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24.10.2017

1917, la Révolution qui dérange

Il y a un siècle, le 25 octobre 1917, les bolchéviques, menés par Lénine, prenaient le contrôle de Saint-Pétersbourg. Un acte fondateur, qui allait aboutir à la naissance de l’Union soviétique. La Révolution d’Octobre a donc 100 ans et, pourtant, ceci ne semble susciter que peu d’émoi en Russie. Aucune festivité officielle n’est en effet prévue pour marquer cet anniversaire. Sabine Dullin, professeur à Sciences Po et chercheuse au Centre d’histoire, révèle les tensions et les enjeux politiques qui sous-tendent ce choix.

1917, ou la parenthèse entre deux Russies impériales...

Après de nombreuses hésitations, Vladimir Poutine a décidé de ne pas célébrer le centenaire de 1917. La fête que la nation russe consacrait auparavant à la Révolution d’Octobre n’est plus... Depuis 2005, le Kremlin l’a remplacée par une « Journée de l’unité nationale » célébrant l'expulsion des Polonais de Moscovie en 1612. De fait, le nationalisme grand-russe contre lequel la révolution de Lénine s’est faite, est un point d'achoppement majeur dans la Russie conservatrice de Poutine. Les révolutionnaires sont ainsi accusés d’avoir porté un « coup de poignard dans le dos » de l’État russe en signant la paix avec l'Allemagne. Pour les accusateurs, il ne fait aucun doute que sans cette trahison la Russie aurait été dans le camp des vainqueurs.

Deuxième épine “nationale” dans le pied de la nouvelle Russie, et encore plus douloureuse car plus actuelle : l’indépendance que déclarèrent en 1918 de nombreux territoires précédemment parties de l’Empire : Ukraine, Caucase, provinces baltes, Turkestan. Lénine, chantre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a, selon Poutine, placé, une bombe à retardement. En effet, si ces pays furent, à la faveur de la guerre civile, réintégrés dans la nouvelle Union des républiques socialistes soviétiques, la reconquête de leur indépendance en 1991 se fit sur les bases de 1918 et au nom du droit à la sécession inscrit dans la constitution soviétique. Rien d’étonnant dès lors que 1917 soit plus ostensiblement fêté dans les pays baltes ou en Ukraine qu’en Russie. 1917-1920, ces temps de division et de désintégration de la Russie ne peuvent donc être célébrés par Vladimir Poutine comme par la majorité du peuple russe. Parenthèse nocive entre deux Russies impériales, celle des tsars et celle de Staline.

Inconfortable démocratie

Dans les années 1990, au lendemain du décès de l’Union soviétique, on s’était souvenu qu’avant Octobre 1917, il y avait eu Février. L’espoir d’implanter alors une nouvelle démocratie dans la Russie post-soviétique n’était pas étrangère à cette redécouverte de la révolution menée dans l’hiver de Petrograd par les femmes et les soldats. L’abdication rapide du tsar avait alors donné naissance à un gouvernement provisoire tenu, entre autres, d’octroyer les libertés fondamentales et de mettre en place le suffrage universel. Lorsque Boris Eltsine baptise le Parlement élu en 1991 du nom russe de “Douma”, il renoue ainsi avec le fil d’une histoire de la démocratie russe débutée en 1905, poursuivie en 1917, et avortée en 1918 avec la dissolution brutale de l’Assemblée constituante par les bolchéviques. Le sentiment d’une occasion manquée en 1905, puis en février 1917, celle d’une modernisation et d’une démocratisation en douceur de la Russie, fut alors un sentiment répandu qui nourrit de nombreux travaux d’historiens russes. Ce n’est plus le cas près de 25 ans plus tard. Le centenaire de 1917 en France met l’accent sur la démocratie radicale inventée dans la Russie révolutionnaire (voir l’exposition "Et 1917 devient révolution" qui s'est ouverte en octobre). Mais on refuse de s’en souvenir désormais en Russie, à l’exception de ceux qui s’opposent à l’idée dominante qu’un pouvoir autoritaire est plus digne de respect, plus efficace qu’une démocratie brouillonne.

Lénine versus Staline

En effet, la nostalgie du système soviétique quand elle existe au sein de la société post-soviétique se tourne bien davantage vers l’URSS de Staline, « manager efficace », vainqueur de la Seconde Guerre mondiale et rassembleur des terres d’Empire, que vers 1917. On voit même des portraits de Staline ressurgir dans l’espace public. Certains regrettent aussi l’URSS de Brejnev, qui offrait une protection sociale perçue comme bien solide en regard de la situation actuelle et une vie bon marché.

Quoi qu’il en soit, Lénine, le grand leader d’Octobre 1917, n’a pas disparu : sa statue orne encore de nombreuses places et son corps embaumé repose toujours dans le mausolée sur la place Rouge, témoignant de la complexité de la construction mémorielle dans la Russie d’aujourd’hui.

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Légende de l'image de couverture : Everett Historical/Shutterstock