atteindre ce seuil avec une seule d'entre elles, et qui forment avec elles un ensemble d'un seul tenant.
La couronne recouvre l'ensemble des communes de l'aire urbaine à l'exclusion de son pôle urbain. Ce sont des communes ou unités urbaines, dont au moins 40 % des actifs résidents travaillent dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci.
Crédit photo : Franck Juery
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